Voici un des trois articles que Jean Costentin nous a fait suivre, écrit spécialement pour notre controverse :

 

Le cannabis peut-il être un médicament ?


Pour aborder la question du cannabis comme médicament potentiel, il convient de préciser ce qu’est, en 2010 , un médicament:

Il s’agit d’une substance pure, ou d’un mélange de substances pures en proportions exactement définies, destiné à l’usage humain (ou vétérinaire) qui, selon un mécanisme d’action (parfois plusieurs), habituellement connu, permet de corriger des fonctions perturbées de façon pathologique, afin de les stimuler si elles sont défaillantes ou de les réduire si elles sont excessives.

Lorsque ces médicaments, administrés par voie générale, accèdent au cerveau (en franchissant la barrière hémato-encéphalique) et affectent des activités psychiques avec une intensité reliée à la dose, il s’agit d’agents psychotropes. Dans ces conditions, s’ils affectent des fonctions psychiques normales sur un mode purement quantitatif (intensité), il pourra s’agir de médicaments (exemple les anesthésiques généraux, les hypnotiques, les sédatifs, les anxiolytiques, les antidépresseurs, les antipsychotiques, les psychostimulants, les analgésiques, les médicaments procognitifs…..).

S’ils affectent non plus (seulement) quantitativement mais aussi qualitativement le fonctionnement cérébrale, il s’agit alors de psychodysleptiques et très communément de drogues, générant, avec des intensités diverses, une ivresse, un délire, des hallucinations, une agitation, une altération de la personnalité, une perte du « self contrôle » (ce qui est le cas des stupéfiants, ébriants, hallucinogènes, onirogènes….).

 

La frontière entre psychotrope-médicament et psychotrope-drogue peut, en fonction de la dose utilisée, être mal délimitée. Plusieurs psychotropes-médicaments ont été ainsi détournés de leurs finalités thérapeutiques, à des fins toxicomanogènes (la méthaqualone, l’ex Nubarène® qui était détournée de ses activités hypnotiques pour être associée à l’alcool ; ou le sécobarbital en administration I.V., détourné pour induire des « flashes ») ; ils ont été retirés du marché. Il en a été de même des anorexigènes amphétaminiques, de plusieurs anti-cholinergiques muscariniques d’action centrale qui étaient utilisés comme antiparkinsoniens, de certains analgésiques morphiniques, de la cocaïne, des barbituriques hypnotiques. Les benzodiazépines, quant à elles, d’efficacité toujours inégalée, mais parfois détournées de leurs indications thérapeutiques, font l’objet d’une prescription mieux encadrée….).

 

Pour qu’une substance pharmacologiquement active (i.e. agissant sur une cible biologique pour produire une réponse cellulaire / tissulaire / d’organe, accède à la dignité de médicament, elle doit satisfaire à de nombreux critères, que des études de plus en plus nombreuses, longues, exigeantes et couteuses vérifieront.

Ces études concernent (au plan pharmacologique), entre autres : la biodisponibilité de ces médicaments (quantité dont bénéficie effectivement l’organisme), en fonction de leur dose, de leur métabolisme hépatique et extra hépatique ; leur liaison aux protéines plasmatiques, aux protéines tissulaires, leur fraction libre, leur diffusion tissulaire, leurs concentrations dans différents tissus ; leurs métabolites (produits de biotransformation), en portant une attention particulière à leurs concentrations, leurs durées de séjour dans l’organisme, leurs effets propres…). L’élimination urinaire, de la forme native de la molécule ainsi que celle de ses métabolites ; l’existence d’un cycle entéro-hépatique (sorte de noria entre la lumière intestinale et le foie) ; le temps au bout duquel, après l’administration orale, la concentration sanguine culmine (temps de pic = t max) ; le temps nécessaire pour faire chuter de moitié la concentration sanguine du médicament et de ses métabolites actifs (demi-vie plasmatique = t 1/2) ; la détermination des différentes cibles biologiques (récepteurs, enzymes, canaux ioniques, transporteurs…) qui seront affectées aux concentrations atteintes par le médicament dans la biophase, aux posologies usuelles ; L’étude des enzymes hépatiques impliquées dans leur catabolisme, et en particulier les fameux cytochromes P450, qui peuvent être induits, inhibés, réprimés et qui sont source de multiples interactions médicamenteuses…

….

Des études de toxicologie, non moins lourdes que les précédentes, détermineront les toxicités aigue, semi-chronique, chronique, sur plusieurs espèces animales, (par exemple : Rat-Lapin-Chien). Elles comportent en particulier la mesure de très nombreux paramètres biologiques (par la pratique de très gros bilans de biologie clinique), suivis du sacrifice des animaux et de l’examen anatomo-pathologique des différents organes.

A cela s’ajoutent des études sur la fécondité, sur l’embryotoxicité, la foetotoxicité (teratogénèse), sur le développement post natal…Des études de mutagénèse de carcinogénèse viendront compléter les précédentes. Quand il s’agit de candidats médicaments psychotropes, on s’enquiert toujours de savoir s’ils ne sont susceptibles d’induire une pharmacodépendance ? i.e. d’exercer des effets « appétitifs » / dits « de récompense ») qui correspondraient à des propriétés toxicomanogènes, donnant lieu, de ce fait, à abus, à pharmacodépendance.

 

Toutes ces études précliniques étant effectuées ; ce qui a conduit à réfuter, pour la suite de la croisière, de très nombreux candidats passagers, on passe alors à la pharmacologie clinique, et à l’administration à l’Homme, pour des études qui se déclinent en 4 phases :

La phase I s’effectue chez des sujets sains. Elle apprécie la biodisponibilité et le métabolisme

Puis on passe à l’Homme malade, afin d’établir l’efficacité, sur tel ou tel symptôme, en fonction de la dose, de la voie d’administration. C’est la comparaison, « en double aveugle », de l’action de la molécule étudiée, à celle d’un placebo, ainsi qu’à celle d’un médicament de référence (connu comme actif à la dose utilisée). « (en double aveugle », car le clinicien, non plus que le patient, ne savent laquelle ils reçoivent de ces trois molécules).

 

C’est à partir de l’énorme dossier ainsi constitué, que des autorités publiques (Food & Drug Administration = FDA aux USA, Agence Européenne du Médicament =EMA, Agence Française de sécurité des produits de santé =AFSSAPS ) vont juger de la légitimité ou non d’Autoriser la Mise sur le marché de ce Médicament, la fameuse « AMM ».

Une préoccupation majeure domine, tant pour la délivrance de cette AMM par les pouvoirs publics, qu’ultérieurement pour la prescription médicale de ce médicament par le praticien, c’est le sacro-saint rapport bénéfice / risque. Quel(s) bénéfice(s) peut on espérer qu’en retirera le patient, et quels risques encourt-il à consommer ce médicament ; en se souvenant que ce n’est jamais totalement impunément qu’on introduit dans l’organisme une molécule qui lui est étrangère (xénobiotique).

Les effets secondaires, latéraux, voire franchement adverses, sont appréciés en fréquence (très fréquent > 10% ; fréquents > 1% ; rares > 1/1 000 ; très rares 1e/10 000). On demande aussi, sans toutefois l’exiger, qu’un médicament ait une action principale et pas (ou pas trop) d’effets latéraux, afin que l’effet sollicité / obtenu ne soit noyé dans le tumulte, le tapage, de pleins d’autres effets non utiles, voire même malencontreux.

 

C’est à l’aune de ces exigences, qui qualifient un médicament, que nous allons évoquer maintenant la situation du cannabis..

Le cannabis, ou chanvre, dans sa variété indica (chanvre Indien) sécrète une résine, qui concentre, au côté de cent autres substances, un principe actif majeur, le tétrahydrocannabinol –«  THC ».

 

Pourquoi la plante entière ou ses organes les plus riches en THC (les fleurs femelles) ne peuvent constituer des médicaments ?

La composition en principes actifs du cannabis est des plus variables selon : l’organe de la plante considéré, la génétique de la plante (multitude de variétés), le lieu de son développement (sol, climat, moment de la récolte), justifiant cette appréciation générale :«Végétal varie bien fou qui s’y fie».

Les grains de résine du cannabis, qui peuvent être détachés de la plante par battage, sont agglomérés avec des ingrédients divers (et pas toujours ragoutants), pour constituer le haschich ou «shit», qui connait évidemment les mêmes variations de composition que la plante entière.

La plante elle-même, ou sa résine dispersée dans du tabac, vont être fumées. La cession de leurs principes actifs à l’organisme est alors des plus variable selon la façon de fumer, l’amplitude de l’inhalation, le temps de rétention de la fumée dans les poumons…

Le fait d’ajouter de la résine de cannabis au tabac accroit de 200 °C la température de combustion, ce qui pousse plus loin la pyrolyse des produits végétaux, et génère davantage d’oxyde de carbone (CO = poison de l’hémoglobine) ainsi que davantage de goudrons / d’hydrocarbures cancérigènes (qui sont alors près de 7 fois plus abondants que ceux issus de la combustion du seul tabac).

La fumée produite par la combustion du seul cannabis, ou de son mélange au tabac, est plus irritante pour l’appareil respiratoire que ne l’est celle du tabac seul.

 

Le THC, en agissant sur certaines cellules de l’immunité (macrophage – lymphocytes), diminue les défenses immunitaires et facilite l’émergence d’infections (bronchopneumonies).

L’association au tabac, utilisé comme un véritable «support galénique» de la résine, et surtout pour corriger par la nicotine et les aldéhydes volatiles (inhibiteurs de MonoAmineOxydases = MAO), les effets sédatifs du THC, ajoute à la toxicité du tabac. Il faut rappeler ici que le seul tabac est la «première cause, en France, de mortalité évitable», avec ses 66.000 morts par an (les transports routiers, souvent indispensables, ne font eux «que» 5.000 morts).

 

C’est depuis François Magendie puis Claude Bernard - c’est à dire deux siècles - qu’on l’on s’est affranchi des «soupes» végétales de principes actifs et que l’on s’adresse désormais en thérapeutique aux produits purs. Cela fait un demi-siècle qu’ont disparues les dernières cigarettes à usage médicinal, qui comportaient des Solanacées (Jusquiame, Datura, Belladone) pour les asthmatiques, car le remède était apparu bien pire que le mal.

Exit donc l’herbe et sa résine !

 

Quid alors du THC pur ?

Ce THC, que l’on sait obtenir très pur, peut être administré par voie orale ou nasale (mais pas par voie injectable, car il est virtuellement insoluble dans l’eau).

Le THC agit sur 2 types de récepteurs : les uns dits CB1 (sont essentiellement cérébraux) et les autres CB2 (sont principalement périphériques). De façon métaphorique, le THC peut venir frapper / s’adresser à deux types de guichets, désignés CB1, (présents au premier étage) et CB2, (présents au rez de chaussée)

Ces récepteurs CB1 sont ceux de substances endogènes (anandamide, di-arachidonoylglycérol = DAG, noladinéther, virodhamine….) préposées à la régulation subtile des communications inter-neuronales

Parmi les centaines de types différents de récepteurs présents dans le cerveau, ces récepteurs CB1 sont les plus nombreux. Ils sont ubiquistes et de ce fait ils affectent une grande diversité de fonctions ; c'est-à-dire que de leur stimulation, par le THC, résulte une multitude d’effets :

Sédation, diminution de l’anxiété, ivresse, désinhibition, effets amnésiants, troubles cognitifs avec perturbation des apprentissages, perturbation de la mémoire de travail / mémoire opérationnelle / working memory, la mémoire pour l’action, mais aussi de la mémoire à court terme, cette mémoire sans laquelle ne peut se constituer une mémoire à long terme ; induction de délire (pensée coupée de la réalité) ; induction d’hallucinations (perceptions de toutes natures, sans objet, sans réalité) ; effet orexigène (ouvrant l’appétit) ; effet analgésique ; effet myorelaxant ; effet antiémétique (réducteur des vomissements) ; induction de comportements impulsifs, irrépressibles ; sentiment de déréalisation, de dépersonnalisation («bad trip») ; émergence inopinée de comportements agressifs ; rires bêtes ; emballements de l’humeur ; sensation de toute puissance physique, mais plus encore psychique ; facilitation du passage à l’acte sexuel, faisant fi des résistances de la partenaire, ainsi que de la contraception et de la prophylaxie des maladies sexuellement transmissibles (SIDA, hépatite, chlamydiase…).

 

Le THC, par stimulation des récepteurs CB1, est une substance toxicomanogène, inductrice d’une toxicomanie, d’une pharmacodépendance, avec un pouvoir d’accrochage très fort. Ce potentiel addictif est illustré, dans notre pays, par les quelques 1.600.000 « usagers réguliers » (ce qui est considérable s’agissant d’une drogue illicite) (est un « usager régulier » celui qui fume un joint au moins une fois tous les 3 jours, eu égard à l’extrême rémanence du THC dans l’organisme : on estime que les effets d’un joint s’attardent presque pendant une semaine dans le cerveau, i.e. bien au-delà des quelques heures de l’ivresse procurée). Celui qui consomme un joint tous les trois jours subit une imprégnation permanente de THC, avec une longue période de stimulation de ses récepteurs CB1 cérébraux, à un niveau significatif.

Le THC induit une dépendance psychique, ce qui est consubstantiel de toute drogue. Cela se vérifie par l’intensification de la transmission dopaminergique dans le noyau accumbens,, qui constitue la signature neurobiologique de toute pharmacodépendance. Cet effet incite le consommateur, pour rendre permanente la stimulation dopaminergique, d’assurer une occupation permanente de ses récepteurs CB1 par le THC et, pour ce faire, d’y recourir régulièrement. Il y recourt, certes, bien moins souvent qu’au tabac car là où la demi-vie de la nicotine est de l’ordre de ¾ d’heures, celle du THC est beaucoup plus longue, de l’ordre de la journée. En effet, quand le THC disparait du sang, il ne disparait pas de l’organisme ; Il se concentre dans le cerveau, organe très riche en graisses / lipides (vous avez déjà mangé de la cervelle de mouton ou de la moelle épinière pour le constater ; quand je parle trivialement du cerveau, je dis parfois « la motte de beurre ») ainsi que dans les panicules adipeux (ces masses dysgraisseuses / dysgracieuses…).

 

Chaque consommation successive incrémente ces stocks de THC, par fixation rapide dans les graisses, du fait de son exceptionnelle lipophilie, qui a pour corollaire une très faible hydrophilie).

Si on laisse se distribuer librement le THC entre une phase aqueuse (équivalent du plasma sanguin) et une phase huileuse, (équivalent du tissu cérébral), on constate qu’à l’équilibre la concentration dans cette dernière phase est 100.000.000 (soit 108) de fois plus élevée que dans la phase aqueuse ; c’est ce que l’on appelle le «coefficient de partage P», on dit que Log P = 8

- avec l’héroïne, il est de 100 – aussi Log P = 2

- avec la cocaïne, il est de 1000 – aussi Log P = 3

 

Après un tel stockage, qu’on ne connait pour aucun médicament, à l’exception peut être de l’amiodarone = Cordarone® (un antiangoreux-antiarythmique), le THC se désorbe lentement ; il repasse alors, à de bien plus faibles concentrations «qu’à l’aller», devant ses récepteurs CB1 ; il les stimule ainsi au long et même au très cours, il accède au foie, qui le transforme enfin en métabolites hydrophiles (11-0H – THC, puis dérivé carboxylique -COOH) qui, étant hydrophiles, peuvent être éliminés dans l’urine.

Il a été montré (Smith-Kieland, en Australie) que chez des sujets abusant au long cours du cannabis, et contraints à l’arrêt total de cette consommation (du fait de leur incarcération), huit semaines plus tard, ils éliminaient encore dans leurs urines ces métabolites du THC, au rythme de leur désorption des stocks constitués.

Les effets d’un seul « joint» persistent, comme on l’a dit, une semaine dans la tête ; et ceux de plein de joints perdurent pendant deux mois au moins.

Aucune drogue connue ne connait une telle rémanence de séjour dans l’organisme.

Cette rémanence / persistance dissimule (mal) la dépendance psychique, même si elle permet au consommateur de prétendre «qu’il maitrise sa consommation» puisque, se comparant au fumeur du seul tabac, il se vante de ne fumer qu’un joint tous les deux à trois jours (« son réservoir de THC est si grand qu’il n’a pas besoin de repasser souvent à la pompe »). Cette rémanence masque aussi la dépendance physique, puisque, entre le moment ou il arrêterait totalement sa consommation et le moment ou apparaitraient les expressions physiques du manque, il s’écoulerait entre 15 jours et 3 semaines ; ce qui ne l’invite pas à relier ces troubles à l’arrêt déjà si lointain de la drogue. En outre, du fait de la lenteur d’élimination du THC, ces troubles «s’effilochent» dans le temps (réalisant une «descente en plané et non pas en piquet»).

 

Cette dépendance installe l’abus, et l’abus installe la tolérance. Car, à venir «frapper répétitivement aux mêmes guichets», dit moins prosaïquement, à stimuler intensément et au long cours ces récepteurs CB1, ils finissent par se désensibiliser, par se raréfier. (ces guichets baissent leurs rideaux). Les neurones porteurs de ces récepteurs CB1, par trop stimulés, se protègent, en raréfiant les récepteurs présents à la surface de leur membrane. De ce fait, les stimulants endogènes de ces récepteurs (les endocannabinoïdes), aux effets plus modestes, perdent alors, comme le THC lui-même, toute efficacité.

Alors que le THC était anxiolytique dans la première période de ses usages, il cesse de l’être, tout comme les endocannabinoides (substances endogènes préposées à cette fonction anxiolytiques) qui, perdant aussi leur efficacité, font que l’anxiété réapparait, bien plus vive qu’elle n’était primitivement (i.e. avant l’usage puis l’abus du THC). C’est souvent à ce stade d’anxiété intense que les cannabinomanes / cannabinophiles viennent consulter.

Le même raisonnement prévaut pour les troubles dépressifs. Le déprimé, plus que quiconque, apprécie les effets de type antidépresseur du THC ; ceci en aigu. Il en use, il en abuse et, après un temps variable, le THC devient inopérant, et les troubles dépressifs réapparaissent en force, avec toujours en embuscade, le risque suicidaire. Il a été montré (Marie Choquet), l’existence d’une relation entre l’importance de l’utilisation du cannabis et la survenue d’idées suicidaires et de tentatives de suicides (parfois hélas «réussies»). L’accroissement de la suicidalité chez les sujets jeune est ainsi corrélé à l’accroissement de leur consommation de cannabis.

 

Pire encore, est la responsabilité du THC (longtemps suspectée mais désormais bien établie au plan épidémiologique et bien expliquée au plan neurobiologique) avec la schizophrénie (psychose chronique – «folie» au sens commun du terme).

L’étude séminale d’Andreasson [publiée en 1983, après le suivi de dix ans d’une cohorte de 50.000 conscrits Suédois (1971 – 1981)] établissait, dès 1983, que le fait d’avoir fumé plus de 50 joints en tout, avant l’âge de la conscription (alors que pourtant le cannabis d’avant 1970 était six à huit fois moins dosé en THC que celui qui circule en 2010) multipliait d’un facteur 6 le risque de développer une schizophrénie. Depuis lors, les études se sont multipliées, précisant plusieurs points. Elles ont montré, en particulier, que le risque est d’autant plus grand que le consommateur est plus jeune, que sa consommation est plus élevée, qu’il existerait une vulnérabilité individuelle (trouble neuro-développemental qui pourrait affecter 15% d’entre nous), vulnérabilité que le THC peut décompenser.

Dans l’étude de M.-L. Arsenault (Nouvelle Zélande), parmi les 1.000 gamins qui avaient débutés leur consommation de cannabis entre 12 et 15 ans (on en dénombre 300 000 en France, chiffres de l’O.F.D.T.) à l’âge de 18 ans 10% d’entre eux étaient devenus schizophrènes !!!

 

Les effets ébriants du cannabis ressemblent à ceux de l’alcool et, sur la route, leurs effets, non contents de s’additionner, se potentialisent, (i.e. que l’effet résultant est supérieur à la simple addition des deux effets). Dans l’étude SAM (Stupéfiant et Accidents Mortels de la route), il a été établi que le cannabis seul était à l’origine d’environ 300 morts annuels en France et que le fait de l’associer à l’alcool multipliait par 14 le risque d’avoir un accident mortel de la route. On sait depuis lors que ces chiffres sont sous évalués, car ils fixaient comme seuil de positivité pour attester de la consommation de cannabis le taux de 2 nanogrammes de THC par millilitre de plasma. ; or, pour des valeurs bien plus faibles, de 0,2 nanogramme / litre de plasma, que l’on sait désormais doser, il a été constaté que les concentrations cérébrales peuvent être très élevées.

 

Outre l’association malheureuse du THC à l’alcool, celle aux tranquillisants / anxiolytiques benzodiazépiniques, ou aux reliquats matinaux d’hypnotiques (Stilnox®, Imovane®) ou bien encore aux antihistaminiques-antiallergiques (surtout ceux de 1ère génération, ayant une action centrale), peuvent avoir le même effet catastrophique sur la conduite des véhicules à moteur, des deux roues, et sur la sécurité au travail.

 

A l’heure où se développent les polytoxicomanies, on perçoit bien que l’escalade toxicomaniaque est de plus en plus manifeste. C’est a minima le café et les autres autres boissons caféinées (Coca Cola), un certain nombre d’individus en restent là mais, souvent, bientôt, s’y ajoute le tabac (environ 15.000.000 de sujets dépendants) avec, en outre, près de 4.000.000 d’entre eux qui ont un usage problématique de l’alcool (incapables qu’ils sont de s’abstenir de toute consommation au moins un jour par semaine). Au tabac peut se rajouter le cannabis (plus de 50% des adolescents qui fument du tabac y ajoutent, plus ou moins erratiquement, du cannabis).

Avec l’alcool alors, c’est le «binge drinking» / «biture express» / alcoolisation aigue, qui envahit désormais, de façon quasi rituelle, l’espace « festif ».

Et voila que la cocaïne fait son entrée, très en deçà du monde du «show biz», avec la baisse de son prix et l’apparition du «crack», qui lui n’est pas sniffé mais fumé, suscitant un «accrochage» beaucoup plus rapide et intense. Et puis au bout de ce périple, souvent après un petit détour par la buprénorphine à haut dosage (BDH) détournée (le «subu» pour Subutex®), c’est l’arrivée dans l’héroïne (sans doute la plus désocialisante de toutes les drogues), avec ses 250.000 abuseurs, dont 150.000 qu’on essaie d’en détacher par des substituts (oraux et non pas injectés que sont les Méthadone et Subutex®) Cette substitution est d’un coût prohibitif pour notre société, alors que dans une proportion estimée à 1/3, elle est détournée pour des usages injectables ou pour contaminer aux opioïdes des jeunes toxicophiles, futures recrues de l’héroïnomanie.

Nos jeunes français sont, parmi les 27 états membres de l’Union Européenne, les plus gros consommateurs de cannabis, au coté des Tchèques, et bien devant les Anglais, les Espagnols et les Hollandais.

Cette propension particulière des français à consommer des drogues explique, au moins en partie, la pusillanimité du corps médical à prescrire, à des fins thérapeutiques, cet exceptionnel analgésique qu’est la morphine.

 

S’agissant des indications qui pourraient être revendiquées pour le THC, quelques remarques s’imposent :

- Elles seraient multiples et cette multiplicité serait malencontreuse. Par exemple : - être un analgésique, d’un niveau léger à moyen, au prix d’une ébriété ou encore d’une augmentation de l’appétit est inopportune. Etre antiémétique, en créant une myorelaxation, peut être aussi inopportun.

- Les effets développés sont-ils d’une intensité telle qu’il n’y aurait que le THC pour atteindre un tel niveau ? la réponse est clairement non! Aucun des effets significatifs / avérés / connus, du THC n’est d’une intensité remarquable, et moins encore inégalée. On dispose dans la pharmacopée de médicaments permettant, dans ses indications potentielles, d’être aussi et surtout plus actifs que le THC, au prix de moins d’inconvénients et de risques, c'est-à-dire bénéficiant d’un bien meilleur rapport bénéfice / risque.

 

Evoquons maintenant les principaux méfaits «périphériques» du THC

Il fut un temps ou la ligne d’horizon du sidéen était si proche que certains médecins fermaient les yeux sur leur consommation de cannabis, dans une démarche compassionnelle, de type «soins palliatifs», qu’on se gardera de juger (autres temps, autres mœurs). Avec les trithérapies appliquées actuellement à cette affection, l’espérance de vie des sidéens s’est notablement allongée. Aussi, connaissant les effets immunodépresseurs du THC, cette permissivité ancienne est devenue totalement aberrante. On ne peut, à prix élevé, s’appliquer à maitriser un virus qui déprime l’immunité et tolérer simultanément l’usage d’une drogue immunodépressive (souffler sur le feu ou jeter de l’eau dessus, il faut choisir).

De par sa lipophilie déjà évoquée, le THC se concentre dans les testicules, il diminue la fonction des cellules de Leydig, sécrétrices de l’hormone mâle, la testostérone. Le THC au long cours, est rendu responsable d’une diminution de la taille des testicules, d’une baisse de la libido, d’une diminution de la densité des spermatozoïdes dans le liquide séminal. Enfin, une relation avec le développement d’une variété de cancer du testicule, le séminome, vient d’être récemment rapportée.

Le THC ne fait pas bon ménage avec la grossesse. Il en abrège la durée ; il fait naitre des bébés plus petits que ne l’expliquerait leur prématurité et, enfin, il est à l’origine d’un retard du développement psychomoteur (constaté dans les premières années de la vie). Le constat de la survenue d’hémopathies à l’adolescence chez des enfants issus de mamans consommatrices de cannabis, avait suscité un vif émoi. Il n’a jamais été confirmé, au point qu’il semble s’agir d’une information erronée.

 

Le cannabis vient d’être classé en troisième rang des causes de déclenchement d’infarctus du myocarde (la cocaïne figurant en 1er rang)

Des troubles de la perfusion sanguine cérébrale ont été objectivés, tout comme la responsabilité du cannabis dans d’insolites cas d’artérites des membres inférieurs de sujets jeunes.

La littérature rapporte quelques cas de pancréatites, chez des sujets ayant des facteurs de risque.

 

 

AU TOTAL

De grands efforts sont déployés pour tenter de réduire la dépendance tabagique et agir sur ses 66 000 morts annuels, qui vont croitre au rythme du tabagisme féminin (désormais sensiblement égal au tabagisme masculin, alors que 2/3 des morts sont des hommes, car il y a vingt ans il y avait deux fois plus d’hommes que de femmes qui fumaient, et que le tabac donne rendez vous à ses victimes après un temps ≥ 20 ans). On attend de ce fait, en 2020, que les victimes du tabac soient au nombre de 90.000… Dans ce contexte Il n’y a aucune place pour une démarche, étiquetée thérapeutique, qui envisagerait le recours au cannabis fumé (produisant 7 fois plus de goudron que le tabac, et davantage d’oxyde de carbone…).

La multitude de composants du cannabis, leurs proportions variables, la variabilité de leur cession à l’organisme en fonction de la façon de le fumer, la diversité et la modicité des effets, la toxicité broncho-pulmonaire, et ses risques nombreux et parfois très graves, invalident totalement l’hypothèse d’un usage thérapeutique du cannabis fumé….

S’agissant du THC lui-même, administré pur ou associé au cannabidiol, par voie orale ou nasale, notons qu’il a été autorisé dans quelques pays sous la pression de lobbys d’inspirations très peu médicales, même si on trouve toujours quelques égarés, non informés et sans éthique, pour soutenir de telles thèses. Il importe de rappeler : la modestie de ses effets potentiellement thérapeutiques ; son absence de sélectivité d’action, au point d’en faire un véritable feu d’artifice dans sa version « bouquet final » ; sa pharmacocinétique dominée par une exceptionnelle rémanence (en relation avec sa lipophilie exceptionnelle). On mettra ceci en perspective avec le fait que dans chaque indication potentielle, on dispose de vrais médicaments sélectifs et beaucoup plus efficaces, avec un rapport bénéfices / risques qui les ont fait adouber comme médicament.

Dans la sclérose en plaque, quelques médecins sont sensibles à la conjonction : analgésie + immunodépression + myorelaxation, que des associations médicamenteuses reproduisent à de bien plus haut degrés, … mais sans l’ivresse

 

Les éléments principaux d’invalidation du THC résident, rappelons le :

-dans ses effets toxicomanogènes ; il induit une pharmacodépendance psychique et physique.

- dans l’induction d’une ébriété.

- dans la perturbation de la mémoire de travail et la constitution de la mémoire à long terme.

- dans l’induction d’une tolérance à ses effets, imposant d’accroitre les doses pour maintenir leur permanence.

- dans le fait qu’après avoir été anxiolytique, il devient anxiogène.

- qu’après avoir été perçu comme antidépresseur, il aggrave les troubles dépressifs.

- qu’il induit des expressions typiquement psychotiques (délire, hallucinations, correspondant à la «  psychose cannabique »).

- qu’il peut décompenser une vulnérabilité à la schizophrénie.

- qu’il aggrave les schizophrénies déclarées ; crée une résistance aux traitements antipsychotiques ; suscite des décompensations délirantes et hallucinatoires dans l’intervalle des périodes de rémission.

- qu’il incite à la consommation d’autres drogues : alcool, tabac, cocaïne, héroïne et aux polytoxicomanies.

- que l’on ne dispose actuellement d’aucun moyen efficace pour soustraire un sujet dépendant du THC à cette dépendance.

Au total, le THC procure des bénéfices mineurs pour des risques majeurs !

 

Les subterfuges des toxicophiles et de leurs supplétifs

Le fabliau du «cannabis médicament» est une vieille «ficelle / manipe » de toxicomanes. Se faire offrir sa drogue par la sécurité sociale, comme c’est le cas actuellement pour la méthadone et le Subutex aux héroïnomanes constitue le fantasme suprême du consommateur de cannabis ; il englobe évidemment sa dépénalisation, sa banalisation. Cette pression, de lobbys idéologiques, fermés aux problèmes sanitaires, relayée par des «idiots utiles», mobilise les mêmes individus que ceux qui revendiquent l’héroïne médicale (injectable, pure et gratuite) et les salles d’injections à moindres risques, médicalisées… mais c’est un autre débat.

Quoiqu’il en soit, « élever l’aberration au niveau d’un débat, c’est déjà une façon de faire progresser l’aberration ; et s’il faut pouvoir parler de tout, il ne faut pas perdre trop de temps avec les sottises » J.-Ch. Valeur

 

Le futur

Une piste très intéressante est représentée par la recherche de molécules qui stimuleraient électivement les récepteurs CB2, dans une perspective analgésique, antiinflammatoire ?, immunodépressive…) ce qui permettrait de bénéficier de certains bons effets du THC, sans le recrutements de ses méfaits psychotropes et toxicomanogènes.

Les études sur le cannabis ont permis de découvrir les endocannabinoïdes, leur métabolisme, leurs récepteurs, leurs fonctions. Ce système apparait comme très important pour la régulation, l’ajustement, du niveau des transmissions, communications inter-neuronales. Loin d’épauler ce système s’il vient à être défaillant, le THC le caricature ; Il s’impose en effet dans le cerveau, partout à la fois, intensément, durablement, rompant totalement avec la subtilité de son fonctionnement ; il se comporte tel l’éléphant dans un magasin de porcelaine.

Bloquer les récepteurs CB1 avec un antagoniste, le rimonabant (l’ex Acomplia®) visait à bloquer, entre autres, l’effet orexigène des endocannabinoïdes (il était indiqué dans les obésités hyperphagiques). Il a du être retiré du marché en raison de l’anxiété et des troubles dépressifs qu’il engendrait ; rappelant que ce n’est pas impunément que l’on manipule ce système des endocannabinoïdes.

Des stratégies prenant appui sur les endocannabinoïdes se dessinent telle l’inhibition de leur dégradation (par la Fatty Acid Amide Hydrolase = FAAH) ou encore l’inhibition de leur capture neuronale et gliale opérée par des transporteurs spécifiques. On manque de recul pour en apprécier l’intérêt.

 

Affaires à suivre…




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