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Jean-Pol TASSIN
est neurobiologiste, spécialiste de l'addiction et du cannabis. Il est directeur de Recherches à l'INSERM depuis 1984, et dirige également un groupe de recherche au sein de la chaire de Neuropharmacologie au Collège de France.

Ses travaux les plus récents proposent une nouvelle théorie neurobiologique explicative de l'addiction. Président du Conseil Scientifique de la Mission Interministérielle de la Lutte contre la Drogue et les Toxicomanies (MILDT) depuis 2000, il a été récemment sélectionné comme membre du Conseil Scientifique de l'Observatoire Européen des Drogues et de la Toxicomanie (OEDT).

 

Nous avons réalisé deux entretiens avec Jean-Pol Tassin. Le premier à été réalisé à l'Université de Jussieu, le 16 février 2011, dans son laboratoire. Le second a été réalisé par mail, le 23 mars 2011.

 

 

Les principaux enseignements de ces deux entretiens quant à notre controverse :

 

Une généralisation quasi impossible concernant les dangers du cannabis

Bien que le cannabis fasse partie des drogues les moins dangereuses (parmi les drogues illégales comme légales, à savoir tabac et alcool), le terme "drogue douce" et les catégories "drogue douce/drogue dure" s’avèrent peu pertinentes car elles sont trop schématiques. Il semble que la quantification des dangers d’une substance soit une des questions les plus difficiles, et particulièrement lorsqu’il s’agit du cannabis. Les critères retenus pour cette quantification sont en effet peu pertinents pour le cannabis puisque, d’une part, ils varieront en fonction de l’âge et de la personnalité du consommateur et, d’autre part, à cause de l’existence de biais scientifiques importants lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux dangers du cannabis : produits coupés et différemment dosés, différents modes de consommation de la part des utilisateurs, différentes fréquences de consommation, ou encore différentes conditions environnementales.
Jean Pol Tassin résume cela ainsi : « la difficulté avec le cannabis est qu’il ne peut y avoir de généralisation. Chaque effet est particulier et différent pour chaque personne ».

 

Des méthodes distinctes de quantification des dangers qui influent sur les résultats obtenus

Au commencement de notre étude, nous avions distingué deux grands types de méthodes de recherche en ce qui concerne les dangers du cannabis : la méthode moléculaire et la méthode psycho-sociologique ; la question étant de savoir comment ces méthodes influent sur les résultats obtenus. Jean Pol Tassin nous a amené à mieux comprendre les types d’études. Il différencie les études qui analysent la toxicité en tant que telle et celles qui analysent les potentiels toxicomanogènes. Ces deux types d’études sont menés à la fois chez les souris et chez les humains, en utilisant des techniques différentes : tests comportementaux chez les souris et études épidémiologiques chez l’Homme.

 

Des études et des méthodes de recherche propres à des catégories scientifiques 

Pour éviter de cartographier les acteurs en les réduisant à des catégories peu intéressantes des « pour vs contre », nous nous demandions s'il était possible de corréler des méthodes de recherche par catégories d’acteurs. Selon Jean Pol Tassin, il y a clairement des méthodes de recherche propres à des catégories scientifiques, qui influenceront ensuite les interprétations des résultats obtenus. Par exemple, les études épidémiologiques sont rares chez les souris et seront plus mobilisées par des acteurs du type psychiatres, psychologues ou du monde de la médecine en général. Par ailleurs, les chercheurs mènent des études à partir de produits purs (le THC pour le cannabis) chez la souris, alors que les études faites sur l’Homme sont basées sur l’observation de produits réellement utilisés par les consommateurs (le haschich et l’herbe), avec les biais dont nous parlions ; cela influencera dès lors les conclusions. 

 

Une dimension performative des ces méthodes de recherche

Selon Jean Pol Tassin, les méthodes de recherche n’interfèrent pas sur les résultats obtenus mais sur l’interprétation de ces résultats. Ainsi, ces méthodes donneront lieu à des conclusions différentes dans leurs interprétations et performeront différentes versions de la réalité ; ce qui pose toute la question de l’objectivité scientifique.
Pour monsieur Tassin : « la très grande variabilité chez l’Homme rend les études souvent faiblement significatives et les résultats très significatifs obtenus chez la souris sont souvent dus à des facteurs qui ne correspondent qu’à des cas extrêmes chez l’Homme (entre autres utilisations de doses élevées et de composés très spécifiques) ».

 

Un rapport compliqué entre acteurs scientifiques et acteurs politiques, qui influence l’opinion publique

Dernier enseignement d’importance quant à la construction de l’objectivité scientifique et ses applications politiques, il semble que sur la question des dangers du cannabis, l’idéologie joue un rôle fondamental. Jean Pol Tassin n’a cessé de nous rappeler que les chiffres publiés doivent être en accord avec les politiques et la communication gouvernementale. L’opinion publique se trouve ainsi très mal informée sur la question, dans la mesure où ces chiffres doivent s’accorder avec le discours politique, appuyé par certains scientifiques qui n’ont pas hésité, selon monsieur Tassin, « à utiliser des métaphores franchement fausses et trompeuses (le cerveau comme une éponge qui se charge en cannabis), ce qui n’arrange rien ». Toujours selon notre interlocuteur : « le rôle du politique dans la perception des implications des drogues est extrêmement important. La distorsion que ces derniers peuvent avoir sur le travail des scientifiques peut être hallucinante, voire même insupportable ».
On comprend donc bien l’importance, dans notre controverse, des relations entre les acteurs scientifiques au sens large et politiques ; d’autant plus que des enjeux de subjectivité, d’idéologie et de jeux politiques sont présents au sein même des acteurs scientifiques.



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