Nous avons réalisé deux interviews de Jean-Pol Tassin dans le cadre de notre controverse.

 

 

Voici la retranscription de son premier entretien, réalisé le 16 février 2011, dans son laboratoire à l'Université de Jussieu :


En effet l’idée du cannabis comme médicament était de contourner la dépénalisation. En cette matière on peut voir un certain rapprochement avec le rapport Roques qui traite le problème de la toxicité du cannabis.

 

1. Peut-on faire une comparaison entre la toxicité du cannabis et la morphine, qui elle, peut vraiment générer une dépendance ? 

Il s’agit de deux substances complètement différentes. La morphine provient bien de la fleur de pavot mais lorsqu’elle est injectée de façon propre (stérile) elle n’entraine pas de toxicité.

Vous savez, le débat sur la toxicité du cannabis existe depuis longtemps mais au moment du gouvernement de Kouchner la question de la dépénalisation s’est vraiment posée. Il a y eu une tension politique à ce moment là puisque si Kouchner était vraiment pour, Jospin ne voulait pas en entendre parler.

Il existait à ce moment là beaucoup moins d’études qu’aujourd’hui, donc on avait aussi moins de connaissances sur le sujet. Les études qu’on pouvait avoir exposaient tout et son contraire, certaines montraient des conséquences terribles, mais d ‘autres démontraient tout à fait l’opposé. Les neurobiologistes se sont rendus compte que le cannabis (le produit actif est le THC tetra-hydro-cannabinol) stimulait des récepteurs aux cannabinoïdes qui existent dans le corps humain. On a vu comment fonctionnait la stimulation qui expliquait l’action du cannabis par ces récepteurs, comment ils fonctionnaient au niveau du cerveau. On s’est donc d’abord concentré sur cette idée de récepteurs, de voir d’où venait la stimulation et comment elle fonctionnait. Suite à ces recherches on vu comment les communications au sein du cerveau pouvaient être différentes. On s’est aperçu des particularités hydrophobes du cannabis et qu’il faisait vraisemblablement partie d’une nouvelle catégorie de neurotransmetteurs.

Parallèlement, Caballero un avocat défenseur de la liberté de fumer et de prendre du cannabis a développé l’idée que si le cannabis possédait des vertus thérapeutiques alors il ne pouvait pas être classifié comme produit illicite. 

En ce sens les gens d’AIDS ont vu que le cannabis permet de reprendre de l’appétit chez les malades ; ce qui était particulièrement important lorsqu’on n’avait pas encore inventé la trithérapie. Cependant les tests développés par cette association n’ont jamais été très probants. 

En ce qui concerne l’utilisation médicale, les expériences sur le cannabis n’ont jamais donné des résultats très probants. En réalité il existe des médicaments plus efficaces sur bien des cibles du cannabis sans que se pose le problème de la toxicité. Il n’a donc pas de raison évidente, d ‘être utilisé.

La difficulté avec le cannabis c’est qu’il ne peut pas y avoir de généralisation. Chaque effet est particulier et différent pour chaque personne. En plus de ça vous vous imaginez bien qu’il est difficile de pouvoir faire des expériences en France, puisque la substance est interdite. 

Le cannabis a en réalité deux récepteurs dont certains, les CB1, sont extrêmement nombreux dans le cerveau. Ils sont beaucoup plus nombreux que ceux de la morphine. Les récepteurs agissent en fonction du neurone sur lequel ils se trouvent. Les activations qui se développent à ce moment là sont très différentes les unes des autres. Il existe aussi des effets qui s’auto neutralisent (les mêmes récepteurs peuvent inhiber des activateurs (donc inhiber) ou inhiber des inhibiteurs (donc activer). On ne peut donc pas l’utiliser facilement comme médicament parce que ses effets ne sont pas assez spécifiques. En plus, la complexité qu’on peut trouver sur les récepteurs se modifie en fonction du patrimoine génétique des personnes.

 

Il faut savoir aussi que les premières expériences avec le THC dans les années 90 étaient assez spectaculaires. Les animaux adorent le sucre mais si le récepteur CB1 du cerveau est bloqué, ils ne s’y intéressent plus. Pour bloquer ce récepteur on utilise une substance Accompli A, qui fait disparaître le plaisir. Il peut aussi permettre d’arrêter de fumer. Il bloque le circuit de récompense qui est induit par le plaisir mais il risque de déclencher de la même manière une dépression. C’est une chose qui s’est avérée, il y a eu des cas de dépressions et de suicides. Alors les autorités françaises, et les Etats-Unis ont décidé d’interdire ce médicament.

Il s’agit de pouvoir dissocier les effets liés au plaisir et celui de l’addiction. Ils peuvent être corrélés mais pas obligatoirement. L’herbe peut susciter du plaisir et par contre peu d’addiction. Contrairement au tabac qui donne peu de plaisir mais engendre beaucoup de dépendance. La dépendance sur les fumeurs de cannabis est souvent liée au mélange avec le tabac. L’addiction de ces fumeurs est réellement liée au tabac. En plus on a souvent constaté que la consommation chez la population française chute de 45% lorsque l individu se stabilise. Dès que la personne trouve un travail, fonde une famille, elle cesse de fumer.

 

2. Sur quoi se base-t-on pour classer le cannabis ?

Pour pouvoir voir un produit comme médicament il faut trouver une cible qui soit significative. Il existe plusieurs phases, trois pour être plus exact. Ensuite il faut établir le rapport bénéfices/risques. 

Les problèmes avec les médicaments sont nombreux. On voit ça aujourd’hui avec tout ce qui s’est passé avec le Médiator. Il existe beaucoup d’autres produits dans le commerce qui ont des effets qui vont au delà des prescriptions. C’est exactement ce qu’on peut voir avec le rapport du Médiator.

Là c’est quand même assez impressionnant puisqu’on a continué à utiliser un médicament avec peu de bénéfices pour avoir en contre partie beaucoup de risques. Je pense sincèrement qu’il y a eu plus de morts que les 2000 recensés. Il est difficile de savoir ce qui s’est vraiment passé. Les problèmes de santé sont difficiles à repérer et il est compliqué de faire une corrélation directe entre la prise de médicaments et les effets que ça a engendrés. C’est par exemple le cas valvulopathies qui touchent 2% de la population française. Au moment du recensement on n’a pas demandé à ces malades s’ils avaient pris du médiator avant. On ne voyait pas à ce moment là la corrélation entre les deux. Afin de pouvoir prouver les effets directs du Médiator il faut des cas idéal. Des gens qui n’avaient pas de problèmes de santé avent de prendre ce médicament et qui par la suite si. Mais ce genre de cas n’est pas très fréquent.

En ce qui concerne le cannabis il agit de manière très différente en fonction des personnes. Les tests statistiques ne sont donc pas très probants. Et il existe comme je l’ai déjà dit la barrière du fait d’être un produit illicite. Il est très difficile de trouver des tests en sur les effets du cannabis sur des humains. La grande majorité des biologistes travaillent sur des souris et les autorisations peuvent prendre beaucoup de temps avant d’être accordés. Ça se doit au statut très difficile d’avoir des tests cliniques en France.

 

3. Justement en ce qui concerne l’Automédication, de quel droit une personne peut elle disposer de cette substance ? Pourquoi est-ce légal en Californie par exemple ?

En Californie il y a bien moins d’exigences. Pour eux le cannabis est un produit qui ne comporte pas des taux de toxicité énorme et qui ne comporte peu de risques. C’est pour ça qu’il est permis. Le fait que ce soit un produit avec peu de risques fait qu’il n’y a pas de raisons de l’interdire. Tous cela peut être vu de manière relative.

Par exemple un des grands risques monté en épingle était l’influence du Cannabis sur le risque d’accident de voiture. Ce qui est un argument faux.

Le fait de conduire en ayant fumé n’augmente le taux de risque que de 1,18. Le conducteur qui prend du cannabis sait parfaitement qu’il est sous l’effet de cette drogue donc il conduit lentement. La réaction est complètement différente lorsque le conducteur est sous l’effet de l’alcool. Dans ce cas de figure le conducteur à plutôt tendance à se prendre pour un surhomme et ne calcule plus du tout, les risques. C’est surtout la combinaison des deux qui est une catastrophe. L’alcool intensifie les effets du cannabis, fait que le conducteur perde tous ses reflexes tout en se sentant comme un surhomme. En réalité l’alcool potentialise presque tous les psychotropes.

Il existe énormément de bruit autour du cannabis parce que c’est un produit qui n’est jamais tout blanc ou tout noir. Il existe autant de pours que de contres, donc on peut s’opposer et tout démontrer. On peut vraiment réussir à démontrer un peu tout ce qu’on veut. Il y a beaucoup d’effets et leurs contraires. C’est un mélange assez spectaculaire.

Il y a eu aussi des expériences partiales. Par il exemple il en existe une qui consistait à donner beaucoup de cannabis à des animaux pour par la suite leurs injecter des produits antagonistes. On stimule donc les récepteurs pour ensuite les bloquer brutalement. Donc on bloque d’un coup tous les effets. Là on observe que l’animal et voit qu’il va très mal.

Pendant beaucoup de temps on a vu ça comme un signe de dépendance. Donc le cannabis rendait dépendant les gens. Ce qui est complètement faux. Prenez par exemple un automobiliste qui roule à 130 km/h sur l autoroute et que soudainement un mur se dresse sur l’autoroute. Cela ne signifie pas qu’il est dangereux de faire du 130 sur l’autoroute. En fait personne qui a pris du cannabis se prend un antagoniste juste après. Cette expérience n’a donc aucun sens. On appelle cela le Syndrome de sevrage. Mais dans la réalité il n’existe pas de syndrome de sevrage dans le cannabis. Le cannabis est une substance très hydrophobe et le THC se dissout dans les graisses. C’est pour cela qu’il met énormément de temps à être éliminé par le corps

 

4. Oui parce que justement les partisans de l’utilisation médicale du cannabis disent que celui-ci n’aura pas les effets secondaires toxiques d’autres substances cliniques classiques et qu’aussi il permet un meilleur dosage.

Oui mais un bon dosage peut être effectué sans la nécessité du cannabis. Vous pouvez prendre vos cachets et les couper par exemple. Je ne pense pas que le dosage soit une qualité spécifique du cannabis. Pas tous le patients ne suivent religieusement les indications du médecin. Le dosage n’est pas un argument de poids.

 

5. Il existe aussi la distinction drogue douce et drogue dure. Comment peut ont classer le cannabis ?

La classification du cannabis est une vieille histoire. La drogue dure est à la base une drogue qui entraine des effets de locomotion chez l’animal et de sevrage violents. Alors évidemment la morphine, l’héroïne ont des effets très forts. Mais aussi la cocaïne et les amphétamines. En fait les drogues dures pour la neurobiologie sont les drogues qui « marchent bien » chez l’animal. Lorsque vous effectuez des expériences sur les animaux et que vous leur injectez des drogues dures, là vous voyez des effets très concrets. Une hausse particulière de l’activité locomotrice.

En ce qui concerne la nicotine qui entraine une certaine addiction vous ne voyez presque pas d’effets. Le rat va avoir un peu d’activité mais rien de spectaculaire. Donc vous allez ranger la nicotine du coté des drogues douces. C’est la même chose pour le cannabis ou l’alcool mais le tabac et l’alcool n’ont rien de drogues douces. En ce qui concerne le sevrage, si vous n’avez pas une descente trop pénible, on a tendance à dire qu’il ne s’agit pas d’une drogue dure.

 

6. Comment lier tout ça à la notion de dépendance ?

La dépendance, c’est l’addiction qui est lié au phénomène de sevrage. Il existe bien évidemment une addiction sur l’aspect psychologique et une addiction sur l’aspect physiologique. En ce qui concerne les drogues dure comme l’héroïne vous avez donc le syndrome de sevrage qui dure relativement peu, c’est à dire 5 ou 6 jours de malaise, diarrhées, transpirations… Pendant longtemps on a considéré que l’addiction c’était seulement ça. Puis on s’est rendu compte que des produits comme la cocaïne, les amphétamines ou l’alcool ont une addiction indiscutable. Le cannabis a donc longtemps été considéré comme la drogue douce par excellence puisqu’elle n’entrainait ni de dépendance physique ni de malaises.

 

7. Ces termes ont-ils été par la suite utilisés dans des discours politiques ?

Oui bien sûr. Et Aujourd’hui on peut voir que ça prend des proportions assez importantes. Le rôle du politique dans la perception des implications des drogues est extrêmement important. La distorsion que ces derniers peuvent avoir sur le travail des scientifiques peut être hallucinante, voire même insupportable.

Par exemple lors de la période 92-2000 c’est un moment, au sein même du gouvernement et des institutions, où la France a commencé à se poser de vraies questions sur le sujet avec des personnes qui savaient de quoi elles parlaient. L’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) a par exemple été crée à ce moment là. Puis le changement de gouvernement avec des centres de valeurs plus conservatrices a remis en cause cette avancée.

La MILDT (Mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie) qui existait déjà auparavant a maintenant comme Président non pas un scientifique ou un médecin mais un juriste, qui appelle plutôt à la répression. C’est quand même un retour en arrière. Qui plus est, certaines des données épidémiologiques actuelles recueillies par l’OFDT n’allant pas dans le sens de la communication gouvernementale (succès de la politique de répression, par exemple), le mandat du Directeur de l’OFDT n’a pas été reconduit.

On ne prend pas du tout en compte le fait que les toxicomanes sont eux aussi des victimes. Victimes de leur psychisme. On sait qu’il existe un fort pourcentage de drogués chez les gens qui ont eu la vie difficile comme par exemple chez les victimes de viol ou d’inceste. Les personnes qui ont une vie « normale » sont plus résistants à la drogue, mais cet aspect là n est plus du tout pris en compte dans les analyses d’aujourd’hui.

D’autre part, puisque selon eux (les politiques), les neurosciences n’ont pas assez avancé sur les drogues elles perdent leurs budget par rapport aux hôpitaux pour soigner les malades. Les soutiens vont alors d’avantage aller vers des personnes qui soutiennent leur idéologie, qui sont en accord avec leur politique. Les politiques actuels prennent moins en compte les résultats scientifiques.

 

8. Par rapport au contexte mondial où, justement il existe un débat croissant sur les sujets de dépénalisation où possible légalisation du cannabis, la France ne se tiendrait elle pas à l’écart ?

Oui absolument la France a aujourd’hui une politique qui se voit isolée par rapport à cette vague. Mais aujourd’hui les choses ont changé. Auparavant un scientifique représentait son pays, aujourd’hui cela ne se fait plus, on voit cela par exemple avec lors des réunions tenues par les organisations européennes. On ne voit pas de représentation nationale, même si malgré tout on peut percevoir, sans généraliser, que la personne venue d’hollande à une autre perception des drogues.

J’espère tout de même que la politique va changer même si elle n’empêche pas les gens de travailler. Les connaissances progressent quoi qu’il arrive, la recherche ne manque malgré tout pas d’argent.

 

9. Est ce qu’il existe un consensus de la part du monde scientifique en ce qui concerne le cannabis mais, que d’une manière générale ,il n’est pas pris en compte par le corps politique pour des questions idéologiques ?

Le débat n’est pas vif au sein de la communauté scientifique. Certains sont inquiets si un individu en prend un peu trop, même si il existe certaines exceptions.

Il y a par exemple des personnes qui argumentent que le cannabis pouvait générer des psychoses. Ce qui est sur c’est que si une personne au bord de la psychose fume beaucoup de cannabis cela va entrainer un rehaussement des symptômes. C’est ce qui est dit de façon générale par les psychiatres. Le cannabis peut avancer l’âge de démarrage de la psychose. C’est ça la réalité. Le fait d’avoir des traits psychotiques va vous rendre plus vulnérable au cannabis, vous en prendrez plus volontiers que si vous n’aviez pas de fragilités.

 

10. L’utilisation du cannabis favorise-t-il à la marginalisation, de la part de la société, de ses consommateurs ?

Il existe un vrai danger lors de l’utilisation du cannabis lorsqu’une personne en fume de façon régulière, dès 8h du matin et qu’elle est assez jeune c’est à dire entre 13 et 19 ans. A ce moment la ou le jeune risque de développer une incapacité à rentrer dans l’âge adulte. Cela permet de ne pas se confronter aux réalités de la vie et faire la politique de l’autruche. Vous pouvez donc passer votre journée sous l’effet du cannabis et rater vos études, ne pas avoir de bac, de ne pas pouvoir décrocher de diplômes… Ce n’est pas obligatoire mais disons qu’il y a une plus forte probabilité de rater sa vie que de la réussir.

De ce coté là l’Académie de médecine peut paraître assez rétrograde et conservatrice. Leurs congrès qui portent sur par exemple l’addiction et donc où la questions du cannabis a été touchée, ont souvent eu des conclusions conservatrices. Tous les participants qui ont tenus des propos où ils expliquaient que la question était plus complexe n’ont jamais été rappelés à participer.

Une théorie particulièrement populaire dans cet organisme, est selon laquelle le cerveau se constitue comme une éponge. Donc lorsque vous prenez du cannabis en réalité vous allez être sous l’emprise de cette substance pendant des semaines. Mais en réalité ce qui va rester dans « l’éponge » est infiniment inférieur à la dose nécessaire pour avoir un effet. Il existe une certaine subjectivité de la part de certains chercheurs par rapport à cette question qui atteint directement leurs travaux et leurs conclusions.

 

11. Mais est-ce qu’il n’existe pas aussi une subjectivité dans l’autre sens ? C’est à dire des personnes qui vont prendre cette question de manière plus favorable et simple que ce qu’elle n’est ?

Bien sûr il existe le phénomène contraire aussi. D’autant plus qu’il existe un élément franchement dangereux avec le cannabis, c’est sa prise sous frome élémentaire orale, des biscuits. Il peut ne pas être mauvais, vous l’avalez il en se passe pas grand chose et une fois qu’il a été avalé, le cannabis va faire son action sans que vous puissiez contrôler la dose parce qu’elle est déjà là. C’est à ce moment que vous voyez des gens avoir des expériences catastrophiques. C’est très différent de l’expérience que l’on peut avoir lorsqu’on fume où l’effet est quasi immédiat.

D’un autre coté il est aussi vrai que si l’on vit entouré de personnes qui prennent régulièrement du cannabis on aura plus facilité à en prendre soi-même.

Il faut prendre en compte, d’un autre coté que les sondages qui affirment qu’ ‘il existe un chiffre X de personnes dépendantes du cannabis ne sont pas toujours très objectifs et varient souvent en fonction des techniques d’étude ce qui varie fortement en fonction de chaque pays. L’observatoire français est sans aucun doute un des meilleurs dans ses méthodes d’analyse. Il faut donc quand même se méfier des comparaisons entre pays.

Il faut savoir aussi qu’il n’est pas toujours facile de trouver des gens qui fument qui veuillent bien répondre aux questions des enquêtes. Il existe toujours un problème un peu tabou par rapport à cela. En plus il existe le problème de savoir quel type de drogue a utilisé l’individu, d’où elle vient, quelle est sa qualité etc.

Par exemple le problème de la qualité a été particulièrement marquant pour les études faites sur l’ecstasy. Les personnes qui participaient aux enquêtes souvent pensaient avoir pris cette drogue mais en fait après des analyses, les drogues qu’ils avaient consommées n’avaient rien avoir avec cette substance. D’autres produits complètement différents donc d’autres effets et d’autres expériences.

Le MDMA peut voir des effets dévastateurs sur le cerveau en particulier lorsqu’il fait chaud. C’est pour cela qu’on exige que les boites de nuits aient un système de ventilation minimum. Ce qui n’était pas toujours évident puisque ces endroits font exprès d’avoir des températures hautes pour que les gens achètent plus de boissons.

 

12. Alors comment répondre au problème de marginalité vis à vis de la société que peut avoir un consommateur de cannabis ?

Ce qu’il faut savoir c’est que le Cannabis peut agir en tant qu’anti dépresseur. Sur certains cas, il y a des gens qui vont traverser leur mauvaise phase avec le cannabis. Ce n’est pas du tout quelque chose qui peut être généralisé.

L’Académie de Médecine a dit quelque chose de très révélateur. Elle avait dit qu’on ne peut pas être premier de la classe et fumer du cannabis ce qui est complètement faux. Obligatoirement si un adolescent prend du cannabis à 8h du matin il va très certainement vers un échec scolaire, mais cette généralisation est absurde. Ce n’est absolument pas vérifié.

C’est la même chose pour les problèmes de mémoire. C’est aussi plus compliqué que ce l’on pense. Par exemple cette étude menée sur des pilotes d’avion. On avait observé que les pilotes, lorsqu’ils avaient pris du cannabis n’étaient soit disant pas capable de faire atterrir leurs avions correctement. Il existe une courbe qui montre qu’entre 24 et 34 ans les pilotes diminuent leurs capacités d’atterrissage. En réalité ceux qui fument à 24 ans se retrouvent au niveau de ceux de 34 ans. C’est à dire que la différence est très faible.

 

13. Est-ce qu’il existe chez les scientifiques un certain consensus en ce qui concerne l’usage médical du cannabis ?

Vous savez je pense qu’on est au delà du pour ou du contre. Je pense qu’il y a une réelle déception envers le discours des politiques. Actuellement on peut parler d’une grosse déception. Ils parlent sans avoir des compétences concrètes sur le sujet. Il existe des amalgames frappants. On a pu voir cela par exemple lors su débat présidentiel entre Royal et Sarkozy. Ni l’un ni l’autre ne savait les questions essentielles en ce qui concerne le secteur nucléaire alors que c’est quand même une base de secteur énergétique français.

 

14. L’opinion publique sera-t-elle, sur ce sujet, plus sensible au discours politique ou scientifique ?

Je pense que si un scientifique voulait vraiment se donner la peine de faire bouger les choses, il remporterait le débat assez facilement.

Le débat ne se pose plus sur le fait d’être libéral ou pas. Les questions se posent plutôt autour de l’addiction, du plaisir, des causes irréversibles…

Vous savez cette question de dépénalisation ou légalisation est une question purement politique.

 

15. Mais pourquoi alors les scientifiques ne s’engagent ils pas dans le débat ?

Parce que c’est compliqué, difficile et ce ne sont pas leurs choix. Ils veulent faire de la recherche et puis parce que dans l’immédiat c’est voué à l’échec. Sur un débat télévisé ils auraient à peine dix minutes de parole alors que leurs adversaires ont une heure ou plus et s’appuient sur des peurs irréfléchies.

Il y a eu deux excellents films fait par Arte sur le cannabis. J’ai pu être attaqué à cause de mon intervention dans ces documentaires. Il faut savoir que l’Académie de médecine a quand même écrit à la chaine pour dire que ces films étaient une honte. Alors que ces mêmes films ont été utilisés à titre pédagogique au Canada pour que les gens évitent de prendre du cannabis. Après cette plainte de la part de l’Académie de Médecine, Arte à du refaire un deuxième film moins polémique. Ce deuxième film est très bien. Il ne dure qu’une heure et ne donne pas de réponse définitive sur le sujet. Mais ce n’est pas le genre de réponse qui pourrait passer sur TF1.

Par exemple sur la question de l’addiction on s’est rendu compte que la nicotine en soit n’est pas addictive mais c’est le mélange de celle-ci avec le tabac qui rend dépendant. La chose est plus complexe. C’est ce qui se passe avec le cannabis. Lorsqu’on mélange, le THC qui en lui même n’est pas très actif peu avoir d’autres effet avec la présence du tabac. C’est compliqué et c’est pour cela que les scientifiques ne veulent pas prendre position. Ceci dit pour le Médiator il y a eu une faille. Parce que certains spécialistes savaient. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont rien dit. Je ne sais pas si c’était parce que c’était trop difficile à dire ou à cause des lobbys. Tant que le danger n’est pas évident beaucoup de gens ne parlent pas.

Par exemple sur l’ecstasy il y a vraiment un problème. Le fait que se soit des policiers qui donnent des discours aux lycées. Ils peuvent être utiles mais ce qu’ils font n’est pas vraiment de l’information. Alors qu’un cours sur les effets des drogues dans le cerveau aura un impact fort et immédiat. On peut même avoir un retour des informations, des gens intéressés qui veulent en savoir plus sur le sujet, des gens posent des questions.

Donc méfiance…

 

 

Voici la retranscription du deuxième entretien avec Jean-Pol Tassin, réalisé le 23 mars 2011, par mail :

 

Questionnaire : Le cannabis est-il dangereux ? Comment construire une drogue ?

 

1. Comment définiriez vous le cannabis et pourquoi? (Drogue, drogue douce ou drogue dure?)

Dans la catégorie des drogues, le cannabis fait partie des moins dangereuses mais le terme de dure ou douce est trop schématique.

 

2. Sur un échelle de dangerosité de 1 à 10, à quel niveau placeriez vous le cannabis? Pouvez vous développer?

Il existe plusieurs critères qui définissent la dangerosité d’un produit, drogue ou pas. Ramener ce résultat à un chiffre reste encore trop simpliste. Par exemple, le cannabis entraîne peu de dépendance, sauf si il est fumé avec du tabac, a les mêmes effets toxiques que le tabac sur les systèmes respiratoire et cardio-vasculaire mais il est en principe moins fumé en quantité mais il est fumé sans filtre. Il est très dangereux sur la route en présence d’alcool mais assez peu si il est pris seul… etc…si vous voulez absolument un chiffre je dirais 2 mais là encore il faudrait définir par rapport à quoi, au sucre, à l’héroïne, à l’ecstasy ?

 

3. Sur quels critères vous basez-vous pour évaluer les dangers du cannabis? 

En fait je prendrais le critère pour lequel la dangerosité me paraît maximum et là encore je ne pourrais pas donner une réponse unique; il est dangereux chez un jeune de quinze ans qui fume dès 8 heures du matin, dangereux chez un jeune adulte qui sort de dépression, très dangereux chez un adulte qui a des éléments psychotiques ou chez un conducteur qui a pris de l’alcool et peu dangereux chez un adulte qui en fume le samedi soir. En résumé, le critère varie en fonction de l’âge et de la personnalité du fumeur.

 

4. Comment concrètement sont effectuées ces études sur les dangers des drogues en général? (Tests sur des souris ou observation de consommateurs humains?)

Il faut différencier les études qui analysent la toxicité en tant que telle et celles qui analysent les potentiels toxicomanogènes. Les deux types d’études sont faites chez les souris et chez les humains en utilisant des techniques différentes (par exemple tests comportementaux chez les souris et études épidémiologiques chez les humains).

 

5. De quelle façon les chercheurs rendent compte du lien de cause à effet en ce qui concerne le cannabis et les cannabinoïdes? Comment les dangers d’une drogue sont-ils quantifiés?

Je pense que votre question ne correspond pas à ce que vous vous demandez. Le cannabis est la plante, les cannabinoïdes sont les éléments de cette plante qui ont une action. Lorsque l’on prend du cannabis, on ingère des cannabinoïdes et ce sont ces derniers qui ont un effet. Le danger des cannabinoïdes est moins important que le danger du cannabis, dans la mesure où les cannabinoïdes ne sont que des éléments du cannabis qui ne contiennent pas les goudrons ou le CO2 qui sont émis lors de la combustion de l’herbe. Lorsque les dangers d’une drogue sont étudiés, ils le sont à partir de produits purs (par exemple THC) chez la souris et de produits utilisés dans la vraie vie quand les études se font chez l’Homme.

 

6. Y a-t-il des méthodes de recherche propre à chaque catégorie scientifique s’intéressant à la question du cannabis? (neuropharmacologue travaillant sur les souris et psychologues sur les patients?)

Bien sur. Il n’est pas facile d’aller prélever des neuromédiateurs dans le cerveau d’hommes vivants et les études épidémiologiques sont rares chez les souris.

 

7. Pensez-vous que ces différentes méthodes influent sur les résultats obtenus par ces différents scientifiques? Dans quel sens et de quelle manière?

Ces méthodes n’interfèrent pas sur les résultats mais sur les interprétations des résultats. La très grande variabilité chez l’Homme rend les études souvent faiblement significatives et les résultats très significatifs obtenus chez la souris sont souvent dus à des facteurs qui ne correspondent qu’à des cas extrêmes chez l’Homme (entre autres utilisations de doses élevées et de composés très spécifiques).

 

8. Quels sont les biais scientifiques principaux quand il s’agit de s’intéresser aux dangers du cannabis? (Produits coupés et différemment dosés, différents modes de consommation de la part des usagers…).

Vous en citez deux mais vous pourriez aussi citer les différences entre l’herbe, le haschish et l’huile, la consommation fumée ou les biscuits, le mélange ou non avec du tabac, avec l’alcool…la fréquence de consommation, les conditions environnementales…l’âge du fumeur…

 

9. Étudier un produit illicite s’avère t-il facile en France? Comment obtenir le produit pour effectuer des tests?

Il n’est pas difficile d’obtenir les produits mais c’est long (AFSSAPS) et ils sont souvent beaucoup plus chers que dans la rue. Il est facile d’expérimenter chez l’animal et évidemment presque impossible chez l’Homme.

 

10. Comment jugez vous les méthodes de classification des substances utilisées par l’AFSSAPS? (Méthode basée sur le critère du potentiel d’abus d’une part et de la valeur thérapeutique d’autre part).

C’est évidemment une méthode qui ne convient pas (un potentiel d’abus important d’une substance non toxique est moins ennuyeux qu’un faible potentiel d’abus d’une substance toxique) mais il faut bien trouver des critères. Ils ne seront jamais parfaits et devraient s’adapter aux différentes situations.

 

11. Que pensez-vous de la convention sur les substances psychotropes de l’OMS en 1971 qui définit une classification en 4 tableaux? (évaluation des dangers selon 3 critères : dépendance psychique, dépendance physique et tolérance)

Elle est évidemment dépassée. L’OEDT (l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies) travaille actuellement pour obtenir de meilleures classifications.

 

12. Que pensez-vous du rapport Roques de 1998 et de son tableau sur la dangerosité des produits? (Dépendance physique / Dépendance psychique / Neurotoxicité / Toxicité générale / Dangerosité sociale).

Mise à part la partie sur l’ecstasy qui n’a pas été suffisamment approfondie, c’est un rapport qui mettait bien en avant les différents critères et par conséquent le fait que certains produits très consommés et licites pouvaient être plus dangereux que d’autres, beaucoup moins consommés et illicites.

 

13. Chronologiquement parlant, comment qualifieriez vous le parcours scientifique sur la question des dangers du cannabis? Est-il linéaire dans le sens d’une considération toujours plus dangereuse du produit ou y a-t-il présence de cycle dans les considérations? (Au moins en France).

De toute évidence il y a un phénomène de balancier entre une diabolisation dans les années 80 (Nahas) puis une dé-diabolisation vers 1998 et un retour vers un aspect dangereux vers les années 2005 (au sujet de la psychose en particulier et aussi à la suite de l’action de certain(s) « croisé(s) » anti-cannabis)

 

14. Comment expliquez-vous l’immense diversité des considérations sur le cannabis dans le monde? (Légale aux Pays-Bas, disponible en pharmacie en Californie, fortement réprimandé en France)

Parce qu’il s’agit d’un produit qui a de multiples facettes, qui n’est jamais assez dangereux pour être définitivement banni et jamais si peu dangereux pour être accepté par tous.

 

15. Quel rapport y a-t-il entre la recherche scientifique et les pouvoirs publics sur la question du cannabis en France?

Elle est de plus en plus inexistante. Les scientifiques travaillent maintenant sur les propriétés métaboliques du cannabis (ou plutôt les propriétés dues à la stimulation des récepteurs CB1) et je ne pense pas que les pouvoirs publics soient au courant de ces développements.

 

16. Sur la question du cannabis, l’opinion publique sera, selon vous, plus sensible au discours scientifique ou à celui des pouvoirs publics?

Un discours scientifique bien fait et accessible à tous a toujours plus d’impact que le discours des pouvoirs publics. Malheureusement, le discours des pouvoirs publics s’appuie souvent sur des peurs « ancestrales ». Il est plus facile de dire que c’est mauvais et qu’il faut l’interdire plutôt que d’essayer de s’adapter aux possibilités que représente ce produit et qui sont reconnues par un grand nombre de consommateurs qui ne sont ni des dealers, ni des psychotiques, ni des derniers de la classe.

Le problème est que les données des pouvoirs publics viennent, entre autres, de l’observatoire des drogues et des toxicomanies (OFDT) et que les chiffres publiés doivent être en accord avec les politiques. Ainsi, des chiffres non encore publiés montrent que la consommation de cannabis est restée stable et que la consommation de cocaïne a augmenté depuis que les dernières décisions de répression ont été mises en œuvre. Comme ces résultats ne correspondent pas à ce que la communication gouvernementale souhaite, le Directeur de l’OFDT a appris récemment que son mandat ne serait pas renouvelé. Ce directeur était détaché du Ministère de la Santé et il semble qu’il sera remplacé par un privé, avec un salaire confortable (>6000 euros mensuels), qui sera vraisemblablement aux ordres.

 

17. Croyez vous que l’opinion publique est aujourd’hui bien informée sur le sujet?

Certainement pas, compte tenu de ce qui a été dit plus haut. Les chiffres doivent s’adapter au discours politique. J’ajouterai que certains scientifiques n’ont pas hésité à utiliser des métaphores franchement fausses et trompeuses (le cerveau est comme une éponge qui se charge en cannabis), ce qui n’arrange rien.




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