Maitre Kami HAERI, membre du conseil de l'Ordre, associé du cabinet August & Debouzy, l'auteur de Comment réformer la garde à vue.

 

Quels sont les principaux acteurs qui composent les forces qui encouragent et, au contraire, les forces qui tendent à freiner le mouvement pour la réforme de la garde a vue ?

L'équilibre des forces se fait autour de deux corps qui représentent, d'une part, la défense, et d'autre part, l'accusation. C'est à dire qu'il y a les avocats d'un coté, qui ont porté depuis très longtemps le combat en faveur d'une augmentation des droits des gardés à vue et de la présence de l'avocat dans la garde à vue - à des fins qui ne sont pas corporatistes mais pour garantir une plus grande démocratie - et de l'autre coté ceux qui pilotent l'enquête au premier chef, les policiers, les syndicats de police qui eux, bénéficient d'un accès plus facile - dans le système actuel - à la personne qui est mise en cause, puisque cette personne est isolée dans la procédure.

Le poids de ces acteurs a-t-il changé avec le temps ?

Leur poids a probablement changé mais avec l'aide - et il faut lui rendre hommage - du corps des magistrats, puisque des décisions judiciaires sont intervenues notamment au plan européen (la Cour Européenne des Droits de l'Homme est venue dire que le système de garde à vue à la française n'était plus valable, ce que les avocats disaient depuis longtemps). Effectivement, le corps du policier lui aussi a changé. C'est d'ailleurs ce que le Conseil Constitutionnel a rappelé le 30 juillet 2010 dans sa décision qui rend inconstitutionnelle la garde à vue à la française, puisque le Conseil stigmatise le fait que les conditions d'accès au statut d'OPJ se sont adoucies. Donc, des pouvoirs toujours très importants sont aujourd'hui confiés à des personnes qui ne sont pas formées avec la même rigueur que par le passé. Il y a donc en effet la mise en lumière d'une modification structurelle du corps des policiers, qui nécessite qu'on réexamine la situation de la garde à vue en France.

Y a-t-il une façon de quantifier la GAV et ses différents aspects ?

C'est quelque chose qui fait défaut, et qui a toujours fait défaut, puisque pour des raisons possiblement fortuites, ou peut-être dans un souci de créer une opacité autour de la GAV, il y a très peu de chiffres. Il n'y a pas de recollement ou de corrélation entre les chiffres du ministère de l'Intérieur, celui qui pilote l'activité des policiers qui sont les principaux acteurs de la GAV, et les chiffres du ministère de la Justice qui coordonne les procédures à l'intérieur desquelles la GAV a lieu. Comme il n'y a pas de recollement des chiffres, nous ignorons en réalité le nombre exact de GAV en France. Et pire, nous ignorons encore aujourd'hui quelle est l'efficacité de la GAV. Nous ne savons toujours pas aujourd'hui si les centaines de milliers de GAV qui ont lieu chaque année en France sont véritablement indispensables à la procédure, ni ce qu'elles produisent in fine sur le plan judiciaire. Il y a donc une absence de chiffres, qui a fait en sorte que - de manière assez fortuite - quand les chiffres de 800 à 900 000 GAV sont sortis l'année dernière, la France entière était stupéfaite. Le débat est d'ailleurs né, d'une certaine manière, lorsque ce chiffre complètement délirant est apparu pour la première fois à la fin de l'année 2009. Revenons encore au Conseil Constitutionnel, qui, le 30 juillet, a indiqué que ce chiffre et l'explosion du monde de la GAV, nécessitait un réexamen de la situation de la GAV en France. Comme vous le savez, le Conseil Constitutionnel ne peut pas dans le cadre de QPC être saisi de l'examen de constitutionnalité d'une loi qui lui a déjà été soumise. Il ne peut le faire que s'il y a des évènements nouveaux, des circonstances nouvelles qui justifient que, alors qu'elle a déjà statué, elle re-statue une nouvelle fois. L'un des éléments nouveaux que le Conseil Constitutionnel a mis en lumière, c'est le nombre de GAV qui a explosé en France. Et c'est en raison de ce nombre, qui a enfin été révélé même si le chiffre n'est pas précis, que le Conseil Constitutionnel a décidé de saisir de nouveau de la question de la GAV.

Quelles répercussions ce nombre a-t-il eu sur l’opinion publique ?

Les français ont réalisé, compte tenu de ce nombre, que n’importe quelle personne pouvait être mise en garde à vue. Autour de ce débat, on a réalisé que la GAV n’était pas une simple mesure d’enquête, c’est un acte très fort, sur le plan juridique et judiciaire, parce que c’est une privation de la liberté : c’est le fait de priver quelqu’un, qui est présumé innocent et qui n’a fait l'objet d’aucune condamnation, de 24 heures de liberté, 48 heures et même plus. Il faut bien le prendre comme la privation de liberté : vous êtes enfermés, de 24 à 48 heures, pour répondre aux questions qui sont formulées par le policier sur la base de données du dossier auquel vous n’avez pas accès, vous n’êtes pas assistés par un avocat et vous ne gardez aucune trace de ce que vous avez dit. C’est donc quelque chose de très fort, c’est un outil procédural très puissant, mais c’est aussi une privation de la liberté et beaucoup de français ont réalisé que cela pouvait leur arriver, d’où ce débat.

Peut-on alors mesurer l'efficacité de cet outil qu'est la GAV ?

Il y a un double phénomène. D’abord, il n’y a pas de moyens de vérifier l’efficacité - pour l'instant - de la GAV (peut-être que des procédures seront mises en œuvre), parce que la définition du taux d’élucidation en France est un peu étrange : il n’y a pas d’observatoire en tant que tel sur l’efficacité de la justice. Il y a un observatoire de la criminalité qui a été mis en place, mais sa définition de « l’élucidation » était une définition un peu circonspecte, un peu particulière, donc on ne peut pas véritablement s’appuyer là-dessus. Je pense - parce qu’il faut quand même les défendre - que les policiers ont été soumis pendant plusieurs années à une politique du chiffre. Il fallait qu’ils fassent du chiffre : plus ils faisaient des GAV, plus on estimait qu’ils étaient efficaces, ce qui est une erreur. On a donc commencé à faire des GAV en matière de délinquances routières, et même pour des petits délits, qui ne justifiaient pas une mesure d’enquête aussi lourde, même lorsque les faits ont été reconnus, on mettait les gens à la GAV. Tout cela pour faire du chiffre.

Pensez-vous que ce débat est de plus en plus lié à des thèmes sociaux, plus amples et plus politisées, entrainant une certaine dégradation du système judiciaire ?

Là où je rattache la question de la GAV à la question du débat, c’est au niveau de la manière dont l’état gère la question de la présomption d’innocence. C’est l’équilibre général de notre procédure pénale. Ce qui me chagrine, c’est que nous sommes dans un système pénal extrêmement coercitif, alors que notre justice pénale est plutôt une justice mesurée. En France, les tribunaux ne sont pas particulièrement indulgents, et ils ne sont pas excessivement répressifs : les tribunaux français sont mesurés. La justice française est mesurée. En revanche, notre procédure pénale est extrêmement coercitive et le sentiment de pression des citoyens vient non pas de la peine qui est prononcée in fine mais de la procédure. Au cœur de cette procédure, la GAV est quelque chose qui constitue un acte tellement fort et traumatisant pour le citoyen, qu’il va avoir tendance à détériorer la perception que le citoyen a envers la justice, considérant qu’il est traité comme le dernier des voyous, sans droits, alors que in fine il ne sera peut-être pas condamné. Souvent, les gens sont plus traumatisés par la GAV qu’ils ont subi que par la peine qui est prononcée le cas échéant. Ce qui me semble important, c’est donc de rééquilibrer ce phénomène, pour que les gens puissent traverser une procédure pénale avec un plus grand sentiment de sérénité et de crédibilité dans la justice. Si le citoyen a le sentiment qu’il est complément laissé entre les mains de la police, sans assistance, sans véritable droit, alors c’est la crédibilité de notre appareil judiciaire pénal qui sera mis en cause. C’est en cela que pour moi, c’est un vrai problème de la société.

Quelle est la relation entre les acteurs politiques et les acteurs du débat de la GAV ?

C’est un débat et un sujet classique. Une approche politique plus conservatrice visera à privilégier des moyens plus coercitifs afin de faire naître la vérité là où une perception plus progressive va essayer d’augmenter les droits des personnes mises en cause. Néanmoins, il faut respecter le consensus politique. Il y a une majorité, qui applique une politique pénale, et cette politique pénale est plus conservatrice, elle a donc choisi d’insister d’avantage sur l’enquête et de faire en sorte que l’aveu de la personne ressorte grâce à ces moyens-là. La réalité, c'est que c’est n’est pas le consensus politique qui est en train de conduire la France à réformer sa GAV : ce sont les injonctions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui ont condamné la France, qui ont condamné des systèmes qui n’étaient pas des systèmes français mais qui étaient identiques aux systèmes français. Jusqu’à ce que le Conseil Constitutionnel – intelligemment - plutôt que d'attendre que la France se fasse condamner, décide lui-même de rouvrir le débat. Mais la France n’avait plus le choix : nos hommes politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, devaient réformer la GAV. C’est la Cour Européenne de Justice - qui siège sur le territoire français - qui l’a déclaré.

Le changement du pouvoir change-t-il aussi la pratique de la GAV ?

C’est difficile à dire parce que nous n'avons pas de chiffres. Il est probable que le changement de majorité a toujours eu des répercussions sur la procédure pénale. Les réformes d'une procédure pénale plus coercitive venaient de la majorité plus conservatrice, là où des droits additionnels étaient apportés aux personnes mises en cause, quand – souvent - la majorité était plus progressiste. Quant à savoir si le ministre de l’Intérieur ou le ministre de la Justice ont donné des instructions plus ou moins lourdes en termes d’efficacité de chiffres, on ne peut pas le mesurer. Tout ce que l'on peut voir, c’est l’évolution de la loi, et c’est vrai que la loi a été plus coercitive envers les personnes mises en cause lorsqu'une majorité plus conservatrice était au pouvoir.

Quel rôle le citoyen pourrait-il jouer dans ce débat ?

Il doit essayer de voir si la question de la procédure pénale et des droits individuels est un élément absolument déterminant dans le choix qu’il fera : celui du candidat à la présidentielle, des députés ou des sénateurs, pour qui il serait amené à voter. C’est une première chose. Il faut qu’il se décide. Son autre devoir, est de s’exprimer - lorsqu'il le peut - pour que la France ait une position plus cohérente. Ce qui me chagrine, c’est l’incohérence de la position française vis-à-vis des autres pays européens. Nous avons des magistrats qui siègent à la Cour Européenne de Droits de l’Homme, qui rendent des décisions applicables en droit interne, qui font partie de notre bloc de constitutionnalité... et nos gouvernements successifs ont toujours nié l'impact des décisions de la Cour Européenne, jusqu’à ce qu’en un trimestre, la France soit condamnée plusieurs fois. Aujourd’hui, nous sommes donc en retard. Ce qui me gène c'est qu'au fond, c'est l’image de la France qui est totalement décrédibilisée. Il faut que nos citoyens demandent à leurs représentants qu’ils fassent preuve d'un minimum de cohérence au niveau international, et que nous nous mettions à respecter les décisions rendues par les juridictions auxquels nous contribuons nous-mêmes. Enfin, il faut réaliser que - indépendamment des débats polémiques – accorder des droits aux personnes gardées à vue n'entrainera pas le remise en liberté de criminels. Ce n'est pas ça. Il y a des dizaines de systèmes de pays occidentaux industrialisés, dans lesquels l’avocat est présent en GAV. Ce n’est pour autant que dans ces pays-là, on met les criminels en liberté : le taux d'élucidation est bon, la justice fonctionne, mais pour autant, tous les citoyens bénéficient de la présence d'un défenseur, et appréhendent la procédure de manière un peu plus équilibrée. Il faut que le citoyen ait confiance dans sa justice. Pour cela, il faut lui dire « Vous avez le droit d’être assisté ».


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