Interview d'Étienne Wasmer
PAR MATHILDE MURACCIOLE & MATHILDE VERDEIL
Wasmer
Je vais commencer par un petit préalable, qui est important même s'il n'est pas dans l'esprit de votre projet, mais ma position est qu'il y a une vérité sur ces débats.
C'est intéressant, parce que ce que nous nous entendons toujours dire « attendez, l'économie n'est pas une science dure, il n'y a pas de vérité… »
Non, la vérité est difficile à trouver, mais pour moi il y en a une. Et c'est donc pour cela que si vous me dites « on va placer différentes personnes sur un espace multidimensionnel, et x dit ceci, y dit cela », vous rendez les choses relatives. Le problème, c'est que x peut dire des choses qui sont justes ou fausses. Je ne dis pas que je détiens la vérité, je dis simplement qu'il y a probablement une vérité et que l'on essaye de l'approcher avec des techniques. Il me semble qu'il serait juste de pouvoir dire si un point de vue est justifié ou pertinent, tous ne se valent pas complètement. Il peut y avoir des avis différents, avec des niveaux de qualité différents, il faut alors donner un poids plus important à ceux qui ont travaillé la question.
Le problème c'est que nous ne sommes pas vraiment habilitées à donner du poids à certains économistes plus qu'à d'autres.
Je ne vous dis pas de donner plus de poids à certains économistes, j'aimerais que vous puissiez dire « on peut penser ça ». Si un économiste détient la vérité et qu'il l'a travaillée, tandis que tous les autres sont de l'autre côté sans avoir travaillé, on dira que le consensus se situe là, mais c'est un peu trompeur par rapport à la vérité. Je ne suis pas naïf, la façon dont vous posez les questions a une influence sur les résultats ; donc quand on dit qu'il y a plusieurs vérités, c'est qu'il y a en fait plusieurs façons de construire les questions, et plusieurs façons de construire les données. Mais si, sur une question précise, et en général quantitative, vous demandez si les 35 heures ont eu un effet sur l'emploi, c'est une question pour laquelle il y a une seule vérité.
c'est d'ailleurs pour ça que nous avons choisi cette controverse, car en se penchant sur la question des 35 heures nous avons découvert des chiffres absolument hallucinants, qui allaient de la destruction d'emplois, jusqu'au million d'emplois créés.
Et après on fait une moyenne entre le un million et les chiffres un peu plus précis.
La façon de poser la question est importante, parce que si vous demandez si les 35 heures ont eu un effet, la deuxième question qui se pose est « est-ce que cela prend en compte les déductions de charges pour les entreprises qui passaient aux 35 heures ». Car si on en tient compte, on ne trouve plus grand chose ; si on n'en tient pas compte, c'est à dire si on confond les 35 heures et les allégements de charges, on aura des chiffres très distribués. Les allègements de charges ont aussi un rôle positif sur l'emploi.
Est-il possible de séparer l'effet des allègements de charges de l'effet de la réduction du temps de travail ?
Oui c'est possible. Avec ce que nous avions fait pour l'Alsace Moselle justement, le groupe de contrôle que nous avions était aussi soumis aux allègements de charges. En revanche, la réduction du temps de travail n'était pas du même montant.
Donc la différence en différence annulait l'effet des réductions de charges et on avait uniquement l'effet des 35heures.
Une précision, vous nous parliez des résultats sur les chiffres ; en fait, nous ne travaillons pas seulement sur la controverse qui concerne la création d'emplois, notre travail est plus général : notre controverse porte sur le bilan économique des 35 heures. il a donc d'autres dimensions que l'emploi qui rentrent en jeu : la productivité, le coût du travail, la compétitivité, etc.
A propos de votre travail sur la création d'emploi, nous voulions vous demander pour commencer, comment en êtes-vous venu à travailler sur ce sujet, plus particulièrement, comment avez-vous eu cette idée de prendre le cas de l'Alsace Moselle comme référence ?
Il y a deux motivations parallèles mais très différentes. La première, c'est que justement, nous n'étions pas complètement convaincus par la méthodologie des enquêtes existantes, et nous avions en tête qu'il serait bon d'avoir une nouvelle étude, qui permettrait de séparer l'effet de l'allègement de charges de l'effet de la réduction du temps de travail. En ce qui concerne la deuxième, nous avons été conduits par les données : au moment où l'on a découvert la possibilité d'avoir un test empirique, nous avons décidé de faire cette étude, parce que nous avions la possibilité de le faire.
Et comment avez-vous découvert cette possibilité ?
L'Alsace Moselle ? Pour l'anecdote, j'étais professeur à l'université de Metz, et j'ai découvert qu'il existait un droit local en Moselle. J'ai rencontré mon co-auteur Matthieu Chemin qui posait la question de l'identification, nous avons fait une synthèse des deux idées.
Vous travaillez à l'OFCE, mais ce n'était pas dans le cadre d'une recherche que l'on vous avait commandée ?
Non, c'était totalement spontané.
nous avons rencontré Eric Heyer de l'OFCE, qui lui, avec une méthode différente, a trouvé des chiffres positifs. Vous ne vous êtes pas concertés, ou bien vous n'avez pas écrit en réaction à son étude ?
Non, pas en tant que tel, mais nous avions en tête que l'on trouvait des faits positifs, mais avec des méthodes qui ne permettaient pas de distinguer l'effet des allègements de charges.
et par rapports à ces études précédentes, vous dites donc que c'était le manque de stratégies d'identifications appropriées qui posait problème ?
Les 35 heures c'est la somme de trois effets :
l'effet de la réduction du temps de travail, pour lequel d'ailleurs les modèles disent que les chiffres sont positifs ou négatifs en fonction des jeux de paramètres, je pourrai d'ailleurs vous donner le cours que j'ai fait il y a deux semaines à l'ENSAE où je reprends le modèle théorique qui avait été fait à l'époque par Karl Forsen et (?) deux suédois qui montraient qu'il y existe trois modèles d'interprétation possibles : déjà théoriquement, en ce qui concerne la réduction du temps de travail, on ne connaissait pas l'effet.
Ensuite, il y les effets des allégements de charges, et il y a aussi un effet des salaires minimum. Vous savez que lorsqu'on est passé aux 35 heures, on a maintenu le salaire mensuel horaire, mais avec moins d'heures de travail, donc ça a augmenté le salaire minimum horaire. Et ça a probablement eu un effet sur l'emploi. Parfois le salaire minimum horaire a un effet sur l'emploi comme dans le cas du monopsone. Ce processus avait un effet négatif pour la France et pour l'Allemagne. Or l'Alsace Moselle permettait à nouveau de se débarrasser de tous ces effets et de ne garder qu'une seule variable, celle du temps de travail.
et en ce qui concerne les autres réformes qui accompagnaient les 35 heures, les conventions collectives, les taxes sur les salaires, comment écarter l'effet des renégociations ?
Les renégociations font partie de la réforme. Si vous regardez l'effet global de la réforme, il y a eu effectivement la renégociation des conventions de branche, qui explique probablement pourquoi on peut avoir des effets positifs, c'est à dire que ce sont des réformes plutôt favorables à l'emploi et à la productivité dans les secteurs. Mais à nouveau, notre test concerne le fait de savoir si le passage aux 35 heures sans rien changer d'autre à un effet sur l'emploi. Et la réponse est non. Et je pense qu'une des réussites des 35 heures à été de mettre en places certaines conventions de branche, ou de les moderniser (sur le travail, les retraites.)
la différence entre l'Alsace Moselle et la France a duré entre 2000 et 2002, ensuite il y a eu homogénéisation ; que pensez-vous alors de ce qui a pu se passer après 2002, puisque vous dites qu'il peut y avoir augmentation de la demande et donc de l'emploi… n'est-ce pas un peu détourné que de dire qu'il y a un effet nul ou non significatif, si sur le long terme il peut y avoir un effet positif ?
Ce que nous disons, c'est qu'après 2002, on ne peut plus utiliser les différences entre l'Alsace Moselle et le reste de la France. Cela ne nous dit pas s'il y a un effet positif ou négatif de l'ensemble de la réforme. Sur cette période de temps on identifie une différence entre la région et la France, et on l'utilise pour voir s'il y a un effet des 35 heures en tant que tel, et on ne le trouve pas. A partir du moment où il n'y a plus de différence, on n'a pas de moyen avec notre méthodologie d'en savoir plus.
Mais il y a d'autres techniques, vous pourriez imaginer un modèle, qui serait calibré sur les données et qui permettrait d'isoler l'effet d'un mécanisme en conservant tous les autres identiques. On pourrait imaginer de réduire le temps de travail, mais de faire un scénario dans lequel les charges, le salaire minimum ne changeraient pas, et regarder ce que ce modèle nous dirait. C'est ce qu'on appelle un modèle structurel. Soit on utilise la technique des différences en différences, soit on prend un modèle, une maquette, et on essaye de faire des variations de scénarios de politiques économiques.
et vous savez si des études ont été faites selon ce modèle ?
sur les 35 heures spécifiquement, non ; mais je pense que l'OFCE est un bon interlocuteur parce que eux ont des maquettes avec des coefficients, et donc selon la valeur des coefficients on peut analyser les différents cas.
en ce qui concerne les approches économiques pour étudier les 35 heures, vous dites dans votre papier qu'il y a deux approches différentes, l'approche macroéconomique et l'approche microéconomique. Vous dites aussi que les études macroéconomiques ont été fortement critiquées, parce que leur méthode paraît peu pertinente.
Nous avions trouvé des études dans lesquelles les gens avaient regardé la création d'emploi avant et après 1998, et ils avaient trouvé un rythme de création d'emploi annuel qui avait augmenté à partir de 1998. Il y avait au départ un rythme de 2%, puis 4%, et ils en concluent que 2% sont attribuables aux 35 heures. Evidemment, ce n'est pas convaincant, puisque si on faisait une comparaison avec l'Italie et l'Espagne, qui ont aussi connu une augmentation des créations d'emploi, on conclurait que les 35 heures en France auraient créé de l'emploi en Espagne et en Italie. En fait, c'était dû à la conjoncture.
vous critiquez donc cette méthode de comparaison de bandes chronologiques.
tout à fait.
et pourtant la plupart des débats que nous étudions sont fondés sur ces comparaisons chronologiques.
par exemple pour parler de l'OFCE ou de Coe Rexecode, les personnes que nous avons rencontrées utilisent cette méthode, et eux prennent l'Allemagne comme contrefactuel, alors que vous expliquez que comme il n'y a pas de situation de « toutes choses égales par ailleurs », on ne peut pas utiliser l'Allemagne.
l'Allemagne subissait le contre coup de la réunification, elle était en forte récession, c'était un cas très particulier à l'époque.
donc on ne peut absolument pas utiliser ce genre de comparaison
Si j'étais rapporteur d'un papier de ce genre, pour un groupe de contrôle je serais très suspicieux, je demanderais d'autres méthodes pour des groupes de contrôle à comparer.
il faut dire que leur travail porte surtout sur une comparaison après 2002 avec l'Allemagne. Ces économistes basent leurs estimations sur la réforme des 35 heures en considérant que l'Allemagne et la France sont des pays relativement comparables, ce qui permet une comparaison du marché du travail dans les deux cas. C'est ce que fait Coe rexecode par exemple. Vous, vous montrez l'importance d'un bon contrefactuel
D'un contrefactuel, et nous allons au delà. La comparaison avec l'Allemagne n'est pas suffisante à causes des phénomènes d'influences. A priori, je pense que, comme éditeur d'une revue, je plaiderais pour des modèles de triples différences plutôt que des doubles différences.
pourriez-vous nous réexpliquer les principes de double et de triple différence ?
La simple différence consiste à regarder ce qu'il se passe entre deux points. Dans la double différence, en plus de cela on examine ce qu'il se passe avant et après. Les deux régions sont identiques, il y a une réforme dans l'une des deux régions, et si la différence se prolonge naturellement dans les deux régions, on explique la différence entre les régions par la réforme. Cependant il se peut très bien que la tendance ne se prolonge pas dans les deux régions, car il y a un cycle régional spécifique. A ce moment là on peut imaginer une triple différence, qui rajoute une couche de contrôle dans la région sur laquelle la réforme s'applique, lorsqu'il existe dans cette région un groupe qui n'est pas touché par la réforme. Par exemple dans le cas des 35 heures, nous avions pris les secteurs qui n'étaient pas soumis aux 35 heures (les professions libérales, les entreprises de moins de dix salariés, ou les conventions de branches spécifiques). L'idée étant que ce groupe de contrôle supplémentaire est peut être soumis à des tendances régionales différentes entre le reste de la France et l'Alsace Moselle. Sous l'hypothèse supplémentaire que les groupes soumis à la réforme ont un cycle régional qui est le même que le groupe non soumis à la réforme de la région. En faisant la triple différence on se débarrasse de la différence des cycles régionaux entre l'Alsace Moselle et le reste de la France.
il me semble que dans un dans un de vos rapports vous utilisez le « reste de la Lorraine », qui est donc affectée par le cycle de récession de l'Allemagne, mais pas par la réforme.
Je ne me souviens pas de ce papier en particulier mais nous avons fait un exercice de falsification, et ça c'est de la science pour le coup. Il faut savoir si quand on fait un test expérimental, si en faisant quelque chose qui ne prédirait pas d'effet, on ne trouve effectivement pas d'effet. On a donc remplacé l'AM par toutes les autres régions de France alternativement en se demandant si on trouvait aussi une augmentation relative des heures travaillées en AM et pas d'effet sur l'emploi ; et nous avons effectivement trouvé que dans toutes les autres régions de France on ne voyait pas d'effet sur les heures de travail, donc l'identification sur les heures était bien liée à l'AM et à sa législation et pas au fait qu'on ait eu de la chance.
Donc si je reviens à votre question de savoir si l'Allemagne est un bon groupe de contrôle, cela vaudrait le coup de savoir si cet exercice est un bon exercice de falsification, cad si on avait remplacé la France par l'Espagne, toujours en contrôlant par l'Allemagne, est-ce qu'on aurait eu un effet des 35h en France sur l'Espagne, ce qui n'a pas de sens à priori, donc si on avait trouvé un effet cela aurait voulu dire que la stratégie d'identification n'était pas la bonne.
vous calculez un chiffre pour l'ensemble de la France de 155 000 (en ajustant l'effet trouvé en AM par la taille de la France) et pourtant vous dites que la hausse de l'emploi n'est pas significative?
L'écart-type est de 300 000, donc ça peut être -150 000 autant que 400 000.
Donc vous calculez un effet nul dans le cadre de cette méthode, qui ne permet pas de conclure
C'est pour ça que nous concluons en affirmant que « if there is an effect in the RWT, we don't see it significantly in the data ». Après il y a donc deux interpretations : soit c'est parce qu'il y a un effet nul, soit c'est parce que la méthode introduit suffisamment d'incertitude pour qu'on ne puisse pas conclure. Mais dans tous les cas c'est déjà une contribution car avant on disait 450 000 sans même parler d'écart-type. Or la prudence scientifique impose de mettre un écart-type sur les résultats.
Et que pensez vous justement de ces études de l'INSEE publiées en 2003 qui trouvaient 450 000 création d'emplois en comparant les entreprises qui étaient passées aux 35h et celles restées aux 39h ?
C'est déjà je pense supérieur méthodologiquement au sens où c'est plutôt ce qu'on appelle des regression discontinuity design, cad qu'on prend les entreprises de moins de 20 salariés et les entreprises de plus de 20 salariés, éventuellement celles de moins et de plus de 10 après 2002 [qui n'ont pas été soumises aux 35 heures] : on compare des entreprises sous un régime différent dans le même pays, c'est donc déjà mieux. En revanche il faut prendre en compte le fait qu'au seuil de 20 salariés, les entreprises ont d'autres obligations que celles de passer aux 35heures. Elles doivent par exemple payer plus en termes de contribution sociale, de comité d'entreprise, de représentations syndicales, donc elles ne sont pas strictement comparables. Ce n'est pas grave si elles ne sont pas strictement comparables si elles sont soumises aux mêmes évolutions tendancielles, la méthodologie peut être bonne quand même. En revanche si elles ne se comportent pas toutes pareil dans le cycle alors il y a un problème car on va capturer l'effet de tendances différentes mélangées à l'effet des 35 heures.
Nous, nous avons une couche supplémentaire de contrôle puisque cette différence est annulée.
il me semble que cette étude prend également des entreprises aux caractéristiques identiques -même taille, même secteur-, et compare des entreprises restées aux 39h et celles passées aux 35h.
Ici ce sont les entreprises qui décident de passer de façon anticipée ; il n'y a donc plus de différence observable entre les entreprises, mais il y a différence inobservable. Lorsqu'une entreprise a intérêt à passer aux 35h, elles vont y passer plus tôt. Or quelles sont les entreprises qui avaient intérêt à passer aux 35 heures ? Celles pour lesquelles l'effet sur l'emploi serait le moins mauvais /le plus positif. Donc cette partie de l'étude avait été assez critiquée.
Comme nous sommes dans un esprit de classification des économistes, nous avons remarqué que vous êtes un des seuls à avoir comme conclusion cet effet nul sur l'emploi, même si par ailleurs vous êtes aussi un des seuls à avoir une méthodologie aussi poussée. Est-ce à cause des différences de méthodologie que les économistes arrivent à trouver des réponses si différentes pour le même phénomène empirique.
Oui exactement, de toute façon pour ce qui est des données, personne n'a inventé les données, tout le monde est honnête dans cette histoire. Pour ceux qui ont trouvé une création de 450 000 emplois, c'est soit parce que leur méthodologie additionnait l'effet des réductions de charges à l'effet des 35h, soit parce qu'ils avaient choisi des coefficients dans leur modèle qui ont eu un impact sur le résultat. Dans tous les cas personne n'a inventé 450 000 en truquant les chiffres. Simplement il y a des hypothèses et des conclusions, et quand on analyse prudemment le passage des hypothèses aux conclusions on s'aperçoit que dans la plupart des cas il y a des conjonctions de mécanismes en plus de la simple réduction du temps de travail. Nous nous disons que la réduction du temps de travail n'a pas eu d'effet. Si vous regardez le papier de ?????, il y a trois cas de figure sur l'effet de réduction du temps de travail : un effet positif, un effet négatif, un effet nul –ce dernier souvent parce que les entreprises peuvent recourir au overtime qui a souvent un effet neutre en terme d'emplois. Il est donc possible que ce que nous avons vu nous ce soit la vérité.
Mais bien entendu si on baisse les charges on augmente l'emploi, donc je ne suis pas étonné que si on baisse les charges en même temps que les 35h on puisse trouver un effet positif.
Il y a en fait une réponse juste à chacune des questions qui sont posées. Mais comme les questions qui sont posées sont différentes, les réponses sont différentes.
et vous êtes le seul à vous être posé la question de l'effet des 35h en éliminant tous les effets parasites ?
Je pense que les autres ont également essayé de le faire mais qu'ils ont eu du mal à trouver la vraie méthodologie
avez vous eu des retours sur votre étude ?
Oui nous commençons à être cités comme le travail le plus récent et le plus avancé sur la question. La science est cumulative malgré tout ! Donc comme c'est l'étude la plus en date dans une revue de très haut niveau, nous commençons à être cités sur la question.
Quand nous sommes allés voir les économistes de COE-rexecode ils nous ont justement affirmé que l'économie n'était pas une science, qu'un ricardien et un keynésien verront dans un phénomène des choses complètement différentes, et ils avaient tendance à dire que seul la durée pourrait résoudre la controverse.
Mais imaginons que nous ayons un modèle commun entre COE-rexecode, OFCE et nous, un modèle selon lequel on s'accorde sur les principes mais on ne serait pas d'accord sur les coefficients, par exemple l'OFCE mettra un multiplicateur keynésien de 2,6, nous de 1, COE-Rexecode 1 (un euro dépensé réduit l'activité). On peut donc être d'accord sur la structure mais pas sur les coefficients. Une science commence lorsque les gens s'accordent sur ce sur quoi ils ne sont pas d'accord, et pour moi l'économie n'en est pas très loin.
mais le problème pour les 35h n'est-il pas que les modèles même sont très différents ?
Je suis peut-être naïvement scientiste mais : les modèles sont peut-être très différents, mais les gens savent ce qu'il y a dans les modèles.des autres et savent ce qu'il manque au leur. C'est même à ça que sert un modèle : au-delà de la prédiction faite, résumée à un chiffre, il permet de voir ce qu'il manque. Une chose essentielle c'est justement la transparence ; nous dans notre étude nous sommes transparents, nous disons exactement ce qui conduit au résultat, tout est reproducible. Le minimum qu'on puisse attendre d'un modèle c'est qu'il soit disponible en ligne, or le problème c'est que parfois on a un côté « secret de fabrication ». Je suis donc très ferme là-dessus : ce qui est reproducible et falsifiable c'est bon, ce qui ne l'est pas, on peut avoir un doute.
Et par rapport à notre site où nous devrons placer les différents acteurs, comment devrions nous intégrer d'après vous les effets autres que les effets de création d'emploi, comme la productivité, la compétitivité
Nous nous sommes intéressés au coût horaire et nous n'avons pas trouvé d'effet très significatif. En revanche nous n'avons pas intégré que la dimension emploi dans notre étude, mais nous avons aussi vu qu'en AM comme la WTR a été plus faible les gens demandaient davantage que les autres français un peu plus de temps de loisir. On pourrait très bien répliquer notre travail avec la productivité, ou le stress au travail – Philippe Askenazy a fait des choses très bien là-dessus
et comment intégreriez vous la compétitivité ?
Ne pas confondre productivité et compétitivité : la productivité c'est la production de l'entreprise sur le nombre de salariés alors que pour la compétitivité il faut introduire la comparaison avec d'autres pays. Et puis la productivité est difficile à mesurer : les entreprises, si elles anticipent davantage de charges l'année prochaine, vont déclarer plus de profits cette année et moins l'an prochain, donc il y a une marge d'erreur sur la productivité réelle.
Nous envisagions de faire deux axes, l'un sur la compétitivité et l'autre sur la notion de « partage du travail ». Pensez vous que cette notion est valable?
Si vous considérez que le nombre total d'heures est constant, ça a beaucoup de sens de partager le temps de travail. Mais bien évidemment en économie ouverte avec des emplois qui sont en concurrence avec d'autres pays, comme le nombre d'heures dépend du coût horaire du travail, si on fait un choc de salaire on va diminuer le nombre d'heures de travail à partager, pour deux raisons : soit parce que ça coûte plus cher et que les entreprises vendent moins, soit pour des raisons de compétitivité parce que les autres pays n'étant pas soumis à cette contrainte, ils vont pouvoir facilement prendre des parts de marché à la France.
il n'y a donc pas de stock fixe d'heures de travail ?
S'il y en a un, je doute qu'un cabinet d'experts ministériel puisse le connaître. Un unité locale devrait mieux connaître le nombre d'heures optimales pour elles, donc un cadre uniforme me semble peu adapté.
vous êtes donc contre les 35 heures ?
Non, je suis contre une législation nationale à ce sujet ; il faut des gardes-fou sociaux. Si moi qui suis économiste du travail avec une méthodologie assez solide n'arrive pas à trouver le nombre d'heures optimales, je ne vois pas comment dans les volutes de fumées d'un congrès on pourrait le déterminer
mais si finalement les 35 heures n'ont pas eu d'effet sur l'emploi…
Je ne dis pas qu'elles n'ont pas eu d'effet, je dis que dans ce contexte là elles n'ont pas eu d'effet.
Si dans ce contexte là elles n'ont pas eu d'effet sur l'emploi, pourquoi ne pas les considérer bénéfiques puisqu'elles ont forcément augmenté le temps de loisir et le bien-être des français ?
Il faut bien voir que cette mesure a été accompagnée d'allègements de charges qui auraient pu être ciblé sur les jeunes, sur les non-qualifiés, sur des secteurs en concurrence internationale par exemple. Ce n'est donc pas le meilleur usage des fonds publics possibles.