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Changement d'affectation des sols indirect (CASI)

Les changements d'affectation des sols indirect correspondent à l'installation d'une culture énergétique à la place d'une culture alimentaire qui sera alors déplacée vers d'autres écosystèmes riches en carbone, d'où la création d'une dette carbone. En Europe, un certain nombre de surface autrefois réservé à l'alimentation est aujourd'hui utilisé pour produire des biocarburants.
Par conséquent, d'autres surfaces doivent être allouées à l'alimentation, et cela conduit à remplacer des prairies ou des forêts par des cultures alimentaires. Ces terres seraient réquisitionnées dans les pays en développement et entraîneraient des émissions de CO2 et une dégradation de la biodiversité.

A partir des années 2000, des associations environnementalistes, comme le RAC-F, les Amis de la terre, France Nature Environnement (cf.ONG environnementalistes) ou Oxfam ont commencé à alarmer sur les impacts négatifs des CASI en termes de déforestation, de biodiversité et de crise alimentaire. Le débat a d'abord émergé suite à la production d'huile de palme sur le territoire de forêts tropicales, dans le but de remplacer les cultures de colza utilisées depuis par la filière biocarburant. « Si j'utilise mon huile de colza pour faire du biocarburant, je n'utilise pas d'huile donc il y a un substitut qui est fait par l'huile de palme qui peut être produite en Asie. « On a des problématiques de déforestation, de biodiversité etc... » Isabelle Spiegel, ingénieur à PWC (cf. Consultants). Depuis moins de cinq ans, le débat a pris de l'ampleur suite à l'augmentation de la production de biocarburant. Avec des taux européens d'incorporation de biocarburant de plus en plus élevés, les cultures européennes consacrées aux biocarburants occupent de plus en plus de surface et ne se cantonnent plus aux jachères, ce qui oblige l'Europe, dont la France, à importer de la nourriture produite dans le Sud. Ce qui apparaissait autrefois marginal devient un sujet épineux et non négligeable. La déforestation inquiète non seulement pour la biodiversité mais impact aussi directement le bilan en termes d'émission à GES. Brûler une forêt pour la remplacer par une culture dégage du CO2, cette quantité de carbone est à retrancher au gain d'émission des biocarburants d'autant plus qu'on estime à 30 ans le temps de retour. « Quand vous mettez en culture une forêt tropicale ou une forêt vous déstockez une quantité de carbone absolument gigantesque [...]. On a un relargage de carbone qui est déstocké gigantesque et après c'est le pire : il y a à peu près 100 à 200 tonnes de carbone à l'hectare », Lionel Vilain, conseiller technique à la FNE (cf. ONG environnementalistes).

Ce débat a pris progressivement de l'ampleur. En 2008, l'article de Searchinger est le premier à évaluer les biocarburants aux Etats-Unis en prenant en compte les CASI, et il trouve des résultats très mauvais. En 2009, une directive européenne(cf. UE) alerte sur les effets des CASI par rapport à la protection de la biodiversité, s'en suit un rapport sur les CASI en 2010. La même année, l'ADEME (cf.ADEME ) mentionne l'importance des CASI sans toutefois quantifier réellement le phénomène. En France, l'année 2012 marque une étape clé puisque l'ADEME réalise une ACV évaluant les biocarburants avec les CASI. Pour les associations environnementalistes, c'est une première victoire comme en témoigne Lionel Vilain de France Nature Environnement « L'ADEME reprend les changements d'affectation des sols et finalement valide nos craintes ». Suite au rapport de 2012, il semble que la prise en compte des CASI dans les ACV devienne incontournable.

Toutefois, le débat est loin d'être clos et ne fait finalement que commencer. On s'interroge de plus en plus sur la façon de quantifier les CASI. « Le problème c'est qu'il y beaucoup d'incertitudes sur quelle va être l'ampleur du changement d'affectation des sols, sur quelles seront les surfaces touchées. On est dans des fourchettes d'incertitudes absolument importantes » , Lionel Vilain, conseiller technique à la FNE. « Malgré les études qui ont réduit le spectre d'incertitude, les résultats sont trop incertains, il n'y a pas de résultats nets. […] Mais nous avons réalisé une analyse de scénarios [étude de l'ADEME 2010] qui vont du très pessimistes à très optimistes. », Bruno Gagnepain, ingénieur bioressources ADEME (cf. ADEME).

Du côté des industriels, les effets de la déforestation ne sont pas essentiellement imputables aux CASI. Selon eux, la modélisation n'est pas si simple. Premièrement, les terres destinées à la production de biocarburants produisent aussi de l'alimentation via les coproduits (cf.Coproduits) destinés à l'alimentation animale. De même, les plantations de palmier à huile dans le Sud s'expliquent aussi par le coût avantageux de l'huile de palme par rapport aux autres huiles, et non par le développement des biocarburants. Certains affirment que sans le développement des biocarburants, la déforestation aurait aussi eu lieu. Deuxièmement, les problèmes de déforestation s'ils sont bien réels ne sont pas entièrement imputables aux biocarburants. « Pour la betterave, lorsqu'on possède 1 hectare à produire des biocarburants, sans exception, très exactement 30 à 40 % de cet hectare est destiné à produire de l'alimentation animale sous forme de coproduit » , Nicolas Rialland, producteur de betterave (cf. Producteurs de biocarburants). « Il est très contestable d'affirmer, comme le font les détracteurs des biocarburants, que l'huile de palme s'est développée pour remplacer une huile de colza qui ferait défaut au niveau mondial à cause des biocarburants. Si le biodiesel disparaissait, les cultures de colza européennes destinées aux biocarburants, disparaitraient aussi, faute de débouchés », site officiel de Diester.

Finalement, c'est un problème qui se pose à l'échelle mondiale et impliquerait de faire une ACV monde ce qui est très difficile à faire. L'ACV est une modélisation qui nécessite de faire des choix et de choisir ses limites. La controverse porte précisément sur ces choix. Les enjeux sont très importants car suivant comment on quantifie les CASI cela peut remettre en cause l'utilisation des biocarburants. « Par contre le changement d'affectation des sols indirect je vais utiliser plus de surface pour faire du biocarburant donc ça veut dire que il y a un impact sur l'ensemble de l'équilibre mondial. », Isabelle Spiegel, PWC (cf. Consultants). Tout le monde ne tire pas les mêmes conclusions de la prise en compte des CASI. Certains affirment que la prise en compte du changement d'affectation des sols a un impact catastrophique sur le bilan carbone des biocarburants. Les analyses les plus pessimistes vont jusqu'à affirmer que les biocarburants deviendraient alors plus polluant que les énergies fossiles. Nombres d'associations environnementalistes dénoncent le caractère bio des biocarburants et préfèrent dès lors le terme « d'agrocarburant » à celui de biocarburant. « Les agrocarburants produits à partir de colza ont un bilan gaz à effet de serre (GES) deux fois plus mauvais que celui du diesel qu'ils remplacent » en prenant en compte les CASI dans l'ACV. » , site officiel d'Oxfam.

De plus, le débat sur les CASI s'élargit aussi aux questions environnementales et sociales. Certains acteurs pensent que l'ACV doit être plus globale de sorte qu'elle soit non seulement un bilan énergétique mais aussi un bilan écologique et social. Par exemple, la FNE pense qu'il faut aussi prendre en compte les déplacements de population qu'induisent les nouvelles cultures ou encore la compétition entre culture énergétique et culture alimentaire, dans un monde où 9 milliard de personnes doivent être nourries. Ce à quoi les industriels répondent que les biocarburants ont aussi des effets économiques et sociaux positifs : une indépendance vis-à-vis des énergies fossiles et la création d'emplois non-délocalisés en France.

En conclusion, on se rend compte que le débat autour de la prise en compte des CASI est très vif. En tant que problématique mondiale, il est un vrai casse-tête de modélisation. Il interroge aussi sur le rôle de l'ACV à savoir un simple bilan énergétique ou un bilan environnemental et social. De plus, il est de nature à remettre en cause toute la filière biocarburant.

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