Description
Yann Le Touher, chef du service mécénat à la RMN Grand Palais considère que le dispositif mis en place par Jean-Jacques Aillagon en faveur du mécénat est un dispositif essentiel pour les musées nationaux français, au point que s’il advenait qu’il soit remis en cause, les musées s’uniraient pour faire en sorte que le dispositif fiscal reste le même. Il admet néanmoins la faiblesse de ce dispositif, qui est moins connu des TPE et PME. Le Grand Palais favorise effectivement les “grosses entreprises” dans la mesure où ils ont besoin d’importants financements, au détriment des PME. Quant à la nature des entreprises mécènes, la RMN-Grand Palais qui a notamment comme mécène Airbus ou Total, considère qu’à partir du moment où une entreprise a une activité légale implantée en France est susceptible d’être mécène.
A propos du mécénat au sein de la RMN- Grand Palais, il expose les différents types de contreparties proposés aux entreprises mécènes: la visibilité d’une part, les invitations, visites privées, accès privilégiés d’autre part, et finalement des avantages événementiels . Il explique surtout que “chaque mécénat se négocie un peu à la carte” selon les aspirations de chaque entreprise, pour laquelle la RMN-Grand Palais adapte son offre. Mais de manière générale, il considère que les entreprises recherchent principalement de l’image et de l'événementiel, inscrivant ainsi le mécénat plus dans une visée business que philanthropique, sans pour autant trouver cela gênant puisque rien n’oblige aujourd’hui les entreprises à devenir des mécènes culturels. Néanmoins, il précise que les mécènes n’ont aucune prise sur la programmation, contrairement à ce que peuvent dénoncer certains médias.
Par ailleurs, afin d’attirer les entreprises la RMN - Grand Palais, comme de nombreux autres établissements culturels, a créé le Club des Entreprises. L’objectif est selon Yann le Touher est d’avoir des ressources en dehors de la programmation et de continuer à avoir des mécènes quand il y a des expositions moins attractives. De cette façon les entreprises sont liées non pas à une exposition mais au Grand Palais dans sa globalité et construisent “un lien durable” Les contreparties proposées sont les mêmes que celles proposées aux mécènes d’expositions, citées ci-dessus. Il explique par ailleurs, que le service mécénat s’inscrit dans une démarche de prospection pro active. Afin de déterminer quels mécènes seraient intéressés par telle ou telle exposition, l’équipe étudie les goûts et activités des entreprises prospects.
Conversation avec Yann Le Touher
Le 22 avril 2016
J’aimerais revenir sur votre parcours car j’ai vu que vous aviez travaillé au Louvre, au Musée d’Orsay et à Pompidou, en étant responsable du mécénat, d’ailleurs notamment à Orsay, c’est un poste qui a été créé quand vous êtes arrivé. Pourquoi le musée d’Orsay s’est dit à ce moment là qu’il fallait créer un poste pour le mécénat ?
C’est vrai que c’était à ce moment là, le dernier grand musée qui n’avait personne qui était dédié au mécénat, c’était la directrice de la communication qui s’en occupait de manière plus empirique que professionnelle. Ils ont décidé d’ouvrir un poste pour Orsay.
Et pour quelles raisons ?
Ils se sont un peu réveillés en voyant tous les autres musées et des établissements plus petit qu’Orsay qui se dotaient de personnes dédiées au mécénat, d’ouvrir un poste, sachant qu’Orsay n’a pas le même modèle économique que d’autres musées, et aujourd’hui n’a pas forcément autant besoin que les autres de mécénat. C’est peut-être pour ça que ça a été moins urgent chez eux.
En voyant d’autres musées, par exemple, on se rend compte qu’à partir de 2003, et la Loi Aillagon, il y a une professionalisation du secteur au niveau du mécénat ? Est-ce la Loi Aillagon qui a fait que le mécénat soit devenu plus commun pour des entreprises ?
La Loi Aillagon donne à la France un des meilleurs dispositifs fiscaux au monde en matière de mécénat. C’est vrai que deux,trois ans après, moi quand je suis arrivé au Louvre en 2005 , je crois, c’est le Louvre qui a vraiment choisi de se doter d’une équipe très professionnelle, ils vous l’ont sûrement expliqué. Elle a évolué depuis en faisant des recrutements assez importants, j’ai vu l’équipe doubler de volume en 2 ans. On a été formé par des homologues qui venaient des musées américains, du MoMA notamment. A partir de ce moment là, le Louvre a listé tous les grands projets à initier: le département des Arts de l’Islam pour lequel j’avais été recruté, le département des objets d’arts, les nouvelles salles, tous les grands travaux, le Louvre Lens etc… étaient financés par le mécénat. C’était pour ça qu’une équipe importante avait été recrutée, avec une vingtaine de personnes on agglomère tout. Il y avait une stratégie multi-cibles: les entreprises, les individuels. Et puis une sous segmentation des cibles et une organisation. Il y a de grosses structures à Paris qui se sont montées à ce moment là. Tout le monde a compris qu’il y avait une sorte de manne à capter, tout le monde s’est doté de service mécénat plus ou moins important même les petits établissements, les petits musées cherchaient à avoir quelqu’un pour faire du mécénat en considérant que c’est assez rentable de payer quelqu’un qui peut potentiellement lever des sommes assez importantes.
Et si vous deviez faire des comparaisons sur les façons de faire dans les différents musées, est-ce que certains sont encore un peu en retard ? Au Louvre, c’est quelque chose qui a beaucoup évolué et qui a mis du temps à se mettre en place. Est-ce qu’au Centre Pompidou, ici au Grand Palais vous voyez des différences de façons de faire dans le mécénat ?
Non alors, moi j’ai, je suis persuadé que tous les sujets peuvent trouver des mécènes, avec plus ou moins de chances et de facilités. Quand on a grand un nom comme Pompidou Orsay, le Louvre ou le Grand Palais on a une crédibilité. Quand on est un musée, une institution culturelle moins puissante, moins visible ou moins médiatique, c’est plus compliqué. Néanmoins ce qui est important c’est de trouver le bon feat entre le projet et le donateur, concernant les méthodologies. Tout le monde essaie de trouver des méthodologies révolutionnaires mais c’est un peu compliqué, aussi bien pour la prospection ou pour le suivi, la relation avec les mécènes ou bien la contrepartie. Tout le monde essaye de se différencier mais il reste trois grandes familles de contreparties, en dehors desquelles il est difficile de trouver d’autres idées, il y a le cadre contraignant de la loi, des 25%,... donc oui nous on fait toujours de la veille sur les autres musées à l’étranger, on essaie de trouver des façons innovantes soit de prospecter ou de gérer nos mécènes. Il n’y a pas de très grandes différences entre nos établissements. Après c’est une question de qualité du service, d’engagement, de réseau, d’engagement de nos dirigeants aussi. On est aidé quand nos dirigeants nous aident aussi.
Ici chez RMN - Grand Palais, comment ça se passe pour la prospection ?
C’est assez comme tout le monde, enfin nous on a plein de projets à financer: des expositions, des projets pédagogiques,des projets numériques sociaux, etc… des projets en région à l’international. On a plein de type de projets et pour chaque projet on se réunit on fait des listes un petit peu… On se réunit et on travaille de façon un peu empirique “tiens il y a Velasquez” et on fait la liste de toutes les entreprises espagnoles. Il y a une exposition sur la Corée. Il y a aussi des choses qu’on connaît, on sait qui sont les mécènes de la photo quand on fait une exposition sur la photo. On sait les goûts de tels patrons en matière d’artistes américains du vingtième siècle par exemple… C’est comme ça, à la fois par les connaissances qu’on a des entreprises et des gens qu’on connaît et à la fois parce qu’on réfléchit et on se dit “Il y va y avoir des entreprises business dans un pays”. Ça représente de l’éclectivité, de la réputation, de l’image;
Et vous avez dit que vous cherchiez des mécènes sur tous types de projets? On a l’impression que dans certains musées, les entreprises sont intéressées par l’art contemporain, pas forcément d’autres thématique de restauration…
Alors nous au RMN - Grand Palais, on a pas de musées. le Grand Palais, le Musée Luxembourg qui sont nos 2 plus grands musées dont on a la gestion n’ont pas d’expositions permanentes. Nous on a essentiellement un rythme très événementiel. Vous le voyez, il y a plein d’expositions très variées, de l’art ancien, de la photo, toutes les cultures, et toutes les périodes. Nous on est fait avec notre programmation, on a moins de potentiel quand on a des sujets plus classiques, voire plus archéologiques quelques fois et qu’on se rend compte que ce qui plait aux mécènes, ce sont les monographies, l’art moderne même pas l’art contemporain pas très pointu, genre Niki de Saint Phalle, Braque. Picasso ça marche bien. Après, le Grand Palais trouve des mécènes pour tout.
Dans le cadre des contreparties, comment ça se passe au Grand Palais?
Il y a trois familles de contreparties. Il y a la visibilité, on met les logos sur tous les supports de com, les affiches, les cartons d’invitations, le site internet, à l’entrée, à la sortie, les catalogues etc... La deuxième famille c’est les invitations, les accès privilégiés, les laissez-passer, des coupe files, des visites privées. Et puis la troisième famille c’est tout ce qui est événementiel, des petits déjeuners, des soirées. Donc évidemment chaque contrepartie a une valorisation. C’est selon le mécène ou le partenaire qu’on définit son package de contreparties, certains vont vouloir de la visibilité quand d’autres vont préfèrent la meilleure date pour pouvoir inviter dès l’ouverture. Chaque mécénat se négocie un peu à la carte.
En fonction du prix aussi, j’imagine.
Et en fonction du prix aussi bien sûr.
Avez-vous une charte éthique réglementant votre choix d’entreprises mécènes? On a vu qu’il y avait eu des problèmes avec JTI...
Nous on a une charte éthique comme le Louvre, le Palais de Tokyo j’imagine. Notre doctrine c’est qu’on considère que toutes les entreprises qui ont des d’activités légales, qui sont implantées en France, sont susceptibles d’être mécènes, avec l’application pour l’alcool et les tabacs la Loi Evin. Nous on a la fondation Total comme mécène, la fondation Airbus qui fait bien sûr des Airbus, des avions militaires et des missiles, on a eu le cigarettier que vous nommiez, le cigarettier dans la mesure où il y avait eu des litiges au Palais de Tokyo, des associations. On leur a proposé qu’ils soient mécènes, mais dans leurs contreparties qu’il n’y ait pas de visibilité, ils ont accepté mais ils n’ont pas eu de visibilité.
Concernant les financements eux-mêmes est-ce que vous avez possibilité a priori de voir d’où viennent les financements, la possibilité de les contrôler?
Quand les entreprises nous payent, ce sont les comptes de l’entreprise. Après on n’a pas de droit de regard sur la provenance de sources, toutes les entreprises françaises sont soumises a des contrôles et ce n’est pas à nous de les faire.
Je voudrais revenir sur la loi Aillagon: de quelle manière a-t-elle pu faciliter cette ouverture du mécénat en France?
Je vous l’ai dit, elle est tout d’abord très incitative, aussi parce que pour une entreprise finalement pouvoir déduire 60% c’est assez important. Elle permet d’avoir des contreparties aussi, c’est quelque chose d’assez équilibré, c’est un argument important les entreprises d’avoir ce dispositif est connue des grandes entreprises, moins connues des petites entreprises, des PME et des TPE. Nous comme grand établissement avec des besoins importants de financements nous ne nous adressons qu’aux très grandes entreprises.
Que des grosses entreprises ?
Oui car on recherche des gros montants…
Est-ce que vous pensez qu’il y a des choses qu’il est possible d’améliorer dans la Loi Aillagon, il y avait eu des discussions en 2012 pour faire évoluer des choses, bon pas forcément dans le bon sens… Qu’en pensez-vous?
C’est surtout la question du mécénat de l’individuel que la loi donne, accorde 66% pour les dons individuels mais il y a juste la question des contreparties aujourd’hui puisque la contrepartie quelque soit le montant du don, est limitée à une somme forfaitaire, une soixantaine d’euros, en gros que vous donniez cent euros ou un million d’euros vous n’avez le droit qu’à cette forme forfaitaire ce qui est à peine le prix d’un catalogue. Donc on trouve d’autres parades avec des choses non valorisées, quand on invite à des déjeuners avec notre président, ou qu’on fait je sais pas quoi, quand on met des mentions.
Est-ce que vous êtes attentifs à certains changements, on en a discuté avec la Fondation Galeries Lafayette par exemple qui avait arrêté tout leur fonctionnement quand en 2012, il y avait toute une discussion concernant le mécénat. Est-ce que vous aussi vous faites attention?
Nous on sait, on sait qu’on est défendu par notre tutelle par le Ministère de la culture, et qu’à chaque Loi de Finances, Bercy essaye de revenir sur la question de la défiscalisation, la loi Aillagon, nous comme on est sous tutelle du Ministère de la culture, comme on sait que l’Admical est le site qui a ses antennes à Bercy... de toutes façons si un jour il y avait une remise en cause forte de la Loi Aillagon, tous les établissements publics, les musées s’uniraient pour maintenir le dispositif fiscal qui est essentiel pour nous maintenant. Sachant que les dotations de l’Etat baissent, je vois pas comment l’Etat peut dire à un moment, on vous baisse les dotations, et en plus on vous enlève un outil qui vous permet d’avoir des ressources supplémentaires.
Est-ce qu’on va aller vers une privatisation de des financements de l’art. C’est quelque chose qui dans les 5-10 prochaines années sera possible?
Nous, on a un modèle économique un peu différent des autres. Je ne sais pas qui vous avez rencontré mais nous on a seulement 14% de subventions là où d’autres musées comme le Louvre, Orsay, conservent entre 40 et 60% de subventions donc nous on est presque plus une entreprise publique type avec un actionnaire unique qui est l’Etat, type SNCF. On a un financement de 14% qui couvre nos missions de service public, et encore aujourd’hui elle couvre totalement nos missions de services publics. Pour le reste on a les ressources propres qui sont la location de la nef, avec les défilés etc, l’activité de nos librairies-boutiques, parce qu’on gère les boutiques de tous les grands musées comme vous le savez, du Louvre, d’Orsay, de Luxembourg, de Pompidou etc… Et d’autres, pleins de petits business comme ça, les conférenciers, l’agence photo donc c’est vrai que je ne sais pas si on ira vers, vers une privatisation totale de la culture, puisqu’en France la culture est étatique et c’est culturel depuis l’ancien régime, les arts sont soutenus par le pouvoir politique, que ce soit les rois ou maintenant la République, on a un ministère de la culture, ce qui est assez rare. Il n’y en a pas aux USA par exemple. Donc a priori je pense que la culture sera toujours dans le domaine public. Mais à moins que les subventions publiques baissent c’est au moins évident, mais c’est normal d’ailleurs, car comme tous les organismes de l’Etat je pense que les musées ou les institutions culturelles ont à participer à l’effort d’économie. Et vu l’état des dépenses publiques on ne peut pas continuer à claquer comme ça dans tous les sens. C’est bien normal que l’Etat baisse ses subventions qu’on ait du coup à contrario à développer de plus en plus nos ressources propres.
Justement je ne sais pas si vous le savez mais au niveau du budget, combien représente la part du mécénat ?
La plupart du mécénat qu’on cherche c’est sur nos expositions, et ça peut représenter jusqu’à 15% du budget de nos expositions,
Ok, les autres financements viennent de vos autres activités..
Après pour les expos ce sont les recette de billetterie.
Quand vous en discutez avec vos mécènes qu’est-ce qui les poussent à faire du mécénat au-delà de la vertue philantropique, qu’est-ce qui fait que ils se décident à mécéner une exposition ?
Déjà la vertue philantropique, elle est quand même de moins en moins présente, ça devient vraiment du vrai business avec “moi je vous donne de l’argent, qu’est-ce que j’ai en échange ?” Ce qu’ils recherchent chez nous c’est quelques fois de l’image, et surtout de l'événementiel. Aussi, on a plus de succès quand on fait des expositions à succès que quand on fait des expositions moins connues comme Amadeo De Souza Cardoso là parce que nos mécènes ce qu’ils veulent c’est convier leurs clients, donc plus ils s’adossent à une grande institution avec un pouvoir d’attraction, plus ils ont de garantie de pouvoir recevoir leurs clients, leurs invités de façon qualitative.
Et justement, est-ce que le fait que certains mécènes ne s'intéressent qu’à des gros artistes, qu’à des gros noms peut modifier en quelque sorte, un peu le monde de l’art et créer des artistes qui sont bankables qui font entrer des billets, on pose notre nom sur une affiche et de l’autre côté des artistes un peu plus à la marge pour lesquels il est plus difficile de trouver des financements ?
Ben c’est la responsabilité des institutions culturelles. Justement comme on est des établissement publics qui ont des missions de services publics, on n’est pas soumis uniquement à la volonté du public ou des mécènes et au contraire, les mécènes n’ont aucune prise sur la programmation de nos établissements. Vous voyez cette saison au printemps, on a une saison plus faible entre guillemets, moins attractive, avec Carambolages, Amadeo, la Corée… C’est pas la même chose quand on a Picasso, Jean-Paul Gautier. Néanmoins on a fait ces choix là car on a pas l’obligation d’avoir tout le temps Picasso, Monet… Néanmoins, dans nos choix de programmation, on fait des arbitrages pour avoir des expositions plus attractives durant l’année pour ne pas avoir des trucs qui vont nous faire perdre de l’argent, il faut que nous ayons des expositions entre guillemets qui nous permettent d’avoir des mécènes et qui soient aussi importantes en billetterie pour favoriser un modèle économique au moins à l’équilibre.
J’ai vu que vous aviez créé un Club Entreprises ici au Grand Palais, quel était l’objectif de ce club ?
C’était justement d’avoir des ressources en dehors de la programmation, et que quand on a des expositions moins attractives on continue à avoir des mécènes, car du coup ils ne sont pas liés à des projets particuliers, mais ils sont liés au Grand Palais dans sa globalité pendant un an.
Comment ça fonctionne pour rentre dans ce Club Entreprises ?
Alors il y a trois niveaux d’adhésion 35 000, 70 000 et 100 000, et puis tout un package de contreparties pour chaque niveau.
Et quels sont à peu près pour chaque niveau les contreparties ?
C’est ce qu’on trouve pour les mécènes d’exposition : des catalogues, des laissez-passer, des visites privés, de la visibilité. Mais là du coup c’est pas lié à une exposition, ils peuvent choisir sur l’ensemble de l’année les contreparties sur toute la programmation du Grand Palais. C’est l’idée d’avoir un peu une loge au Grand Palais, comme on peut avoir une loge au Stade de France, il peut y avoir un concert, un match de foot, eux pareil, ils ont un coup une expo, Monumenta, un truc de photo.
Combien il y a d’entreprises dans ce club ?
On en a en tout une quinzaine aujourd’hui
Toujours des grosses entreprises ?
Plutôt. Société Générale, Engie, JC Decaux
C’est une volonté de votre part d’avoir des entreprises plus importantes?
Non, c’est celles qui peuvent payer qui viennent (rires)
Vous ne souhaitez pas aller vers les PME et les TPE pour un Club Entreprises de ce type là ?
En fait, si j’avais 30 personnes oui je créerais un club avec des tickets d’entrée à 2000-3000€ pour que les PME puissent le faire. J’essaie d’optimiser mon équipe, du coup on a créé une offre plutôt haut de gamme, contrairement à ce qui peut être fait au Palais de Tokyo par exemple, ou encore au Louvre qui ont créé des tickets d’entrée plus bas pour leur club entreprise, mais parce qu’ils ont peut-être plus de ressources humaines pour les gérer derrière. Parce qu’après un mécène qui nous donne 5000€, il vous demandera autant de travail qu’un mécène qui vous donnera 100 000€ en terme de suivi, parce qu’il considère que c’est aussi important pour lui.
Sur votre site internet j’étais frappé par l’outil d’estimation du coûtt du soutien ? est-ce que c’est une volonté de la RMN - Grand Palais d’éduquer les entreprises face au dispositif mécénat ? Je l’ai trouvé nulle part ailleurs. On voit très bien, c’est bien marqué le coût réel du soutien, avec toutes les déductions d’impôts. C’est une volonté justement d’éduquer un peu les mécènes et de montrer combien coûte réellement quand on en fait un ?
Non pour être franc avec vous je suis pas sur que notre site internet soit le plus grand pourvoyeurs de mécène, aucun mécène ne m’a appelé en disant, j’ai vu votre outil…
Mais c’est vrai qu’on pourrait penser que ça s’adresse à des PME et des TPE, ce genre de petits outils là, et vous me dites que vous êtes plus sur les grands entreprises donc finalement pourquoi avoir un tel outil, c’est plus à destination du public ?
Non c’est plus pédagogique, pour expliquer aux gens qui regardent comment ça fonctionne, peut-être à des chefs d’entreprises, après je suis pas sûr qu’ils aient le temps. Très honnêtement tout le monde a un site internet, tout le monde parle du mécénat sur leur site, très honnêtement, je ne sais pas si mes homologues vous ont dit qu’il y avait des gens qui nous appelait pour donner de l’argent. Le mécénat, c’est un métier de prospection, personne ne vous appelle en vous disant “J’ai 200 000€ !”. C’est extrêmement rare, une fois par an, une boîte vous dit : “l’an prochain, on fête notre anniversaire, on voudrait faire un mécénat.” C’est quand même super rare. Même ce qu’on a sur notre site internet, moi je sais que c’est pour la forme. C’est pas ça qui va me faire venir des mécènes, on a essayé de le faire le plus didactique possible, notamment avec ce petit truc là.
Vous parlez de prospection et de relations, par exemple, on avait vraiment l’impression entre le musée et certains de leurs mécènes c’était une relation d’amitié très forte voire d’amour, on a l’impression que ces liens là sont très importants pour pouvoir mettre en place des mécénats par la suite, est-ce que c’est le cas aussi ici chez RMN - Grand Palais ?
Alors, d’amour, je ne sais pas…
En tout cas, c’est très idyllique quand ils en parlent…
C’est un métier de relationnel. C’est vrai qu’avec nos mécènes on essaie de construire une relation qui peut devenir amicale. Faire du mécénat et venir dans nos institutions culturelles c’est partager des choses, des moments, des jolis moments, on partage des jolis moments avec des gens. Il y a des choses qui se passent, quand on est seuls dans des expos, quand on leur montre des montages, quand on est seuls dans la nef. Et donc oui après on s’efforce de lier des relations avec des mécènes parce qu’on sait quand ils ont entre un projet entre nous et un autre musée, s’il y a une bonne entente avec nous, je pense qu’ils pencheront plus facilement vers nous.
On voit de plus en plus certaines agences qui font de leur métier maintenant, la prospection la facilitation d’organisation d’évènements. Si je me trompe j’ai vu que vous travailliez avec Smile&Co et Havas S&E. Qu’est-ce qui fait que vous choisissez de travailler avec des agences de ce type là ?
Alors, c’est quand j’étais à Pompidou que j’ai travaillé avec ces deux agences. On voulait tenter les agences pour avoir plus, enfin un autre regard, justement sur nos méthodologies de travail comme je vous les dit, avec toutes les institutions, on se connaît tous. Quand il y en a un qui part d’un musée… Quand je suis parti d’Orsay, c’est un de mes collègues du Quai Branly qui est venu
C’est un petit monde alors?
Ouais voilà, il n’y a pas beaucoup de sang neuf qui arrive dans nos secteurs, donc du coup on avait essayé de voir des gens qui pouvaient penser différemment, avoir des approches plus marketing plus liées à la marque qu’a la communication institutionnelle, plus vers le marketing d’entreprise que l’art en lui-même. C’est pour ça qu’on a testé des agences avec plus ou moins de succès. Smile&Co avait une approche très marketing qui nous semblait très intéressante et qui s’est un peu essoufflée. Donc on a arrêté. Et après avec Havas S&E, on voulais voir, faire des parallèles entre le sponsoring sportif et puis aussi, se dire qu’une grande agence comme Havas avait forcément des grands comptes, qu’elles auraient pu, faire valoriser auprès de leur grands clients en terme de mécénat. Mais ça n’a pas forcément marché non plus. Je pense qu’il y avait un problème de culture entre le monde culturel et le monde de l’agence. En ce moment, on travaille avec Havas Paris et ça se passe plutôt bien aussi. Il nous font une étude sur une nouvelle offre de mécénat qu’on voudrait lancer : on n’avait du mal à trouver le wording, l’argumentaire, donc c’est eux qui vont piloter ça.
Qu’est-ce qui a fait que ça n’ait pas pu marcher avec Smile&Co et Havas S&E?
Ça ne fonctionnait mais pas au niveau de nos attentes. Ça a fonctionné, ils ont trouvé des mécènes, mais ça s’est un peu émoussé ensuite.
Parce qu’il y a des différences de culture, de travail ?
Smile&Co avait une approche très marketing, ils faisaient des grosses propositions comme enagence, ils allaient très loin dans le brand content pour justement englober le mécénat dans une stratégie d’entreprise. Après c’est difficile de travailler avec des agences qui ne sont pas chez nous. Ils comprennent pas les complexités, la façon dont on veut travailler, nos méthodes de travail. C’est toujours un peu compliqué pour elles d’avoir un pied à l’intérieur, sans connaître les interlocuteurs, exactement ce qu’on peut faire et ce qu’on peut pas faire. C’est pour ça que les agences, il faut pas les prendre comme agences de prospection mais il faut les prendre comme agences conseil, sur ce qu’on fait là nous au Grand Palais, sur la création d’offre, même comme elles connaissent bien les entreprises, leurs clients, les tendances. Pour la prospection, je pense qu’il n’y a rien de mieux que les gens qui travaillent dans l’institution, c’est pas un truc qu’on peut détacher.
Sur la prospection, vous faites un vrai travail de veille sur votre exposition d’une part et sur quel mécène serait intéressé par exemple, est-ce que vous avez un exemple à me donner pour voir comment ça fonctionne ?
On fait des brainstorming, comme pour Keita par exemple. On a depuis longtemps comme mécène la fondation Roederer car on sait qu’ils soutiennent la photo depuis longtemps à la BNF. Naturellement on leur propose cette exposition. Après Imeris, on a su que, qu’ils cherchaient à investir le territoire de la photo alors qu’avant ils étaient dans la musique baroque. C’est tombé pile au bon moment, et on a fait cette expo. Après comme c’était de la photographie africaine, on a cherché toutes les entreprises qui étaient en Afrique : Bolloré, CFAO… Et ça n’a pas trop marché cette piste là. C’est comme ça qu’on travaille, soit les pistes géographiques, soit le sujet de l’exposition. Visco, une entreprise qui fait des tissus Africains…
Est-ce que ça prend du temps de mettre en place tout ce travail de recherche, où est-ce que ça se fait assez rapidement, car vous avez l’habitude le faire ?
Non c’est long quand même, nous on travaille deux ans en avance. On travaille sur les expositions de 2017-2018. Donc oui c’est quand même long : il faut identifier les entreprises, trouver les entreprises qu’on ne connaît pas, on contacte, on les rencontre. C’est un peu un travail de fourmis.
Est-ce que c’est important pour vous de se consacrer qu’aux grandes entreprises médiatiques pour donner du poids aux expositions ?
De façon très pragmatique, toutes les entreprises qui peuvent être mécènes, on les prend, on ne dit pas “vous, vous êtes médiatiques, on préfère.” Il y a des stratégies, comme je vous le dit, on a pas la capacité de dire : “Toi, je te veux, toi, je te veux pas…” C’est quand même, pas un marché où tout le monde vient nous voir pour se battre pour être mécène. En revanche, ce qu’on fait avec certaines entreprises, notamment celles qui ont des réseaux commerciaux, on leur propose de communiquer avec nous, puisqu’on on considère que ça démultiplie la communication et qu’en plus c’est plus valorisant pour eux, qu’ils ne soient pas uniquement sur nos affiches. Ils font aussi la promotion de leurs expositions dans leurs réseaux commerciaux. Par exemple avec Etam, on avait mis sur leurs boutiques des vitraux. Avec Gap par exemple, on fait des affichages dans les boutiques d’ile de France, à l’intérieur et a l’extérieur, on avait fait des jeux, dans la boutique de Gap sur les Champs-Elysées, on avait fait une soirée où on pouvait gagner un voyage à Los Angeles puisque c’était la fondation du musée de San Fransisco et puisque Gap est aussi de là-bas, à son siège à San Fransisco. On propose à des entreprises partenaires de faire ça dans leurs vitrines, pareil avec Etam, des jeux sur les Réseaux sociaux.
Donc c’est vraiment du marketing, que vous mettez en place aussi?
Oui, avec SushiShop, avec Uniqlo, on avait fait un concours au moment de l’exposition Kiko Hokusai pour interpréter la Vague au Mont Fuji. Donc des étudiants artistes, et Uniqlo imprimait les t-shirts chez eux, dans leur boutique du Marais, on avait un partenariat avec les Maisons des Thés.
Ces dispositifs vous servent à quoi ?
A toucher une plus grande population : quand vous avez toutes les vitrines d’un magasin Gap, vu le coût de l’affichage dans Paris, ça nous permet d’afficher de manière minime.
Ça vous permet de toucher plus de clients?
Ça nous permet de toucher plus de potentiels visiteurs.
Est-ce que vous avez des notions de ROI ?
L’évaluation est compliquée à faire dans le mécénat, en terme d’image, elle se fait facilement sur l'événementiel, les entreprises voient le taux de réponse, combien de personnes sont venues, mais c’est très difficile en terme d’évaluation.
Est-ce que vous cherchez à mettre en place des dispositifs d’évaluation ?
Si j’avais ça en chantier mais j’ai pas le temps. Il y a des choses, il y a l’ESSEC qui a une chaire de philanthropie, donc on avait voulu travailler avec eux, avec des étudiants, mais on a pas eu le temps de le lancer.
Je voudrais des chercheurs qui me trouvent des indicateurs de performance ou d’évaluation. C’est plus un travail universitaire qui aurait une application pratique qu’on pourra rendre à nos mécènes. C’est pour ça que moi je suis dans l’opérationnel donc j’ai pas le temps de faire ces trucs là.
Justement ces indicateurs ce sont des choses que les mécènes vous demandent ou attendent?
Pour l’instant non, à part les fondations qui demandent des évaluations, mais sur des données objectives comme pour savoir combien il y a eu de visiteurs à une expo, combien il y a eu d’articles… Ce n’est pas super poussé.
Plus directement avec l’exposition. Est-ce que vous avez des expériences de mécénat qui se soient mal passées avec certains mécènes dans leur choix d’être très présents ? Pour soumettre des artistes, pour qu’ils aient un droit de regard plus important ?
Non. Enfin on leur dit vraiment ce que je vous ai dit dans des partenaires comme ça chacun a son rôle, le mécène est important car il permet la faisabilité du projet, mais que les professionnels sur la partie des choix artistiques et sur la partie culturelle, ça reste l’institution culturelle. Et que de la même manière, on ne se permet pas de faire des commentaire sur leur stratégie ou leur business. Les mécènes nous accompagnent, nous choisissent car c’est nous qui avons cette expertise pour ces choix artistiques. Il n’y a jamais eu de conflit où les artistes auraient voulus être très présents, quand ils auraient voulu être très présents, on met les barrières qui faut parce qu’on leur explique ce dont ils ont pas conscience: une présence trop forte, ou pas intelligente va se retourner contre eux, c’est à dire le public, la presse surtout. S’ils sentent qu’une entreprise a pris le dessus sur une institution culturelle, elle va sortir un mauvais papier “C’est quoi cette institution qui a pris le dessus ?...” C’est ni bon pour l’exposition, ni pour le mécène.
Je vois que vous travailliez souvent avec les mêmes entreprises.
On a des mécènes qui s’engagent sur plusieurs années. La MAIF s’est engagée pour 3 ans, avec Imeris aussi, la Fondation Roderer. Imeris aussi a signé pour 3 ans. Eux, ce sont sur une thématique, Imeris s’engage sur les expos photos au Grand Palais, Roderer, c’est pareil. Avec la Maif on a choisi des sujets ensemble, et on a choisi aussi des expositions en région, comme ils ont un maillage territorial. Modigliani au LAM, il y avait aussi la MAIF.
Donc on a la possibilité de faire partie du Club Entreprise et de financer plusieurs choses sur des périodes plus longues, sur la même thématique, et sinon par expositions. On peut mécéner une seule exposition. Après j’imagine que ça peut se reproduire si ça se passe bien?
Oui avec Nexity par exemple qui choisit une exposition avec nous une fois par an sans qu’il y ait un engagement pluriannuel.
Justement on peut s’étonner qu’une entreprise de ce type là puisse vouloir mécéner?
Ils ont besoin de recevoir chaque année leurs clients et de faire une soirée au Grand Palais.
Donc on est moins finalement sur de la philanthropie, on est plus sur “je fais un mécénat, j’ai une privatisation derrière.” C’est pas gênant ?
Non ce n’est pas gênant, ce métier est pragmatique dans la mesure où les entreprises aujourd’hui, elles n’ont aucune obligation à faire du mécénat et c’est du cash qui sort en moins pour leurs actionnaires, leurs collaborateurs. Leurs parties prenantes leur demande pourquoi elle font du mécénat: elles doivent rendre des comptes là-dessus. Si on met telle somme, on a une belle soirée qui nous permet de faire venir des clients et de générer du business après. Si elles nous donnaient de l’argent uniquement si on était sympa, je ne pense pas que ce serait possible aujourd’hui.
Comment vous arrivez à vous différencier d’autres institutions culturelles, Roderer est aussi au Palais de Tokyo par exemple. Est-ce que c’est un peu l’offre et la demande finalement ou que vous avez plus de contreparties et vous arrivez à sortir du lot ?
Il y a deux choses. Il y a des questions de positionnement. Chaque institution a une identité, quand j’étais au Louvre, je vendais la marque internationale du Louvre, le plus grand musée du monde, le prestige etc… A Pompidou, on vendait la création, l’art contemporain, les artistes vivants. Au Grand Palis, on a un autre positionnement pour convaincre le mécène. Il y a l’attractivité et le positionnement de l’institution, l’attractivité des projets : on sait que Amadeo, c’est très beau, mais c’est moins attractif que Picasso en terme médiatique.
Après il y a la relation personnelle qu’on lie avec les mécènes, comme je vous dis, si la personne d’un musée n’est pas sympa, peut-être qu’ils viendront vers moi. Souvent c’est très long. Pour Airbus, on a mis trois ans pour les avoir. On aimait bien les gens d’Airbus, on les invitait, on les revoyait mais il ne se passait rien, c’est du travail de long terme. Il faut créer du relationnel avec les gens. Un jour il y a un alignement de planètes qui se fait, il y a de l’argent, une envie, un projet, et le truc se fait. Il faut trouver ce bon moment.
J’aimerais vous parler de l’exposition de Louis Vuitton au Grand Palais, qui a privatisé un des salons pour faire leur exposition. Est-ce que ça vous fait de la concurrence, est-ce que c’est quelque chose que vous assumez pleinement ?
Alors Louis Vuitton, ce n’est pas du mécénat, c’est une location pour faire l’exposition. C’est des marques qui louent nos espaces.
Ce n’était pas avec une contrepartie derrière ?
Non
Est-ce que vous avez un avis sur la Fondation Louis Vuitton? On se rend que la question du mécénat a pu se cristalliser autour de la Fondation, et tout le dispositif fiscal autour. Est-ce que c’est problématique que des acteurs aussi gros arrivent et changent un peu les règles du jeu ?
Ce qu’on voit surtout c’est que les entreprises ont leur propres initiatives comme les Galeries Lafayette, Louis Vuitton. Donc quand ils font ces investissements là, c’est d’autant moins d’investissements qu’ils donnaient aux institutions culturelles. Aujourd’hui LVMH et Galeries Lafayette donnent forcément moins aux institutions culturelles car elles ont leur propres projets. Après pour la culture, c’est très bien qu’il y ait des lieux alternatifs, enfin pas alternatifs mais complémentaires aux institutions publiques. Il y a de magnifiques expositions à la Fondation Louis Vuitton, à la fondation des Galeries Lafayette. C’est très bien pour l’enrichissement, et l’attractivité culturel de Paris.
De toute façon on travaille forcément avec eux, ils ont besoin de nous, on a besoin d’eux. Nous à la RMN on gère la boutique de la fondation Louis Vuitton et Galeries Lafayette sont mécènes de la RMN. Il y a des passerelles qui se font.