Les frontières du mécénat

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Rétrospective

Mécénat : “soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une oeuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général”. C’est ainsi qu’un arrêté de 1989 relatif à la terminologie économique et financière définit le mécénat, une définition reprise par de nombreux acteurs.

Le Ministère de la Culture précise néanmoins que “si les notions centrales de cette définition, - soutien, absence de contreparties et intérêt général -, conservent toute leur valeur, le développement du mécénat en France doit beaucoup aux mesures incitatives apportées par la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, et à ses avancées successives”.

Pour faire face à la baisse des financements directs de l’État en faveur de la culture, la nécessité de trouver des formes alternatives de financement s’est imposée en France. Ainsi, le mécénat d’entreprise s’est fortement développé, notamment en faveur des établissements culturels, et principalement, des musées. Les innovations réglementaires, fiscales mais aussi contractuelles - par la pratique du mécénat - adoptées depuis 1999 ont redessiné ses frontières, en élargissant son champ d’action à de nouveaux mécènes et institutions bénéficiaires, dans des partenariats et montages toujours nouveaux.

La loi du 1er août 2003, dite loi Aillagon, constitue un tournant majeur dans l’histoire du mécénat en France et fait du régime fiscal français un des plus avantageux au monde pour les entreprises avec une réduction d’impôt de 60%. Ces mesures incitatives en faveur des entreprises mécènes ne vont-elles pas à l’encontre de l’esprit de 1989 ? Pour certains acteurs, c’est évident : ces contreparties directes et indirectes désormais accordées à ces entreprises trahissent l’essence même du mécénat. D’autres rappellent néanmoins qu'il n’existe pas réellement de définition juridique du mécénat. Le mécénat se définit par sa pratique et ses évolutions, mais aussi par l'émergence de controverses, qui visent à circonscrire et réguler certains débordements.

Au travers d’une rétrospective thématique, fondée sur une enquête sociologique qui nous a amené à rencontrer les principaux acteurs du domaine, mais aussi des recherches médiatiques et bibliographiques, nous présenterons les tensions, les glissements, les cristallisations des différentes parties prenantes autour de l’évolution des relations entre mécénat d’entreprise et institutions culturelles. Cette rétrospective met en perspective les différents cas qui au fil du temps ont posé la question d’une fidélité à la définition du mécénat, et celle des limites acceptables des divers procédés de financement de la culture par les entreprises. Comment se définissent les frontières d’un mécénat culturel par les entreprises, à dimensions variables ?

Le mécénat : réglementations

L’encadrement juridique et fiscal du mécénat culturel opère un tournant au début des années 2000. Si la loi dite “Aillagon” du 1er août 2003 constitue le tournant majeur, on note dès les années 2000 des problématiques liées à la notion de contreparties. Le mécénat défini comme un “soutien matériel sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire”, mais la présence de contreparties est progressivement admise: des contreparties d’abord symboliques qui deviennent de plus en plus concrètes. L’État doit alors à faire face à cette “délicate question des contreparties” avec notamment le nommage des salles du Louvre.

Ce sont surtout les avantages fiscaux, et notamment la réduction d’impôt de 60%, en faveur des entreprises mécènes mis en place par la loi du 1er août 2003 sur le mécénat, les associations et les fondations qui alimentent cette délicate question. Peut-on encore vraiment parler de mécénat ? C’est par ailleurs en raison de ces avantages fiscaux parmi les plus avantageux au monde que la loi dite Aillagon a été remise en question en 2012…

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L’autorisation et la généralisation des contreparties

Une instruction du 4 octobre 1999 relative aux réductions d'impôts accordées au titre des dons admet que la déduction du revenu imposable n’est accordée si et seulement si le versement est “consenti à titre gratuit, sans contrepartie directe ou indirecte, au profit de la personne qui l'effectue”. Pourquoi un tel rappel ? Le Directeur de la législation fiscale, Hervé Le Floc’h-Louboutin explique que la notion de contrepartie “a donné lieu à des hésitations en ce qui concerne les cotisations versées par les membres”. L’objet de cette instruction était donc de préciser les conditions de la déduction d’impôts.

Pour ce faire, il distingue les “contreparties institutionnelles ou symboliques” des “contreparties prenant la forme d’un bien ou d’une prestation de service” :

  • Les contreparties institutionnelles ou symboliques accordant des avantages tels qu’un titre honorifique accordé aux donateurs, sont considérés comme “ne constitu(ant) pas une contrepartie réelle au versement”.
  • Les contreparties prenant la forme d’un bien ou d’une prestation de service correspondent par exemple à “la remise de divers objets matériels, l'octroi d'avantages financiers ou commerciaux, le service d'une revue, la mise à disposition d'équipements ou installations de manière exclusive ou préférentielle”. Ces contreparties sont “en principe exclues du champ d'application de la réduction d'impôt ou de la déduction du bénéfice imposable.” L’administration modère en réalité son propos puisqu’elle admet que “la remise de menus biens tels qu'insignes, timbres décoratifs, étiquettes personnalisées, affiches, épinglettes, cartes de vœux, etc... ne remet pas en cause l'éligibilité des versements au bénéfice de l'avantage fiscal”

On passe alors pour la première fois de l’absence de contrepartie directe (énoncé dans la définition du mécénat de 1989) à l’autorisation de contrepartie “qui présente une disproportion marquée caractérisée par l'existence d'un rapport de 1 à 4 entre la valeur du bien et le montant du don ou de la cotisation.”

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Le nommage des salles du Louvre

Le rapport déposé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation en conclusion des travaux de la mission sur les nouvelles formes du mécénat culturel de 2012 revient sur cette “délicate question des contreparties”.

Au début des années 2000 plusieurs opérations ont opposé le musée du Louvre et le Ministère de la Culture au sujet de ce qu’il était possible ou raisonnable de concéder aux mécènes. L’entreprise Total s’était engagée en 1999 à “mécéner” respectivement le réaménagement de la salle des États, qui abrite la Joconde, et la restauration de la Galerie d’Apollon, dédiée aux joyaux de la Couronne. Elle espérait que son nom soit donné auxdites salles. Alors que le Louvre était prêt à souscrire à ces conditions, le cabinet de la ministre de la culture s’y est fermement opposé, conduisant la ministre à recevoir le président de l’entreprise pétrolière pour lui signifier “qu’elle ne vendait pas le Louvre par appartements”.

Le rapport revient également sur une affaire qui a encore “envenimé les relations entre le musée et son ministère de tutelle”. Effectivement, quelques mois plus tard, le Louvre est entré en phase de négociations avancées avec un mécène réputé du monde des arts et de la culture pour financer la rénovation de la galerie de Melpomène qui débouche sur la Vénus de Milo. Le Louvre était d’accord pour que le corridor soit baptisé du prénom et du nom complet du mécène pour une durée de cinquante ans. Le Ministère de la Culture s’y est opposé une première fois. Le musée avait proposé de réduire la durée du “nommage” à une période de trente années et d’accoler au nom complet du mécène celui de sa société afin que la dimension personnelle de l’hommage soit atténuée. Le cabinet de la ministre a rejeté catégoriquement cette nouvelle proposition et “interdit” au président du musée de reprendre la négociation sur ces bases. Le mécène a alors été orienté vers d’autres opérations d’investissement susceptibles d’être aidées.

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De nouveaux assouplissements

L’article 17 de la loi des finances pour 2000 complété par le bulletin des impôts n°86 du 5 mai 2000 apportent deux modifications importantes au dispositif en faveur du mécénat prévu par l’article 238 du Code général des impôts.

1. Le nom de l’entreprise versante est désormais associé aux opérations réalisées par l’organisme bénéficiaire

S’il était admis que l’existence d’une contrepartie institutionnelle, symbolique ou de faible importance ne remettait pas en cause l’éligibilité des dons, il n’était pas possible pour une entreprise versante de faire connaître son action ni à un organisme bénéficiaire de faire connaître le donateur. Pourquoi ? Parce qu’associer le nom de l’entreprise aux opérations réalisées par l’organisme bénéficiaire était considéré comme une prestation publicitaire effectuée au profit de l’entreprise versante. Il s’agirait alors d’une action de parrainage et pas de mécénat. L’article souligne alors la distinction entre mécénat et parrainage. Il précise que l’association du nom de l’entreprise versante aux opérations de l’organisme relève du mécénat s’il y a uniquement mention du nom du donateur, quels que soient les supports de la mention (logo, sigle…) et la forme du nom, à l’exception des messages publicitaires. Jean-Jacques Aillagon, ancien Ministre de la culture que nous avons rencontré, considère que si le sponsoring constitue tout de même une autre pratique, la distinction mécénat -parrainage relève surtout de la “sémantique”.

Il fait également référence à la notion de “disproportion marquée”, une notion qui reste encore floue et qui pose des problèmes dans la pratique. L’Admical sur son site internet explique “L’administration n’a pas précisé ce qu’il fallait entendre par « disproportion marquée » dans le cadre du mécénat d’entreprise. Néanmoins, en pratique et par analogie à la définition de la disproportion marquée dans le cadre du mécénat des particuliers, le montant total des contreparties est limité à 25 % du montant du don.” Avec cette absence de précision rigoureuse se posent de véritables problématiques dès 2000 avec l’apparition de demandes de « nommage » de la part des mécènes, notamment au musée du Louvre.

2. Des versements désormais déductibles du résultat de l’entreprise

L’entreprise versante peut désormais déduire les sommes en cause de son résultat qu’il soit bénéficiaire ou déficitaire et non plus de son seul bénéfice imposable.

Guillaume Cerruti, directeur du cabinet de l’ancien ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon parle même d’un “changement conceptuel (...) qui a complètement changé la donne” pour les entreprises. Il explique que “historiquement l’impôt sur les sociétés avait baissé en France. Quand on déduisait de l’assiette, comme l’impôt avait baissé, l’action de mécénat était de moins en moins forte puisque l’impôt payé au final avait tendance en termes de taux à se réduire”

Cette modification constitue une étape importante menant à la loi de 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations dite loi Aillagon, en faveur des entreprises.

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Conversation avec Jean-Jacques Aillagon

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Un contexte favorable

La loi du 1er août 2003 sur le mécénat, les associations et les fondations est née dans un contexte très favorable selon Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la culture. Quatre facteurs principaux expliquent selon lui ce “contexte extrêmement favorable” :

  • Un “projet de mettre en oeuvre une législation qui favoriserait le développement du mécénat figurait dans objectifs de campagne de Chirac.” Or, Jacques Chirac a été réélu Président de la République.
  • “Son Premier ministre, Raffarin, était convaincu de la nécessité de débrider la société et faire en sorte que l’État puisse stimuler les initiatives du corps social. La loi sur le mécénat et les fondations c’est avant tout une loi qui affirme quelque chose de philosophique: dans une société démocratique développée comme la notre, le soin de l’intérêt général ne peut pas résulter de l’État seul même s’il s’agit d’une des fonctions primordiales de l’État et que par ailleurs l’intérêt général est issu des collectivités locales, de la société elle même, des individus et des entreprises d’où l’initiative de la loi sur le mécénat”.
  • La portée générale de la loi et le fait qu’elle concerne tous les champs du mécénat et pas uniquement la culture était nécessaire pour Aillagon. Il explique que sinon “tous mes collègues me tomberaient dessus à bras raccourcis (...). J’ai pris le parti d’élaborer une loi qui servirait à tous les domaines de l’action publique et sociale”.
  • Le dernier facteur que Jean-Jacques Aillagon nous expose est le suivant: “le Ministre de la culture ne peut pas imaginer seul des déductions d’impôts si le Ministre du budget n’est pas avec lui. J’ai bénéficié de la très grande amitié qui me liait au ministre du budget Alain Lambert, étant attendu que nos directeurs de cabinet étaient également proches”.
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Le contenue de la “Révolution Aillagon”

L’Article 6-I de la loi relative au mécénat, aux associations, aux fondations, dite loi Aillagon modifie le dispositif de l’article 238 bis du CGI qui permettait aux entreprises de déduire le montant de leur résultat, dans la limite de 2,25 ‰ ou de 3,25 ‰ de leur chiffre d’affaires selon le type d’organisme bénéficiaire, les dons qu’elles avaient effectués au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général. Cette loi ouvre désormais droit à une réduction d’impôt égale à 60% des versements et la limite de prise en compte des versements est portée à 5 ‰ du chiffre d’affaires.

Guillaume Cerutti va même jusqu’à parler de la “Révolution Aillagon” car “on passe d’un système où l’entreprise gagnait 33 à un système où elle gagne 60 avec un mode de calcul différent beaucoup plus incitatif. C’était un élément extrêmement fort et puissant qui explique le développement du mécénat en France.”

Quels étaient les objectifs? Jean Jacques Aillagon nous en présente deux principaux :

  • “Le premier objet de la loi du mécénat c’est d’affirmer la légitimité de la pratique du mécénat par les entreprises quel que soit l’objet d’intérêt général du mécénat (...), de consolider juridiquement la pratique du mécénat des entreprises.”
  • “Le deuxième objectif c’est, par des biais de réduction d’impôts, de stimuler la pratique du mécénat tant par les particuliers que par les entreprises. De façon à ce que l’action d’ intérêt général puisse bénéficier d’un accroissement sensible des moyens dont elles disposent”.

Par ailleurs, cette loi étend le dispositif relatif aux trésors nationaux institué par la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. La loi met en place :

  • une extension de la réduction d'impôt de 90% sur l'impôt sur les sociétés aux œuvres d'intérêt majeur achetées à l’étranger par les entreprises pour le compte de l'Etat, sans limitation dans le temps
  • une extension de la réduction d'impôt de 90% sur l'impôt sur les sociétés pour les œuvres d’intérêt majeur situées en France, achetées par les entreprises pour le compte de l’Etat, et sans condition d’ancienneté sur le territoire national (l'obligation d'importation depuis plus de 50 ans jusque-là en vigueur étant supprimée)
  • exclusion de l'assiette de la taxe professionnelle des trésors nationaux acquises dans le cadre des dispositifs de l'article 238 bis du Code général des impôts.

Cette extension caractérisée par des avantages fiscaux importants pour les entreprises vise elle aussi à les encourager à contribuer encore plus au maintien des trésors nationaux sur le territoire français.

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Vrai mécénat ou faux parrainage ?

Cette disposition très clairement en faveur des entreprises et dont l’objectif est d’inciter ces dernières à mécéner des projets culturels est critiquée. Michèle Kotzarikian, doctorante au Laboratoire Biens, Normes et Contrats, dénonce ces dispositions dans La loi du 1er août 2003 : Vrai mécénat ou faux parrainage ? “Alors que l’élément caractéristique du mécénat est le soutien financier dépourvu de toute contrepartie, les “cadeaux” fiscaux tels que les réductions d’impôt annihilent cette certitude. Ces mécanismes fiscaux constituent, en effet, de manière déguisée, une contrepartie, non pas directe mais indirecte au mécénat.” Se pose alors la question: n’est-on pas en effet en présence d’un “faux parrainage” ? Avec cette loi, le mécénat est-il véritablement dépourvu de contrepartie ? Elle distingue deux types de contreparties en faveur des mécènes adoptées progressivement par la loi :

- les contreparties indirectes

Avec la réduction d’impôt (acquisition d’un trésor national pour le compte de l’État ou pour son propre compte), les entreprises mécènes vont voir leur montant d’impôt normalement exigible diminué de manière conséquente, c’est-à-dire de 90%. Pour ce qui est de la déduction d’impôt, les entreprises vont voir leur résultat diminué du prix d’acquisition de l’œuvre.

- les contreparties directes

Elle souligne que les grandes entreprises mécènes vont bénéficier, de fait, d’une véritable campagne publicitaire. Les actions menées par les grandes entreprises telles que AXA, par exemple, font l’objet, auprès du public, d’une importante publicité grâce remerciements faits par le Ministre de la culture au nom de l’État et des musées, grâce aux revues, communiqués de presse et discours afférents.

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Une mesure discriminatoire ?

La limite de prise en compte des versements portée à 5 ‰ du chiffre d’affaires constitue par ailleurs une “mesure discriminatoire” selon Michèle Kotzarikian. Elle explique qu’“en théorie : les mesures relatives au mécénat s’adressent à toutes les entreprises quels que soient leur taille, leur activité, leur objet, leur chiffre d’affaires ou encore leurs bénéfices. Mais en pratique, seules les entreprises qui ont les moyens financiers et réalisent de très gros chiffres d’affaires vont initier de telles actions”. Les institutions culturelles ont alors tendance à ne chercher que des gros mécènes en termes de chiffres d’affaires au détriment d’une pluralité et d’une variété de mécènes. C’est ce que Robert Fohr, chef de la mission mécénat au Ministère de la Culture et de la Communication, confirme : “c’est une des rares faiblesses de cette législation (...). Le plafond annuel des dons est très généreux pour les grandes entreprises, pour les principales elles ne l’atteignent même jamais, mais il est un peu limité pour le monde des PME et TPE puisque la France est un pays de PME, 95% des entreprises français ont un chiffre d’affaire inférieur ou égal à 1 million d’euros donc c’est 5000 euros de capacité à donner chaque année”.

Thierry Consigny considère également qu’il s’agit d’une limite importante de la loi Aillagon: celle-ci est “par définition est limitée aux entreprises qui ont beaucoup d’argent. Comme c’est une déduction sur l’impôt, sur le profit, il faut faire beaucoup de profits pour en bénéficier. Ce serait assez bien que des PME, des petites boites qui ne gagnent pas beaucoup d’argent et aussi des particuliers puissent en profiter”. Un constat partagé par Guillaume Cerutti qui, pour sa part, pointe du doigt les professions que la loi exclue: “les professions libérales sont exclues de ces dispositifs, donc tout un champ possible d’acquisition d’oeuvres d’art contemporain par des dentistes, des médecins, des professions libérales ne bénéficient pas de ces dispositions avantageuses.” Il propose alors de “jouer avec les règles que la loi a posé car elle est très complète. Ces règles sont très incitatives, il faut essayer de les étendre un peu plus, de les améliorer à la marge mais ne pas les remettre en question dans leur principe”.

Certains établissements culturels soulignent eux-mêmes la possible discrimination envers les TPE et PME. Ainsi, Yann Le Touher, chef du service Mécénat du Grand Palais admet que le dispositif du mécénat est “moins connu des petites entreprises, des TPE et des PME” et que notamment en tant que “grand établissement avec des besoins importants de financement”, ils ne s’adressent qu’“aux très grosses entreprises”.

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2012 : le mécénat culturel en danger

En 2012, un projet de loi de finances rectificative a été soumis à l’Assemblée Nationale. Il contient une mesure réduisant de moitié l’aide apportée aux entreprises dans le cadre du mécénat. L’avantage fiscal accordé aux entreprises serait ainsi divisé par deux. Les raisons de ce projet de loi sont énoncées par Jean-Jacques Aillagon: “Bercy voulait remettre en cause la loi parce qu’elle représente pour l’État une perte de ressources, un manque à gagner pour l’État. Si vous mettez sur le marché un trésor national de 100 millions et que l’État par le biais de la réduction d’impôts finance 90 millions, l’État renonce à 90 millions de recettes fiscales.” Les institutions publiques comme les entreprises se sont opposées fortement à ce projet de loi qui tuerait le mécénat. En effet, Thierry Consigny affirme avec détermination : “Si demain on arrête la déduction fiscale de 60%, ces sommes s’arrêtent à l’instant. Il n’y a pas un conseil d’administration d’une boite en France qui voterait un chèque à une fondation d’entreprise sans la déduction fiscale”.

Le Figaro dans un article de Claire Bommelaer, du 9 juillet 2012 titrait : “Le Mécénat culturel sauvé en 2012”. Elle y rappelle que L'Admical, association majeure qui développe en France le mécénat et des entreprises, rassemble et représente tous les mécènes, a lancé une pétition signée par 2625 personnes parmi lesquelles “Jean-Paul Cluzel président de la RMN, Anne Baldassari, directrice du Musée Picasso, Éric Gross, directeur de l'Institut national du patrimoine, Murielle Mayette, directrice de la Comédie-Française, le producteur Marin Karmitz (MK2), mais aussi Philippe Houzé, président du directoire des Galeries Lafayette, ou Henri de Castries, président d'Axa”. Yann Le Touher, chef du service Mécénat de la RMN - Grand Palais rappelle que cette institution est sous la tutelle du ministère de la culture et explique que “de toutes façons si un jour il y avait une remise en cause forte de la Loi Aillagon, tous les établissements publics, les musées s’uniraient pour maintenir le dispositif fiscal qui est essentiel pour nous maintenant”. Le budget de l’État pour la culture étant en déficit, les institutions ne peuvent plus se passer du soutien financier des entreprises.

Dans son programme, François Hollande avait indiqué qu’il s’attaquerait à toutes les niches fiscales, y compris celle du mécénat afin de mettre en place un système plus juste. De plus, Aurélie Filippeti “avait tenu des propos vifs contre la famille Wendel qui avait apporté un concours à l’ouverture du Centre Pompidou Metz” relate Jean-Jacques Aillagon. Guillaume Cerutti précise qu’elle “avait pris des positions très réticentes vis à vis du mécénat, elle y voyait le risque de mercantilisation de la culture ou un risque d’octroi d’avantages excessifs au secteur privé sur le dos du secteur public”. Il relate également plus en détail l’épisode Wendel : “Elle a rendu une visite au Centre Pompidou à Metz et elle a attaqué le fait que Wendel, un des mécènes du centre Pompidou Metz, puisse bénéficier de l’appellation de la salle de spectacle Wendel au sein du Centre. Elle a été très choquée par ça”. C’est une prise de position qui n’a pas duré, la Ministre de la culture, Aurélie Filippetti et le gouvernement “ont très vite compris l’intérêt qu’il y avait pour les établissements culturels à maintenir les dispositions en vigueur sur le mécénat” conclue Guillaume Cerutti. Elle a alors changé d’avis et s’est donc opposé en 2012 à la promesse électorale du président et au projet de loi. Elle affirme : “Je considère vraiment que la culture fait partie du domaine régalien de l'État”. Les tensions accompagnant le projet de loi s’inscrit dans le cadre d’une opposition entre deux modèles de financement de la culture. La culture, comme le souligne Aurélie Filippetti fait partie du domaine public: depuis la tradition du “grand mécène” qu’était Louis XIV selon Thierry Consigny, puis de la prise en charge républicaine de la culture sous la IIIème République. A cette conception d’une culture publique s’oppose un modèle dit anglo-saxon dans lequel la culture est entièrement financée par des entreprises privées.

Enfin, si la loi a été remise en question notamment en 2012, il semble aujourd’hui difficile, voire impossible, d’envisager un retour en arrière. Beaucoup d’acteurs considèrent qu’elle fait désormais partie intégrante du fonctionnement de la culture française et qu’elle constitue un acquis. Guillaume Cerutti fait partie de ceux-ci : “La loi a été défendue chaque fois qu’elle a été remise en question (...). “Aucun ministre de la culture ne peut aujourd’hui se désintéresser du fonctionnement du mécénat culturel. C’est devenu un sujet trans-partisan il n’y a plus de sujet de remise en question. Même le président de la république influencé ait pu pensé réduire le taux a très vite changé d’avis”.

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2017 : la loi Aillagon : acte II

Aillagon affirme son assurance dans la stabilité de la loi : “On a pu imaginer que Bercy tenterait de reprendre la main sur tout ça mais sincèrement je pense qu’aujourd’hui c’est tellement dans les moeurs que personne ne reviendra dessus, droite gauche confondues. On verra même des améliorations de ce texte être mises en oeuvre. On entend aussi que Juppé, s’il était élu, souhaitait mettre en chantier l’acte II de la loi Aillagon”. En effet, Alain Juppé, candidat à la primaire à droite en vue de la présidentielle 2017, entend développer le mécénat et prolonger la loi de 2003. La promesse de campagne d’Alain Juppé est donc l’opposé de celle de François Hollande en 2012. Loin de réduire la défiscalisation, le candidat des Républicains entend favoriser la pratique du mécénat en faveur des entreprises.

Le 4 avril 2016, à Bordeaux, invité du Forum d’Avignon, Alain Juppé a présenté ses idées sur la culture pour la France. Il a déclaré que le modèle de Malraux “est menacé d’asphyxie dès que les budgets, nationaux ou locaux, stagnent et a fortiori quand ils subissent des coupes sévères, comme ce fut le cas au début du quinquennat de François Hollande”. Il proclame : “La culture est pour notre pays un investissement” et dans cette lignée il annonce : “sur ce point, à l’initiative de Jacques Chirac, la “loi Aillagon”, du 1er août 2003, a constitué un formidable ”ballon d’oxygène” pour le monde de la culture. Aujourd’hui, un “Acte II” du mécénat et de l’initiative privée devra être proposé pour consolider et renforcer l’acquis. Je pense au mécénat des particuliers, comme au développement des plateformes de financement participatif. Je serai particulièrement attentif à vos débats et à vos réflexions sur cette question centrale du financement de la culture.” Dès lors, la loi Aillagon a été remise en question en 2012 par une volonté du gouvernement et de Bercy de réduire les niches fiscales, mais le ministère de la Culture a réussi à maintenir cette loi et le statut de la défiscalisation nécessaire au maintien d’un développement culturel en France. La tendance actuelle est plutôt orientée vers un approfondissement de la loi et du mécénat.

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Le mécénat : pratiques

L’évolution de la pratique des contreparties depuis les années 2000 est venue remettre en cause la définition du mécénat et sa distinction avec le parrainage. Si la présence de contreparties directes comme indirectes est jugée nécessaire par certains acteurs, d’autres n’hésitent pas à la critiquer et pointer du doigt l’absence d’encadrement clair. C’est l’essence même du mécénat qui serait dénaturée car il ne s’agirait plus vraiment d’une démarche de générosité.

Les établissements culturels, qui ne pourraient perdurer sans le soutien des entreprises, doivent alors mettre en place des procédés de valorisation de contreparties. Mais comment calculer le prix d’un logo d’une entreprise sur les supports de communication d’un musée ? L’Admical précise bien qu’aucune règle n’a été donnée pour calculer la valorisation de ces contreparties… des contreparties qui sont pourtant au coeur du mécénat au point de devenir parfois l’objectif principal recherché par les entreprises.

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L’évolution de la pratique des contreparties

L'arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière définit le mécénat comme suit : “le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une oeuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général”. Il est important de souligner l’absence de définition juridique du mécénat. Cette absence explique notamment l’évolution de la définition du mécénat par sa pratique, principalement quant à la notion de contrepartie.

Dès 1999 s’opèrent des modifications de pratique du mécénat :

  • Avec l’Instruction du 4 octobre 1999 relative aux réductions d'impôts accordées au titre des dons, on passe alors pour la première fois de l’absence de contrepartie directe (énoncée dans la définition du mécénat) à l’autorisation de contreparties “qui présente une disproportion marquée caractérisée par l'existence d'un rapport de 1 à 4 entre la valeur du bien et le montant du don ou de la cotisation”.
  • Le deuxième glissement vers plus de contreparties s’opère avec l’article 17 de la loi des finances pour 2000 qui autorise l’association du nom de l’entreprise versante avec les opérations réalisées par l’organisme bénéficiaire.
  • C’est surtout la loi du 1er Août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations qui marque un changement primordial avec une réduction d’impôt de 60% du montant versé. Un changement tel que Michèle Kotzarikian, doctorante au Laboratoire Biens, Normes et Contrats, parle de “parrainage déguisé”.

Les mesures adoptées depuis 1999 viennent donc remettre en question l’absence de contrepartie directe. D’une part sont apparues des contreparties indirectes comme la réduction d’impôt élevée à 60% du montant versé et plus 33%. Mais c’est surtout les contreparties jugées comme directes que certains acteurs comme Michèle Kotzarikian dénoncent. Elle considère ainsi que certaines “grandes entreprises mécènes vont bénéficier, de fait, d’une véritable campagne publicitaire” et que nous serions en fait en “présence d’actions, non pas de mécénat, mais véritablement de parrainage, celui-ci étant défini comme une démarche “intéressée”, initiée par les entreprises dans un but purement commercial, en vue de retirer les fruits de leur investissement, le plus souvent à des fins publicitaires”.

La Cour des Comptes dans son rapport du 30 mars 2011 dénonce également l'ambiguïté des contreparties: non seulement, “la question des contreparties a introduit une ambiguïté entre mécénat et parrainage”.

Le décret du 7 septembre 2005 portant création des distinctions de mécène et de donateur du Ministère de la culture renforce ce point. Son but est “manifester la reconnaissance de l’État envers les personnes physiques ou morales qui, par leurs actes de mécénat ou les activités qui s’y attachent, tant en France qu’à l’étranger, ont apporté une contribution éminente au développement culturel de notre pays”. Pour Michèle Kotzarikian, un tel décret permet en réalité aux groupes et entreprises de réduire considérablement leur budget publicitaire.

Robert Fohr explique en revanche que “le Ministère de la culture a fait preuve de réalisme en proposant, suite à l’échange de courriers entre le ministère du budget et de la culture, qu’il y ait des contreparties tangibles pour les entreprises mécènes mais dans une proportion limitée, dans ce rapport de 1 à 4 qui existait déjà dans la loi sur les associations et en marquant, une ligne, une frontière très nette entre une pratique commerciale qu’est le parrainage et le mécénat qui est un acte de soutien à l’intérêt général”. Jean-Jacques Aillagon, quant à lui, considère qu’il est “normal qu’il y ait des contreparties” car s’il n’y en avait pas il s’agirait d’un “abus de biens sociaux”. Effectivement, contrairement aux particuliers l’argent d’une entreprise correspond à “de l’argent social et donc il faut que l’utilisation de cet argent que cet argent donné à d’autres objets que ceux pour laquelle elle a été constituée, bénéficie à son image, sa réputation, son rayonnement. ça me semble nécessaire”.

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Une réglementation encore floue

Robert Fohr explique clairement que “la législation repose sur des grands principes mais tout n’est pas dit dans un texte de loi, des problèmes d’applications peuvent se poser comme par exemple l’usage des contreparties qui sont particulièrement recherchées par les entreprises dans le domaine culturel”. C’est ce que confirme l’Admical sur son site internet “Qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, aucune règle n’a par ailleurs été donnée pour valoriser les contreparties dont peuvent bénéficier les donateurs.” Ces constats soulignent les problématiques qui peuvent émerger dans la pratique du mécénat, surtout lorsque des contreparties sont en jeu.

Par ailleurs, le site Le Louvre pour tous dans son article “la Cour des comptes épingle les musées voyous” parle d’un ministère sans autorité: “Le ministère de la Culture n’aurait plus aucun poids ni autorité sur les grands musées ayant adopté un régime de semi-autonomie, restant pourtant en droit des établissements publics sous tutelle (...). Ces musées seraient seuls maîtres à bord, ce qui ne les empêcherait nullement en retour de dépendre financièrement de l’Etat quand le développement de leurs ressources propres - billetterie, location d’espaces, mécénat - aurait dû, selon la Cour des comptes, s’y substituer progressivement.” L’encadrement de l’autonomie des établissements culturels serait mal maîtrisé, et trop peu encadré par la rue de Valois, laissant ainsi “chaque musée faire dans son coin ce qu’il veut” selon les termes du Canard Enchaîné, paru en janvier 2011.

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Quand les contreparties posent problèmes

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Une démarche de générosité ?

La Cour des comptes dans son rapport de 2011 admet qu’il existe une dénaturation du mécénat lié à la présence des contreparties : “ce procédé a ses avantages en ce qu’il oblige musées et donateurs à délimiter et chiffrer ces contreparties. Mais il introduit une altération de la nature originelle du mécénat, comme l’ont remarqué au cours d’une audition par la Cour les dirigeants de l’ADMICAL”.

Le Canard Enchainé renchérit avec son article “La Cour des comptes se paye une visite des musées nationaux” par Didier Hassoux, qui dénonce le mécénat de Chanel : “En 2008, Chanel signe un chèque de 45000 euros en faveur du château de Versailles. Or la valeur des contreparties (invitations, visites privées) est estimée à 23 000 euros. Quant à l’avantage fiscal, il s’élève à 18 000 euros. Au bout du compte, la générosité de Chanel se limite à 4 000 euros” Non seulement, cet article remet en question la notion de générosité qui définit le mécénat. Mais Bernard Hasquenoph sur le site “Le Louvre pour tous” souligne également un autre problème: le rapport d’activité de Versailles de cette année-là ne cite qu’une opération de parrainage de l’entreprise Chanel, et non de mécénat, correspondant à une exposition photos de Karl Lagerleld, directeur artistique de la célèbre maison de haute-couture, sous le commissariat direct de Jean-Jacques Aillagon. Il conclue ainsi “L’entreprise Chanel a bien participé cette année-là comme mécène à la manifestation “Veilhan Versailles” et surtout à l’exposition “Fastes de Cour et cérémonies royales”. Ce qui n’expliquerait pas pour autant la disproportion marquée des contreparties accordées (23 000€) avec le montant du don (45 000€).”

De manière plus générale, lorsqu’un mécène donne 100, il est défiscalisé de 60 et peut recevoir jusqu’à 25 de contreparties. La valeur véritable du don se limiterait donc à 15.

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La valorisation des contreparties

La question de la valorisation des contreparties est une problématique pointée par l’Admical sur son site internet “qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, aucune règle n’a par ailleurs été donnée pour valoriser les contreparties dont peuvent bénéficier les donateurs. Chaque organisme bénéficiaire retient ses propres modes de calcul. Certains d’entre eux ont établi des barèmes de valeur pour une plus grande transparence vis-à-vis de leurs donateurs”. Effectivement, en l’absence de règles juridiques et financières encadrant le calcul des contreparties accordées aux mécènes, c’est aux institutions culturelles de définir elles-mêmes leurs grilles de contreparties qui varient donc d’une institution à l’autre.

Pour Jean-Jacques Aillagon, le calcul de ces contreparties n’est pas difficile au contraire “les établissements culturels ont une grille. Il y a des tarifs de location d’espaces pour une soirée. On arrive à faire ce calcul assez facilement”. En revanche, Julie Narbey, Directrice Générale du Palais de Tokyo précise que ce calcul n’est “pas une science exacte”.

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Le Palais de Tokyo

Julie Narbey, Directrice Générale du Palais de Tokyo explique les procédés de valorisation des contreparties au sein de son établissement. Pour les contreparties relevant de la visibilité et d’évènementiel, le Palais de Tokyo les valorise en termes de pourcentage et non pas à l’aide de grilles. A titre d’exemple, si une entreprise donne 100 000 euros, l’établissement va considérer que son logo représentera 5 000 euros. En revanche, pour ce qui a trait à la location d’espaces, une grille a été mise en place, votée par le Conseil d’Administration. Cette grille “permet de dire que s’il reste 20 000 euros d’espaces, l’entreprise peut choisir en fonction de ses besoins de Ressources Humaines ou de Relations Publiques, les espaces jusqu’au niveau autorisé”. Elle précise que le Palais de Tokyo “applique les mêmes règles pour tous, il n’y a pas de négociations avec les entreprises à ce sujet”.

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Le Louvre

Ana Teodorescu, chargée de mission valorisation de la marque Louvre au Musée du Louvre explique la gestion des contreparties représente environ 70% du temps des chargés de mécénat au sein du musée. Par ailleurs, la nature et les conditions générales d’octroi des contreparties susceptibles d’être proposées aux partenaires du musée dans le cadre de telles opérations de mécénat, donation, parrainage, et mises à disposition d’espaces font l’objet d’une information régulière devant le Conseil d’administration du musée. Le Louvre, dans sa charte éthique précise que qu’il fait tout pour qu’aucune des contreparties qu’il serait amené à accorder ne puisse heurter la sensibilité personnelle de ses visiteurs ou de ses agents, ou ne puisse être assimilée en aucune manière à une démarche de prosélytisme. Le Louvre s’engage également à dtabiliser la méthodologie de valorisation des contreparties et élaborer une grille de contreparties mécénat en valorisant les contreparties matérielles et immatérielles.

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RMN-Grand Palais

Yann Le Touher, Chef du service Mécénat à la RMN-Grand Palais explique qu’au sein de cet établissement culturel “il y a 3 familles de contreparties”. D’abord, “la visibilité”, qui correspond à la présence des “logos sur tous les supports de communication, les affiches, les cartons d’invitation, le site internet, à l’entrée, à la sortie, les catalogues etc…”. La deuxième famille de contreparties, correspond quant à elle aux “invitations, accès privilégiés, laissez-passer, coupe files, visites privées etc...”. Enfin, la troisième famille de contreparties relève de “tout ce qui est événementiel, des petits déjeuners, des soirées”. Il précise qu’“évidemment, chaque contrepartie a une valorisation, c’est selon le mécène ou le partenaire qu’on définit son package de contreparties, certains vont vouloir de la visibilité quand d’autres ne vont pas en vouloir” et préférer “la meilleure date pour pouvoir inviter dès l’ouverture. Chaque mécénat se négocie un peu à la carte.”

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Le Musée Picasso

Musée Picasso a lui aussi mis en place une grille afin de calculer les contreparties ; Laurent Le Bon son directeur explique comment se passe le dialogue avec les entreprises “l’entreprise va me dire “je donne X milliers d’euros pour telle action” et après on va calculer le pourcentage des contreparties, on va dire “tiens, vous avez suffisamment pour pouvoir faire, une soirée, vous pouvez avoir votre logo là et ainsi de suite”. On discute avec l’entreprise pour savoir ce qu’elle souhaite”. Les contreparties correspondent à “de la visibilité, ça peut être des offres de soirée, ça peut être des catalogues” mais surtout il précise qu’ “il faut être inventif”.

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Des motivations d’image

Les principales motivations du mécénat d’après des études de l’Admical sont : contribuer à l’intérêt général, améliorer et valoriser l’image de l’entreprise, construire des relations avec les acteurs du territoire et les parties prenantes de l’entreprise, valoriser le métier de son entreprise, fédérer, attirer et fidéliser les collaborateurs, développer l’innovation, la créativité dans un secteur lié à celui de son entreprise.

Le principal objectif des mécènes ne serait plus la philanthropie mais la recherche de notoriété et d’image. C’est ce qu’explique Yann Le Touher, chef du service Mécénat à la RMN-Grand Palais “la vertue philantropique est quand même de moins en moins présente, ça devient vraiment du vrai business avec “moi je vous donne de l’argent, qu’est-ce que j’ai en échange ?” Ce qu’ils recherchent chez nous c’est quelques fois de l’image, et surtout de l'événementiel.” Mais il précise que “ce n’est pas gênant, ce métier est pragmatique dans la mesure où les entreprises aujourd’hui, elles n’ont aucune obligation à faire du mécénat et c’est du cash qui sort en moins pour leurs actionnaires, leurs collaborateurs”.

En revanche, pour Guillaume Cerutti, on a assisté à une évolution des motivations des entreprises à devenir mécènes. D’abord, il rappelle que la fiscalité n’est pas une motivation mais une incitation. Les motivations principales au lendemain de la loi de 2003 étaient “de participer à une cause d’intérêt général, et initialement ce qui était le plus recherché par une entreprise c’était les contreparties qu’elles avaient et une contrepartie de communication. Les entreprises dans le secteur culturel allaient négocier des contreparties de visibilité, de relations publiques, de relations presse, d‘invitations de leurs clients à l’inauguration d’une exposition qu’elles mécénaient. Au début il y avait un rapport presque marchand”. Si cela demeure dans une certaine mesure, G. Cerutti souligne qu’ “à ça se sont ajoutées d’autres choses. De plus en plus d’entreprises cherchent à associer par exemple leur personnel à une action de mécénat, à donner un sens à leur action de mécénat, chercher à l’inscrire dans la durée”. Se mêleraient alors aux motivations d’images des motivations d’intérêt général et de recherche de sens.

Néanmoins, les études d’Admical montrent que la mise en place d’actions de mécénat est bénéfique à la valorisation de l’entreprise au regard des éléments suivants :

  • Identification de l’entreprise : le mécénat participe à la personnalité de l’entreprise, la rend singulière. Pour cela, le mécénat doit être en lien avec le rôle de l’entreprise dans la société, et non avec les objectifs de son métier.
  • Dialogue et ouverture : la relation avec le bénéficiaire de l’opération de mécénat ouvre l’entreprise à des interlocuteurs avec lesquels elle n’aurait pas naturellement été en contact. renforce l’ancrage de l’entreprise dans son environnement ou territoire.
  • Fierté et développement personnel : le mécénat contribue à mettre en cohérence les attentes des collaborateurs avec le projet de l’entreprise et peut susciter des prises de conscience. Le mécénat de compétence permet aux salariés de sortir de l’entreprise pour donner de leur temps et de leur savoir faire et s’enrichir de nouvelles expériences.
  • Réputation et confiance : le mécénat répond à une attente de la société vis à vis de l’entreprise, il participe à la construction de sa réputation et instaure la confiance car il s’inscrit dans une démarche à long terme.

La contribution à l’intérêt général ne semble alors qu’être une motivation secondaire pour une entreprise mécène. C’est ainsi que l’on voit émerger des agences de communication qui favorisent le mécénat. C’est l’exemple de l’agence Saltimbanque, fondée par Thierry Consigny qui explique “on n’est pas une agence de mécénat ou même de communication culturelle, on est vraiment une agence de communication marchande publicitaire dans le sens large du mot. Nos clients naturels sont des marques commerciales à qui on vend de la communication commerciale pour faire vendre leurs bouteilles, leurs chambres d’hôtel, leurs vêtements etc. Simplement, la différence avec une autre agence c’est que assez systématiquement on met de l’art dans tout ça”.

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Des motivations d’influence

Des motivations d’influence amènent également certaines entreprises à avoir recours au mécénat pour redorer leur image. L’influence dont elles peuvent jouir peut dès lors être considérée comme une contrepartie indirecte qui leur est accordée. C’est un enjeu majeur surtout pour des entreprises qui jouissent d’une réputation négative: mécéner des institutions culturelles devient alors pour elles un angle stratégique de positionnement dans leur écosystème.

Le Comité National Contre le Tabagisme dénonce la démarche de Japan Tobacco International, acteur majeur dans le monde des arts et de la culture. Sur son site, l’association reconnue d’utilité publique rappelle que JTI est :

  • Non seulement partenaire fondateur du Palais de Tokyo.
  • Mécène du Musée du Louvre. JTI apparaît comme le membre fondateur du Cercle Louvre Entreprises en 2008 et finance depuis 2009 l’aménagement des salles d’Orient méditerranéen dans l’empire Romain. En septembre 2012, JTI a financé notamment la rénovation des mosaïques d’Antioche dans le cadre de la création des nouveaux espaces architecturaux consacrés à l’Orient Méditerranéen de l’Empire romain.
  • Partenaire du Grand Palais. Son implication a d’ailleurs été saluée par le Ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand à l'occasion de la réception et des discours tenus avec l'ensemble des mécènes et partenaires du projet Monumenta le 15 juin 2011.

Le CNCT dénonce alors les motivations de JTI à s’impliquer dans le mécénat puisqu’il lui “confère (à JTI) un statut d’interlocuteur naturel pour les autorités publiques. Ceci permet également au cigarettier de côtoyer les "décideurs de la culture" en France (Ministère, administrations), ainsi que l’ensemble des partenaires acteurs dans ce milieu sensible (...) pour un investissement extrêmement limité, le cigarettier s’offre une respectabilité et une capacité d’influence voire de décision non négligeable”. JTI aurait selon CNCT recours au mécénat uniquement pour atteindre les sphères politiques et jouer son rôle de lobby auprès des décideurs.

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Le mécène

Si chaque entreprise peut juridiquement devenir mécène, certaines jouissant d’une réputation négative se voient fortement critiquées par certains groupes concernés. C’est le cas des compagnies pétrolières ou de tabac qui voient leurs actions de mécénat contestées si bien que la loi relative à la santé déposée le 15 octobre 2014 par Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et votée en 2015, interdit aux entreprises de tabac de mécéner. Certains artistes, comme le photographe JR vont même jusqu’à refuser de s’associer à toute entreprise mécène.

Le financement de la culture par les entreprises est lui aussi remis en question. Si la Cour des comptes a pour objectif de contrôler la provenance des financements, c’est principalement pour vérifier que le bénéficiaire est dans ses droits juridiquement et non pour mettre le doigt sur une provenance ou une destination de l’argent douteuse, comme ce fut le cas avec l’artiste Ahae.

Le mécénat culturel ayant été touché par la crise de 2008, les établissements culturels cherchent alors à attirer des mécènes en s’inscrivant dans une démarche de prospection pro active et mettent en avant les bénéfices que les entreprises peuvent tirer d’une telle action.

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Les compagnies pétrolières, le mécène qui fait tâche

Au-delà du refus d’un artiste ou d’une institution de s’associer à une entreprise mécène par crainte de subir son influence limitant alors sa création artistique, l’image que les entreprises mécènes renvoie peut être négative et avoir des répercutions néfastes sur l’artiste ou l’institution culturelle. En fonction de ce qu’elles représentent, certaines entreprises sont considérées comme étant moins légitimes à devenir mécènes.

Comme Pierre Alféri l’énonce, les retours d’image ne sont pas “de façon mécanique et immédiate pour chaque artiste individuellement c'est sûr, mais il y a un effet d'ensemble. Si l'art qu'on produit est systématiquement montré, aimé et mis en avant dans un milieu dégueulasse, bah ça rejaillit forcément sur ce qu'on fait et c'est légitime il me semble. C'est comme dans l'histoire politique, si un artiste devient artiste officiel d'un régime fasciste, bah ça dit quelque chose quand même de son art, de ses choix. Aujourd'hui je ne dis pas du tout que c'est la même chose, que c'est comparable, mais on est ce qu'on fait et là où on le fait c'est ce qui vous définit”.

Ainsi, il devient délicat pour les compagnies pétrolières de continuer à entretenir des partenariats avec les grands musées internationaux alors que les enjeux climatiques sont de plus en plus controversés et mettent en péril leur image. Dans le même sens, sans jamais l’avouer, la compagnie pétrolière britannique BP a mis un terme au soutien financier qu’elle apportait à la Tate le 11 mars dernier (2016) à la suite des relatives pressions des activistes écologistes. L’article “L’argent du pétrole fait tache dans les musées”, rédigé en mars 2016 par Emmanuelle Jardonnet le constate. Alors que le mécénat de BP s’élevait à plus de 286 000 euros en moyenne par an, le réseau “Liberate Tate” s’est créé dès 2010 pour remettre en question l’échange entre l’institution culturelle et l’industrie du pétrole.

Comme le relate l’article “Liberate Tate Activists Look Back on Six Years of Fighting BP Sponsorship” rédigé par Benjamin Sutton le 4 avril 2016, “Most of the actions took the form of unsanctioned performances inside Tate Modern and Tate Britain, from a miniature oil spill at the institution’s summer gala (“License to Spill,” 2010) to attempting to gift the museum a 54-foot-long wind turbine blade (“The Gift,” 2012) and setting up a tattoo parlor in the galleries, where each performer was tattooed with the atmosphere’s carbon dioxide level the year she was born (“Birthmark,” 2015)”. Par la suite, les contestations ont eu raison des musées qui ont dû revoir leur code de déontologie en s’assurant en amont que leurs mécènes partagent les mêmes valeurs éthiques qu’eux, tout en conservant leur liberté et leurs distances, principalement en ce qui concerne le contenu des expositions et la programmation.

En septembre 2014, le collectif Occupy Museums a protesté devant le Metropolitan Museum of Art contre le nom attribué à un espace, renommé alors “David H. Koch Plaza”, du nom d’un des membres de son conseil d’administration qui avait fait un don important (de 65 millions de dollars) pour le rénover. Ce n’est pas le fait que la salle prenne le nom du mécène qui posait problème ici, relevant alors la question de contrepartie publicitaire pour l’industrie pétrolière. En effet, à quelques jours de la grande marche organisée à New York pour le climat, les activistes ont mis en avant les réflexions climatosceptiques de la société.

Comme le dit Lee Fang du Center for American Progress, “ils organisent même l’été des rassemblements d’enfants où le jeu consiste à se moquer de l’Agence de protection de l’environnement”. Finalement d’après ces réflexions, alors que les enjeux climatiques sont de plus en plus au coeur des problématiques sociétales, il semble délicat à présent pour les institutions culturelles de s’y associer.

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L’industrie du tabac face à la loi Santé

L’industrie du tabac fait elle aussi face à des contestations, accusée de chercher à devenir fréquentable et acceptable et d’acquérir une image responsable à travers le mécénat culturel. En finançant le Palais de Tokyo et le Louvre à Paris, Japan Tobacco International souhaiterait travailler son image. «L'objectif de l'industrie du tabac, c'est ce qu'on appelle le blanchiment moral. C'est d'avoir des contacts avec des décideurs écoutés par le monde politique» comme l’explique Yves Martinet, président du Comité National Contre le Tabagisme. Julie Narbey, directrice générale déléguée du Palais de Tokyo met “au défi quiconque dans la rue de savoir que JTI a un lien avec les cigarettes. On nous a accusé de publicité déguisé, c’est quand même assez difficile, on l’affiche dans le métro d’une expo avec le logo JTI en tout petit, nous accuser d’inciter les gens à fumer, c’est quand même assez délicat”.

Néanmoins, l’image et l’idée que ces sociétés de tabac renvoient sont négatives pour la société et aux yeux de l’Etat; ce qui a donné lieu à son interdiction par la loi santé : Sont interdites : “– Les opérations de parrainage ou de mécénat lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients visés au deuxième alinéa de l’article L. 3511-1 ; – Les opérations de parrainage ou de mécénat effectuées par les fabricants, les importateurs ou les distributeurs de produits du tabac”.

Cette question ne rend pas compte des mêmes enjeux en fonction des acteurs. Jean-Jacques Aillagon explique que toutes les entreprises sont légitimes à financer, tant que le mécénat ne constitue pas “une dilapidation du capital d’une entreprise ou une distraction de son résultat qui serait préjudiciable à l’entreprise”, il dit même avoir eu “beaucoup de satisfaction de voir de grandes entreprises françaises devenir des acteurs majeurs du mécénat, qu’il s’agisse d’Axa comme de Total”. Les bénéfices pour les institutions culturelles sont tels qu’il ne faut pas juger trop rapidement négativement un mécène, sous raison de son statut et de ce à quoi il renvoie.

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Les maisons d’alcool face à la loi Evin

La publicité, et de manière plus générale, la communication autour de l’alcool a été fortement réglementée en janvier 1991 avec la loi Evin. Le mécénat est toutefois autorisé pour les marques d’alcool, comme le dispose l’article L3323-6 de la loi : “Le ou les initiateurs d’une opération de mécénat peuvent faire connaître leur participation par la voie exclusive de mentions écrites dans les documents diffusés à l’occasion de cette opération ou libellées sur des supports disposés à titre commémoratif à l’occasion d’opérations d’enrichissement ou de restauration du patrimoine naturel ou culturel”.

Cependant, le texte peut paraître imprécis dans le sens des définitions. Les ‘mentions écrites’ ne sont pas définies posant alors la question de ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Il en est de même autour des “documents diffusés” ou des “supports disposés”. La loi étant vague, elle laisse “libre champ aux acteurs pour expérimenter au risque de voir leurs actions de mécénat requalifiées en publicité déguisée, risquant donc des amendes, la déduction fiscale étant remise en cause” comme l’exprime Pierre Joffre, un rédacteur d’articles sur le site mécénat-conseil.

Les alcooliers mettent dès lors des stratégies de mécénat car malgré les réglementations importantes qui les empêchent de tirer directement profit de leur don, ils profitent cependant des retombées médiatiques leur faisant bénéficier d’une publicité indirecte. Alors, la nature problématique de certaines entreprises qui se veulent mécènes pose aussi des questions de nature plus juridiques à propos des limites avec la légalité pour certaines sociétés comme les filiales d’alcool qui rentrent directement en conflit avec la loi Evin par exemple. Robert Fohr considère que cela ne pose pas de problème tant que les logos ou les marques d’alcool n’apparaissent pas. La question se pose différemment en ce qui concerne le mécénat de la maison Louis Roederer et cela est expliqué par le fait qu’il “y a une grande tradition de mécénat dans les maisons de champagne”. En effet, la fondation de la marque de champagne est mécène régulier des expositions du Grand Palais comme avec les expositions consacrées à Bill Viola et à Raymond Depardon.

On retrouve par ailleurs dans certains établissements culturels la présence de charte éthique. C’est le cas notamment du Grand Palais qui a comme mécène Total ou encore Airbus mais qui précise: “Notre doctrine c’est qu’on considère que toutes les entreprises qui ont des d’activités légales, qui sont implantées en France, sont susceptibles d’être mécènes, avec l’application pour l’alcool et les tabacs la Loi Evin”.

Cependant, Robert Fohr confirme que “le débat n’est pas terminé” et qu’il convient, d’après son propre avis personnel, d’accepter une relative souplesse “dans ce domaine à condition que la frontière entre le mécénat et le parrainage, entre activité commerciale et activité d’intérêt général soit très claire”. D’après lui, bien que la marque de l’alcool ne soit pas visible et remette alors en question dans sa logique l’action de mécénat qu’elle entreprend car il est “sain” que “les entreprises dégagent des bénéfices”, il serait hypocrite de pourtant afficher LVMH si Moet Hennessy a financé.

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JR : un artiste réticent

Les enjeux d’image sont importants pour les mécènes qui par leur geste de “libéralité” montrent un aspect nouveau de leur entreprise ou personne, une dimension philanthropique et un aspect de leur stratégie tourné vers l’intérêt général. Les retombées peuvent être positives certes, mais aussi négatives pour les institutions culturelles ou les artistes. C’est d’ailleurs pour ces raisons que le photographe JR a toujours refusé de s’associer à un mécène. Comme le confirme Thierry Consigny, directeur de Saltimbanque et en relation étroite avec Jean de Loisy, “A priori il (JR) ne veut pas avoir à faire à des mécènes, il n’est pas contre le mécénat dans son principe, mais il dit que, lui, son boulot, consiste à aller photographier des gens gratuitement dans le monde entier et ensuite à exploiter artistiquement ces photos et que donc ce serait une trahison de sa part vis à vis de ces gens, de ces femmes qu’il a photographié si tout d’un coup il vendait ça à l’Oréal, etc...”. Il s’autofinance pour “rester libre” comme il l’affirme lui-même dans Paris Match (article daté du 18 janvier 2011, “‘Women are heroes’ JR ce héros” rédigé par Aurélie Raya) “Je ne joue pas avec le marché de l’art. Je vends peu et selon mes besoins”. L’article faisait référence à un de ses projets artistiques, “Women are heroes”. Une fois que la chaîne de télévision France 3 s’était retirée du projet, il lui manquait près de 300 000 euros pour financer un de ses films. En retour, l’Oréal a proposé de compléter la somme afin de finaliser le film, ce qu’il a refusé au point d’abandonner son projet par honnêteté. Dès lors, que ce soit pour des raisons d’autonomie, de liberté, ou de création artistique, mais aussi par rapport à leur image, des artistes comme le photographe ou des institutions culturelles peuvent se retrouver réticentes à l’idée d’engager des accords financiers avec des mécènes.

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Conversation avec Robert Fohr

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La cour des comptes : quel contrôle ?

Le financement des institutions culturelles est suivi par la Cour des Comptes comme le confirme le site du gouvernement relatif à la communication et à la culture “Les organismes bénéficiaires de dons de personnes physiques ou morales doivent assurer, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’Etat, la publicité par tous moyens et la certification de leurs comptes annuels au-dessus d’un montant de dons de 153.000 euros par an. Cette disposition étend une obligation de tenue d’une comptabilité non seulement pour toutes les associations et fondations, mais aussi pour tout organisme public. La Cour des Comptes est désormais en charge de l’exercice des contrôles”. Cependant, ce système de contrôle est principalement mis en place pour surveiller si les organismes bénéficiaires disposent du statut juridique pour avoir le droit au mécénat et non pas pour vérifier d’où provient l’argent.

Yann Le Touher, chef du service Mécénat au RMN Grand palais explique qu’ils n’ont “pas de droit de regard sur les sources, toutes les entreprises françaises sont soumises à des contrôles et ce n’est pas à nous de les faire”.

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Un contrôle difficile à exercer

Alors, comme le confirme Robert Fohr, “il faut savoir où on met les pieds”. Par rapport à cette triste histoire, il explique que ce “genre de chose aurait nécessité un contrôle en amont. Quand on s’occupe du mécénat il faut lire la presse économique, savoir ce qu’il se passe dans les entreprises Il y a toujours des moyens de s’informer. Pour ce qui est des entreprises étrangères on a des réseaux avec des conseillers diplomatiques. Mais il faut penser à vérifier”. Il considère que “Les porteurs de projet se doivent de vérifier la provenance de l’argent, à la rigueur en liaison avec le ministère de la culture. Il faut. Enfin ces affaires sont rares: il y a l’affaire d’Ahae mais c’est très rare ce genre de dérapage”.

Néanmoins, aucun des acteurs que nous avons interrogés dans le cadre de notre enquête n’est en mesure de nous expliquer quelles sont les méthodes concrètes pour contrôler, probablement parce que le système reste très opaque et qu’il est difficile de refuser une somme d’argent importante quand il se trouve qu’elle peut sauver une institution ou une exposition comme nous le confirme Laurence Perillat quand elle était assistante de direction au Palais de Tokyo, “le problème, c’est que je me souviens qu’au palais de Tokyo on avait eu Total à un moment donné, c’est.. Comment refuser ? Comment refuser 200, 300 000 euros par an ? C’est vraiment difficile, c’est vraiment des questions extrêmement complexes, je ne sais pas. Je pense qu’à un moment on se posait pas la question”.

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L’argent sale du mécénat : le cas Ahae

Cette question a été rendue importante en juin 2014 avec le scandale autour de l’artiste Ahae impliqué dans le naufrage du ferry Sewol. Il rend compte du problème de la collusion entre le mécénat et les artistes en se demandant si ce photographe aurait pu accéder à des lieux prestigieux pour exposer s’il n’avait pas été mécène, comme le questionne Bernard Hasquenoph (créateur du blog Louvre pour tous) dans son oeuvre Ahae, mécène gangster : “la tenue d’expositions dans des lieux prestigieux n’aurait eu qu’un seul but : “gonfler” ou surestimer la valeur de ses photos – la plainte parle de « vernis de légitimité” – pour justifier leur vente entre les différents acteurs du trafic, afin d’exfiltrer l’argent, le dissimuler et échapper ainsi aux créanciers” (p. 287). Cette affaire a jeté le discrédit sur certaines pratiques de mécénat dans le milieu culturel et a conduit Henri Loyrette, ancien président du Louvre, à réduire ses responsabilités au sein de l’Admical.

Il relève ainsi la double identité de l’artiste, escroc et gourou d’une secte. Cet événement pousse à la réflexion au sujet du fonctionnement des milieux culturels. Alors qu’il a mécéné de nombreuses institutions comme le château de Versailles, le musée du Louvre ou la Philharmonie de Paris, il est raconté la provenance “sale” de cet argent. En 2013, il s’est autoproduit dans l’Orangerie, lieu rarement ouvert au public ou il débourse plus de 500 000 euros pour s’exposer aux Tuileries un an plus tôt en 2012. Il a en parallèle fait un don de 1,4 millions d’euros pour financer la récréation d’un bosquet inauguré prochainement.

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Où va l’argent des mécènes ?

Dans la même logique de raisonnement que celle par rapport à la provenance de l’argent, l’enquête nous a poussé à réfléchir à la destination des financements. Comme un de nos sondés nous l’a confié en off, il arrive que certaines expositions aient bénéficié d’une somme importante et que l’institution culturelle n’ait pas utilisé l’ensemble de l’enveloppe consacrée à l’origine pour ce projet en particulier. Ainsi, est-il possible de surveiller la destination des financements ? Qui doit s’en occuper ? Est-ce le rôle de l’Etat et de la Cour des comptes ou des entreprises ? Y trouvent-elles leur compte ? Guillaume Cerruti explique que ces questions ne se posent que rarement étant donné qu’il manque généralement de l’argent pour les expositions et que les entreprises participent en partie mais qu’il est rare qu’elles donnent la totalité de la somme nécessaire.

Cependant, cet aspect est notifié par la charte du mécénat qui stipule dans l’article 16 que “le partenaire fait preuve de transparence dans l’utilisation des fonds alloués”.

De plus, le mécène n’est pas seulement un don financier, il peut également faire des dons de compétences par exemple. Alors, Laurence Perrillat explique que “l’artiste a besoin de financement pour son projet, on lui donne son financement. Sauf que parfois il est bien embêté, en plus il ne sait pas trop gérer l’argent souvent. En plus il va devoir déclarer ça aux impôts etc, s’il s’est mal débrouillé ça peut faire du revenu, c’est parfois un peu compliqué. Nous on procède autrement (…) l’accompagnement il va être à la fois de mettre à disposition des savoir-faire, de mettre à disposition des moyens financiers certes, mais qu’on va gérer nous et lui mettre à disposition tout un suivi, une compétence etc...”. Donc il semblerait que c’est aux entreprises de garder un oeil sur leur projet.

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2008 : la crise du mécénat

La crise économique de 2008 en France a affecté le mécénat. En effet, il est difficile pour les institutions de trouver des mécènes ce qui explique leur difficulté à refuser l’argent. Pierre Alféri, un artiste français, explique que “tout le monde a peur qu'il n'y ait plus d'argent. Il n'y a plus d'argent public donc si on ne se met pas au garde-à-vous devant les carnets de chèques privés, on a l'impression que tout va s'en aller. Et le danger est réel, la culture n'est jamais par définition solide, c'est toujours la 5e roue de la charrette, dans l'économie. Les artistes eux-mêmes sont précaires. Le système fonctionne sur la peur”.

La question du mécénat en crise est palpable comme le montre l’article du Monde “Le mécénat d’entreprise rattrapé à son tour par la crise”, rédigé le 3 avril 2014 par Frédéric Cazenave qui renvoie aux chiffres rapportés par l’Admical, acteur central du mécénat d’entreprise car il “est utile, et fournit un travail important de recueil de données et de popularisation auprès des entreprises du mécénat” d’après Guillaume Cerutti, ancien directeur de cabinet de Jean-Jacques Aillagon. En deux ans, “la part de société de 20 salariés allouant un budget au mécénat est ainsi tombée de 3% à 21%”, “le montant total recule de 1,9 à 1,8 milliard d’euros”. De plus, le secteur du mécénat est selon G. Cerutti devenu “un secteur concurrentiel: la culture demeure mais elle est de plus en plus concurrencée, si on regarde les quatre, cinq dernières années les sommes affectées au mécénat culturel ont plutôt tendance à stagner. Globalement le mécénat, en période conjoncturelle un peu difficile, n’a pas augmenté. Au sein du mécénat des entreprises: la culture n’a pas été le secteur qui a été le plus dynamique ces dernières années.”

C’est notamment ce que rapporte la Cour des comptes dans on rapport publié le 30 mars 2011 : “Les dirigeants de l’ADMICAL interrogés par la Cour ont ainsi estimé que le mécénat culturel des entreprises s’était élevé tous secteurs confondus à 950 M€ en 2008, puis s’était brutalement contracté à 350 M€ environ en 2009, les grandes entreprises ayant non seulement modéré leurs engagements en matière de mécénat, mais de surcroît privilégié les causes humanitaires plutôt que culturelles”.

Julie Narbey, directrice générale déléguée du Palais de Tokyo explique que “ce qui est plus triste, c’est que les entreprises font de moins en moins de mécénat. Celles qui ont des fondations en font via elles et leur budget est en baisse. Les entreprises, même les plus grosses, n’ont plus les mêmes moyens pour le mécénat et c’est la part qui reste si on a fait des bons chiffres et varie en cours d’année ce qui ne nous arrange pas, on a besoin d’un montant certain, si possible pluriannuel pour pouvoir avoir des programmes d’activité pérennes. On peut comprendre mais c’est difficile. Peu d’entreprise s’engage sur plusieurs années ce qui est difficile. Le mécénat est effectivement la ressource la plus fragile (...) et plus compliquée à prévoir”.

D’autant plus que le Palais de Tokyo doit faire face par ailleurs à une double difficulté: d’abord le Palais ne s’inscrit pas dans une démarche patrimoniale, ce qui se traduit notamment par l’absence de collection selon Julie Narbey. Effectivement elle précise que “le mécène aime bien l’idée de laisser une trace dans le patrimoine. On ne peut pas jouer sur ce levier vu qu’on fait des expositions de trois mois et puis tout s’évapore. On fait plutôt raisonner l’émergence, le fait d’être un lieu qui inspire, la créativité, qui est audacieux… ça intéresse aussi les entreprises”. La deuxième difficulté rencontrée tient à la nature de leur programmation: “quand on cherche des financements deux ans à l’avance pour l’exposition de Monet ou Picasso, tout le monde voit ce que c’est. Nous c’est plus compliqué, l’artiste est peu connu des entreprises et lui même n’a aucune idée de ce à quoi ressemblera son expo, même six mois avant ! C’est un process de création lent et complexe, propre aux artistes”.

Dernier point, les subventions de l’Etat accordées aux établissements culturels diminuent, ce qui a un impact retentissant sur le financement de ces derniers qui doivent a contrario développer de plus en plus leurs ressources propres. Si l’on remarque une certaine privatisation du secteur culturel, Yann Le Touher modère cette tendance, “on n’ira jamais vers une privatisation totale de la culture, puisqu’en France la culture est étatique et c’est culturel depuis l’ancien régime, les arts sont soutenus par le pouvoir politique, que ce soit les rois ou maintenant la République, on a un ministère de la culture, ce qui est assez rare, il n’y en a pas aux USA par exemple. Donc a priori je pense que la culture sera toujours dans le domaine public”.

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Le contribuable, premier mécène

Malgré l’alerte grandissante au sujet du mécénat d’entreprise qui rend compte d’institutions culturelles de plus en plus sujettes à l’influence des entreprises car financées par les marques, il faut rappeler que le principal mécène reste le contribuable français et l’Etat. Thierry Consigny exprime le fait que “certains critiquent beaucoup le Palais de Tokyo la dessus par exemple, en fait le budget du ministère de la culture de tête c’est 7 milliards. Donc on parle de 500 millions versus 7 milliards pour le budget du ministère de la culture et encore il faudrait rajouter les activités locales… En fait le grand mécène français, dans la tradition de Louis XIV, ça reste le contribuable”. Pour suivre sa logique, l’Etat aide sous deux versants : à la fois à travers la défiscalisation du mécénat d’entreprise et aussi à travers l’enveloppe à hauteur de 7 milliards d’euros de budget alloué au ministère de la culture.

Finalement, il apporte le recul nécessaire à cette question en rappelant que “les mécènes viennent jouer un rôle un peu à la marge. C’est une marge très utile mais c’est à la marge. Si on veut avoir une réflexion un peu politique, démocratique sur le sujet, aujourd’hui, le mécène principal c’est la caissière de monoprix qui paye la TVA tous les jours en allant faire ses courses. Elle ne le sait pas mais c’est elle qui paye. Et c’est elle qui paye y compris pour les plus riches. Ce sont les plus riches qui vont dans des expos, ce sont les entreprises les plus riches qui bénéficient de la déduction fiscale puisqu’elles payent beaucoup d’impôts qui ont la possibilité de jouer le rôle de mécène, mais tout ça n’est possible à la base que parce que la caissière de monoprix paye sa TVA”.

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Thierry Consigny

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Des institutions culturelles innovantes

Ainsi, dans ce contexte de crise où comme le souligne G. Cerutti “les restrictions budgétaires sont de plus en plus fortes dans les établissements. L’argent qu’ils recevaient de l’état a tendance à se réduire. Il leur faut donc trouver des ressources pour financer leur programmation et leur fonctionnement” les établissements culturels doivent réagir.

La Cour des comptes dans ce même rapport du 30 mars 2011 rappelle que “Tous les grands musées se sont dotés de services spécialisés et ont recruté des personnels chargés de la recherche et de l’accompagnement des mécènes. Au Louvre, par exemple, 22 personnes sont affectées à cette activité”. Les musées cherchent alors à attirer les entreprises et à leur donner envie de devenir mécène. Comme nous le confirmait un acteur en ‘off’, elles sont obligées de faire le “show à l’américaine” afin de les attirer. Des groupes de mécènes se sont développés, du Tokyo Art Club au cercle des mécènes au Louvre. Pour les entreprises, les avantages sont multiples (visites privées, accès gratuits, invitations aux vernissages de toutes les expositions, etc...) et représente un tremplin marketing majeur car cela leur permet d'être plus visible et leur confère une certaine popularité auprès du grand public, attaché à la sauvegarde du patrimoine culturel.

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Le Tokyo Art Club Entreprises

Julie Narbey, directrice générale déléguée du Palais de Tokyo explique le rôle du Tokyo Art Club: “ce qui est intéressant est que c’est une clé d’entrée dans le mécénat pour les entreprises qui ne sont pas très grosses et qui ont envie de s’investir, d’avoir une démarche philanthropique ou d’être en partenariat avec un milieu culturel et ça intéresse aussi les grosses entreprises car ce sont des petits montants. On a donc des entreprises de taille très variées”. Grâce à de petits montants d’adhésion, n’importe quelle entreprise peut participer. Cela permet aux mécènes de se fidéliser comme elle le confirme “les cercles sont intéressants de ce point de vue là car ils fidélisent et comme ce n’est pas très cher et les gens réadhèrent. On mise donc dessus, en créant peut être des niveaux d’adhésion supérieurs”. Les entreprises membres ceux qui font partis du Cercle ont le droit à “inviter jusqu’à six personnes, il y a trois petits déjeuners et visites d’expos, et trois cocktails-conversations avec un artiste dans l’année. Lors de ces événements, l’entreprise peut donc inviter qui elle veut, ses clients, partenaires, salariés, etc...” d’après Julie Narbey.

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Le Cercle des mécènes du Louvre

Le Louvre a également mis en place un Cercle des Mécènes afin de dynamiser les actions de mécénat en faveur de l’établissement. Sur son site internet, le Louvre présente le Cercle comme suit: “Le Cercle des Mécènes du Louvre rassemble des hommes et des femmes qui souhaitent participer au rayonnement du musée, transmettre leur passion pour l’art en soutenant des actions patrimoniales et des projets pédagogiques et sociaux. En compagnie de ceux qui veillent sur les collections du musée, les membres découvrent le Louvre sous un jour différent et participent aux événements qui en font un lieu prestigieux, passionnant et vivant.” Il met également en avant les différents avantages dont bénéficient les membres de ce cercle, le premier étant le lien privilégié qu’ils entretiennent avec le musée. Les avantages énumérés sont principalement événementielles avec des visites privées, des avant-premières, des rencontres avec les artistes mais également des invitations à tous les vernissages et une reconnaissance nominative parmi les mécènes sur le rapport d’activité et le site internet du musée. Le Louvre précise le montant d’adhésion pour un an, élevé à 5 000€ mais il met surtout en avant la réduction fiscale qui ramène le montant à seulement 1 700€.

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Le Club Entreprise de RMN-Grand Palais

Yann Le Touher, chef du service Mécénat au RMN-Grand Palais est à l’origine de la création d’un Club Entreprises au Grand Palais. L’objectif ? “C’était justement d’avoir des ressources en dehors de la programmation, et que quand on a des expositions moins attractives on continue à avoir des mécènes, car du coup ils ne sont pas liés à des projets particuliers, mais ils sont liés au Grand Palais dans sa globalité pendant un an.” Les contreparties pour ces mécènes sont les mêmes que celles proposées au mécènes d’expositions: “des catalogues, des laissez-passer, des visites privés, de la visibilité.” N’étant pas liés à une exposition, “ils peuvent choisir sur l’ensemble de l’année les contreparties sur toute la programmation du Grand Palais. C’est l’idée d’avoir un peu une loge au Grand Palais, comme on peut avoir une loge au Stade de France, il peut y avoir un concert, un match de foot. Pour eux c’est pareil, ils ont un coup une exposition Monumenta, un truc de photo.” Environ une quinzaine d’entreprises sont présentes dans le club avec principalement des grandes entreprises comme la Société Générale, Engie, JCDecaux. Le Grand Palais contrairement au Palais de Tokyo ou au Louvre a décidé d’opter pour une offre haut de gamme avec un ticket d’entrée supérieur à celui proposé par le Palais de Tokyo.

Par ailleurs, Le RMN Grand Palais s’inscrit dans une démarche pro active de prospection. Yann Le Touher explique la multitude de projets qui doivent être financés qu’il s’agisse d’expositions, de projets pédagogiques, numériques, sociaux, en région ou à l’international. Il explique ainsi leur démarche et leur fonctionnement au sein du service Mécénat: “on a plein de type de projets et pour chaque projet on se réunit on fait des listes un petit peu… On se réunit et on travaille de façon un peu empirique tiens il y a Velasquez, on fait la liste de toutes les entreprises espagnoles, il y a une exposition sur la Corée... Il y a aussi des choses qu’on connaît on sait qui sont les mécènes de la photo quand on fait une exposition sur la photo. On sait les goûts de tels patrons en matière d’artistes américains du 20ème siècle par exemple… C’est comme ça, à la fois par les connaissances qu’on a des entreprises et des gens qu’on connaît et à la fois parce qu’on réfléchit et on se dit… Il y va y avoir des entreprises business dans un pays… L'éclectisme, la réputation, l’image.” Ainsi, la part de mécénat peut représenter jusqu’à 15% du budget d’une exposition.

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Le musée Picasso

Pour des musées plus petits comme le Musée Picasso, il est plus difficile de déployer les moyens nécessaires pour attirer les mécènes. Cela passe surtout selon Laurent Le Bon “par du relationnel si on connait les gens”. Il se distingue ainsi de plus grands établissements comme le Louvre “Nous on est quand même une toute petite maison, on n’est pas le Louvre avec tout un service mécénat. Eux sont armés pour ça. Nous on est beaucoup plus dans l’artisanat.” Néanmoins cet établissement admet qu’il “peut y avoir un moment plus important où on sensibilise (...) au cas par cas (...) on a toute une politique de développement commercial, ça fait partie du jeu”.

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Le mécéné

Qui peut être éligible au mécénat ? La loi pose des critères précis réglementant le statut des établissements éligibles: non seulement l’organisme doit être d’intérêt général, une notion centrale et pourtant floue, mais il doit également avoir un but non lucratif et ne pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes : des conditions qui sont cumulatives. Mais en pratique, non seulement certains établissements peuvent plus difficilement bénéficier du mécénat, mais certains acteurs dénoncent ce statut juridique comme étant discriminant. Il accentuerait les disparités entre les établissements puisque les entreprises mécènes se concentrent de fait sur les établissements culturels de grande envergure au détriment d’institutions moins connues.

Les critiques se cristallisent surtout autour des fondations d’entreprise et plus particulièrement autour de la Fondation Louis Vuitton qui a attiré les foudres de certains artistes ou intellectuels : le mécène finirait alors par se mécéner lui-même…

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L’intérêt général : une notion floue

La notion d’intérêt général qui se trouve au coeur du dispositif favorisant le mécénat est une notion floue et en débat qui se confond avec intérêt public, intérêt commun, utilité commune, utilité publique, volonté générale ou bien commun. En sciences politiques, il se définit comme la satisfaction de l’intérêt de la communauté des citoyens dans son ensemble. Plus généralement, il se définit comme «l’expression d’une volonté générale supérieure aux intérêts particuliers» selon Engels, et apparaît comme le fondement de l’action publique.

L'État n’apparaît plus comme le seul garant de l’intérêt général et de nouvelles organisations sont apparues : les O.N.G. et autres associations se posent ainsi désormais en défenseurs de l’intérêt public. Une délégation de certains biens et services à caractères d'intérêt général s’opère de l’Etat à des associations et structures de l'économie sociale. L’Etat propose ainsi le cadre institutionnel et transfert ses activités relevant de l’intérêt général de structures publiques à des entreprises privées en se réservant le rôle de régulateur.

Les pouvoirs publics, pour rendre leurs actions plus efficaces, encouragent la délégation de la prise en charge de l’intérêt général à des structures privées. L’utilité sociale recouvre ce qui n’est pris en compte ni par l’Etat, ni par le marché. Le principe d'utilité sociale est mobilisé par des organisations comme mode de légitimation.

L’intérêt général constitue alors le critère d’éligibilité majeur pour la mise en place du mécénat. L’article 238bis du Code Général des Impôts énumère les causes et organismes pour lesquelles les entreprises ont droit à une réduction d’impôt de “60% de leur montant les versements, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires”. Les bénéficiaires du mécénat doivent donc être des “oeuvres ou organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique…”. Le critère “à but non lucratif” complète la notion d’intérêt général. Un organisme bénéficiaire du mécénat ne doit “pas être dans la concurrence”.

Cependant, pour Stéphane Von Gastrow et Karine Pauzat, spécialisés dans le mécénat au Centre des Finances Publiques, les institutions culturelles constituent une exception à ce critère puisqu’elles fonctionnent dans un but lucratif. Le financement des institutions culturelles publiques provient pour un tiers des subventions publiques, pour un tiers des financements privés du mécénat et le dernier tiers provient de l’autofinancement et en particulier des revenus de la billetterie. Les bénéficiaires du mécénat doivent justifier de leur fonction d’intérêt général et fournir des reçus fiscaux aux entreprises mécènes. Cette clause a été rajoutée à la fin des années 2000. L’article E de l’article 238bis est ainsi centré autour de la création artistique à soutenir par les financements privés : “D’organismes publics ou privés, y compris des sociétés de capitaux dont les actionnaires sont l’Etat ou un ou plusieurs établissements publics nationaux (…) dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la présentation au public d’oeuvres (…) ou l’organisation d’expositions d’art contemporain, à la condition que ces versements soient affectés à cette activité.”

On constate ainsi que l’intérêt général est au centre des critères d’éligibilité au mécénat. Guillaume Cerutti évalue ainsi cette notion : “Historiquement en France on a toujours pensé que l’intérêt général s’incarnait dans l'Etat et dans la dépense publique donc chaque fois qu’on essaie de faire intervenir d’autres acteurs c’est comme si on remettait en cause ce pacte séculaire qui existe en France où c’est l’Etat qui incarne l'intérêt général.” L’intérêt général exclut ainsi les associations ne bénéficiant qu’à un cercle restreint de personnes. Stéphane Von Gastrow prend comme exemple les Associations d’anciens élèves qui ne peuvent bénéficier du mécénat car l’argent ne servirait qu’à eux-mêmes. La notion d’intérêt général, bien que centrale, est souvent remise en cause par les acteurs du mécénat. En effet, il semble parfois difficile de distinguer la place de l’intérêt général derrière les actions de mécénat.

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Un statut juridique discriminant

Le statut juridique du mécénat est considéré comme posant problème car il serait à l’origine de discriminations au sein des institutions culturelles. Françoise Benhamou, spécialiste de l’économie des médias et de la culture, professeur à l’université Paris XIII souligne les inégalités créées par la politique culturelle. Le mécénat, au coeur des relations entre le public et le privé, est indispensable comme ressource complémentaire à la politique culturelle insuffisante pour garantir des programmations de qualité selon elle. Mais elle souligne que le coût représenté par le mécénat pour la collectivité est très important. Elle écrit ainsi : “particulièrement recherché en période de restriction budgétaire, le mécénat constitue pour une large part une subvention déguisée, puisque compensée à plus des deux tiers par la puissance publique ; son affectation n'est pas décidé par les administrations ou les instances culturelles et politiques, mais par des agents privés. Il ne saurait donc être pensé comme un substitut à l'argent public, mais comme une forme complémentaire de l'effort collectif dont le déclenchement échappe aux décideurs publics”.

De plus, le mécénat, pour l’économiste, se concentre sur les institutions culturelles les plus prestigieuses et renommées comme le RMN Grand Palais ou le Palais de Tokyo et délaissent les organisations moins mises en lumière comme le théâtre de Gennevilliers. Dans Politique culturelle, fin de partie ou début de saison ? Françoise Benhamou écrit : “Le mécénat accentue les inégalités entre établissements. Ses sirènes chantent plus aisément du côté des institutions les plus prestigieuses : la Scala de Milan ou le Théâtre de la monnaie de Bruxelles parviennent à tirer leur épingle du jeu, et si Vivendi fait faux bond au festival d'Aix pour l'édition 2015, Altarea Cogedim prend le relais”. En effet, les entreprises mécènes recherchent souvent de la visibilité et concentrent donc leurs soutiens financiers aux institutions qui en ont, selon elle, le moins besoin.

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Qu’est-ce qu’une fondation ?

La notion de “fondation d’entreprise” est définie par la loi no 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat relative aux fondations, loi modifiée par la loi du 4 juillet 1990 créant les fondations d'entreprise. D’après la loi, une fondation d’entreprise se définit autour du critère de l’intérêt général. En effet elle précise qu’elle doit être créée en vue “de la réalisation d’une œuvre d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel, à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises”. La fondation d’entreprise apparaît ainsi comme une forme particulière de mécénat. Plus qu’un engagement de la part des dirigeants de l’entreprise, une fondation, qui porte souvent le nom de l’entreprise qui la crée, est un vecteur de communication.

Les fondations d’entreprise répondent à des statuts juridiques définis dans la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat modifiée en 1990. Une fondation est administrée par un conseil d’administration. Deux tiers des membres du comité représentent les fondateurs et le personnel de l’institution. Le dernier tiers des membres est constitué de personnes qualifiées dans les domaines d’intervention de la fondation d’entreprise. Les membres du conseil d’administration exercent leur fonction à titre gratuit. Le conseil d’administration est habilité à prendre toute décision dans l’intérêt de la fondation d’entreprise et en particulier à décider des actions en justice, à voter le budget, à approuver les comptes et à décider des emprunts. Le fondateur (aucun des fondateurs) ne peut se retirer de la fondation d’entreprise s’il n’a pas payé intégralement les sommes qu’il s’était engagé à verser. La fondation d’entreprise adresse chaque année au préfet du département, au plus tard le 30 juin, l’exercice suivant :

  • un rapport d’activité
  • les comptes annuels
  • le rapport du commissaire aux comptes

Le préfet du département où se trouve la fondation est garant de la régularité du fonctionnement de la fondation d’entreprise. Ce statut juridique particulier distingue les fondations d’entreprise des fonds de dotation. En effet, à la différence des fondations reconnues d’utilité publique et créées par décret après que le Conseil d’Etat ait donné son avis, les fonds de dotation sont créés par une simple déclaration en préfecture. Il n’est pas nécessaire d’avoir une autorisation préalable d’une quelconque autorité.

Une fondation est définie comment étant une personne morale. Ainsi, Robert Fohr affirme : “Il s’agit d’une personne morale distincte de l’entreprise, d’une émanation de l’entreprise”. Si fondation et entreprise sont liées, il est ainsi nécessaire de les distinguer.

Pour être une fondation d’entreprise, le critère primordial est également celui de “l’intérêt général”. Dans le cadre du mécénat culturel, l’intérêt général représente souvent et pour plusieurs acteurs le soutien de la création contemporaine. Ainsi Laurence Perrillat, administratrice de la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette, explique que la fondation qui ouvre en 2017 est créée pour “valoriser les missions de mécénat qui existaient déjà, pour aller un peu plus loin.” Ces missions de mécénat sont centrées autour de la création contemporaine. “Notre idée c’est de pouvoir permettre aux artistes de pouvoir produire de nouveaux projets, de prendre des risques et surtout de faire apparaître des choses qui n’existaient pas. Les missions d’intérêt général de la Fondation d’entreprise sont de soutenir la création contemporaine à travers notamment la production.” dit-elle. Guillaume Cerutti, président de Christie’s affirme également le lien entre une volonté désintéressée des entreprises et la création de fondations : “On a des entreprises qui, à un moment, se sont dit : je vais créer une fondation d’entreprise parce que je vais investir le champ de la culture de l’humanitaire etc. donc il y a quand même une volonté de générosité ou de libéralité, la volonté pour l’entreprise de jouer un rôle citoyen, d’intervenir sur des thématiques qui ne sont pas intimement liées à son objet social ou financier.” L’intérêt général est souvent remis en cause par l’opinion publique qui voit dans cette démarche une stratégie de la part de l’entreprise. Robert Fohr s’exprime à ce sujet : “On peut sous un certain angle dire que c’est un outil de communication pour les entreprises mais je ne suis pas sure que les grandes fondations d’entreprises fassent gonfler le chiffre d’affaire de ces entreprises”.

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Les relations aux entreprises mères

Si une fondation doit servir “l’intérêt général” et non ses propres intérêts personnels, les actions de la fondation créent une image positive de l’entreprise dans l’imaginaire collectif. Thierry Consigny, directeur de l’agence Saltimbanques qui met en relation des artistes et des marques et crée des rapports de mécénat, évoque un “haut intéressement” des entreprises mécènes. Il signifie par là que l’acte de mécénat renvoie à l’image de la marque et non à un intéressement purement fiscal. Il affirme : “Je fais confiance au public pour faire le lien entre la noblesse de cette action, l’intérêt, la créativité et la modernité que ça véhicule et la marque.” Dès lors, le nom est le lien entre la fondation et l’entreprise. Si aucune des institutions ne communique sur les actions de l’autre, le public fait le lien et cela véhicule une image positive de la marque. La question de l’intérêt général est donc paradoxale puisque tout en effectuant un acte désintéressé, les entreprises valorisent leur image. Thierry Consigny évoque la fondation Cartier. Si Alain-Dominique Perrin en créant la fondation a affirmé la frontière et la dissociation entre les deux institutions, il a fait en sorte que le public fasse le lien. En effet, la fondation est crédible dans la mesure où aucun artiste exposé ne recevra de commande pour travailler pour la marque Cartier. La fondation Cartier s’écrivait sans le logo Cartier et ils se sont rendus compte que le public ne faisait plus le lien. C’est pourquoi ils ont remis le logo de la marque à la fondation. Robert Fohr prend aussi l’exemple de la fondation Cartier pour démontrer la distinction entre les deux entités : “est-ce que vous pensez à Cartier International quand vous allez visiter la fondation? C’est un opérateur culturel, privé sur Paris qui fait un travail remarquable depuis 30 ans. Quand vous allez à Venise ou à Milan dans les fondations Prada franchement il y a pas de boutiques qui vous vendent des sacs Prada et il y a des expositions exceptionnelles, des plus belles au monde dignes des plus grands musées.”

Laurence Perrillat, administratrice de la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette, explique “Nous, on a vue des cohortes d’avocats quand on a mis en place la fondation, tout ce qu’ils nous disaient de pas faire, on l’a vu faire par d’autres fondations mais c’est pas pour ça qu’on va le faire non plus, c’est trop risqué, ça nuit à l’image de la fondation que de trop mettre en avant la marque de l’entreprise. Quand elle porte son nom c’est déjà énorme, de là à mettre des logos, non moi je pense que c’est très dangereux comme… Sinon c’est un outil marketing » Une fondation peut ainsi glisser vers l’outil marketing et perdre son caractère d’intérêt général. Les frontières peuvent être floues entre les deux institutions. Par exemple « le président de la fondation Hermès c’est un dirigeant d’Hermès. C’est le directeur artistique qu’est Pierre-Alexis Dumas. » selon Laurent Le Bon. “Il a un peu les deux casquettes. Pierre-Alexis Dumas, bien sur qu’il le fait avec la connaissance d’Hermès mais il le fait avec la fondation comme soutien à des projets et pas dans la logique de directeur artistique d’Hermès”, précise-t-il. Interrogés sur ce sujet, Karine Pauzat et Stephane Von Gastrow du Centre des Finances Publiques affirment que le critère principal pour une fondation est la notion de bénévolat. Ainsi, selon eux, si Pierre-Alexis Dumas assume ses fonctions à la tête de la Fondation Hermès à titre gratuit cela ne pose pas de problème.

Dès lors, la frontière et l’indépendance entre la fondation et l’entreprise n’empêchent pas l’assimilation entre les deux et le rayonnement de l’un sur l’autre.

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Conversation avec Pierre Alféri

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La Fondation Louis Vuitton : symbole des dérives ?

Les fondations d’entreprise sont multiples en France. Mais elles se distinguent par leur respect des limites posées par la loi de 1990. On peut notamment opposer la fondation Louis Vuitton à la fondation Cartier, ou la fondation Louis Vuitton à la fondation des Galeries Lafayette. La Fondation d’entreprise Louis Vuitton est lancée en 2006 pour pérenniser les actions de mécénat engagées par le groupe. Selon l’avis de certains acteurs du mécénat, comme Thierry Consigny ou d’artistes comme Thierry Briault, elle transgresse les limites posées par le mécénat. L’inauguration du bâtiment situé au jardin d’acclimatation dans le bois de Boulogne a eu lieu le 27 octobre 2014. Animée par une mission d’intérêt général, la Fondation Louis Vuitton affiche un engagement affirmé en faveur de l’art contemporain et souhaite le rendre accessible au plus grand nombre. La notion d’intérêt général semble remise en question dans cette fondation puisque le bâtiment semble être un édifice à la gloire de la marque.

De nombreux articles ont accompagné son inauguration dénonçant son lien avec son entreprise-mère. Jean-Michel Tobelem, professeur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dans un article du Monde dénonce la fondation qu’il qualifie de “mécénat d’entreprise sans la générosité”. Ce titre s’apparente à un oxymore puisque le mécénat par définition renvoie à un acte de générosité. Pour l’auteur, la fondation est l’emblème des dérives du mécénat qui utilise le mécénat pour mettre en place de “gigantesques actions de communication” en plus de la forte défiscalisation. Jean-Michel Tobelem s’attaque même à la personne de Bernard Arnault qui, selon lui, profiterait de cette vitrine pour redorer son image : “Bernard Arnault, qualifié par certains de prédateur sans scrupule, assoiffé de richesses et tenté par l’exil fiscal en Belgique, devient par la magie du mécénat un protecteur admiré et désintéressé des arts et de la culture”. Le mécénat de LVMH incarné dans l’imposante Fondation Louis Vuitton serait donc selon l’auteur aux antipodes des valeurs du mécénat. Il oppose également aux mécènes anglosaxons “qui mettent au moins en cohérence un discours fondé sur la notion de générosité avec l’ouverture gratuite au public de leurs collections” ce qui n’est pas le cas de la Fondation dont l’entrée coûte 14 euros… Il est par ailleurs intéressant de rappeler que cet article a été supprimé du site internet du Monde pendant six heures avant d’être publié à nouveau…

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Une fondation controversée

Les opinions des différentes parties prenantes se cristallisent autour du monument et de la fondation. Loïc Bégard chargé de mécénat chez LVMH justifie ainsi la fondation : “Pourquoi avoir créé une Fondation ? Alors je crois que cela répondait à un souhait très profond et personnel de Bernard Arnauld d'offrir après je dirais 20 ans de tradition de mécénat dans le groupe, au public français et international, un lieu pérenne à partir duquel se déploierait cet engagement philanthropique qu'est l'engagement global de LVMH dans le monde culturel et artistique. Il avait à cœur qu'un jour LVMH ait un lieu pour présenter des projets artistiques, des expositions. Que LVMH devienne un acteur culturel à part entière, ce que nous sommes devenus au fil des années en tant que mécène, ce qui a été reconnu officiellement puisque LVMH fait partie du cercle restreint des grands mécènes de la Nation”.

Pierre Alféri va dans le sens de Jean-Michel Tobelem, pour qui la fondation représente le symbole des dérives liées au mécénat, en évoquant la stratégie fiscale du dirigeant de LVMH : “C'est une des choses les plus choquantes avec cette fondation. François Hollande l'a inaugurée comme si c'était un monument national alors que c'est fait avec de l'argent qui est le résultat d'évasions fiscales dans les paradis fiscaux de quelqu'un qui six mois avant proposait de changer de nationalité parce qu'il voulait échapper à l'impôt français”.

S’il est dénoncé par les artistes et certains intellectuels, d’autres acteurs du milieu le louent à l’image de Guillaume Cerutti : “On est très heureux d’avoir un musée privé construit à cet endroit qui a amené un peu de lumière sur la vie culturelle en France”. Laurent Le Bon pense également que la Fondation Louis Vuitton renforce le capital culturel de Paris et que, par ce biais, elle profite à tous : “Comme je vous le disais tout à l’heure on est dans un moment de crise dans notre pays, tout le monde se pose des questions, il y a plusieurs manières de voir les choses, je suis peut être un peu bisounours mais plus il y a d’initiatives plus on s’en réjouit”. La Fondation s’inscrit alors dans un parcours touristique et accroît l’attractivité de Paris : “Par exemple vous, je ne sais pas comment vous organisez vos loisirs culturels mais imaginez vous êtes à Londres, à Bruxelles, vous avez un peu d’argent vous dites : tiens qu’est-ce que je vais faire ce week-end ? Vous allez faire un arbitrage : tiens il y a la Fondation Louis Vuitton, il y a une grande expo au Grand Palais, le musée Picasso c’est sympa, tiens j’y vais ! Si au contraire, il y a juste un truc vous êtes peut être un peu moins partante”. La Fondation Louis Vuitton déclenche donc les passagesions et les opinions antagonistes entre apport à la vie culturelle française et stratégie de communication de la part de Bernard Arnault.

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Le mécénable

Qu’est-ce qui est mécénable ? Du sponsoring au partenariat, en passant par la collaboration, sur quoi porte le mécénat ? Les nuances semblent claires juridiquement mais concrètement, la situation apparaît plus complexe. De nombreuses maisons de luxe louent de plus en plus d’espaces afin d’y exposer leurs produits. Si ce nouveau type d’exposition s’apparente à de la location pour la Cour des comptes, la distinction n’est pas aussi évidente dans l’esprit des visiteurs. Ces expositions sont surtout critiquées parce qu’elles permettent de développer de nouvelles formes de publicité. C’est à travers l’exposition de Louis Vuitton au Grand Palais que se cristallise le débat à ce sujet.

L’implication des entreprises dans la programmation des musées est une question qui mérite d’être posée. Si certains revendiquent l’absence totale d’implication, d’influence et la neutralité des entreprises, d’autres dénoncent une implication parfois trop importante. Dans les faits, le mécénat constitue de plus en plus un travail accompli main dans la main avec l’artiste, toujours maître de sa réalisation.

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Un nouveau genre d’exposition

La frontière est floue entre les expositions officielles et les locations d’espaces par des entreprises pour que ces dernières organisent leurs propres expositions, en leur nom. Comme l’affirme Bernard Hasquenoph en 2013 via le blog Louvrepourtous, “un nouveau genre d’expositions s’est installé dans les musées, entre événement culturel et opération publicitaire”. Les entreprises cherchent à travers l’art à redorer leur image. Elles mettent en scène leur marque et leurs produits dans un espace dédié à la culture d’ordinaire participant donc à leur stratégie de communication.

Bien que cela ne soit pas du mécénat dans le sens où l’entreprise loue l’espace et l’achète directement à l’institution culturelle et que la situation semble claire au niveau juridique, l’auteur de l’article pense que la différence n’est pas évidente dans l’esprit des visiteurs. Ils apporteront alors de la légitimité à l’entreprise qui expose, ne pensant pas que c’est un acte commercial mais considérant qu’elle a été choisie pour son lien étroit avec l’art. L’opération publicitaire devrait clairement être définie et expliquée pour éviter toute confusion.

L’auteur explique que “c’est même une tendance dans les musées, y compris publics, de plus en plus poussés à rechercher des financements privés et, pour augmenter leurs recettes, à créer des événements susceptibles d’attirer l’attention et le public. Une exposition centrée sur une marque déjà fortement médiatisée a de fortes chances d’y parvenir, avec la garantie que son inauguration peuplée de stars (payées ?) et de people aura un large écho”. Etant une situation coutumière, elle ne fait pas débat alors qu’elle rentre en contradiction avec les règles déontologiques dictées par le Conseil international des musées (ICOM) qui stipule que ces derniers doivent conserver leur neutralité pour n’importe quel sujet, autant sur le contenu qu’ils contrôlent que sur l’intégrité de leurs programmes et expositions. Or, aucune réglementation ne détermine cette pratique donc aucun contrôle par rapport aux possibles dérives n’est prévu et organisé.

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L’art et le luxe

Toujours à la recherche d’une certaine perfection et d’intemporalité, l’univers du luxe est à la recherche de stratégie publicitaire à travers les musées. L’objectif est alors de dépasser le monde de l’artisanat pour atteindre celui de l’art. Comme l’affirmait Francesco Trapani d’ailleurs, directeur général du Groupe Bulgari en ce qui concerne l’exposition de sa maison de joaillerie en 2010 au Grand Palais “Ce sera pour Bulgari l’occasion d’accroître sa notoriété sur le marché français, marché stratégique pour le secteur du luxe”.

La frontière entre exposition publicitaire et exposition artistique est floue avec l’exposition de Louis Vuitton au Grand Palais par exemple en 2015 Volez, Voguez, Voyagez - Louis Vuitton. D’après un communiqué de presse à ce propos, Michael Burke, PDG de Louis Vuitton considère cette exposition comme étant un acte de découverte de la marque en tant que marque-artiste car “Louis Vuitton s’est toujours situé au sommet de la création. Si, plus d’un siècle plus tard, la Maison reste à la tête de la mode, cela est grâce à la mise en valeur de notre héritage tout en continuant à anticiper les tendances à venir. Pour cette exposition, Olivier Saillard s’est plongé dans les archives de notre Maison afin d’en déchiffrer les secrets. Il amène une vision nouvelle de notre passé, présent et futur”.

Alors, les natures des expositions peuvent être problématiques, s’apparentant à de la création alors que c’est du placement de produit. Thierry Briault, un artiste, énonce à travers le terme “dadocapitalisme” la destruction de la création au profit des questions financières qui prennent emprises sur l’art. La prise de risque est inhérente à l’innovation mais ne répond pas à des logiques commerciales. Par exemple, comme cela a été rappelé par Laurent Le Bon, Président du musée Picasso à Paris, “il y a Daniel Buren qui a fait des carrés Hermès, des choses comme ça”. Cependant, cela pose la question comme Thierry Briault le rappelle, de s’il “faut mettre des chaussures sur le même plan que Shakespeare, c’était la question des années 80 et qui s’est développée…”

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Louis Vuitton au Grand Palais, “l’exposition qui fait malle”

Louis Vuitton est pris dans une tourmente médiatique. Au-delà des critiques sur la fondation en elle-même, le Canard Enchaîné dans un article paru fin décembre 2015 critique également l’implication de la marque dans d’autres institutions culturelles que la sienne. L’article intitulé “Une expo qui fait malle” dénonce le fait que Louis Vuitton mécène une exposition au Grand Palais sur… ses propres produits. “Le mécène finit par se mécéner lui-même, au risque de dévorer l’institution muséale…”. Le thème de “mécénat” pour cette exposition est problématique puisque celui-ci est censé soutenir des oeuvres extérieures à sa marque.

Jean-Paul Cluzel le directeur du Grand Palais distingue les expositions comme “Picasso-mania” produites par la RMN et éventuellement soutenues par le mécénat et la location d’espaces pour accueillir des événements comme c’est le cas pour l’exposition des malles Louis Vuitton.

Mais si la distinction est claire pour les professionnels du milieu elle l’est beaucoup moins pour les médias et le public. Ainsi Paris Match titre “Le Grand Palais rend hommage au génial malletier dont les bagages ont conquis le monde”, “Correction”, ironise Le Canard Enchaîné, “Vuitton squatte le Grand Palais pour s’honorer lui-même”. Dès lors, la marque de luxe adopte une posture ambiguë dans sa relation à l’institution culturelle publique.

Guillaume Cerutti, ancien directeur de cabinet de Jean-Jacques Aillagon, initiateur entre autres de la loi de 2003, considère que ce n’est pas du mécénat mais il qualifie cette action de “démarche commerciale”. Il se demande si “le fait d’avoir dans le même espace une exposition publique financée par la RMN et à côté un espace loué à une entreprise: est-ce que ça ça peut créer une confusion dans l’esprit du public ? Le Grand Palais ou le musée des arts décoratifs a programmé une exposition Louis Vuitton, c’est donc que cette marque fait partie du patrimoine: en réalité l’entreprise a payé l’exposition. Ce n’est pas du mécénat: on est dans un autre domaine qui est de l’acquisition commerciale d’un espace et c’est la responsabilité du président ou du directeur de l’établissement culturel de vérifier que les lignes ne sont pas franchies et que la confusion ne peut pas exister dans l’esprit du public. Ça veut dire qu’il y a un équilibre de programmation, qu’il y a un nombre de fois où vous pouvez le faire qui doit être régulé et une question d’information du public, de la façon dont s’est présenté qui doit être respectée”.

La maison de haute couture explique sa présence grâce à ses créations, uniques, qui s’apparentent à de l’art. Or, Pierre Alféri dénonce cette vision, en expliquant qu’“à la limite si Hermès nous propose à plasticien de faire de la broderie, de la teinture sur tissus, alors ce sont presque des artisans d'art et cela a un sens. Mais Vuitton c'est pas du tout ça, Vuitton il n'y a aucun savoir-faire. Les sacs c'est dégueulasse, c'est moche c'est fait n'importe comment en Chine, c'est de la pure image. (...) On est dans la mythologie, dans la propagande, il n'y a pas d'artisanat, pas de de savoir-faire, juste des mouvements de capitaux”.

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Des soupçons de copinage

En 2008, Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture, à l’initiative de la loi favorable au mécénat des entreprises de 2003, alors président du Château de Versailles y organise la première rétrospective consacrée en France à Jeff Koons. L'Humanité rappelle dans l’article “Aillagon remplacé par Catherine Pégard à la direction du château de Versailles” en août 2011, les liens d'amitié entre Jean-Jacques Aillagon et François-Henri Pinault, son ancien employeur. François-Henri Pinault prête pour l’occasion six œuvres de Jeff Koons en sa possession et en revend trois par la suite, “pour plusieurs millions de dollars” grâce à l'augmentation de la côte de l'artiste à la suite de l’exposition à Versailles, chez Christie’s, qui appartient à la holding Artemis qu’il préside. Jean-Jacques Aillagon a remis la légion d’honneur à Jeff Koons dans la salle de vente au même moment. Le même schéma s’était reproduit peu après, avec l’exposition Murakami à Versailles et ce même François Pinault, pour qui l’ancien ministre travaille dès lors en tant que conseiller.

Laurent Le Bon, à l’origine de cette exposition et commissaire de cette dernière considère que l’on peut dire “c’est un scandale d’avoir exposé un artiste contemporain à Versailles” mais pour lui le fait “que plusieurs personnes, dont un grand collectionneur français aient souhaité soutenir ce projet : c’est tant mieux ! C’est la vie d’un projet”. De manière plus générale, il explique que l’“on appartient à une génération où on pense qu’il n’y a pas d’un côté la pureté, la virginité du secteur public et de l’autre l’enfer, le diable du secteur privé. C’est beaucoup plus complexe que ça donc c’est important de dialoguer ensemble”.

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Un lien entreprise - art trop étroit ?

Le mécénat d’entreprises engendre des questions à propos d’une implication trop importante de ces dernières dans la programmation ou dans la dénaturation de la création, à présent comme le considère Thierry Briault à travers l’utilisation du néologisme “dadaocapitalisme”.

Laurence Périllat, considère qu’il n’est pas indécent de penser à “un mécène un peu trop ingérant, qui veut rentrer trop dans le choix curatorial, s’imposer dans les décisions” et elle fait part d’un sujet qui renvoie à cette problématique, “c’était de voir des programmes, des programmes dans les institutions qui étaient renommés au nom des mécènes, un peu à l’américaine quoi. Bon quand le pavillon du Palais de Tokyo est devenu le pavillon Neuflize moi ça m’a un petit peu gêné quoi, je suis très mal à l’aise avec ça.”

Julie Narbey, directrice générale déléguée du Palais de Tokyo rappelle qu’il existe trois sortes de liens entre les entreprises et les institutions culturelles. “Pour ces collaborations, soit ce sont des locations d’espace, soit ce sont des partenariats et là on est beaucoup plus dans une logique de partenariat avec des collaborations qui sont soit du mécénat général où la somme versée n’est pas fléchée sur telle ou telle objet et il a le droit à des contreparties d’espaces et de visibilité dans la limite des règles de la loi mécénat ; soit ce sont des mécénats plus fléchés comme ça a été le cas avec Céline qui avait signé pour l’exposition John Giorno”.

Florence Evin, journaliste au Monde, retrace le partenariat artistique qui s’est noué entre Hermès et le Palais de Tokyo. Elle considère que les musées sont fragilisés par le mécénat. Critique, elle dénonce la posture de Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo : “Il est le seul à accepter que des entreprises privées tiennent une place importante dans ce centre d'art public, allant à jusqu'à faire participer des mécènes au choix des expositions et de la programmation”.

Par ailleurs, il est possible de constater que des représentants de grandes entreprises siègent dans les conseils d’administration des plus grands musée : c’est le cas notamment de la présidente de Coca-Cola Europe au Musée d’Orsay, ou de Maryvonne Pinault au Château de Versailles, les dirigeants de Total, Axa et LVMH au conseil d’administration du Musée du Quai Branly. Autant d’implications qui traduisent pour ceux qui les dénoncent les mondanités, les copinages et les remerciements pour services rendus qui semblent régir aujourd’hui le monde de l’art.

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Une collaboration entre l’artiste et l’entreprise

Sans aller aussi loin dans la dénonciation que ce qu’a révélé les lanceurs d’alerte telle que cette journaliste du Monde, Julie Narbey explique qu’il “arrive qu’il y ait des implications de l’entreprise dans le travail de l’artiste. J’ai un exemple qui n’a pas abouti mais on avait un artiste qui voulait travailler sur la réalité augmentée et il a travaillé à l’époque avec Orange qui s’intéressait à cette technique et a mis à la disposition de l’artiste ses instituts de recherche pour dialoguer, rechercher, d’avancer avec ces ingénieurs. L’artiste a des idées qui vont au delà de ce qui existe donc ça permet d’obtenir de belles collaborations. L’artiste pousse l’ingénieur à se poser des questions et d’aller au delà de ce qu’il avait imaginé”.

Ainsi, c’est une collaboration main dans la main, qui n’implique pas l’intrusion de l’un dans le travail de l’autre au point d’étouffer et d’influencer. Laurent Le Bon rappelle aussi le travail produit à Metz où il a “fait un des plus gros mécénat de France avec la fondation Hermès, pour une exposition qui s’appelait “Formes simples”, au-delà du mécénat on était vraiment dans un accord de co-production. J’avais veillé à les associer à toutes les réunions, à tout”.

Pour revenir à l’origine du mécénat, Thierry Consigny rend compte d’un rappel historique en expliquant que “les grands mécènes c’est un peu comme les grands producteurs, les grands éditeurs, ils peuvent avoir un influence très positive sur un artiste. Louis XIV était un mécène extraordinaire. Le brief de Versailles c’est “Je veux de l’enfance répandue partout”. C’est une influence de mécène sur un artiste magnifique. Il a certainement influencé et Le Nôtre et Molière… Ça ne me parait pas du tout impensable. On dit toujours “Il faut respecter la liberté de l’artiste…” Oui bien sur, mais de toutes façons un vrai artiste est libre par définition. S’il ne veut pas écouter ce qu’on lui dit, il ne l‘écoute pas. En revanche un mécène éclairé, un mécène cultivé, un mécène lui même un peu artiste sur les bords, il peut très bien contribuer à nourrir l’artiste d’idées, d’inspirations”. La collaboration peut alors être perçue comme un acte positif.

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L’intérêt purement financier de l’entreprise pour l’art

L’immiscion des entreprises dans la programmation ou les choix artistiques est critiquée par Anne Gombault (directrice de la Chaire Arts, Culture & Management en Europe. BEM-Bordeaux Management School) qui pense que l’entreprise a tout intérêt à rester extérieure aux choix artistiques de l’institution culturelle, dont l'indépendance donnerait toute sa valeur au mécénat.

Catherine Ferrand, Déléguée Générale à la Fondation d’entreprise Total suit aussi cette ligne car pour elle le mécénat d’entreprise doit “raccrocher la charrue aux étoiles”. En effet, la fondation de la compagnie pétrolière ne bénéficie pas d’assez de recul et d’expérience artistique pour s’interposer dans les décisions liées aux expositions mécénées. La question est donc de savoir dans quelle mesure l’implication des entreprises dans les choix artistiques constitue un risque pour les institutions culturelles car c’est à la fois un moyen de revaloriser le mécénat et un obstacle à l’indépendance des musées.

Yann Le Touher, chef du service mécénat de la RMN-Grand Palais considère que “comme on est des établissement publics et qu’on a des missions de services publics on n’est pas soumis uniquement à la volonté du public ou des mécènes et au contraire, les mécènes n’ont aucune prise sur la programmation de nos établissements”. D’après lui, le mécène tient une place importante car il permet la faisabilité du projet mais son implication s’en tient à cette seule mission. Il rappelle qu’il “n’y a jamais eu de conflit où les artistes auraient voulus être très présents, quand ils auraient voulu être très présents, on met les barrières qui faut parce qu’on leur explique, ce dont ils ont pas conscience, une présence trop forte, ou pas intelligente va se retourner contre eux, c’est à dire que le public, la presse surtout”.

D’après Guillaume Cerutti, le mécénat n’est qu’une “ressource additionnelle. Il y a une volonté des établissements culturels de maîtriser leur programmation et de ne pas tomber dans ce piège qui ferait que telle ou telle entreprise devient prescriptrice dans la programmation. Peut être qu’un jour la question se posera : à Londres National Gallery, elle a réalisé une extension avec une nouvelle aile financée par les propriétaires de Sainsburry. Elle s’appelle l’aile Sainsburry. C’est comme si demain, la rénovation du grand palais s’appelait la salle ou l’espace Dassault. (…) Il y a une volonté des programmateurs culturels de maîtriser les choses par culture et c’est une bonne chose. On joue avec les limites de ce qui est admissible. et pour l’instant les limites ont pas été dépassées à mon sens”.

Finalement, Laurent Le Bon, président du musée Picasso à Paris, résume cette question en expliquant que la vision d’un monde propre à l’entreprise et différencié de celui de l’artiste et de l’institution est “une vision assez idéaliste... Il n’y a pas d’un côté un artiste dans sa bulle, coupé de la société et du monde et de l’autre une méchante entreprise qui cherche à faire semblant de mécéner et en fait qui défiscalise et utilise des artistes pour ça. Bien sûr que c’est complexe”.

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Sortie

Le système fiscal français est aujourd’hui l’un des plus avantageux au monde pour le mécénat culturel par les entreprises. L’opposition entre un modèle anglo-saxon fondé sur des financements privés et une une tradition française colbertiste, caractérisée par une forte intervention culturelle étatique, semble caduque. Pour certains opposants, l’engagement de l’État serait en réalité caché, la défiscalisation mise en place en faveur des entreprises mécènes représentant de fait un coût non négligeable pour les finances de l’État. D’autres considèrent que cet engagement est dévoyé, favorisant le mécénat pour les grands musées parisiens au détriment de plus petits musées, qui pourtant ont aussi un fort besoin de financement.

Le mécénat culturel d’entreprise fait face depuis 1999 à des tensions entre des innovations réglementaires, fiscales et contractuelles, qui cherchent à répondre à la question du financement des établissements culturels; et la mobilisation de groupes concernés, qui pointent du doigt des dangers et franchissements de frontières, pour eux inacceptables. Ainsi, le cas Ahae a soulevé la nécessité de contrôler la provenance des financements, la mobilisation de collectifs anti-tabac est récemment parvenue à interdire la pratique du mécénat aux cigarettiers, et en Grande Bretagne le mouvement LiberateTate a joué un rôle important dans l’arrêt du mécénat par le pétrolier BP de la Tate Gallery et du Tate Modern de Londres. Au contraire, d’autres controverses ont cristallisé des revendications, aujourd’hui sans lendemain : la mobilisation autour de la Fondation Louis Vuitton en est un exemple. Ces cas font alors jurisprudence, et de fait, les frontières du mécénat s’en trouvent alors élargies.

A travers ces moments d’ouverture, de clôture, de relance ou de bifurcations, les acteurs ouvrent de nouvelles brèches, creusent de nouveaux sillons et modifient, de façon tacite ou explicite, la pratique du mécénat culturel par les entreprises. Ces nouvelles frontières sont à leur tour questionnées, refusées, et parfois complètement redessinées, à la faveur d’autres controverses.

C’est à travers l’accumulation de cas et prises de position quant à la fidélité à la définition originelle du mécénat, que se dessine une controverse du mécénat d’entreprise pour les établissements culturels. Les mobilisations et débats publics participent à son évolution, au même titre que les réglementations juridiques et fiscales. Les différents rebondissements de cette controverse - le problème des contreparties accordées aux entreprises, la nature des mécènes, celle des expositions problématiques relevant d’opérations publicitaires, l’implication jugée trop importante des entreprises dans la programmation des musées - concourent à définir les frontières du mécénat. Si certaines critiques sont intégrées, d’autres, qui n’ont pas su se faire entendre suffisamment, ne servent qu’à renforcer de nouvelles pratiques du mécénat, de fait acceptables. La définition des frontières du mécénat constitue ainsi une controverse à rebonds, alternant des périodes actives de critiques et d’autres où elles sont en sommeil, sans consensus définitif ou réglementations, avant d’être réveillées et réactivées par de nouveaux enjeux.

Jean-Jacques Aillagon

Description

Jean-Jacques Aillagon est une figure centrale du mécénat alternant entre Ministère de la Culture et direction d’établissements culturels. Il est surtout connu pour être à l’origine de la loi du 1er août 2003 sur le mécénat, les associations et les fondations, loi qui par ailleurs porte son nom.

Il est d’abord directeur des affaires culturelles de la Mairie de Paris avant d'être nommé président du Centre Georges-Pompidou, en 1996. Il devient ministre de la Culture et de la Communication en 2002, période durant laquelle il travaille sur la loi sur le mécénat, promulguée en 2003. Après avoir quitté le gouvernement, en 2004, il devient président de TV5 Monde avant d'être nommé, le 6 juin 2007, président de l'Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles et ce jusqu’au 30 septembre 2011. Le 14 février 2013, Jean-Jacques Aillagon est élu à la présidence des Arts décoratifs1, dont il démissionne le 9 septembre 2013. Jean-Jacques Aillagon est aujourd’hui le conseiller de François Pinault dans ses activités artistiques et culturelles.

Le fait d’avoir dirigé des administrations culturelles lui a permis d’aborder ses missions au sein du Ministère de la Culture et de la Communication avec une grande habilité: il avait effectivement une véritable expérience de la mise en oeuvre des politiques culturelles. En s’entourant de personnalités ayant elles aussi une expérience solide dans les établissements culturels, il a pu mettre en place rapidement et efficacement des projets dans des conditions rapides.

Il présente les objectifs de la loi en deux volume: d’abord la nécessité d’affirmer la légitimité de la pratique du mécénat par les entreprises quel que soit l’objet d’intérêt général du mécénat. Puis de “stimuler la pratique du mécénat tant par les particuliers que par les entreprises de façon à ce que l’action d’intérêt général puisse bénéficier d’un accroissement sensible des moyens dont elles disposent.”

Il rappelle que la loi n’avait pas pour but de substituer le financement de l’État par le mécénat, mais de, tout en affirmant la stabilité et la pérennité des dotations publiques, affirmer que le mécénat pouvait aux établissements culturels d’en faire plus encore.

A propos des contreparties accordées aux entreprises mécènes, il considère qu’il est normal qu’elles existent. Selon lui, l’argent social des entreprises qu’elles utilisent à d’autres fins que le développement de leur activité doit bénéficier à son image, sa réputation et son rayonnement afin de ne pas être considéré comme abus de biens sociaux. Elles constituent surtout un moteur puissant puissant pour les entreprises.

Jean-Jacques Aillagon participe également à l’organisation de l’exposition Jeff Koons en 2008 au château de Versailles. L’exposition présente dans les Grands appartements et la Galerie des Glaces la première rétrospective consacrée en France à cet artiste américain. Cette exposition a donné lieu à des réactions nombreuses et contrastées dans le monde entier. L'Humanité rappelle les liens d'amitié entre Jean-Jacques Aillagon et François Pinault, son ancien employeur, ce dernier ayant prêté 6 œuvres de l'artiste en sa possession et en ayant revendu trois « pour plusieurs millions de dollars » grâce à l'augmentation de la cote de l'artiste faisant suite à cette exposition de Versailles.

Conversation avec Jean-Jacques Aillagon
Le 4 avril 2016

Quel est votre parcours? Et en tant que Ministre de la Culture, quelles étaient vos préoccupations principales pendant votre mandat?

Contrairement à mes prédécesseurs, je venais d’un établissement public du Ministère de la Culture, le Centre Pompidou. J’avais dirigé des administrations culturelles donc disons que j’avais vraiment la pratique, l’expérience de la mise en oeuvre des politiques culturelles, ce qui m’a permis d’aborder ma mission dans des conditions de très grande habilité. Je n’ai pas eu à me familiariser avec le milieu et j’ai pu agir et travailler rapidement car j’ai pris soin de constituer un cabinet constitué de personnalités dotées d’une expérience extrêmement solide de l’administration des affaires culturelles. Nous avons pu mettre en oeuvre des projets dans des conditions très rapides. Nous serons restés ensemble que deux ans, c’est court, mais il n’y a pratiquement pas de secteur du Ministère de la Culture que l’on a pas abordé ou fait avancer de manière décisive.

Avant la loi mécénat, j’étais très convaincu de la décentralisation culturelle, je l’avais pratiquée avec le Centre Pompidou à Metz. J’ai souhaité que le Ministère devienne agent de la décentralisation dans l’aménagement du territoire. Nous avons pu lancé le Louvre Lens, et mettre en place dans le cadre de la loi de décentralisation des initiatives de délégation à des collectivités locales de monuments historiques qui appartenaient à l’Etat. C’est une mission que j’ai confié à René Rémond. Nous savions ce que nous allons faire et nous avons pu faire avancer des projets assez rapidement. Il y a un autre domaine où on a pris des initiatives décisives. Nous avons réussi aussi dans le processus de totale autonomisation des établissements culturels notamment les musées dont les recettes transitaient par un organisme mutualiste, l’organisation des musées nationaux. Nous y avons mis fin et dorénavant chaque grand musée constituant un établissement public serait totalement maître de ses recettes. C’était un facteur décisif de stimulation des patrons des musées de développer la recette et développer des moyens d’agir supplémentaires. C’est dans des conditions de très grandes détermination et dans une très grande rapidité qu’a été mis en oeuvre le projet de loi sur le mécénat. La loi a été votée le 3 août 2003, un an à peine après mon arrivée rue de Valois. La loi suppose en amont un travail lourd, une concertation avec le Conseil d’État, une discussion avec les commissions, des navettes entre les deux chambres. Tout cela avait déjà mûri et nous avons pu faire vite. Il faut que les ministres qui arrivent dans un ministère sachent ce qu’ils vont y faire: le temps de s’accoutumer à un environnement ils ont consommé déjà la quasi totalité du mandat.

Dans quel contexte est née la loi 2003?

Dans un contexte extrêmement favorable. J’avais été en amont associé aux campagnes de Chirac pour sa nouvelle candidature, quand j’étais Président alors du Centre Pompidou. En qualité de citoyen je participais à des cercles de réflexion sur la politique culturelle d’un nouveau mandat de Chirac. La question du mécénat avait déjà donné lieu à des débats. Il y avait un projet de mettre en oeuvre une législation qui favoriserait le développement du mécénat figurait dans objectifs de campagne de Chirac. C’était une affaire déjà pensée. C’était un contexte favorable car Chirac a été élu et son première ministre Raffarin était convaincu de la nécessité de débrider la société et faire en sorte que l’ État puisse stimuler les initiatives du corps social.

La loi sur le mécénat et les fondations c’est avant tout une loi qui affirme quelque chose de philosophique. Dans une société démocratique développée comme la notre, le soin de l’intérêt général ne peut pas résulter de l’État seul même s’il s’agit d’une des fonctions primordiales de l’État et que, par ailleurs, l’intérêt général est issu des collectivités locales, la société elle même, les individus et les entreprises d’où l’initiative de la loi sur le mécénat. Raffarin était façonné par cette vision de la société française Le contexte était extrêmement favorable. Il faut se dire aussi que le projet de loi peut donner lieu à des interprétations malveillantes. L’opposition critique ce que propose la majorité et certains prétendaient que la loi visait à justifier des réductions de dotation budgétaires affectées à la culture et j’ai affirmé qu’il n’en était rien. Il n’en était rien d’ailleurs. Le mécénat ça ne veut pas dire moins d’argent public, plus d’argent privé. Ça veut dire argent public qui doit s’engager et qui s’engage plus de l’agent privé. Ce n’est pas une substitution mais une addition de moyens. Le contexte était favorable.

Il y avait un autre élément de contexte favorable: il est évident que, la loi a une portée générale. Elle concerne toutes les formes de mécénat (éducation, sport recherche etc.). Je savais que si je mettais en oeuvre une loi uniquement pour le mécénat culturel, tous mes collègues me tomberaient dessus à bras raccourcis: “Pourquoi favoriser le mécénat culturel et pas autre chose?” J’ai pris le parti d’élaborer une loi qui servirait à tous les domaines de l’action publique et sociale. D’autre part, le Ministre de la Culture ne peut pas imaginer seul des déductions d’impôts si le Ministre du budget n’est pas avec lui. J’ai bénéficié de la très grande amitié qui me liait au Ministre des Finances, Alain Lambert, étant attendu que nos directeurs de cabinet étaient également proches. Donc, Chirac élu, Raffarin favorable, le projet de loi général et pas spécialement affecté à la culture, et bonnes relations entre moi et ministre du budget ont rendu ce contexte favorable.

Est-ce que certains acteurs se sont opposés?

Non, il y a la critique de type politique classique qui pensait que l’on cherchait à justifier un désengagement budgétaire de l’État. Mais la loi n’a pas suscité d’opposition, c’est pas la loi El Khomri ou Macron. Elle n’a pas été voté à l’unanimité mais le débat était assez serein.

Pourquoi la date de 2003?

J’avais été patron d’un établissement culturel et je savais que le mécénat était une activité nécessaire à l’enrichissement des collections, à la production de grandes expositions et de projets culturels de grande envergure. Quelque soit le niveau des dotations de l’État, ça reste cher à produire ou acquérir. Les prix des oeuvres d’art étant tels qu’elles sont inaccessibles aux musées eux-mêmes. Quand j’étais administrateur du Musée d’Art Moderne dans les années 80 j’avais dû acheter une oeuvre majeure de Mondrian pour cinq millions de francs. Aujourd’hui ce tableau s’il était de nouveau sur le marché, ça vaudrait cent millions d’euros et aucun musée européen ne pourrait acheter ce genre d’oeuvre sans un concours de mécènes à la faveur du dispositif de réduction d’impôts accordé à l’acquisition des oeuvres patrimoniales majeures. La réduction est à 90%. Si vous achetez une oeuvre à cent millions elle vous coûte en fait que dix millions, le reste c’est de la réduction d’impôts. Je savais qu’une loi sur le mécénat était nécessaire et que le dispositif juridique qui accompagnait le mécénat, ce qu’on appelait à l’époque partenariat était très fragile et que le fisc requalifiaient en abus de biens sociaux certaines interventions d’entreprises en faveur de projets culturels. Estimant que ces projets n’entraient pas dans le champs de leur objet social, ces dépenses étaient contestables et illégitimes. C’est la raison pour laquelle le premier objet de la loi du mécénat c’est d’affirmer la légitimité de la pratique du mécénat par les entreprises quel que soit l’objet d’intérêt général du mécénat. Ce sera légitime si la dépense reste limitée à un certain pourcentage de la capacité financière de l’entreprise. Donc le premier objectif de la loi était de consolider juridiquement la pratique du mécénat des entreprises. Le deuxième objectif c’est, par des biais de réduction d’impôts, de stimuler la pratique du mécénat tant par les particuliers que par les entreprises. De façon à ce que l’action d’intérêt général puisse bénéficier d’un accroissement sensible des moyens dont elles disposent.

Toutes les entreprises que ce soit des entreprises de luxe tournées vers l’artisanat ou des entreprises comme Total ont la même légitimité à devenir mécènes?

Elles ont toutes la même capacité dans la limite de leurs moyens. Parce qu’il ne faut pas que le mécénat constitue une dilapidation du capital d’une entreprise ou une distraction de son résultat qui serait préjudiciable à l’entreprise. C’est pourquoi la loi a fixé des seuils à ne pas franchir de façon à éviter que ça devienne une activité dilapidatoire. On avait beaucoup de satisfaction de voir de grandes entreprises françaises devenir des acteurs majeurs du mécénat, qu’il s’agisse d’Axa comme de Total.

Pouvez-vous estimer la part du financement de l’Etat par rapport à celle des entreprises?

Il faut demander à Admical, je n’ai pas de statistiques. Pour le moment les collectivités publiques constituent le financement majeur de la culture, avec la consommation des ménages. L’addition de tous les actes culturels qui donnent lieu à un paiement représente la principale contribution au financement de la culture. Ensuite il y a le financement de l’État et des collectivités locales. Le mécénat est loin encore d’atteindre ces niveaux là: c’est encore un financement d’appoint. On n’imagine pas qu’une institution d’envergure ne fonctionne que grâce au mécénat. Quand un établissement culturel réalise 60% de recettes propres c’est aussi à cause de sa billetterie. Au Château de Versailles, la billetterie représente environ 50 millions d’euros par an, le mécénat entre 10 et 20 millions d’euros. C’est extrêmement variable. C’est pourquoi on ne peut pas espérer que le mécénat fournisse la totalité des compléments de financement qui lui sont nécessaires. Ça reste de l’appoint mais pas une base de financement. Je reviens à l’esprit de la loi qui n’est pas de provoquer la substitution d’un financement à un autre. Tout en affirmant la pérennité et la stabilité des dotations publiques c’est d’affirmer que le mécénat pouvait être là pour permettre à ces établissements culturels d’en faire plus encore.

Certaines entreprises comme Dassault ou Total ont elles plus de mal à investir dans la culture à cause de leur image?

A côté de l’investissement culturel, elles peuvent investir dans d’autres domaines de philanthropie comme le sport ou la santé. Le résultat du sidaction avec des moyens de communication énormes n’a rapporté que 4 millions à vérifier, c’est très faible. C’est de l’argent s’agissant des entreprises: il y a encore d’énormes territoires de développement du mécénat d’entreprises. Beaucoup d’entreprises n’ont pas perçu que c’était un moyen de mettre en oeuvre leur RSE et que d’ailleurs la collectivité nationale soutenait cet engagement de leur part. Dans d’autres entreprises l’engagement est encore modeste par rapport à la capacité financière de l’entreprise. Pendant longtemps la seule source financement était l’Etat et les collectivités locales. Il faudra des décennies avant que chacun prenne sa part de responsabilité dans la promotion de la culture et notamment les entreprises.

Êtes-vous satisfait de l’ampleur des résultats de la loi?

En 2013 on fêtait le dixième anniversaire de la loi : le Ministère de la culture a organisé un un colloque et beaucoup d’évènements, notamment la remise de médailles aux grands mécènes. Tout le monde s’est félicité, preuve que c’est rentré dans les moeurs. Quand Filippetti est entrée au ministère, elle avait tenu des propos vifs contre la famille Wendel qui avait apporté un concours à l’ouverture du Centre Pompidou Metz car son père employé des Wendel dans les mines. On s‘est dit qu’elle allait remettre en cause le mécénat et puis elle a compris l‘intérêt de ce dispositif et a célébré l’anniversaire de façon très sympathique. Tous les bilans présentés à ce moment indiquent que la loi a produit de bons résultats. Les résultats tiennent à la conjoncture et à l’environnement économique et financière quand il ya une menace d’ébranlement les gens sont moins prompts au mécénat que quand l’horizon économique est dégagé.

Auriez-vous envie d’aller plus loin dans la fiscalité pour faciliter le mécénat d’entreprise?

La loi n’est pas un terminus. Je l’ai arrêté au point de ma négociation avec Lambert. On aurait pu imaginer d’aller plus loin. Par exemple concernant les trésors nationaux: deux mesures pourraient être prises: d’abord, ouvrir le dispositif des Trésors Nationaux aux particuliers à travers la cotisation à des recherches de fonds visant à l’acquisition de Trésors Nationaux. Quand un Trésor National est sur le marché, seules des entreprises peuvent l’acquérir et il n’y a pas de réduction d’impôt de 90% pour l’individu. Et la deuxième mesure qui aurait pu être prise c’est créer une nouvelle catégorie de biens et de monuments d’intérêt patrimonial majeur dont la restauration exige des moyens considérables et qui pourraient pendant deux à trois ans être proposée aux entreprises et particuliers avec réductions d’impôts de 90%. Le Château de Fontainebleau, le Château de Versailles, le Palais des Papes, le Mont Saint Michel appartiennent à notre mémoire, à notre histoire, ils sont de grande taille donc très chers. Étendre le dispositif des Trésors Nationaux à ces monuments nationaux historiques architecturaux majeurs. On peut prendre des initiatives heureuses dans ce domaine.

On peut aussi penser à d’autres domaines. Mais pour ce qui est de l’incitation d’impôt, il faut qu’il y ait une part de libéralité: l’État ne doit pas se substituer à vous, il faut qu’il y ait une part de générosité. Il y a réduction d’impôt mais il y a part de libéralité.

Une autre initiative pourrait être prise: d’abord c’est constater que les dispositifs de réduction d’impôts ne sont accessibles qu’à ceux qui paient des impôts. Il y a des citoyens qui ne peuvent pas faire du mécénat car ils n’ont pas d’accès à une réduction à l’impôt. On a pensé créer un crible d’impôts pour ces citoyens de façon à leur donner la possibilité d’affecter chaque année de façon libre une certaine somme à une oeuvre ou une action de leur choix. Il faut que le contexte économique soit un peu tonique. Mais ce serait sympathique si l’État décidait que le citoyen disposait de cent euros qu’il pourrait affecter à une oeuvre d’intérêt général de son choix et devenir pleinement actif du développement actif social et culturel de notre pays.

En 2012, François Hollande a voulu faire de la loi sur le mécénat une loi plus juste. Qu’en pensez-vous?

Il faut l’interroger je ne sais pas. C’est pas une loi injuste sauf qu’elle créé une disparité entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas. Mais ces disparités se constatent aussi ailleurs. Bercy voulait remettre en cause la loi parce qu’elle représente pour l’État une perte de ressources, un manque à gagner pour l’État. Si vous mettez sur le marché un Trésor National de 100 millions et que l’État par le biais de la réduction d’impôts finance 90 millions, l’État renonce à 90 millions de recettes fiscales. On a pu imaginer que Bercy tenterait de reprendre la main sur tout ça mais sincèrement je pense qu’aujourd’hui c’est tellement dans les moeurs que personne ne reviendra dessus, droite gauche confondues. On verra même des améliorations de ce texte être mises en oeuvre. On entend aussi que Juppé s’il était élu souhaitait mettre en chantier l’acte II de la loi Aillagon.

Vous avez participé au débat en 2012?

Non.

La définition du mécénat stipule “sans contrepartie directe”, mais il existe des contreparties en termes de valorisation de leur images? Ne pourrait-on pas considérer qu’il s’agit d’abus?

Non, c’est normal parce que s’il n’y a pas de contreparties ce serait un abus de biens sociaux. Il faut justifier qu’il y a un intérêt à agir pour l’entreprise. Un particulier peut toujours de donner comme il veut car c’est votre argent. Mais une entreprise, son argent c’est de l’argent social et donc il faut que l’utilisation de cet argent à d’autres fins que l’activité de l’entreprise, rémunération des salariés notamment, que cet argent donné à d’autres objets que ceux pour laquelle elle a été constituée, bénéficie à son image, sa réputation, son rayonnement. ça me semble nécessaire. On peut imaginer à la rigueur pour les particuliers que ce soit de la générosité pure. On a des gens qui ont donné de façon très généreuse sans contrepartie. Un ami qui a donné 70 Bonnard à Orsay. C’est un don pur. Les contreparties sont un moteur puissant du mécénat. Quand 100 euros sont donnés, on ne donne que 34 euros. C’est une prise de responsabilité et on fait en sorte que chacun d’entre nous soit comme un chef de gouvernement et décide de là où il veut mettre son argent. C’est un acte de responsabilité sociale.

Quelle est la distinction entre mécénat et parrainage?

C’est de la sémantique. On a parlé de parrainage quand la loi sur le mécénat fragilisait la pratique du mécénat. C’est à ce moment là que les sommes données étaient considérées comme des dépenses générales de l’entreprise au bénéfice de sa communication. Quand la contrepartie obtenue sort des pourcentages prévus par la loi alors on est dans du sponsoring. C’est une autre pratique.

Avez-vous mis en place de mesures pour contrôler les pratiques?

Le fisc a toujours al possibilité de vérifier si la contrepartie représente pas plus de je sais plus combien de pourcentages autorisés par la loi.

Les contrepartie en termes de publicité et de visibilité sont difficile à mesurer, non?

Pour l’entreprise, par exemple son nom et son logo sont présents sur une affiche. Les établissements culturels ont une grille. Il y a des tarifs de location d’espaces pour une soirée. On arrive à faire ce calcul assez facilement.

On a remarqué que Louis Vuitton cristallise le débat sur le mécénat. Quel est votre avis ? Est-ce du mécénat ? Considérez-vous qu’il s’agit de dérives?

Le cadre choisi est la fondation d’entreprise et donc les sommes affectées à la fondation bénéficient d’un régime de réduction d’impôts mais tout ça est fixé par la loi.

Pour conclure, quel est votre travail auprès de M. Pinault?

C’est un travail de conseil, je lui donne mon avis. Je ne donne pas de conseil sur les acquisitions, mais que sur la mise en valeur des collections. Je les ai conduis à acquérir le Palazzo Grassi et la Punta Della Dogana. J’ai également mis en place de l’itinérance dans les musées étrangers. J’ai proposé la création d’une revue de la présentation des activités de la collection Pinault afin de la mettre en valeur culturellement aux yeux du public.

Pierre Alféri

Description

Pierre Alféri est un auteur, artiste et enseignant à Ecole Nationale des Arts Décoratifs et aux Beaux-Arts de Lyon. Il est un des lanceurs d’alerte des dérives du mécénat , du financement des établissements culturels, des expositions. Il dénonce fortement la Fondation Louis Vuitton.

Il est à l’origine de l’article co-signé par de nombreux artistes “L’art n’est-il qu’un produit de luxe ?” publiée dans Mediapart le 20 octobre 2014. Cet article dénonce les pratiques de la Fondation Louis Vuitton et plus généralement le capitalisme financier qui investit le champ de l’art.

La fondation Louis Vuitton représente à ses yeux la goutte d’eau qui a fait déborder le vase puis qu’elle représente un exemple extrême d'utilisation de l'art à des fins publicitaires finalement et au fond pour faire court à des fins de blanchiment d'argent. Louis Vuitton constitue pour lui un groupe principalement financier qui a “besoin de créer une image, quasiment de toute pièce, pour être identifié positivement, être aimé tout simplement.” Il s’agit d’un règne de l’argent et plus du tout du goût. Il explique que le plus choquant dans cette fondation est que “François Hollande l'a inaugurée comme si c'était un monument national alors que c'est fait avec de l'argent qui est le résultat d'évasions fiscales dans les paradis fiscaux de quelqu'un qui six mois avant proposait de changer de nationalité parce qu'il voulait échapper à l'impôt français”.

A partir du moment où un collectionneur d’art finance des expositions dans un musée public, l’art n’est plus un bien commun selon lui dans la mesure où il va favoriser les artistes qu’il achète et qu’il vend.

Pour lui, le désengagement de l’État dans le financement de la culture entraîne nécessairement une profilération d’initiatives privées. Se met en place alors un cercle vicieux : plus l’Etat se désengage, plus on voit apparaitre des financements privés et plus y il y a de financements privés, moins l’État se sent concerné et s’engage.

Conversation avec Pierre Alféri
Le 14 mars 2016

Je veux bien que vous commenciez un peu par vous présenter.

Mon activité principale c'est d'écrire des livres de littérature, de fiction depuis toujours. Et j'ai commencé à enseigner il y a une quinzaine d'années, dans des écoles d'art (Lyon, Arts-déco, Beaux-Arts), surtout de l'histoire de l'art. J'écris surtout de la poésie, un peu des romans récemment et là je publie un essai.

Vous dites que c'est un peu par hasard que vous avez écrit cet article dans Médiapart, c'est à dire ?

Bah c'est les circonstances, j'ai été invité à participer à l'évènement du lancement de la fondation, comme beaucoup d'écrivains finalement. Cela m'a été présenté comme une occasion unique, avec beaucoup d'éloges du lieu qui venait d'être créé. Un peu dans l'esprit des discours qu'on a entendu après d'ailleurs, y compris de la part du président de la République. Et ça m'a mis très mal à l'aise, j'ai réfléchis un peu. Je sais un peu ce que c'est que le groupe Vuitton, donc j'ai dis finalement j'irai pas mais pour l'expliquer j'ai écris une lettre qui disait à peu près la même chose que le texte qui a été publié. Sauf qu'entre temps, comme je l'ai montré à deux trois amis qui eux aussi étaient invités ou étaient un peu dans le même milieu, pour leur demander leur avis ; on a un peu étoffé le texte et c'est eux qui m'ont demandé de leur faire signer comme un texte collectif

Vous l'aviez adressé à qui au départ cette lettre ?

A la personne de la Fondation qui organisait les lectures de poésies qui avaient lieu tout le mois de l'ouverture...

Vous avez eu une réponse ?

Oui oui, il a dit qu'il était désolé, qu'il ne comprenait pas...

Qu'est-ce qu'il vous a mis mal à l'aise ?

C'est ce qu'explique le texte. (5.24) C'est à la fois très particulier à cette fondation et beaucoup plus général et ça me semblait être comme quelque chose comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Ou un exemple particulièrement extrême d'utilisation de l'art et de la littérature à des fins publicitaires finalement et au fond pour faire court à des fins de blanchiment d'argent. Bien que ce n'est pas été le premier cas, il y a eu d'autres cas similaires, celui là était particulièrement scandaleux je trouvais ; sachant qui était Bernard Arnault, comment il avait fait sa fortune et de quel genre de groupe il s'agissait et puis aussi de quel genre d'intérêts publicitaires et promotionnels il s'agissait. (6.15) C'est-à-dire que c'était pas le cas classique d'un riche amoureux des arts. C'était un cas beaucoup plus particulier à la situation récente où les groupes financiers parce qu'ils n'ont plus de spécificité industrielle, ce sont des groupes principalement financiers, ont besoin de créer une image, quasiment de toute pièce, pour être identifié positivement, être aimé tout simplement. Et pour ça l'art contemporain, la culture en général est un très très bon vecteur. (6.55) Parce que ça permet de finalement de détourner l'attention et de faire passer une entreprise strictement de profit capitalistes pour une entreprise spirituelle, culturelle, voire philanthropique. (7.18). Donc il y a des cas où on peut imaginer qu'il y a une certaine sincérité, des gens qui veulent vraiment aider des artistes, qui s'intéressent vraiment à leur travail pour des raisons personnelles, de goût etc. Dans le cas d'Arnault, ça ne paraît absolument pas ce cas de figure. C'est vraiment de la stricte stratégie financière et d'image. Enfin l'image communique directement avec la finance puisque que c'est l'image maintenant qui fait l'identité de ces … consortiums financiers.
Bon alors il y avait sans doute un truc viscéral aussi, c'est qu'il a des gens avec qui on n'a pas envie d'être associé forcément. Ca me gênerait moins sans doute de faire des choses dans le cadre de l'action de sponsoring de gens qui s'intéressent intrinsèquement à ce que je fais. Dans ce cas là j'ai pas envie.

Vous pensez que c'est une posture pour des gens comme Arnault ou Pinault ?

Je pense qu'il y a des cas différents, dans le cas d'Arnault cela paraît évident. On voit bien que c'est une fortune qui s'est faite, enfin je ne veux pas l'attaquer personnellement... On est vraiment dans le règne de l'argent pur et pas du tout du goût, à aucun moment. Ça c'est évident, tout le monde le voit. On ne peut même pas dire qu'on est séduits, parce qu'on n'y croit pas. Même le choix de l'architecte en l'occurrence, même si on peut aimer ou estimer le travail de Frank Gehry, il s'inscrit vraiment dans une logique strictement de communication. C'est un architecte pour milliardaires, pour grosse fondation maintenant identifié comme tel. Donc tout ça est tellement cousu de fil blanc et tellement de la pure manipulation que je n'ai simplement pas envie d'y être associé. Et en plus je trouvais bizarre que si on prenait des positions politiques au moins un peu contre ce capitalisme là de cette logique économique et des dégâts terribles qu'elle fait, ça me paraît étrange de faire comme si de façon schizophrène ça n'avait rien à voir avec là où on publie, là où on expose, avec qui, pourquoi...

Dans la situation de la plupart des artistes, écrivains ou autres, il y a très très peu de moyens d'agir politiquement ce qui importe c'est comment on fait fonctionner son travail et dans quelle économie. C'est quand même une occasion à ne pas rater de pouvoir un tout petit peu agir, le boycott c'est une action par exemple. Alors je sais bien que ça n'a pas d'effet direct, c'est symbolique, mais enfin justement comme ont est dans un univers symbolique de la culture, un tout petit accent symbolique c'est quand même mieux que rien du tout.

Vous ne dénoncez pas en fait le mécénat des entreprises en général, vous faites un peu une distinction entre certaines qui seraient sincères et d'autres pas ?

On est obligés de négocier sans celle au cas par cas. On vit dans l'économie réelle, les sources de financement sont ce qu'elles sont. Entre être aidé par la contribution générale des citoyens par exemple et être aidé par une personne privée dans son intérêt privé, c'est pas la même chose. Donc chacun juge au cas par cas et je n'ai pas du tout de leçons à donner à personne là dessus. Chacun choisit avec qui il collabore, c'est déjà un choix politique.

Est-ce que justement l'image des mécènes a une incidence sur l'artiste ? Sur le travail et sur la perception du monde et de la culture

Pas de façon mécanique et immédiate pour chaque artiste individuellement c'est sûr, mais il y a un effet d'ensemble. Si l'art qu'on produit est systématique montré, aimé et mis en avant dans un milieu dégueulasse, bah ça rejaillit forcément sur ce qu'on fait et c'est légitime il me semble. C'est comme dans l'histoire politique, si un artiste devient artiste officiel d'un régime fasciste, bah ça dit quelque chose quand même de son art, de ses choix. Aujourd'hui je ne dis pas du tout que c'est la même chose, que c'est comparable, mais on est ce qu'on fait et là où on le fait c'est ce qui vous définit.

Quelle est la part de responsabilité vous pensez de l'Etat, d'une part du coté des baisses de financement de la culture mais aussi je pense à la loi Aillagon... dans la généralisation de ces pratiques ?

Bien sûr, c'est à dire que c'est un cercle vicieux. Plus l'Etat se désengage, plus il encourage les initiatives privées, plus il y d'initiatives privées moins l'Etat sent que c'est sa responsabilité et donc s'engage. Et d'autant plus que les initiatives privées aspirent littéralement les compétences les personnels, qui étaient auparavant publics. C'est une des choses les plus choquantes avec cette fondation. François Hollande l'a inaugurée comme si c'était un monument national alors que c'est fait avec de l'argent qui est le résultat d'évasions fiscales dans les paradis fiscaux de quelqu'un qui six mois avant proposait de changer de nationalité parce qu'il voulait échapper à l'impôt français. Donc c'est quand même quelque chose d'inouïe de voir que la Président de la République vient et dit « bravo merveilleux ce monument de culture » alors que lui-même aurait très bien pu fonder un grand insitut d'art s'il en avait fait le choix. Au lieu de ça, les grands commis de l'Etat ou les grands fonctionnaires de la culture quittent la fonction publique en vont travailler pour tel ou tel mécène milliardaire.

Donc l'Etat a une responsabilité très très grande là dedans bien entendu. Et en multipliant ce qu'ils appellent les partenariats privés publics, évidemment on donne de plus en plus de pouvoir à des personnes morales ou physiques qui ont des intérêts personnels donc on ne peut pas dire que c'est la même chose que la culture comme bien commun. C'est plus un bien commun dès lors qu'un collectionneur finance des expositions dans un musée public et a voix au chapitre quant à la programmation, il est évident qu'il va favoriser les artistes qui sont artistes qu'il achète et qu'il vend. Et si en plus il est commissaire priseur ou il a une salle de vente (…), il va se servir d'établissements publics pour faire monter la cote d'artistes qu'ensuite il va revendre plus cher. Donc il va utiliser à son propre profit personnel, la puissance publique qui du coup ne l'est plus.

Comme François-Henri Pinault par exemple ?

Bien sûr. Mais c'est des choses que tout le monde connaît. Tout le monde le sait mais tout le monde se laisse intimider par l'argent.

Est-ce que justement la peur de la fuite des capitaux dans le monde de l'art fait que tout le monde accepte des dérives potentiellement ?

Tout le monde a peur qu'il n'y ait plus d'argent. Il n'y a plus d'argent public donc si on ne se met pas au garde-à-vous devant les carnets de chèques privés, on a l'impression que tout va s'en aller. Et le danger est réel, la culture n'est jamais par définition solide, c'est toujours la 5e roue de la charrette, dans l'économie. Les artistes eux-mêmes sont précaires. Le système fonctionne sur la peur.

A votre avis, c'est cette peur qui fait que personne ne dénonce le système ? On comprend donc que les artistes ne le fassent pas, mais pourquoi d'autres intellectuels ou les musées publics ne le font pas ?

Parce que les musées publics ont besoin de l'aide privée, pour leur propre fonctionnement. Ne serait-ce que pour ne pas perdre d'argent, ils ont de plus en plus besoin de co-financer les expositions avec les fortunes privées. Il y a aussi une ambiguité qui vient du fait que le sponsoring traditionnel se faisait de façon discrète et en assez bonne intelligence. Les personnes très fortunées qui aidaient les activités autour de l'art, le faisaient avec tact, c'est-à-dire sans intervenir directement dans les choix, sans demander à ce qu'ils fassent leur pub personnelle, sans en faire un élément de communication qui leur soit directement profitable. C'est-à-dire qu'il y avait une espèce de règle non dite sur une certaine discrétion. Mais ça c'est fini, maintenant c'est le contraire, tout doit être hyper affiché et c'est tout juste si on ne met pas des bandeaux publicitaires sur les musées. Donc ça change quand même la donne.

Alors que faire face à cette description très triste du futur de l'art ? Qu'est-ce qui est possible de faire pour mettre fin à ces dérives ?

Déjà en parler, ne pas faire comme s'il n'y avait pas de débat ne pas faire comme s'il n'y avait pas de problème? Dans le groupe de Arnault LVMH, c'est un groupe qui possède une partie de la presse, on ne peut pas faire comme ci cela n'avait pas de rapport. Europe 1, Le journal du dimanche... Et on voit bien que quand quelqu'un s'en prend à l'image de ce groupe, comme François Ruffin qui vient de faire un film, il est directement censuré. Si des gens qui financent l'art et la culture sont en même temps des censeurs, ça pose quand même un problème de fond. Après je pense qu'il est possible de s'associer. Le fait que les grands groupes attachent autant d'importance à l'art, cela montre à contrario que les artistes et l'art a une puissance. Puisqu'ils ont besoin d'eux. Donc ça veut dire que si les artistes décidaient de s'opposer à quelque chose ou de défendre quelque chose ils peuvent le faire. Mais pour cela il ne faudrait pas qu'on soit dans une logique ultra libérale individualiste où c'est chacun pour soi où on défend son bifteck.

Quand vous dites que les choses ont beaucoup évolué depuis 10/15 ans vous pensez que c'est lié à la loi Aillagon ? Et qu'une modification de la loi pourrait changer les choses ?

C'est possible mais malheureusement c'est un phénomène assez général est pas seulement français. C'est lié à financiarisation du capitalisme, que l'art devient presque comme une valeur boursière. C'est un mouvement d'ensemble. L'idée de la loi Aillagon est apparemment bonne puisque ça encourage l'argent à venir dans cette direction mais cela veut dire aussi que ça n'a plus de signification tellement du point de vue du fond et de la culture, c'est seulement une manière de minimiser le poids de la fiscalité et maximaliser le profit. Mais c'est quand même un problème de se dire que l'art bénéficie de ce qui échappe au droit d'une certaine façon, en tout cas au droit commun, au partage de la richesse.

Vous avez des mots très durs vis à vis de ces entreprises en parlant de « blanchiment d'argent » et de faire de la culture « un alibi ». Est-ce que l'art, la culture sont fondamentalement incompatibles avec l'entreprise ?

Non je dirais, que c'est juste deux choses différentes a priori. Puisqu'a priori une entreprise artistique, n'est pas une entreprise qui se règle sur la logique de l'investissement. Alors de fait de plus en plus les artistes fonctionnent comme des petites entreprises à eux seuls. Aujourd'hui certains artistes se perçoivent eux mêmes comme des marques, avec une logique de projet, d'investissement et de profit comme n'importe quelle entreprise. Et ça ça cause des dommages sur le plan artistique terribles, ça fait un art absolument épouvantable et vide de sens.

Il n'y a jamais eu d'autonomie économique des artistes mais il y avait une logique de fonctionnement symbolique par rapport à l'économie générale du marché. Si cela saute complètement, on peut continuer à appeler cela de l'art mais finalement ce ne sera pas différent de n'importe qu'elle entreprise de merchandising ou marketing culturel. Or normalement il y a une différence fondamentale dans la manière de se régler sur la demande, dans la possibilité d'inventer, de modifier les règles.

Avec l'intervention des entreprises, est-ce qu'il n'y aurait des artistes bankables qui rentreraient dans les musées et les fondations et donc une autre partie du monde de l'art qui serait peut être plus enfermée dans cette envie de faire de l'art fondamentalement inutile ?

En fait ce qu'il faut c'est qu'il y ait un sas, un délais. Le marché finit toujours par intégrer les avant-garde. Il faut qu'il y ait un tampon qui fait que peuvent se développer des modifications et productions artistiques, un certain temps sans que ce soit immédiatement l'effet ou le reflet du marché. Ça ça a toujours existé, c'est le milieu de l'art. Mais si le temps est comprimé, de telle sorte qu'on produit immédiatement pour le marché alors il n'y a plus d'art. Comment faire ? Les artistes s'exposent entre eux et sont protégés par des mécènes justement. Mais ce n'est pas du tout la même chose de permettre à un artiste de faire son travail en le protégeant et de vouloir tout de suite en exprimer le jus et spéculer dessus.

J'ai une question sur le fonctionnement. Je ne sais pas si vous ou votre entourage artistique, avez déjà été approché par des entreprises mais comment cela se passe, qui contacte qui ?

Très peu. Je pense que c'est très variable. Moi c'est à la fois ma chance ou ma malchance mais la littérature intéresse très peu la grosse économie ! Le plus souvent il y a un fond ou une fondation et il y a des programmateurs qui choisissent des artistes. On dit, il y a telle somme à allouer à ça et on demande à des gens qui sont censés être au courant qui sont les artistes aujourd'hui pour qui ce serait intéressant. D'abord il faut être candidat la plupart du temps, c'est un choix qu'on fait. Si aujourd'hui un fabricant d'armes ouvrait une fondation et proposait des bourses à tout le monde il serait simple de se dire « je veux faire une œuvre pour Dassault, Thalès ou pas » et on comprendrait bien qu'on ne veuille pas le faire. Donc c'est des choix. C'est pas la même chose d'être financé par une entreprise qui fait des choix artistiques dont elle ne se vante pas ensuite et qui ne deviennent pas des arguments publicitaires et d'autres entreprises qui ont besoin de l'art pour se faire une légitimité et dorer leur blaser et c'est manifestement le cas avec la fondation Vuitton.

Et justement sur les questions du financement de l'art, est-ce qu'un nouveau financement comme un financement participatif par exemple serait la possibilité pour quitter cela ?

Cela pourrait être une très bonne solution. Il y a déjà des jeunes artistes qui réfléchissent à cela, même dans les écoles j'ai vu. Toutes ces initiatives sont excellentes. Surtout pour les gens qui sortent de l'école, cela leur permet de travailler quelques années en étant légèrement financé par un système comme ça, ils louent à plusieurs un espace qui peut devenir un espace d'exposition. Cela permet d'avoir une relative autonomie pour savoir ce qu'on veut faire et comment on veut le faire. Parce que si on est livré directement au marché et à ses exigences souvent ça fait des artistes qui sont détruits et essorés au bout de quelques années, puisqu'on leur demande de faire toujours la même chose. Car la logique du marché c'est de reconnaître une signature et une façon de faire et quand on en achète un, on veut que ce soit le même après.

Tout à l'heure vous parliez de Dassault ou Thalès qui feraient une Fondation et c'est vrai que ça paraît beaucoup plus choquant qu'une marque de luxe qui a un certain savoir-faire et un certain artisanat...

Oui bien sûr, pourquoi pas. A la limite si Hermès nous propose à plasticien de faire de la broderie, de la teinture sur tissus, alors ce sont presque des arisants d'art et cela a un sens. Mais Vuitton c'est pas du tout ça, Vuitton il n'y a aucun savoir-faire. Les sacs c'est dégueulasse, c'est moche c'est fait n'importe comment en Chine, c'est de la pure image.

Donc l'exposition Vuitton au Grand Palais, c'est choquant ?

Bah c'est pour faire croire ça, qu'il y a du savoir faire etc... Mais en réalité Arnault a passé sa vie a racheter des entreprises, à virer les salariés et investir l'argent ailleurs. Donc là on est dans la mythologie, dans la propagande, il n'y a pas d'artisanat, pas de de savoir-faire, juste des mouvements de capitaux. Mais l'artisanat d'art pourquoi pas, là récemment il y a eu une exposition au Palais de Tokyo, pourquoi pas. Mais c'est pas du tout pareil que les groupes financiers qui se fichent des conditions du travail et qu'ils veulent faire croire qu'il y a du contenu, là où il n'y en a pas. On entretien une illusion car c'est beaucoup moins angoissant que de se représenter réellement que ce que c'est que cette économie de chiffres, marges, dividendes, montages financiers off-shore...

Thierry Briault

Description

Thierry Briault, peintre et philosophe, critique le mécénat qui selon lui n’existe plus. Il pense que ce qui est appelé “mécénat” aujourd’hui s’apparente en réalité à du marketing, à “une réserve d’investissement pour les gens qui ne s’intéressent pas à l’art” et que le mécénat véritable tel qu’il l’entend a disparu. A ses yeux, le mécénat lié à l’art renvoie à l’époque de Médicis, et consiste à “laisser une trace qui ne soit pas seulement celle d’un capitaine d’industrie mais aussi d’un homme de goût qui marque son époque”. Il pense que les artistes aujourd’hui sont dans une logique commerciale, ils recherchent à vendre au plus intéressé. Et le mécène est à présent un entrepreneur qui “ne perd même pas d’argent…”.

De cette première critique découle l’idée que ce système engendre un art conformiste, qui ne prend plus de risque donc n’encourage en rien l’innovation et la création. C’est dans ce sens qu’il parle de “dadaocapitalisme” pour renvoyer au capitalisme et aux questions financières. Ces dernières prennent emprises sur l’art qui se dénature en conséquence et perd de sa valeur qu’il avait pu avoir auparavant. Les fondations et les mécènes font disparaître les clivages et n’entraînent pas la création. Alors, il explique qu’il attend ”de voir une innovation, simplement une innovation et non un intérêt privé publicitaire, de marketing etc”.

Il regrette également l’emprise de plus en plus importante des grandes maisons de luxe sur l’art en se demandant s’il “faut mettre des chaussures sur le même plan que Shakespeare”. Leur intérêt est clair et il ne le rejette pas mais il pense que l’Etat fait une erreur à perdre la place qu’il tenait jusqu’à 2003.

Conversation avec Thierry Briault
Le 18 mars 2016

Qu’est ce qui vous a amené à rédiger à propos du mécénat ?

A travers la lettre ouverte, j’ai pu réagir avec un certain nombre d’intervenants comme des célébrités pour m’en prennent à l’art de luxe qu’est devenu l’art contemporain avec son rapport au mécénat. J’ai trouvé ça étonnant que des gens qui participent depuis toujours à la promotion de l’art ont une position aussi tranchée politiquement alors qu’esthétiquement, rien ne les sépare. Effectivement dans la forme, il semblerait qu’il n’y ait pas de mécénat. Cela m’avait frappé, le fait qu’ils ne perdent pas un centime.
D’ailleurs pour Arnault il me semble, La Conciergerie lui avait été offerte gratuitement pour promouvoir deux-trois artistes. On avait aussi à la même époque Versailles pour Jeff Koons, c’était très violent. Et ça continue. C’est un art qui a tous les pouvoirs. Ils sont censés créer des divergences esthétiques entre les hommes alors qu’ils bénéficient d’un soutien sans précédent dans l’histoire. Donc il existe des convergences entre les hommes et ce, de manière esthétique. Dorénavant, je me demande à quoi sert finalement l’art contemporain vu que c’est censé être un art de provocation.

Avez-vous rédiger d’autres articles que celui sur Médiapart ?

Je m’en suis pris à des expositions. Ou à l’émission qu’anime Jean de Loisy sur France Culture qui s’appelle “Les Regardeurs”, ça donne le ton ! Je trouve épouvantable car il brouille la différence qui est pourtant constituante de l’art contemporain. C’est-à-dire qu’on a à chaque fois une oeuvre d’art appartenant à l’histoire de l’art (donc de la structure et peinture globalement) et puis on a l’artiste contemporain qui est invité pour faire le commentaire et on a historien d’art ou un conservateur. Je m’en suis pris à une exposition “les formes simples” qui s’est tenue à Metz. C’est typique d’établir des fausses affiliations avec des approches thématiques. Ici on a un oeuf et un urinoir par exemple parce que c’est la notion de forme simple. C’est typique des commissaires d’exposition qui sont dans un certain confort alors qu’ils sont historiens de formation pour la plupart ! J’ai cet article là qui est assez polémique. Historiquement, c’est une escroquerie.

J’ai attaqué la Fondation Louis Vuitton, tout en respectant la plastique de l’architecture qui à mon avis mérite mieux ou Vuitton lui-même, il a des collections à promouvoir, et les filiations. Sézanne (directrice de la fondation) proposait donc quatre filiations avec très peu de peintres tels que je l’entends et le popisme (le fait qu’un art exprime son époque), des filiations inventées et fausses.

Comment est-ce que vous définissez le mécénat ?

Le mécénat est une relation personnelle et je regrette la progression du financement. L’effet publicitaire me gêne car il pousse au conformisme. La loi Aillagon encourage le placement et non la création.

Quelles sont les principales motivations pour une entreprise à mécéner une institution culturelle ?

On entend par l’art un supplément d’âme, un prestige, une noblesse, un dépassement de toute plus-value, un absolu, c’est l’effet Médicis sûrement, c’est-à-dire laisser une trace qui ne soit pas seulement celle d’un capitaine d’industrie mais aussi celle d’un homme de goût qui marque son époque. C’est légitime, je le comprends. Sauf que c’est peut-être raté parce que c’est finalement un art qui est à leur image, de plus en plus étant donné qu’il a cru qu’une liberté de ton était subversive de la qualité artistique. Donc une subversion est une manière de situer la valeur d’une oeuvre. C’est un court-circuitage nouveau dans l’histoire car la subversion n’est plus autant radicale qu’auparavant, on le voit bien, il y a à présent peu d’art qui dérange! Je fais partie d’une génération qui ne se trouvera pas choquée par le Vagin de la Reine mais qu’est ce que ça fera là-bas ?

C’est dans le milieu du pouvoir et de l’argent car c’est là que l’art peut se développer, et que l’art contemporain trouve son public d’ailleurs comme les nuits blanches etc. mais Vuitton au parc d’attraction, c’est aussi un retour aux sources.

Quels sont les enjeux d’image pour une institution culturelle par rapport au mécénat ?

Cela leur permet d’acquérir une plus grande visibilité, complètement. C’est comme pour la religion, le capitalisme a besoin de l’art et inversement car c’est un espace de prestige, un espace de consensuel, touristique, d’animation donc c’est très important. Alors évidemment, il y a la notion “d’art de luxe” qui a été critiquée et élargie avec Vuitton et dénoncée par les pétitionnaires. On voit qu’il y a une réévaluation des arts dits mineurs dans le système des beaux arts. Est-ce qu’il faut mettre des chaussures sur le même plan que Shakespeare, c’était la question des années 80 et qui s’est développée. Les américains ont permis le passage entre une culture populaire et une culture savante. Je ne dis pas que c’était pas le cas des surréalistes qui ont utilisé une culture dévaluée mais pour mieux provoquer la culture institutionnelle. Un certain nivellement dans le luxe existe et il est important d’élever le plus possible l’aspect artistique des produits de luxe. Leur intérêt est très clair et ils ont raison de leur point de vue. Mais la question est de savoir si l’Etat ne se trompe pas en matière d’avenir. En effet, l n’y a pas de grandes plumes pour soutenir ces choix de mécénat. Ils auraient aimé avoir une caution.

Le mécénat ne peut pas vivre de manière autonome, l’aspect symbolique est de plus en plus étouffant et le choix où les conditions de la création devraient être plus élevés grâce au monde qui nous entoure, ne permet pas finalement d’avoir un niveau culturel plus élevé.

Est-ce que la défiscalisation vous pose un problème ?

Oui ça me gêne car c’est une sorte de contrepartie, à l’inverse du mécénat qui le fait donc disparaître. Et en plus, ça ne débouche pas sur une prise de risque véritable. la fiscalité me paraît détournée de sa fonction, on n’a pas en fin de compte à financer le mécénat, finalement c’est quand même l’Etat qui finance, c’est paradoxal, un Etat appauvri. Le tournant libéral des années 80 n’a fait que renforcer les tendances lourdes qui existaient dans le mécénat anglo-saxon.

Les lieux, comme la fondation Louis Vuitton incarne toute cette fiscalité de l’art ?

Oui c’est un symptôme, évidemment. c’est quelque chose qui existait depuis longtemps avec François Pinault. Il n’y aucune prise de risque, tous les arts s’y ressemblent partout dans le monde.

Vous nous parlez du rôle de l’Etat qui devrait financer la culture, comment expliquez vous cette baisse ?

Il est très appauvri et il suit des modèles extérieurs de promotion de l’art.

Vous pensez que la culture est vouée à vivre via un financement exclusivement privé ou l’Etat restera tout de même le gardien de la culture ?

L’Etat apporte aussi une plus-value avec sa position institutionnelle mais on est loin des maisons de la culture, de l’esprit Malraux… Le privé est très demandeur et sans limite, s’il pouvait tout prendre en charge, il le ferait, y compris l’enseignement et la recherche. Il y a des géants de la domination matérielle qui veulent aussi s’approprier les éléments du plus grands prestige culturel qui représentent une force de frappe.

Si y en a si peu qui soutiennent le mécénat, pourquoi êtes-vous si peu à le dénoncer ?

On ne peut pas reprocher à Vuitton de faire ce qu’il fait, il a ses raisons ! Bien que la finalité est qu’il faut qu’il ait raison au niveau artistique sinon ça se retournera contre lui. Mais son rôle devient problématique car il voudrait annexer d’autres espaces. Tout le monde est gêné de voir qu’il n’y a pas de différence esthétique. Comme l’art se fait aux marges du marché, où l’art n’a jamais échappé aux institutions, il faut savoir ce qu’est l’art. On a pas une esthétique sur laquelle travailler, au fond on ne sait pas où se situe l’art par rapport au marché et ce qu’il est réellement mais on voit les enjeux et ils sont très violents.
J’attends de voir une innovation, simplement une innovation et non un intérêt privé publicitaire, de marketing etc.

Qu’entendez-vous par dadaocapitalisme ?

Qu’est ce que vous en entendez vous ? Le capitalisme et les questions financières prennent emprises sur l’art qui du coup se dénature et perd de sa valeur qu’il avait pu avoir auparavant. oui c’est ça. Ils font disparaître les clivages et n'entraînent pas la création.

Pensez-vous que tous les mécènes aujourd’hui sont des spéculateurs ? Existe-t-il encore des Médicis ?

Sans doute pas car c’était des aristocrates, leur but était le prestige et non la rentabilité. Actuellement ils veulent les deux, ils ne perdent même pas d’argent… Ce sont des hommes d’affaires et non des aristocrates. Le mécénat est une réserve d’investissement pour les gens qui ne s’intéressent pas à l’art. C’est un standing qui est mis en avant et pas la beauté. Il y a un appauvrissement qui n’est pas indifférent au mécénat. Il n’existe plus de style d’époque… L’art contemporain est du recyclage.
C’est un cercle de pouvoir et d’argent face à des entrepreneurs comme Jeff Koons. François Pinault le disait, ma fondation ce sont mes portraits. Je suis pour l’autonomie de l’oeuvre d’art qui n’est pas qu’un objet. >p<>

Guillaume Cerutti

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Guillaume Cerutti débute sa carrière à l’inspection des finances. Il devient ensuite directeur général du Centre Georges Pompidou avant de retourner à l’inspection des finances où il l'auteur d'un rapport sur la fiscalité de l'art et la protection des trésors nationaux. De 2002 à 2004, il est directeur de cabinet de Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication et participe alors à a préparation de la loi du 1er août 2003 sur le mécénat et les fondations. Il devient ensuite directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au ministère de l'Economie et des Finances. Il rejoint enfin Sotheby’s en 2007 qu’il quitte aujourd’hui pour rejoindre son concurrent Christie’s.

Il considère que la loi du 1er août 2003 constitue une véritable “révolution” présentant des mesures incitatives qui sont un élément extrêmement fort dans le développement du mécénat en France. Il salue le deuxième volet portant sur les fondations qui a simplifié le droit de celles-ci et prouvé qu’il y avait une volonté politique d’accueillir les gestes de générosité d’entreprises/particuliers au soutien de l'intérêt général. Pour lui, “la loi de 2003 est un moment très important parce que symboliquement c’une tentative d’un ministre de la culture, Jean-Jaques Aillagon qui est un homme de grande culture et de tradition et parce que c’est une tentative libérale de faire évoluer les choses dans le microcosme et l’écosystème du fonctionnement de l’Etat.”

Concernant les remises en question de la loi, il affirme qu’elle a été défendue chaque fois qu’elle a été remise en question. Pour lui, les remises en question viennent plus du ministère des finances qui estiment que les avantages accordés aux entreprises sont trop forts en termes d’incitation. Il explique qu’aucun ministre de la culture ne peut aujourd’hui se désintéresser du fonctionnement du mécénat culturel: “C’est devenu un sujet trans-partisan il n’y a plus de sujet de remise en question. Même le président de la république influencé ait pu pensé réduire le taux a très vite changé d’avis”.

Il soulève néanmoins la question de savoir si c’est pas finalement en grande partie l’argent public qui permet le développement du mécénat. Il rappelle à plusieurs reprises que l’on est dans un pays où dans ce domaine là il faut faire des efforts pour implanter l’idée collective que le mécénat est une chose utile, ce n’est pas une chose qui s’impose, c’est par l’état et son budget que l’intérêt général s’incarne en France. Le mécénat ne s’est pas implanté naturellement en France.

Pour ce qui est motivations des entreprises à faire du mécénat, il considère que la fiscalité n’est pas une motivation mais incitation. La motivation pour les entreprises serait autre: la participation à l’intérêt général. Il note une évolution de ces motivations: si elles étaient principalement axées sur la visibilité, l’image, l'événementiel et les relations publiques, elles s’inscrivent désormais dans la volonté pour l’entreprise de donner du sens à leur action de mécénat.

Conversation avec Guillaume Cerutti
Le 11 avril 2016

Quel a été votre parcours professionnel?

J’ai un parcours qui a commencé au Ministère de l’Économie et des Finances à l’Inspection des finances pendant 4 ans. Ensuite j’ai bifurqué une première fois en 1996 pour rejoindre Jean-Jaques Aillagon qui m’a appelé et je suis devenu Directeur Général du centre Pompidou pendant 5 ans. En 2001, je suis retourné à l‘inspection des finances où j’ai eu la chance d’avoir à mener une mission d’études (Taska et Fabius) sur la situation de la réunion des musées nationaux et la question du mécénat: il était opportun d’utiliser les ressources, la loterie nationale pour abonder un fond d’acquisition d‘oeuvres d’art sur le modèle de ce qui existe en Angleterre. J’ai conclu que utiliser la loterie était une fausse bonne idée car c’est une extension du budget de l’état: ce qui aurait été utilisée via loterie ça aurait été retiré au budget du Ministère de la Culture dans le cadre de l’attribution de crédits d’acquisition directement par le Ministère des Finances. En revanche j’ai pensé à la fois sur mon expérience du Centre Pompidou et sur l’étude que réfléchir à la manière de développer le mécénat pour l’acquisition de trésors nationaux était important. C’est donc en 2001 qu’est née l’idée d’avoir un système où les entreprises qui aident à l’acquisition d’un trésor national pourraient déduire une partie des sommes qu’elles consacreraient à l’Etat pour acquérir ces Trésors Nationaux. J’étais dans une logique radicale car j’avais proposé que la totalité de la somme apportée par l’entreprise soit déductible de l’impôt sur les sociétés payées: c’était une opération totalement blanche car c’était un moment où le mécénat d’entreprise était très faible donc il fallait un geste très fort pour remettre les entreprises dans le jeu des financements des causes d’intérêt général. A la fin, c’est 90% qui sont aujourd’hui déductibles. Fabius quand il a reçu mon rapport a dit que la mesure pouvait être adoptée et a demandé qu’un ticket modérateur reste payé par l’entreprise et c’est pour ça qu’on est passé de 100% à 90%. Ça s’est passé à l’automne 2001 et cette disposition a été intégrée dans la loi sur les musées le 4 janvier 2002. Elle constitue la première étape avant la loi Aillagon. Donc la première étape importante de cette décennie c’est la loi de 2002. On l’a oublié car la loi Aillagon est venu étendre cette loi. C’était un moment extrêmement important dans la réflexion collective menée dans l’amélioration des dispositifs du mécénat d’entreprise. Ensuite Jean-Jaques Aillagon devient Ministre de la culture, on est resté lié et je suis devenu son directeur de cabinet. Lui-même, comme moi même, et notre équipe étions persuadé qu’il fallait donner une inflexion libérale à la politique culturelle en France: avec un programme de plus grande autonomie pour les établissement publics du ministère de la culture et une ambition de procéder à une loi ou une réforme du mécénat qui aille plus loin que ce qui avait été fait par Taska et le gouvernement de gauche. Nous nous sommes mis au travail tout de suite, nous avons bâti cette loi très ambitieuse. Ça a été un moment de sociologie administrativo-politique: pour les décrets d’attribution du ministre de la culture, le ministre est chargé de coordonner les réflexions. Le mécénat ce n’est pas que la culture, ça dépasse cela et touche bien d’autres secteurs (action social, santé etc.) Dans le décret d’attribution de Jean-Jaques Aillagon en 2002 figure cette mission de coordination sur le mécénat: le Ministère de la culture est un petit ministère, le doter d’une responsabilité qui emporte des conséquences sur les autres ministères et qui le place dans une position d’interlocuteur principal du ministre des finances était un sujet sensible. On a très vite travaillé sur les bases de la loi de 2003: avec notamment le renforcement des dispositions sur les Trésors Nationaux avec la règle des 90% pour permettre l’acquisition d’oeuvres d’art situés à l’étranger qui est une disposition unique au monde. Aujourd’hui quand les musées repèrent une oeuvre d’art qui mériterait de faire partie des collections nationales mais qui est à l’étranger, le dispositif des 90% de réduction peut jouer. On a vu des cas où des musées comme le Louvre est parti cherché une oeuvre d’art en Angleterre avec le concours d’Axa.

Au delà de ça, toutes les actions de mécénat recevaient une incitation fiscale plus forte avec un taux de 60% qui s’appliquait à l’impôt payé. Avant une entreprise, qui aidait un musée ou une administration en versant une somme d’argent, pouvait déduire le montant de l’assiette de ses dépenses sur laquelle était calculé l’impôt sur les sociétés qui était à 33%. Si vous donniez 100 vous pouviez déduire de votre bénéfice net ces 100 et récupérer en termes d’avantage fiscal le taux de fiscalité qui s’appliquait à ces 100, 33%. On gagnait 33. La révolution de la loi Aillagon est qu’on arrête ce système: au lieu de déduire du bénéfice net on va voir ce qu’est l’impôt sur les sociétés à la fin de l’année que doit payer l’entreprise et elle va pouvoir déduire 60%. On passe d’un système où l’entreprise gagnait 33 à un système où elle gagne 60 avec un mode de calcul différent beaucoup plus incitatif. C’était un élément extrêmement fort et puissant qui explique le développement du mécénat en France. Même chose pour les particuliers.
Puis un deuxième volet: le volet fondations qui rénove le droit des fondations en simplifiant les possibilités de créer une fondation à la fois les fondations reconnues d’utilité publique qui étaient très compliquées dans la procédure et les fondations d’entreprise qui ont fait l’objet d’un ensemble de mesures qui ont permis leur développement. L’un des éléments important c’était de dire qu’une somme apportée à une fondation pouvait être consomptible c’est-à-dire que jusqu’à la loi de 2003 les entreprises qui créaient une fondation devaient la doter d’un capital qui ne pouvait pas être utilisé: seul le produit, les intérêts par exemple, pouvait permettre l’action de la fondation. En revanche, le capital lui même était sacré et ne pouvait pas être touché. Ça limitait considérablement les possibilités d’actions des fondations. L‘un des éléments importants de la loi c’est de dire qu’il peut y avoir des fondations à durée déterminée et qu’une personne/entreprise peut dire moi je souhaite donner X millions d’euros pendant 5 ans à une action donc je dote la fondation et l’objet de la fondation d’est de consommer cette somme. C’est un élément important qui a permis de simplifier le droit des fondations et a donné l’impression aux entreprises que les choses avaient changé et qu’il y avait une volonté politique d’accueillir les gestes de générosité d’entreprises/particuliers au soutien de l'intérêt général. Historiquement en France on a toujours pensé que l’intérêt général s’incarnait dans l’État et dans la dépense publique donc chaque fois qu’on essaie de faire intervenir d’autres acteurs c’est comme si on remettait en cause ce pacte séculaire qui existe en France où c’est l’État qui incarne l'intérêt général. Le fait pour un particulier de participer à l’intérêt général fait partie génétiquement, historiquement de son patrimoine et reconnu comme extrêmement positif par la communauté en Angleterre. En France on a une culture différente: chaque fois qu’on veut faire intervenir le privé pour le soutien de l’intérêt général, il faut déployer deux fois plus d’efforts pour que ça donne des résultats. C’est les origines de la loi de 2003.

Ensuite pour terminer sur mon parcours, en 2004 Jean-Jaques Aillagon n’a pas été reconduit comme ministre, et je suis parti également et je suis retourné au Ministère des Finances où j’étais directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pendant trois années, une des directions du ministère des finances en charge de la défense des consommateurs et de la régulation des droits de la concurrence. En 2007 j’ai fait un autre virage, j’ai quitté l’administration pour rejoindre Sotheby en tant que Directeur Général France et Vice Président pour l’Europe et je rejoins Christie’s en septembre à Londres en charge du Moyen orient et de l’Europe…

La loi de 2003 un moment très important parce qu’il s’agit d’une tentative symbolique d’un ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon qui est un homme de grande culture et de tradition et parce que c’est aussi une tentative libérale de faire évoluer les choses dans le microcosme et l’écosystème du fonctionnement de l’Etat.

Quel a été le rôle de l’Admical?

Nul. Enfin très faible. J’exagère. L’Admical présidé par Jacques Rigaud avait donné un premier élan au mécénat dans les années 1980, en 1986 et a joué un rôle important d’encouragement et de communication autour du mécénat des entreprises. La préparation de la loi de 2003 s’est concentrée sur les grandes lignes: action sur les Trésors Nationaux, le changement conceptuel entre une déduction de l’assiette de l’impôt à une réduction de l’impôt payé c’est techniquement complexe mais extrêmement important, ça a changé complètement la donne. Historiquement l’impôt sur les sociétés avait baissé en France. Quand on déduisait de l’assiette, comme l’impôt avait baissé, l’incitation au mécénat était de moins en moins forte puisque l’impôt payé au final avait tendance en termes de taux à se réduire. Passer à une déduction d’un montant de 60% de l’impôt payé a été une percée conceptuelle très importante qu’il a fallu imposer au Ministère des finances et c’était très compliqué.
Pour être franc, ces deux idées ne venaient pas de l’Admical. L’Admical a encouragé et accompagné plutôt qu’il n’a été un élément décisif dans la loi. On ne peut pas dire qu’il a joué un rôle très important en 2002. C’était dans le programme de Chirac. L’Admical est utile, et fournit un travail important de recueil de données et de popularisation auprès des entreprises du mécénat. dans le basculement politique de 2002, le rôle de l’Admical a été plus un rôle d’accompagnement qu’un rôle de déclenchement.

Est-ce que des acteurs se sont opposés publiquement?

Non. Elle est passée assez facilement. Il faudrait reprendre les débats parlementaires. Mais en tout cas à droite comme à gauche il y avait un certain consensus car ça allait dans le bon sens du développement des ressources pour la culture et les bonnes causes. C’est une loi qui transcendait les critères partisans. La loi de 2002 sur les musées qui intégrait cette notion de mécénat et les trésors nationaux c’est une loi qui était portée par Tasca qui avait l’intelligence de dire “il faut le faire”. On est sur un sujet qui transcende les clivages partisans. Depuis 2003 la loi a été complétée notamment sur les fonds de dotation. La loi a été défendue chaque fois qu’elle a été remise en question. Les remises en question viennent plus du Ministère des finances qui estiment que les avantages accordés aux entreprises sont trop forts en termes d’incitation, ce qui est une vraie question qui mérite d’être examinée. donc les tentatives viennent plus de cette partie là que de la gauche contre la droite ou vice versa.

Vous nous avez parlé des 90% mais pourquoi 60%?
A ce moment là, 60% c’était ce qui existait pour les particuliers. Au niveau de la déduction de l’impôt sur le revenu: les particuliers bénéficiaient de ce système de réduction de l’impôt payé versus déduction de l’assiette de l’impôt à payer. Ce système qui devait être à 60% à l’époque voire 50% nous a inspiré pour aligner le taux offert aux entreprises. On a pu dire: c’était le point de référence.

Pouvez-vous nous parler du statut juridique des institutions pour bénéficier du mécénat? On se rend compte sur certaines comme théâtre de Genevilliers ne peuvent pas en bénéficier, savez-vous pourquoi?

Il a sûrement un statut à but lucratif, c’est une structure privée. Parce qu’à partir du moment où on est une structure publique, où on a pas de but lucratif ou à partir du moment où on est une association d’intérêt général, ou une fondation on bénéficie du dispositif du mécénat.
Beaucoup d’associations créent une société d’amis, ou un fonds de dotation pour recevoir du mécénat d’entreprise. C’est un point qui doit être vérifié: consulter la mission mécénat du ministère de la culture.

Pouvez-vous nous parler de la mission mécénat et de son rôle?
C’est pour jouer un rôle de veille, d’information dans le secteur du mécénat. Rien n’existait au ministère en termes de structure d’incitation au mécénat. Absolument rien. Il en existait certains embryonnaires dans certaines institutions culturelles, les grandes comme le Louvre ou le Centre Pompidou. En dehors de ça, le ministère n’était absolument pas investi de ce rôle de réflexion ou de développement du mécénat culturel. A la suite de la loi 2003, l’encouragement a été donné. Dans la foulée, Jean-Jaques Aillagon a créé cette mission mécénat pour porter la bonne parole et expliquer le dispositif.

Comment avez-vous réagi au rebondissement de 2012, lorsque le mécénat culturel a été remis en question par Bercy?

Ça m’avait échappé. La ministre de la culture avait pris des positions très réticentes vis à vis du mécénat, elle y voyait le risque de mercantilisation de la culture ou un risque d’octroi d’avantages excessifs au secteur privé sur le dos du secteur public. Il y a une question de principes qui mérite d’être débattue. Elle a rendu une visite au Centre Pompidou à Metz et elle a attaquée le fait que Wendel, un des mécènes du Centre Pompidou Metz puisse bénéficier de l’appellation de la salle de spectacle Wendel au sein du Centre. Elle a été très choquée par ça. Je pense que c’est cet entourage autour du Président qui a fait qu’il y avait une telle réticence. Très vite ça a été balayé. Aujourd’hui il a changé d’avis: son gouvernement y compris Aurélie Filippeti ont très vite compris l’intérêt qu’il y avait pour les établissements culturels à maintenir les dispositions en vigueur sur le mécénat. Le mécénat en 2002-2003, quand les premières lois ont été mises en place, c’était un dispositif qui était destiné à changer un peu la philosophie de fonctionnement de la culture en France. On est passé à une vision plus partagée, plus libérale qui implique aussi des partenaires privés. Du point de vue financier c’était un complément des ressources publiques que les établissements pouvaient recevoir. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé parce que les réductions budgétaires font que de complément, le mécénat est devenu pour beaucoup d’établissements culturels une ressource certaine additionnelle, minoritaire mais extrêmement importante. Beaucoup de projets ne se feraient pas sans le concours d’un mécène. La Ministre de la culture va très vite s’en rendre compte quand elle voit qu’il y a 10 ans le taux de ressources propres pour les grands établissements publics du ministère de la culture étaient de 30 à 35% et qu’il est passé à 45%. Évidemment au sein de ces 45% le mécénat représente un tiers ou 20% de ces 45%. C’est des sommes très importantes. Aucun ministre de la culture ne peut aujourd’hui se désintéresser du fonctionnement du mécénat culturel. C’est devenu un sujet trans-partisan il n’y a plus de sujet de remise en question. Même le Président de la République qui, influencé, a pu pensé réduire le taux a très vite changé d’avis.

Néanmoins la question de principe sur l’équilibre mérite d’être posée. Aujourd’hui on a des dispositifs très incitatifs, très avantageux fiscalement, parmi les plus avantageux au monde. Il est clair qu’il faut se poser la question de savoir si c’est pas finalement en grande partie l’argent public qui permet le développement du mécénat. C’est une question qu’il faut regarder avec beaucoup d’intérêt parce qu’elle peut se poser mais il faut la regarder en élargissant le débat. Si vous regardez 90%: l’entreprise ne donne que 10% et le reste c’est de la déduction d’impôt. L’entreprise va être classée comme mécène et c’est invraisemblable, certes. Mais encore une fois rappelez vous que l’on est dans un pays où dans ce domaine là il faut faire des efforts pour implanter l’idée collective que le mécénat est une chose utile, ce n’est pas une chose qui s’impose. C’est par l’État et son budget que l’intérêt général s’incarne en France. On peut dire qu’on va appeler les entreprises et les particuliers à la rescousse, c’est pas une chose qui se fera naturellement. Ils ne sont pas naturellement enclins à donner en France, pas parce qu’ils sont radins mais parce qu’ils n’ont pas été éduqués de manière longue dans l’histoire à cette idée que le privé doit contribuer à l’effort public.

Avoir des incitations très fortes est une condition. La question que l’on pourrait se poser c’est est ce que dans le long terme le fait que cette idée s’accoutume à notre pays permettra de réduire les taux, de passer de 90% à 80% et de faire que les entreprises seront toujours motivées ou de passer de 60% à 50%. C’est une question qui est juste. Il m’est arrivée de me demander dans la manière de faire évoluer le dispositif s’il ne fallait pas envisager une nouvelle phase et le fait de passer de 90% à 80% pouvait être une idée. Peut être le faire par pallier: 90% pour un certain montant. C’est une des questions qu’il faudra se poser pour l’avenir. C’est pas le bon moment pour le faire: le mécénat depuis quelques années a tendance à être très affecté par la conjoncture. La question mérite d’être posée et on ne peut lui apporter une réponse que si au même moment on réfléchit à l’ouverture d’autres sujets ou d‘autres portes dans le domaine du mécénat. L’une de celles qui me tient à coeur c’est que le taux des 90% ne bénéficie aujourd’hui qu’aux entreprises. Il est dommage de dire que sur des oeuvres d’intérêt majeur les particuliers ne puissent pas bénéficier des mêmes taux. Idem pour la restauration de grands monuments: les grands monuments on aurait intérêt même si ça coûte essentiellement à l’État et que l’effort des particuliers n’est à hauteur que d’un dixième pourrait justifier que ça fasse l’objet d’une campagne et que l’on attire le maximum de gens. Même si ça ne représente que 10% ce sera quand même utile.
Si dans le même temps on réfléchissait à élargir le champ des avantages offerts et une réduction du taux on pourrait avoir un débat intelligent.

L’impôt choisi c’est une vision très extrême qui consiste à dire que finalement pour un pourcentage de l’impôt payé je choisis. C’est une idée intéressante dans son principe mais il faut la prendre avec des pincettes. Pourquoi? Parce qu’on est dans un pays encore une fois où si on fait ça, on risque que chacun sur son impôt dise “moi je vais financer l’éducation”. Cela va venir en réduction des recettes fiscales encaissées par le Ministère des finances qui servent à doter les ministères. Mécaniquement dès la première année ou la deuxième on va avoir un calcul qui va se faire en disant “ok je comptais encaisser disons 10 milliards d’euros d’impôts sur le revenu” mais on s’aperçoit en réalité que 500 millions sur ces 10 milliards ont été affectés directement à l’Éducation Nationale. Le Ministère des finances va réduire de 500 millions d’euros le budget de l’Éducation Nationale pour des raisons d’équilibre. Micro économiquement l’idée est séduisante, macro économiquement dans le mode de fonctionnement politique budgétaire et économique français je sais pas comment ça fonctionnerait. L’idée est intéressante parce qu’elle pourrait recréer un lien social entre l’approprié et les actions publiques mises en oeuvre. Mais je ne crois pas que ça créera un effet de levier. Au final, on aura l’affectation des mêmes sommes. Sauf que au lieu que ces sommes aient été attribuées par le Ministère des finances dans le cadre de la loi de finance, une partie aura été pré attribuée.
Je préfère quand même garder un effet de levier: je considère que Laurent Fabius qui parlait d’un ticket modérateur avait raison. Si on donnait 100% je pense que politiquement on aurait pas franchi le cap. En disant qu’il faut quand même que le contribuable paye une partie directement ça fonde le vrai mécénat sinon on est dans une autre forme de fonctionnement: c’est de l’attribution ou de l’affectation différente de ressources budgétaires qui au lieu d’être attribuées apr le gouvernement est attribuée par une partie des concitoyens. Je pense qu’il faut évidemment des incitations très fortes. Avec seulement 10% c’est presque de l’impôt choisi. L’effort réel va être assez faible, certes. Mais ce petit différentiel fait toute la différence, il créé un effet de levier. Il peut générer des sommes supplémentaires. Vous avez beaucoup d’entreprises qui ne mettraient pas un euros s’il y avait le dispositif de 90%. Donc ça veut dire que si elles y vont d’une certaine manière elles ont quand même attribué 10 supplémentaires. Il y a un effet de levier qui est important.

Quelles sont selon vous les motivations pour les entreprises à mécéner?

Ça a évolué dans la durée. Le mécénat change nature, c’est normal. Il y a eu une période de déclenchement, de cristallisation: la loi a joué un rôle de catalyseur. Les entreprises ont appris de mieux en mieux à connaître le mécénat, elles se sont dotées de responsables de mécénat. L’Admical a créé une réflexion autour de ce qu’est le mécénat. Aujourd’hui évidemment la fiscalité n’est pas une motivation mais une incitation. La motivation est autre: c’est participer à une cause d’intérêt général, et initialement ce qui était le plus recherché par une entreprise c’était les contreparties qu’elles avaient et une contrepartie de communication. Les entreprises dans le secteur culturel allaient négocier des contreparties de visibilité, de relations publiques, de relations presse, d‘invitations de leurs clients à l’inauguration d’une exposition qu’elle mécénait. Au début il y avait un rapport presque marchand. Évidemment, il y avait une envie du chef d’entreprise mais il fallait trouver l’équilibre. Alors ça, ça demeure. Mais à ça se sont ajoutées d’autres choses. De plus en plus d’entreprises cherchent à associer par exemple leur personnel à une action de mécénat, à donner un sens à leur action de mécénat, à l’inscrire dans la durée. S’est développé également le mécénat en nature c’est à dire le fait d’apporter du temps de collaborateurs à la réalisation d’un projet. Le mode d’apport a évolué. C’est bien parce que ça montre qu’on atteint un âge adulte du mécénat, quelque chose qui fait partie du mode de réflexion et d’actions des entreprises mais paradoxalement cette évolution n’a pas été toujours au bénéfice du Ministère de la culture. On a vu également l’action dans le domaine du développement durable, de l’environnement, de l’humanitaire, de l’éducation, de la recherche, des secteurs qui parfois répondent mieux à cette logique de donner du sens à ce que l’entreprise fait. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entreprises plutôt que de faire du mécénat c’est-à-dire de soutenir une action culturelle créent leur fondation d’entreprise ce qui leur permet elles mêmes de maîtriser complètement leur générosité. Au lieu de donner à une structure extérieure elle créent une fondation qu’elles dotent. La fondation d’entreprise va elle même mener des actions directes. Ça manifeste une évolution qui montre qu’il y a un renforcement et meilleur compréhension de ce qu’est le mécénat.

Aujourd’hui on remarque que c’est les salles qui sont nommées après le nom des entreprises qui recherchent par ailleurs de la visibilité dans le mécénat culturel. Mais pourquoi la culture en particulier, est-ce parce qu’il s’agit d’un vecteur d’image plus fort?

La culture a une connotation positive surtout dans le domaine de la création des idées, du patrimoine. Tout ça c’est positif pour une entreprise: ça véhicule des valeurs positives mais d’abord ça existait avant la loi de 2003. Il y avait déjà du mécénat mais c’était moins intéressant, il y avait moins de lumière mis sur le mécénat. Il y avait un dispositif fiscal qui existait et qui datait de 1986. Aujourd’hui la culture reste positivement connotée mais le secteur du mécénat est devenu un secteur concurrentiel: les établissements culturels mais également les universités , les instituts de recherche recherchent du mécénat et sollicitent les entreprises notamment les grandes entreprises qui sont plus concernées, encore qu’il y ait un mécénat de proximité ou de PME qui se développe. Donc la culture demeure mais elle est de plus en plus concurrencée, si on regarde les quatre-cinq dernières années les sommes affectées au mécénat culturel ont plutôt tendance à stagner. Globalement le mécénat, en période conjoncturelle un peu difficile, n’a pas augmenté. Au sein du mécénat des entreprises, la culture n’a pas été le secteur qui a été le plus dynamique ces dernières années.

Qu’est-ce qu’il faudrait apporter aux TPE et PME pour favoriser le mécénat?

C’est là qu’il y a un travail d’explication des mécanismes. Beaucoup de PME ou TPE font des actions de mécénat sans même solliciter le bénéfice du dispositif fiscal: elles le connaissent mal ou ne veulent pas le mettre en oeuvre parce que trop compliquer. Il y sans doute un champ à expliquer. Pour les TPE un mécénat de proximité doit être développé. On est dans un temps long. L’idée que les particuliers et les entreprises contribuent à l’intérêt général reste très nouvelle en France dans le long terme: on parle de deux ou trois siècles de percolation dans notre inconscient que c’est l’État qui incarne l’intérêt général. Quand on ouvre une brèche, ça va prendre très longtemps pour que ça pénètre dans l’ensemble des entreprises. Il faut se placer dans la longueur du temps. La permanence et la stabilité des règles fiscales est une chose importante: : dans la durée les entreprises vont mieux les appliquer, les maîtriser donc ça viendra progressivement. Il faut faire plus sans doute: l’Admical joue un rôle, les chambres de l’industrie et du commerce jouent un rôle, les directions régionales du ministère de la culture jouent un rôle. Il faut en permanence expliquer ce qui est possible.
Il y a des dispositions qui marginalement peuvent être améliorées: le domaine des arts plastiques par exemple. Aujourd’hui la loi permet à une entreprise qui achète une oeuvre d’art d’en amortir la valeur pendant 5 ans. Dans la définition donnée par la loi et l’interprétation donnée par Bercy les professions libérales sont exclues de ces dispositifs . donc tout un champ possible d’acquisition d’oeuvres d’art contemporain par des dentistes, des médecins, des professions libérales ne bénéficient pas de ces dispositions avantageuses. Il y a peut être des curseurs à modifier pour étendre le fonctionnement de la loi. Dans les principes, il faut jouer avec les règles que la loi à posé, elle est très complète. Ses règles sont très incitatives, il faut essayer de les étendre un peu plus, de les améliorer à la marge mais ne pas les remettre en question dans leur principe.

Que pensez-vous des polémiques autour de l’image que renvoie certaines entreprises mécènes comme JTI?

Ça reste très encadré. Dans les communications qu’elles peuvent mettre en oeuvre, le produit ne peut pas apparaître, ça reste une signature qui doit répondre. Vous trouvez qu’il y a une polémique?

Les institutions au moment où elles sollicitent des mécènes, il leur revient de décider si l’image d’une entreprise correspond à l’image qu’elles veulent donner d’elles mêmes. Ça fait partie du dialogue normal qui existe entre un potentiel mécène et un établissement culturel. C’est à chaque établissement de gérer cela en intelligence par rapport à ses missions, par rapport à l’entreprise qui vient le voir ou le sollicite. Il faut surtout pas en rajouter (des règles), ça fait partie de la relation contractuelle normale entre une entreprise et un établissement culturel. La vraie question c’est savoir s’il y a un risque que l’intervention d’un mécène puisse orienter la programmation d’un établissement culturel: est-ce que en étant tellement dépendant des mécènes il n’y a pas un risque que la programmation du Centre Pompidou ou du Grand Palais aille vers une certaine forme d’exposition qui plairait aux mécènes plutôt que vers des choses plus exigeantes? Le risque n’est pas nul, je pense qu’il a été bien maîtrisé jusqu’à présent. Il n’y a pas d’affaire retentissantes qui me viennent à l’esprit sauf si vous avez des exemples.

Par exemple, chaque espace est privatisé au Palais de Tokyo et on voit affiché la marque mécène avec l’exposition de Canson en ce moment. Ne serait-ce pas leur propre programmation qu’ils mettent en avant?

Le mécénat pour s’être développé reste une ressource additionnelle. Il y a une volonté des établissements culturels de maîtriser leur programmation et de ne pas tomber dans ce piège qui ferait que telle ou telle entreprise devient prescriptrice dans la programmation. Peut être qu’un jour la question se posera: la London National Gallery a réalisé une extension avec une nouvelle aile financée par les propriétaires de Sainsburry. Elle s’appelle l’ “aile Sainsburry”. C’est comme si demain, la rénovation du Grand Palais s’appelait la salle ou l’espace Dassault. L’exemple est mauvais parce que c’est une nouvelle construction. Prenez par exemple le Centre Pompidou qui créé un nouvel espace en banlieue parisienne pour développer une programmation additionnelle et ce bâtiment est financé par Bouygues et du coup le centre serait appelé Bouygues. Là je pense que ça ne pourrait pas arriver en France. Il y a cette évolution potentielle vers le naming qui est une chose qu’il faut regarder avec beaucoup d’attention et il ne faut pas aller jusque là justement. C’est ce qui se passe aujourd’hui quand vous voyez des stades de foot qui se construisent, ils portent le nom du mécène qui a acheté le droit de sponsoring de ce stade avec le nom qui apparaît. Dans le domaine culturel heureusement on est pas allé jusque là. Il y a une volonté des programmateurs culturels de maîtriser les choses par culture et c’est une bonne chose. On joue avec les limites de ce qui est admissible. et pour l’instant les limites ont pas été dépassées à mon sens.

Que penser alors de la Fondation Louis Vuitton?

C’est différent: la fondation Vuitton a construit son propre établissement, c’est l’entreprise elle même qui l’a financé. Elle ne bénéficie pas de l’image d’un autre établissement.
C’est un établissement culturel nouveau financé de manière privative: dans le cas d’une fondation d’entreprise. Vous faites état du fait que le terrain a été donné mais je crois qu’au bout de 50 ans les choses changent et le bâtiment devient un bâtiment qui est rendu à la ville. Je pense pas que ce soit un sujet ! On est très heureux d’avoir un musée privé construit à cet endroit qui a amené un peu de lumière sur la vie culturelle en France. Le terrain a été mis à disposition mais l’ensemble a été apporté par l’entreprise, par la fondation d’entreprise. On n’est pas dans le même cas qu’un établissement public qui a donné son nom à une entreprise qui l’utiliserait à des fins artistiques et culturelles. C’est l’exemple que je prenais de la National Gallery et l’aile Sainsuburry vous imaginez pour l’entreprise parler à ses clients de l’aile Sainsburry c’est comme si vous aviez une aile Carrefour au musée du Louvre, c’est comme si le bâtiment des arts de l’Islam construit il y a 3 ans s’appelait l’aile Carrefour. On est dans une évolution qui n’a pas lieu en France parce qu’on est d’une culture différente, on vient d’un endroit différent et qu’on a des attentions très fortes à ce genre de dérive. Je pense pas que ce soit une menace aujourd’hui, mais c’est une question qui mérite d’être posée parce qu’il faut toujours la garder comme quelque chose qui doit être surveillé, une limite qu’il faut éviter de dépasser mais pour l’instant les choses sont maintenues dans des proportions qui sont satisfaisantes.

Et le cas de Louis Vuitton non seulement mécène du Grand Palais mais qui y fait aussi des expositions?

Alors ça c’est une autre chose. on a le Grand Palais ou le Musée des Arts Décoratifs où on voit que les expositions sont financées par les marques. Ce n’est pas complètement du mécénat: vous avez une entreprise qui dit “je suis prêt à payer une exposition sur l’histoire de Louis Vuitton au Grand Palais et donc je loue un espace pour y développer une exposition”. Ce n’est pas du mécénat, c’est de la démarche commerciale. Le Grand Palais a des espaces qu’il loue à des évènements prévus que ce soit des défilés de mode, que ce soit des expositions temporaires, que ce soit le saut Hermès par exemple. Alors effectivement, la valorisation commerciale des espaces fait partie aujourd’hui de tous les établissements culturels. La question qu’il faut se poser c’est est-ce que le fait que dans un établissement comme le Grand Palais qui développe par ailleurs des expositions dont il est lui même le maître d’ouvrage (Velazquez, Vigée le brun, l’exposition sur Caramboloage) est ce que le fait d’avoir dans le même espace une exposition publique financée par la RMN et à côté un espace loué à une entreprise: est-ce que ça ça peut créer une confusion dans l’esprit du public ? Le Grand Palais ou le Musée des Arts Décoratifs a programmé une exposition Louis Vuitton c’est donc que cette marque fait partie du patrimoine. En réalité l’entreprise a payé l’exposition. Ce n’est pas du mécénat: on est dans un autre domaine qui est de l’acquisition commerciale d’un espace et c’est la responsabilité du président ou du directeur de l’établissement culturel de vérifier que les lignes ne sont pas franchies et que la confusion ne peut pas exister dans l’esprit du public. Ça veut dire qu’il y a un équilibre de programmation, qu’il y a un nombre de fois ou vous pouvez le faire qui doit être régulé et une question d’information du public, de la façon dont s’est présenté qui doit être respectée. J’ai pas l’impression, même si de temps à autres, il y a des questions qui sont posées, qu’on ait franchi les limites. Et par ailleurs, il y a deux autres choses que vous devez prendre en compte dans ce débat. On est dans un monde où les restrictions budgétaires sont de plus en plus fortes dans les établissements. L’argent qu’ils recevaient de l’État a tendance à se réduire. Il leur faut donc trouver des ressources pour financer leur programmation et leur fonctionnement. Encore une fois ils doivent le faire en veillant à ce que les équilibres ne soient pas rompus en termes d’images, de déontologie mais c’est une obligation pour eux.Oon est passé d’un monde où il y a dix ans les ressources propres pour les grands établissements culturels étaient entre 30 et 40% aujourd’hui on est entre 45 et 50% pour les dix ou quinze plus grands établissements. La deuxième chose est que moi j’ai toujours eu énormément de sympathie pour des programmations d’établissements culturels où le fait de faire une programmation grand public ou de louer un espace à une entreprise permettait en parallèle à cet établissement de suivre sa programmation avec des expositions beaucoup plus exigeantes qui visent un public beaucoup plus restreint ou qui n’auraient pas pu être faite si cet établissement n’aurait pas pu être un établissement public. Si le prix à payer pour maintenir cette exigence c’est de temps à autres de faire une exposition Louis Vuitton je pense qu’il faut l’accepter. Parce qu’on est dans un monde imparfait où l’argent ne coule plus à flot. Il faut trouver des solutions. Le nombre de paramètres qui s’imposent aujourd’hui aux directeurs d’établissements culturels est très important. C’est très compliqué, il faut pas leur jeter la pierre quand ils mettent en oeuvre des programmations qui font intervenir le secteur privé. Après, encore une fois c’est vraiment du cas par cas, il faut gérer les situations une par une.

Est-ce qu’il y a un mécanisme de contrôle quand une institution a besoin d’un tel montant pour faire une exposition?

Ça coûte beaucoup plus cher que ce qui était prévu. Il n’y a pas de mode de régulation absolu. Je pense que c’est dans le dialogue entre l’établissement et l’entreprise. Généralement, le mécénat vient rarement financer les 100% d’un projet, donc le risque dont vous parlez ne s’impose pas. Généralement le mécénat est une partie du coût donc je n’ai pas d’exemple ou le risque s’est réalisé.

Par rapport à la défiscalisation, aux contreparties, est-ce que l’aspect de libéralité du mécénat existe encore?

Oui je pense regardez l’élan qu’ont connu les fondations d’entreprise. On est plus dans la recherche d’une contrepartie offerte par une établissement culturel. On a des entreprises qui À un moment se sont dit: “je vais créer une fondation d’entreprise parce que je vais investir le champ de la culture de l’humanitaire etc”. Donc il y a quand même une volonté de générosité ou de libéralité, la volonté pour l’entreprise de jouer un rôle citoyen, d’intervenir sur des thématiques qui ne sont pas intimement liés à son objet social ou financier.

Que pensez-vous de la controverse autour de la fondation Louis Vuitton alors qu’au contraire la fondation Cartier jouit d’une image beaucoup plus neutre?

Il faut juger dans la durée, se placer à l’échelle de temps de la fondation Cartier. Il faudra voir la fondation Vuitton dans 20 ans. Mais pour la fondation Vuitton dites vous bien que si elle s’était construite à Berlin ou à Bruxelles ou à Londres on aurait dit en France on est incapable d’avoir des initiatives comme celles là. Parce que si ça avait été à l’étranger ça aurait été unanimement admiré depuis ce pays qu’est la France. Nous français on a toujours ce rapport un peu biaisé à l’initiative privé parce que ça fait partie de notre patrimoine, d’avoir une certaine méfiance ou un certaine absence de familiarité avec ce type d’intervention. Évidemment les choses sont jamais parfaites et toujours critiquables, c’est de la publicité pour l’entreprise, ça s’appelle Louis Vuitton etc etc. Il n’empêche que c’est un établissement culturel qui a accueilli plus de 300 milles visiteurs la première année, peut être plus, qui a une programmation qui est de haut niveau et qui va continuer à agir, qui va s’installer dans le paysage. Les gens viennent en France pour voir la fondation Louis Vuitton, en tout cas ça fait partie du circuit des visites et des éléments d’attractivité. Il faut regarder aussi la photo dans son ensemble et non pas un détail de la photo, dans le long terme et non pas s’arrêter dans l’instant. Peut être que la fondation Cartier a une image un peu plus favorable. Mais par exemple à la fondation Louis Vuitton, l’exposition sur les clés d’une passion a réuni un ensemble de chefs d’oeuvre qu’on voit très rarement à Paris. Là il y a une exposition sur les artistes contemporains chinois. Elle fait un vrai travail de qualité en terme de programmation. C’est pas uniquement une façade.

Au moment où la fondation Pinault ne s’est pas faite sur l’île Seguin, immédiatement ça a entraîné une polémique en France disant “mais quel scandale, quel dommage, quel ratage qu’il fasse sa fondation ailleurs”. Je dirais qu’en France on n’est jamais complètement satisfait. Et aujourd’hui la fondation Vuitton on dit qu’il y a des critiques. Où qu’on soit il y a des situations imparfaites. Le bénéfice à avoir un établissement culturel fut-il une fondation même s’il y a parfois des risques de confusion; mais à partir du moment où c’est maîtrisé et que la fondation a une programmation de grande qualité, ça reste quand même un avantage pour le rayonnement culturel de ce pays. Donc il faut l’encourager.
Est-ce que c’est parce que la fondation Pinault ne ‘est pas installé sur l’ile Séguin que la fondation Vuitton a pu se faire? C’est une interprétation assez amusante, stimulante. Peut être que ça joue en partie. Mais rappelez vous qu’au moment où la fondation Vuitton s’est installée il y a eu aussi des recours des riverains, ça a été une longue histoire et ça a pas été facile. Mais c’est vrai que l’échec de la fondation Pinault, est-ce que ça venait de l’Etat, des collectivités territoriales, ou des collectivités publiques en général, peut être qu’il y avait un manque de réactivité. Monsieur Pinault a peut être été effrayé par le fait qu’il s’est vu partir pour une très longue période avant de pouvoir réaliser son souhait. C’est un problème en France et puis ça venait aussi à l’issue d’autres échecs retentissants. Helmut Newton avait le souhait de donner sa collection au musée français et puis devant les lenteurs, le manque de réactivité, il a créé sa fondation à Berlin.

Laurence Perillat

Description

Laurence Perrillat est l’administratrice de la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette. Auparavant, elle occupait un poste de chef de projet à la Direction du Mécénat dans le Groupe Galeries Lafayette. Elle s’occupe actuellement de la mise en place stratégique, administrative, juridique et fiscale de la Fondation d'entreprise Galeries Lafayette et du Fonds de dotation de la Famille Moulin ; ainsi que développement du projet artistique et du projet architectural. Elle a également travaillé au Palais de Tokyo en tant qu’assistante de direction, ainsi qu’au Centre Pompidou au sein de la Société des Amis du Mna.

Pour elle, la Fondation Galeries Lafayette qui ouvrir en 2017 sous forme de musée au coeur de Paris est un lieu unique de par son architecture modulable originale et par son éclectisme artistique. Elle a la volonté de faire de ce musée, un lieu de croisement entre des artistes de différentes nationalités et mouvances artistiques. Elle nous a expliqué que l’autonomie de la Fondation des Galeries Lafayette par rapport au groupe lui-même permettait une liberté artistique plus importante que dans d’autres fondations. Par ailleurs, elle a à coeur au sein de la Fondation de suivre personnellement les artistes et de leur offrir un réel accompagnement enrichissant pour toutes les parties-prenantes et non pas seulement un soutien financier.

Conversation avec Laurence Perrillat
Le 11 avril 2016

Pouvez-vous nous parler du rôle et du but de la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette ?

Alors la Fondation d’Entreprise ne fait pas du mécénat en tant que tel. Les Galeries Lafayette font du mécénat d’Entreprise, mais ce n’est pas moi qui pourrait vous ne parler. Il y a un service Direction du Mécénat aux Galeries Lafayette. Nous on est la Fondation, on est mécéné par les Galeries Lafayette.

Nos missions sont inscrites dans les statuts de la Fondation d’entreprise, c’est des missions d’intérêt général. Les Galeries Lafayette ont créé une fondation d’entreprise pour valoriser les missions de mécénat qui existaient déjà pour aller un peu plus loin. Car une entreprise, même si c’est écrit dans ses statuts, son but est de gagner de l’argent, faire du commerce etc, et ce n’est pas de soutenir la création. Pour cela, elle est obligée de soit créer un organisme pour le faire, soit d’apporter son mécénat directement à des organismes qui ont pour missions de soutenir la création. Elle a décidé de faire les deux. Traditionnellement, elle était plutôt mécène d’institutions comme le Centre Pompidou ou le Musée d’Art Moderne, la FIAC, etc… Et ça c’est des actions qui vont rester malgré la création de la Fondation mais l’entreprise a voulu aller plus loin. Cette volonté vient de Guillault Houzet qui est actuellement le Président de la Fondation d’Entreprise et qui est également le directeur de la Communication, de l’Image et du Marketing de l’entreprise Galeries Lafayettes ; et qui est un collectionneur. C’est une personne assez bien indetifiée dans le monde de l’art et même dans le monde de l’entreprise et lui a voulu aller un peu plus loin et a effectivement décidé de créer la Fondation d’Entreprise.

Les missions d’intérêt général de la Fondation d’Entreprise sont de soutenir la création contemporaine à travers notamment la production. C’est la spécificité de notre mission quand on regarde le paysage des Fondations et des centres d’art aujourd’hui en France. Notre idée c’est de pouvoir permettre aux artistes de pouvoir produire de nouveaux projets, de prendre des risques et surtout de faire apparaître des choses qui n’existaient pas. Ca peut paraître banal mais quand vous regardez les oeuvres d’art dans les Fondations ou centres d’art ce sont des oeuvres qui existaient déjà avant d’être présentées dans le musée. (...)

La volonté de créer la Fondation date de 2011, l’équipe a commencé à être constituée avec François Quentin qui est le directeur et moi-même et progressivement l’équipe s’est agrandie. La Fondation elle-même a été créée en 2013 et elle ouvrira ses portes à quelques rue d’ici fin 2017.

Est-ce que cette Fondation, ce bâtiment va remplacer la Galerie des Galeries ?

Non ce sont deux initiatives complètement parallèles, complètement différentes. La Galerie est vraiment inscrite dans la vie du magasin. Elle fait dialoguer l’art, la culture avec le planning commercial. Elle a son indépendance.

Qu’est-ce que vous entendez par faire “dialoguer l’art et le planning commercial” ?

Par exemple, là, pour la collection Eté/Printemps le planning commercial était autour de la rayure donc Elsa Jansen, qui est la Directrice de la Galerie a fait un projet autour de la rayure en invitant plein d’artistes de Suisse, etc ce qui permet de découvrir une scène un peu rare à Paris. C’est très subtile. Ca permet aussi pour elle de s’inscrire dans tout le système de communication autour des saisons dans les Galeries Lafayettes. Et c’est pédagogique aussi pour le public et les clients.

Comment se met en place le rôle d’incitation à la production de la Fondation ? Est-ce seulement un soutien matériel et comment se passe le choix des artistes et des productions ?

Nous avons mis en place un système inédit pour l’activité curatoriale qui est de faire appel à des curateurs indépendants pour 3 ans. Ils continuent leur activité de curateur tout en travaillant pour la Fondation. Il y en a qui vit à New Yok, un à Londres, un à Bruxelles. Ca permet d’avoir des personnes mobiles, dans l’envie, qui permettent à la Fondation d’avoir accès à des réseaux auxquels elle n’aurait pas accès si ces curateurs habitaient ici à Paris. Et les projets ça dépend, il y en a qui sont évidents, d’autres moins. Après il y a des artistes avec qui on a envie de travailler. C’est très varié. Notre rôle dans la production est d’y apporter les moyens financiers mais pas directement au sens où l’artiste c’est pas lui qui va gérer un budget. On ne va pas lui dire “tiens voilà 50 000 euros débrouille toi”, ça c’est ce qu’on appelle du mécénat ou de la distribution ou du mécénat distributif. L’artiste a besoin de financement pour son projet, on lui donne son financement. Sauf que parfois il est bien embêté, en plus il ne sait pas trop gérer l’argent souvent. En plus il va devoir déclarer ça aux impôts etc, s’il s’est mal débrouillé ça peut faire du revenu, c’est parfois un peu compliqué. Donc nous, on procède autrement. Si un projet coûte 50 000 euros, c’est parce qu’on a fait tout le travail d’évaluation du projet, c’est notre métier, après on va voir les prestataires, on va l’aider à prendre des décisions sur des formulations techniques. Et on va l’aider à ce que l’oeuvre puisse être présentée au public. Par exemple s’il y a des éléments de dangerosité, parce que l’artiste ne connaît pas la réglementation des musées en France, c’est à nous de lui dire. Donc l’accompagnement, il va falloir à la fois mettre à disposition des savoir-faire et des moyens financiers certes, mais on va gérer nous et lui mettre à disposition tout un suivi, une compétence etc. La production parfois c’est quelques jours et parfois c’est quelques années. On a déjà travaillé avec une trentaine d’artistes internationaux.

Vous avez dit que c’est Guillaume Houzet qui est à l’origine de la création de la Fondation et qu’il est aussi directeur de la Communication, de l’Image et du Marketing des Galeries Lafayette et du BHV Marais. Est-ce que construire une Fondation d’art ça fait partie d’un projet de communication global ?

Il y a une incitation fiscale qui fait partie de la démarche, il faut la nier. C’est des millions d’euros de monter un projet comme celui-ci. Si l’entreprise le faisait sans l’incitation fiscale, elle en ferait un outil de marketing et ce serait une catastrophe pour les artistes, pour l’entreprise etc. L’incitation fiscale elle a un rôle double. Déjà elle va permettre à l’entreprise que 50% de ce qu’elle va donner dans la Fondation lui revienne en crédit d’impôts, donc ça joue un rôle important dans la décision. Mais pour pouvoir bénéficier de ce crédit d’impôt et être considéré comme mécène, il faut que l’intérêt général et ça c’est un critère qui est beaucoup plus complexe, subtile mais qui est extrêmement sévère. Servir l’intérêt général, c’est pas servir des intérêts particuliers. La Fondation elle se doit de ne pas traiter avec les Galeries Lafayette différemment qu’elle traiterait avec une autre entreprise ou avec le Printemps ou je ne sais qui. Donc cette notion d’intérêt général est très importante et fait qu’on est complètement autonomes par rapport à l’activité des Galeries. Par contre du point de vue des Galeries, effectivement c’est pas rien d’avoir une fondation qui s’appelle Fondation Galeries Lafayette, c’est un nom qui va circuler dans le monde entier. Cela va donner une image à l’entreprise plus jeune, plus expérimentale, proche des préoccupations importantes d’aujourd’hui comme celles du ‘faire’, du ‘produire’ dans un milieu ouvert, de culture etc. Bien entendu, il y a un bénéfice que va recevoir les Galeries Lafayette par rapport à la création de cette Fondation. C’est un bénéfice qu’on peut considérer comme immatériel, un soft power, faut pas se le cacher qui va permettre à l’entreprise d’avoir un retour d’image plus favorable quoi, enfin on lui souhaite ! Donc il y a ce double aspect, il y a cet aspect purement fiscal, il y a une loi, la loi Aillagon qui permet à des entreprises de recevoir une remise fiscale dans le cadre de tout don à un organisme d’intérêt général et ça on n’est pas les seuls à en profiter, tout le monde en profite et c’est très bien, ça permet quand même de développer la philanthropie en France. Et puis il y a effectivement un retour d’image qui est difficile à évaluer.

Vous essayez de l’évaluer ?

Pas encore, c’est trop tôt pour nous. Quand on sera ouverts peut être. Ca sera intéressant de faire des commandes d’audit de notoriété. Mais c’est des audits très chers et en général on préfère faire autre chose avec l’argent que de savoir si on est connus et comment on est perçus. Mais oui c’est peut être quelque chose qu’on fera à la demande de l’entreprise ou que l’entreprise fera elle-même sur sa Fondation, pour essayer d’évaluer quel est le gain immatériel et essayer de revaloriser ce gain immatériel en euros pour savoir combien ça rapporte en soft power d’avoir une Fondation d’entreprise.

Votre Fondation est une fondation artistique, plus précisément d’art contemporain ; à votre avis pourquoi les Galeries Lafayette préfèrent investir dans l’art que dans d’autres causes ?

C’est une bonne question qu’on s’est beaucoup posés nous-mêmes eu début de la Fondation quand on sortait de la crise. En fait, ça tient à la structure de l’entreprise, c’est une entreprise familiale. Tout le capital est détenu par la famille et c’est la 5e génération qui dirige l’entreprise. Du coup sur la question du mécénat on est plus libres, on peut se laisser aller à des goûts plus personnels. Et aux Galeries il y a toujours ce truc du beau et du bon pour tous. Ca valait aussi pour le design, on a longtemps fait venir des grand designers qui créaient des pièces vendus à des prix très modérés aux Galeries. C’était la volonté de rendre le beau accessible. Et d’un autre côté il y a toujours eu un goût personnel de la famille pour la création contemporaine. Ginette Moullin est notamment connue pour ses grandes luttes pour retrouver son Monet qui a été spolié pendant la guerre et qui avait fait l’objet d’une grande recherche. Ses parents déjà collectionnaient et elle même elle a dans son bureau un Poliakoff et d’autres. Elle a organisé les salons d’automne des Galeries Lafayette pendant plusieurs années, elle a fait venir des sculptures du centre Pompidou de du Buffet pour l’épicerie des Galeries. Elle a su insuffler ce goût pour la création à Guillaume Houzet qui lui a fait Antidote, cette exposition dans les Galeries pendant la FIAC, de créer la Galerie des galeries, de mettre en place une politique de mécénat etc. Donc la question culturelle et artistique est venue de manière assez évidente.

Après c’est pas ce n’est pas parce qu’on a une vocation culturelle et artistique, qu’on n’a pas de vocation sociale. Soutenir la création, c’est aussi soutenir l’économie solidaire de l’art. Y’a une éthique derrière, je veux pas dire que toutes les fondation, tous les musées qui soutienne la création ont une éthique ou pas; chacun fait comme il veut, il peut. Nous en tout cas, on a mis en place une charte de production responsable, on rémunère les artistes, tous les artistes qui travaillent avec nous, sont rémunérés, quand ils viennent passer quelques jours parmi nous, il sont des per diem, il reçoivent des dédommagements forfaitaires de leur temps de travail ici, et on est vraiment, on souhaite en tout cas, on reconnaît que les artistes ont une place importante dans notre société, qu’il faut, qu’ils sont fragiles, qu’ils ont des statuts précaires. On travaille beaucoup avec des organismes très précaires, graphistes, des petites artisans, c’est quasiment que des professions indépendantes qui sont auto-entrepreneurs et qu’il faut payer vite et avec qui il ne faut pas trop négocier. Voilà, je sais pas si ça répond à votre question mais quand on soutient la culture, on soutient aussi la société d’une certaine manière.

On se demandait si vous étiez la seule entreprise qui a un fond de dotation, on voulait connaître les différences.

Oui effectivement, on a créé un fond de dotation famille Moulin, et la fondation Galeries Lafayette, pourquoi on a fait les deux ? La réponse est à la fois simple et compliquée, simple parce que d’un côté il y a la famille, de l’autre l’entreprise, d’une certaine manière ça reste deux entités qui ont leurs spécificités, qui n’avaient pas la possibilité d’être mélangées à ce moment-là et, du coup, on s’est trouvé vite face à un frein juridique. Mme Moulin avait une collection, elle a une collection très importante, d’art, d’art contemporain et notamment toute une collection qu’elle a faite avec son petit fils. En fait, elle voulait avec Guillaume Houzet, qu’une partie de collection soit donnée à un organisme d'intérêt général et qu’il continue à être enrichi, qu’il y ait une vraie démarche de valorisation de ce toute collection. En fait, cette collection ne pouvait pas être donnée à une fondation d’entreprise parce qu’elle est une personne physique, et qu’une fondation d’entreprise ne peut être fondée que par une personne morale, du coup on ne pouvait pas tout mettre dans le même organisme, déjà des le début on avait cette problématique de voir, d’être obligé de créer soit une fondation, soit un fonds de dotation, une fondation RUP, c’est très très complexe. Il faut mettre beaucoup d’argent, c’est des décrets, c’est plusieurs années de démarche alors qu’un fonds de dotation, c’est hyper facile. C’est aussi facile que de faire une association aujourd’hui, surtout quand on a un service juridique, ce qui est le cas, ici aux Galeries Lafayette, un notaire familial qui connaît… Et puis des experts qui savent expertiser une collection, donc c’était plus facile de créer un fonds de dotations.

Après on aurait pu mettre toute l’activité au sein du fonds de dotation, toute l’activité de la fondation d’entreprise, cela aurait été plus simple, cela permet d’être propriétaire d’immeubles, le fonds de dotation est vraiment très simple. Mais l’entreprise voulait vraiment sa fondation d’entreprise, et ce que je comprends, il y a la fondation Cartier, Louis Vuitton, Hermès pour les plus récentes et les parisiennes, aussi Prada qui ont créé leur fondation, certaines, la plupart sont des fondations d’entreprises et du coup, il y a avait une volonté de rentrer dans cette logique de développement national et international à travers cette fondation d’entreprise et du coup on s’est retrouvé à devoir faire les deux, ce qui est assez intéressant, parce qu’il y a une sorte de double approche. Maintenant, elles ont une dénomination parapluie, qui là fait identification qui permet de rassembler les activités de l’une et de l’autre souvent on travaille ensemble parce que le fonds de dotation n’a pas de personnel, le fonds de dotation c’est vraiment juste la collection et quelques activités, juste c’est pas rien du tout, y’a pas de personnel, y’a pas de locaux, y’a pas de frais, 90% de du budget par directement dans les missions d’intérêt général les 10 autres pourcent cela doit être quelques frais pour les commissaires aux comptes, quelques frais pour les services juridiques, de la refacturation de salaires parce que malgré tout on refacture mais elle est complètement dédiée à son activité et elle peut l’être parce que derrière, la fondation prend en charge tout le reste donc elle travaille vraiment l’une et l’autre, main dans la main, c’est on est deux ou trois dans l’équipe à être partagé notre temps entre les deux. C’est clair ou pas ? Je sais que c’est compliqué ce montage….

J’avais juste une question par rapport aux bénéfices immatériels et l’image de marque, de côté des bénéfices matériels est-ce que vous arrivez à les quantifier, quel retour sur investissement vous avez quand vous investissez dans des artistes ?

Pour la fondation ? pour l’entreprise ? Nous rien. Pour l’entreprise ? si c’est aussi un but. L’entreprise quand elle donne, quand elle fait sa donation à sa fondation elle a rien.

Ils n’attendent rien de particulier ?

Elle reçoit juste un reçu fiscal… Elle ne peut pas avoir autre chose. C’est la loi en fait. Sinon c’est pas du mécénat… S’il y a une contrepartie ça peut être du mécénat par exemple quand vous êtes mécènes si vous donnez par exemple 100 000 euros au Palais de Tokyo, vous allez avoir votre logo sur la communication du Palais de Tokyo. Pour les fondations d’entreprises c’est différent, on ne va pas mettre le logo des Galeries Lafayette sur les documents de la fondation. C’est beaucoup plus, ça porte le nom déjà, donc en fait il n’y a pas dû out de contreparties, c’est même un peu compliqué des fois, parce que… Comment dire ? C’est normal qu’il n’y ait pas de contreparties si c’est du mécénat mais par exemple mettez vous à la place d’un salarié des GL qui découvre la fondation qui a envie de venir, qui vient avec toute sa famille, il est trop content, je vais voir la fondation de l’entreprise dans laquelle je travaille, puis il arrive, puis on lui dit « Bonjour je travaille chez les Galeries Lafayette, je voudrais visiter la fondation. », « Okay, ça fera 8 euros », et il dit bah je travaille au GL. « Ben, ouais mais non ». En fait, ça ça fait partie des problématiques, des choses que je trouve un peu problématiques, que les salariés des Galeries Lafayette vont devoir payer pour venir, on va faire des arrangements avec les CE, les CE vont acheter des entrées pour le personnel, des choses comme ça, mais malgré tout, ça aurait pu être une contrepartie pour l’entreprise mais ça en est même pas une. Euh. Les enfants des salariés, pour accéder aux activités pédagogiques, ils vont devoir payer comme les autres, c’est la contrepartie.

C’est un choix justement de ne pas avoir de contreparties, c’est pas forcément le parti pris de certaines fondations.

Non c’est pas un choix, c’est la loi.

Après certaines fondations…

Ouais elles ne se gênent pas…

Un logo…

Ouais, elles prennent leur risque, hein. On citera personne mais ils prennent leur risque, elles sont suffisamment puissantes, elles pensent qu’elles sont dans une impunité peut-être que ça va faire jurisprudence, tant mieux. Nous, on a vue des cohortes d’avocats quand on a mis en place la fondation, tout ce qu’ils nous disaient de pas faire, on l’a vu faire par d’autres fondations mais c’est pas pour ça qu’on va le faire non plus, c’est trop risqué, ça nuit à l’image de la fondation que de trop mettre en avant la marque de l’entreprise. Quand elle porte son nom c’est déjà énorme, de là à mettre des logos, non moi je pense que c’est très dangereux comme… Sinon c’est un outil marketing, et c’est pas une fondation d’entreprise et où l’intérêt général après, il faut chercher longtemps, après est-ce qu’il y aura des inspecteurs de Bercy, des avocats qui seront suffisamment courageux pour dénoncer ça, et remettre en cause le fonctionnement ben je sais pas peut être, mais il faut être courageux de s’attaquer a des grosses… Le truc c’est que ça peut remettre en cause les 60% de défiscalisation ce type d’attitudes, de comportements, pour nous c’est dangereux. Si ces 60% sont remis en cause, ça a été le cas en 2011 en 2012.

En 2012

Il y avait eu des discussions qui finalement n’ont pas abouti c’est vrai que nous on a tout arrêté à ce moment là, on était, on attendait de voir ce qui allait se passer pour créer la fondation, si cet intérêt disparaissait, tout à-coup on pouvait une société, avoir plus de liberté, être plus un outil marketing, tout en faisant bien dans notre soutien à la production et franchement on s’enlève beaucoup de soucis. Les fondations ne récupèrent pas la TVA, on a pas le droit de faire de recettes, à part de la billetterie, si on veut vendre le moindre objet il faut créer une société à part, c’est pas le statut le plus facile du monde.

J’avais une question plus personnelle, j’ai vu sur votre profil LinkedIn que vous aviez travaillé au Palais de Tokyo. Ça fait quoi, c’est un peu passer de l’autre côté, passer du côté de l’entreprise.

Alors oui et non… Au centre Pompidou, je travaillais pour la société des amis du musée donc qui est une association qui travaille du côté des collectionneurs et du coup on est déjà du côté du privé et ce sont des personnes qui ont des rôles importants dans les sociétés, le palais de Tokyo c’était à cette époque la seule association qui avait un modèle économique nouveau, en France qui était d’avoir ces ressources qui venaient du mécénat, qui venait du privé, une grande partie des ressources. Du coup, pour moi c’était logique de rentrer dans ce fonctionnement, j’ai vu le fonctionnement du Centre Pompidou, j’ai vu le fonctionnement du Palais de Tokyo, le Centre Pompidou, il y a une certaine lourdeur dans l’organisation, le Palais de Tokyo, on sortait d’une période très très troublée politiquement, très très complexe, on était sur le point de disparaître tous les jours. Du coup, arriver dans une entreprise familiale, c’est plutôt sympa, il y a quelque chose de très stable, on sait que ces gens sont là depuis 100 ans, 120 ans. D’une certaine manière, on se dit que ce qu’on va faire, on va le faire pour la durée, pour longtemps, après moi j’ai pas du tout l’impression de faire mon métier différemment que si on l’avait fait dans une entreprise, que si on l’avait fait dans un fonds de dotation, au Palais de Tokyo, dans un FRAC. Je pense qu’on fait vraiment le même métier, la différence est dans la méthode de travail. Dans une entreprise, on n’a pas forcément la même méthode que dans une institution: ils sont plus efficaces, il y a des méthodologies qui existent pas forcément en institutions qui sont très intéressantes, qui sont très exigeantes, qui nécessitent de beaucoup écrire, faire du reporting et ça, on a beaucoup gagné à se confronter à ces métiers là. Mais c’est la meilleure expérience qu’on puisse avoir finalement que d’être dans un projet comme celui-ci qui est entre les deux en fait, qui est entre al société civile et l’entreprise, entre la famille et les artistes, entre Paris et… C’est une société qui est dans toute la France, il y a 60 magasins, vous allez dans n’importe quel Pont St-Gilles de France, au cœur de la ville, il y aura les Galeries Lafayette donc on a ce pouvoir qui est assez touchant, de diffusion…

J’avais une question par rapport au cadre juridique justement, est-ce que vous êtes assez attentifs à l’évolution ou non du cadre juridique et de la défiscalisation en général, vous avez dit qu’en 2012, vous vous étiez un peu arrêté.

Oui on se tient très informés, il y a eu des nouvelles évolutions récemment sur les fondations d’entreprise et les fonds de dotation pour leur transformation d’un statut, leur passage d’un statut à l’autre qui a été très très facilité. On regarde ça avec attention car aujourd’hui on a deux structures, c’est assez lourd : deux conseils d’administration, deux bilans, deux rapports d’activités, deux compte bancaires. On regarde beaucoup comment évolue la juridiction pour voir comment faire évoluer nos statuts. Il n’y a pas une actualité journalière, donc quand il se passe quelque chose, on se tient informé.

D’accord. Est-ce que pendant votre parcours, au Palais de Tokyo vous avez eu certains mécénats qui se sont mal passés, il y a eu des problèmes avec les artistes, est-ce que c’est déjà arrivé ?

Où l’entreprise aurait pris un peu trop de place … ?

Par exemple.

C’est, ça peut être secret ce que je dis, non parce que c’est assez délicat…

Non parce que finalement, on se rend pas bien compte quand on en discute avec les institutions où les acteurs en particulier de, enfin, de ces problématiques, parce que c’est toujours très beau, ça marche très bien et finalement il y a assez peu d’institutions qui nous en parle, et qui nous disent que ça s’est mal passé.

Je pense qu’il peut y avoir des problèmes du côté des entreprises comme du côté des mécènes. Du côté des entreprises, elles peuvent se sentir mal comprises, pas assez valorisées, informées par rapport à un projet, un logo pas assez grand, pas assez de champagne dans une réception, je dis n’importe quoi mais la taille du logo, c’est quand même le nerf de la guerre pour les mécènes. Du côté d’une institution, ça peut être un mécène un peu trop ingérant, qui veut rentrer trop dans le choix curatorial, s’imposer dans les décisions. Non moi j’ai pas d’expérience moi-même de ça, il y a juste quelque chose qui m’a gêné récemment, c’était de voir des programmes, des programmes dans les institutions qui étaient renommés au nom des mécènes, un peu à l’américaine quoi. Bon quand le pavillon du Palais de Tokyo est devenu le pavillon Neuflize moi ça m’a un petit peu gêné quoi, je suis très mal à l’aise avec ça.

Pour quelles raisons ?

Parce que c’es le pavillon. Peut être que c’est Neuflize qui lui permet d’exister mais moi je trouve ça indécent que la banque demande ce type de contrepartie, et en plus c’est une banque, c’est pas une contrepartie. Au même moment, il y avait les modules du Palais de Tokyo, des modules qui soutiennent les jeunes artistes, une exposition qui avait lieu assez souvent et qui était soutenue par la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, là c’était devenu les modules Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, c’est un nom et un terme très très long, mais c’était une fondation, c’était pas une banque. Je sais pas, moi il y a quelque chose qui me gêne dans le fait d’attribuer un nom. Vous allez dans les musées américains la moindre salle a le nom d’un collectionneur, même l’ascenseur, les chiottes ou la porte, tout le monde a donné son nom mais en France, on n'en est pas encore là-dedans, on va sûrement y venir, mais ça me gêne un peu.

Ca vous gêne un peu par rapport au type d’entreprises ?

Oui et non… Il y a eu des grands débats, vous avez suivi la Tate avec BP, c’est des débats intéressants pour vos recherches ?

Est-ce que ça pose la question des limites de l’acceptable ? Est-ce que toutes les entreprises peuvent être mécènes ? Est-ce que toutes les institutions peuvent recevoir des financements d’entreprises comme Total, comme BP, comme JTI ?

Le problème, c’est que je me souviens qu’au palais de Tokyo on avait eu Total à un moment donné, c’est.. Comment refuser ? Comment refuser 200, 300 000 euros par an ? C’est vraiment difficile, c’est vraiment des questions extrêmement complexes, je ne sais pas. Je pense qu’à un moment on se posait pas la question. Aujourd’hui la crise est plus longue, on sait que ça va durer longtemps. Mais on se pose la question. Mais ça vient plus des artistes je pense que on peut plus trop faire gaffe, on peut plus trop faire comme si on savait pas que ce sont des entreprises qui ont des politiques environnementales désastreuses, ou une politique sociale désastreuses. On peut pas être indifférent à ça.

On a l’impression qu’on dissocie le fait qu’elles donnent pour l’intérêt général quand elles donnent et qu'elles ne soient pas du tout dans l’intérêt général dans leurs activités personnelles…

Ouais, exactement, elles sont dans l’intérêt général pour la défiscalisation aussi...

Et pour des enjeux d’image aussi vous pensez ?

Ouais, Ouais, sans doute…

Est-ce que c’est une fin en soit maintenant les financements privés de façon abondante dans le monde de l’art ?

Est-ce qu’on va plutôt vers cette tendance ? Oui c’est une certitude. Les organismes publics se sont jamais autant retirés, on a jamais autant fermé de centres d’art depuis 3 ans, c’est des petits centres d’art de province, de régions qui ont perdu leurs financements locaux, parce que, les régions, les départements, les villes ne peuvent plus les assumer, ou ce n’est plus une priorité. Du coup, pour survivre, ils ont besoin d’être aidés par des mécènes ou des fondations. Après le mécénat culturel, il est très irrégulier. Il y a eu depuis les années 90, 2000, un grand intérêt pour la création contemporaine. Avant c’était plutôt le patrimoine qui dominait sur les mécénats et rapidement l’art contemporain a pris de plus en plus d’importance notamment avec des opérations au Château de Versailles, à des grandes échelles. Tout à coup l’art contemporain qui rentre au musée, enfin un engouement très fort des collectionneurs et des entreprises pour l’art contemporain et du coup c’était devenu un bénéficiaire du mécénat comme jamais et là c’est en train de retomber un peu parce que les enjeux sociaux et environnementaux reprennent un peu le dessus. On va aller vers ça, vers une forme de privatisation du financement de la culture.

Qu’est-ce que ça vous évoque ce changement là ?

J’avoue que je n’ai pas de réponse ferme en fait, on a toujours un peu peur que l’argent soit confié aux mauvaises personnesdans ces circonstances ou qu’on ne distribue pas de manière équitable, ou intelligente. Je ne sais pas, en même temps, c’est pas pour ça que les ministères de la Culture savent en faire quelque chose non plus. Donc en fait, il faut appeler à la responsabilité de chacun, avoir des politiques responsables, avoir des chefs d’entreprise visionnaires et que tout aille pour le mieux, mais j’en sais rien, je ne sais pas du tout.

Yann Le Touher

Description

Yann Le Touher, chef du service mécénat à la RMN Grand Palais considère que le dispositif mis en place par Jean-Jacques Aillagon en faveur du mécénat est un dispositif essentiel pour les musées nationaux français, au point que s’il advenait qu’il soit remis en cause, les musées s’uniraient pour faire en sorte que le dispositif fiscal reste le même. Il admet néanmoins la faiblesse de ce dispositif, qui est moins connu des TPE et PME. Le Grand Palais favorise effectivement les “grosses entreprises” dans la mesure où ils ont besoin d’importants financements, au détriment des PME. Quant à la nature des entreprises mécènes, la RMN-Grand Palais qui a notamment comme mécène Airbus ou Total, considère qu’à partir du moment où une entreprise a une activité légale implantée en France est susceptible d’être mécène.

A propos du mécénat au sein de la RMN- Grand Palais, il expose les différents types de contreparties proposés aux entreprises mécènes: la visibilité d’une part, les invitations, visites privées, accès privilégiés d’autre part, et finalement des avantages événementiels . Il explique surtout que “chaque mécénat se négocie un peu à la carte” selon les aspirations de chaque entreprise, pour laquelle la RMN-Grand Palais adapte son offre. Mais de manière générale, il considère que les entreprises recherchent principalement de l’image et de l'événementiel, inscrivant ainsi le mécénat plus dans une visée business que philanthropique, sans pour autant trouver cela gênant puisque rien n’oblige aujourd’hui les entreprises à devenir des mécènes culturels. Néanmoins, il précise que les mécènes n’ont aucune prise sur la programmation, contrairement à ce que peuvent dénoncer certains médias.

Par ailleurs, afin d’attirer les entreprises la RMN - Grand Palais, comme de nombreux autres établissements culturels, a créé le Club des Entreprises. L’objectif est selon Yann le Touher est d’avoir des ressources en dehors de la programmation et de continuer à avoir des mécènes quand il y a des expositions moins attractives. De cette façon les entreprises sont liées non pas à une exposition mais au Grand Palais dans sa globalité et construisent “un lien durable” Les contreparties proposées sont les mêmes que celles proposées aux mécènes d’expositions, citées ci-dessus. Il explique par ailleurs, que le service mécénat s’inscrit dans une démarche de prospection pro active. Afin de déterminer quels mécènes seraient intéressés par telle ou telle exposition, l’équipe étudie les goûts et activités des entreprises prospects.

Conversation avec Yann Le Touher
Le 22 avril 2016

J’aimerais revenir sur votre parcours car j’ai vu que vous aviez travaillé au Louvre, au Musée d’Orsay et à Pompidou, en étant responsable du mécénat, d’ailleurs notamment à Orsay, c’est un poste qui a été créé quand vous êtes arrivé. Pourquoi le musée d’Orsay s’est dit à ce moment là qu’il fallait créer un poste pour le mécénat ?

C’est vrai que c’était à ce moment là, le dernier grand musée qui n’avait personne qui était dédié au mécénat, c’était la directrice de la communication qui s’en occupait de manière plus empirique que professionnelle. Ils ont décidé d’ouvrir un poste pour Orsay.

Et pour quelles raisons ?

Ils se sont un peu réveillés en voyant tous les autres musées et des établissements plus petit qu’Orsay qui se dotaient de personnes dédiées au mécénat, d’ouvrir un poste, sachant qu’Orsay n’a pas le même modèle économique que d’autres musées, et aujourd’hui n’a pas forcément autant besoin que les autres de mécénat. C’est peut-être pour ça que ça a été moins urgent chez eux.

En voyant d’autres musées, par exemple, on se rend compte qu’à partir de 2003, et la Loi Aillagon, il y a une professionalisation du secteur au niveau du mécénat ? Est-ce la Loi Aillagon qui a fait que le mécénat soit devenu plus commun pour des entreprises ?

La Loi Aillagon donne à la France un des meilleurs dispositifs fiscaux au monde en matière de mécénat. C’est vrai que deux,trois ans après, moi quand je suis arrivé au Louvre en 2005 , je crois, c’est le Louvre qui a vraiment choisi de se doter d’une équipe très professionnelle, ils vous l’ont sûrement expliqué. Elle a évolué depuis en faisant des recrutements assez importants, j’ai vu l’équipe doubler de volume en 2 ans. On a été formé par des homologues qui venaient des musées américains, du MoMA notamment. A partir de ce moment là, le Louvre a listé tous les grands projets à initier: le département des Arts de l’Islam pour lequel j’avais été recruté, le département des objets d’arts, les nouvelles salles, tous les grands travaux, le Louvre Lens etc… étaient financés par le mécénat. C’était pour ça qu’une équipe importante avait été recrutée, avec une vingtaine de personnes on agglomère tout. Il y avait une stratégie multi-cibles: les entreprises, les individuels. Et puis une sous segmentation des cibles et une organisation. Il y a de grosses structures à Paris qui se sont montées à ce moment là. Tout le monde a compris qu’il y avait une sorte de manne à capter, tout le monde s’est doté de service mécénat plus ou moins important même les petits établissements, les petits musées cherchaient à avoir quelqu’un pour faire du mécénat en considérant que c’est assez rentable de payer quelqu’un qui peut potentiellement lever des sommes assez importantes.

Et si vous deviez faire des comparaisons sur les façons de faire dans les différents musées, est-ce que certains sont encore un peu en retard ? Au Louvre, c’est quelque chose qui a beaucoup évolué et qui a mis du temps à se mettre en place. Est-ce qu’au Centre Pompidou, ici au Grand Palais vous voyez des différences de façons de faire dans le mécénat ?

Non alors, moi j’ai, je suis persuadé que tous les sujets peuvent trouver des mécènes, avec plus ou moins de chances et de facilités. Quand on a grand un nom comme Pompidou Orsay, le Louvre ou le Grand Palais on a une crédibilité. Quand on est un musée, une institution culturelle moins puissante, moins visible ou moins médiatique, c’est plus compliqué. Néanmoins ce qui est important c’est de trouver le bon feat entre le projet et le donateur, concernant les méthodologies. Tout le monde essaie de trouver des méthodologies révolutionnaires mais c’est un peu compliqué, aussi bien pour la prospection ou pour le suivi, la relation avec les mécènes ou bien la contrepartie. Tout le monde essaye de se différencier mais il reste trois grandes familles de contreparties, en dehors desquelles il est difficile de trouver d’autres idées, il y a le cadre contraignant de la loi, des 25%,... donc oui nous on fait toujours de la veille sur les autres musées à l’étranger, on essaie de trouver des façons innovantes soit de prospecter ou de gérer nos mécènes. Il n’y a pas de très grandes différences entre nos établissements. Après c’est une question de qualité du service, d’engagement, de réseau, d’engagement de nos dirigeants aussi. On est aidé quand nos dirigeants nous aident aussi.

Ici chez RMN - Grand Palais, comment ça se passe pour la prospection ?

C’est assez comme tout le monde, enfin nous on a plein de projets à financer: des expositions, des projets pédagogiques,des projets numériques sociaux, etc… des projets en région à l’international. On a plein de type de projets et pour chaque projet on se réunit on fait des listes un petit peu… On se réunit et on travaille de façon un peu empirique “tiens il y a Velasquez” et on fait la liste de toutes les entreprises espagnoles. Il y a une exposition sur la Corée. Il y a aussi des choses qu’on connaît, on sait qui sont les mécènes de la photo quand on fait une exposition sur la photo. On sait les goûts de tels patrons en matière d’artistes américains du vingtième siècle par exemple… C’est comme ça, à la fois par les connaissances qu’on a des entreprises et des gens qu’on connaît et à la fois parce qu’on réfléchit et on se dit “Il y va y avoir des entreprises business dans un pays”. Ça représente de l’éclectivité, de la réputation, de l’image;

Et vous avez dit que vous cherchiez des mécènes sur tous types de projets? On a l’impression que dans certains musées, les entreprises sont intéressées par l’art contemporain, pas forcément d’autres thématique de restauration…

Alors nous au RMN - Grand Palais, on a pas de musées. le Grand Palais, le Musée Luxembourg qui sont nos 2 plus grands musées dont on a la gestion n’ont pas d’expositions permanentes. Nous on a essentiellement un rythme très événementiel. Vous le voyez, il y a plein d’expositions très variées, de l’art ancien, de la photo, toutes les cultures, et toutes les périodes. Nous on est fait avec notre programmation, on a moins de potentiel quand on a des sujets plus classiques, voire plus archéologiques quelques fois et qu’on se rend compte que ce qui plait aux mécènes, ce sont les monographies, l’art moderne même pas l’art contemporain pas très pointu, genre Niki de Saint Phalle, Braque. Picasso ça marche bien. Après, le Grand Palais trouve des mécènes pour tout.

Dans le cadre des contreparties, comment ça se passe au Grand Palais?

Il y a trois familles de contreparties. Il y a la visibilité, on met les logos sur tous les supports de com, les affiches, les cartons d’invitations, le site internet, à l’entrée, à la sortie, les catalogues etc... La deuxième famille c’est les invitations, les accès privilégiés, les laissez-passer, des coupe files, des visites privées. Et puis la troisième famille c’est tout ce qui est événementiel, des petits déjeuners, des soirées. Donc évidemment chaque contrepartie a une valorisation. C’est selon le mécène ou le partenaire qu’on définit son package de contreparties, certains vont vouloir de la visibilité quand d’autres vont préfèrent la meilleure date pour pouvoir inviter dès l’ouverture. Chaque mécénat se négocie un peu à la carte.

En fonction du prix aussi, j’imagine.

Et en fonction du prix aussi bien sûr.

Avez-vous une charte éthique réglementant votre choix d’entreprises mécènes? On a vu qu’il y avait eu des problèmes avec JTI...

Nous on a une charte éthique comme le Louvre, le Palais de Tokyo j’imagine. Notre doctrine c’est qu’on considère que toutes les entreprises qui ont des d’activités légales, qui sont implantées en France, sont susceptibles d’être mécènes, avec l’application pour l’alcool et les tabacs la Loi Evin. Nous on a la fondation Total comme mécène, la fondation Airbus qui fait bien sûr des Airbus, des avions militaires et des missiles, on a eu le cigarettier que vous nommiez, le cigarettier dans la mesure où il y avait eu des litiges au Palais de Tokyo, des associations. On leur a proposé qu’ils soient mécènes, mais dans leurs contreparties qu’il n’y ait pas de visibilité, ils ont accepté mais ils n’ont pas eu de visibilité.

Concernant les financements eux-mêmes est-ce que vous avez possibilité a priori de voir d’où viennent les financements, la possibilité de les contrôler?

Quand les entreprises nous payent, ce sont les comptes de l’entreprise. Après on n’a pas de droit de regard sur la provenance de sources, toutes les entreprises françaises sont soumises a des contrôles et ce n’est pas à nous de les faire.

Je voudrais revenir sur la loi Aillagon: de quelle manière a-t-elle pu faciliter cette ouverture du mécénat en France?

Je vous l’ai dit, elle est tout d’abord très incitative, aussi parce que pour une entreprise finalement pouvoir déduire 60% c’est assez important. Elle permet d’avoir des contreparties aussi, c’est quelque chose d’assez équilibré, c’est un argument important les entreprises d’avoir ce dispositif est connue des grandes entreprises, moins connues des petites entreprises, des PME et des TPE. Nous comme grand établissement avec des besoins importants de financements nous ne nous adressons qu’aux très grandes entreprises.

Que des grosses entreprises ?

Oui car on recherche des gros montants…

Est-ce que vous pensez qu’il y a des choses qu’il est possible d’améliorer dans la Loi Aillagon, il y avait eu des discussions en 2012 pour faire évoluer des choses, bon pas forcément dans le bon sens… Qu’en pensez-vous?

C’est surtout la question du mécénat de l’individuel que la loi donne, accorde 66% pour les dons individuels mais il y a juste la question des contreparties aujourd’hui puisque la contrepartie quelque soit le montant du don, est limitée à une somme forfaitaire, une soixantaine d’euros, en gros que vous donniez cent euros ou un million d’euros vous n’avez le droit qu’à cette forme forfaitaire ce qui est à peine le prix d’un catalogue. Donc on trouve d’autres parades avec des choses non valorisées, quand on invite à des déjeuners avec notre président, ou qu’on fait je sais pas quoi, quand on met des mentions.

Est-ce que vous êtes attentifs à certains changements, on en a discuté avec la Fondation Galeries Lafayette par exemple qui avait arrêté tout leur fonctionnement quand en 2012, il y avait toute une discussion concernant le mécénat. Est-ce que vous aussi vous faites attention?

Nous on sait, on sait qu’on est défendu par notre tutelle par le Ministère de la culture, et qu’à chaque Loi de Finances, Bercy essaye de revenir sur la question de la défiscalisation, la loi Aillagon, nous comme on est sous tutelle du Ministère de la culture, comme on sait que l’Admical est le site qui a ses antennes à Bercy... de toutes façons si un jour il y avait une remise en cause forte de la Loi Aillagon, tous les établissements publics, les musées s’uniraient pour maintenir le dispositif fiscal qui est essentiel pour nous maintenant. Sachant que les dotations de l’Etat baissent, je vois pas comment l’Etat peut dire à un moment, on vous baisse les dotations, et en plus on vous enlève un outil qui vous permet d’avoir des ressources supplémentaires.

Est-ce qu’on va aller vers une privatisation de des financements de l’art. C’est quelque chose qui dans les 5-10 prochaines années sera possible?

Nous, on a un modèle économique un peu différent des autres. Je ne sais pas qui vous avez rencontré mais nous on a seulement 14% de subventions là où d’autres musées comme le Louvre, Orsay, conservent entre 40 et 60% de subventions donc nous on est presque plus une entreprise publique type avec un actionnaire unique qui est l’Etat, type SNCF. On a un financement de 14% qui couvre nos missions de service public, et encore aujourd’hui elle couvre totalement nos missions de services publics. Pour le reste on a les ressources propres qui sont la location de la nef, avec les défilés etc, l’activité de nos librairies-boutiques, parce qu’on gère les boutiques de tous les grands musées comme vous le savez, du Louvre, d’Orsay, de Luxembourg, de Pompidou etc… Et d’autres, pleins de petits business comme ça, les conférenciers, l’agence photo donc c’est vrai que je ne sais pas si on ira vers, vers une privatisation totale de la culture, puisqu’en France la culture est étatique et c’est culturel depuis l’ancien régime, les arts sont soutenus par le pouvoir politique, que ce soit les rois ou maintenant la République, on a un ministère de la culture, ce qui est assez rare. Il n’y en a pas aux USA par exemple. Donc a priori je pense que la culture sera toujours dans le domaine public. Mais à moins que les subventions publiques baissent c’est au moins évident, mais c’est normal d’ailleurs, car comme tous les organismes de l’Etat je pense que les musées ou les institutions culturelles ont à participer à l’effort d’économie. Et vu l’état des dépenses publiques on ne peut pas continuer à claquer comme ça dans tous les sens. C’est bien normal que l’Etat baisse ses subventions qu’on ait du coup à contrario à développer de plus en plus nos ressources propres.

Justement je ne sais pas si vous le savez mais au niveau du budget, combien représente la part du mécénat ?

La plupart du mécénat qu’on cherche c’est sur nos expositions, et ça peut représenter jusqu’à 15% du budget de nos expositions,

Ok, les autres financements viennent de vos autres activités..

Après pour les expos ce sont les recette de billetterie.

Quand vous en discutez avec vos mécènes qu’est-ce qui les poussent à faire du mécénat au-delà de la vertue philantropique, qu’est-ce qui fait que ils se décident à mécéner une exposition ?

Déjà la vertue philantropique, elle est quand même de moins en moins présente, ça devient vraiment du vrai business avec “moi je vous donne de l’argent, qu’est-ce que j’ai en échange ?” Ce qu’ils recherchent chez nous c’est quelques fois de l’image, et surtout de l'événementiel. Aussi, on a plus de succès quand on fait des expositions à succès que quand on fait des expositions moins connues comme Amadeo De Souza Cardoso là parce que nos mécènes ce qu’ils veulent c’est convier leurs clients, donc plus ils s’adossent à une grande institution avec un pouvoir d’attraction, plus ils ont de garantie de pouvoir recevoir leurs clients, leurs invités de façon qualitative.

Et justement, est-ce que le fait que certains mécènes ne s'intéressent qu’à des gros artistes, qu’à des gros noms peut modifier en quelque sorte, un peu le monde de l’art et créer des artistes qui sont bankables qui font entrer des billets, on pose notre nom sur une affiche et de l’autre côté des artistes un peu plus à la marge pour lesquels il est plus difficile de trouver des financements ?

Ben c’est la responsabilité des institutions culturelles. Justement comme on est des établissement publics qui ont des missions de services publics, on n’est pas soumis uniquement à la volonté du public ou des mécènes et au contraire, les mécènes n’ont aucune prise sur la programmation de nos établissements. Vous voyez cette saison au printemps, on a une saison plus faible entre guillemets, moins attractive, avec Carambolages, Amadeo, la Corée… C’est pas la même chose quand on a Picasso, Jean-Paul Gautier. Néanmoins on a fait ces choix là car on a pas l’obligation d’avoir tout le temps Picasso, Monet… Néanmoins, dans nos choix de programmation, on fait des arbitrages pour avoir des expositions plus attractives durant l’année pour ne pas avoir des trucs qui vont nous faire perdre de l’argent, il faut que nous ayons des expositions entre guillemets qui nous permettent d’avoir des mécènes et qui soient aussi importantes en billetterie pour favoriser un modèle économique au moins à l’équilibre.

J’ai vu que vous aviez créé un Club Entreprises ici au Grand Palais, quel était l’objectif de ce club ?

C’était justement d’avoir des ressources en dehors de la programmation, et que quand on a des expositions moins attractives on continue à avoir des mécènes, car du coup ils ne sont pas liés à des projets particuliers, mais ils sont liés au Grand Palais dans sa globalité pendant un an.

Comment ça fonctionne pour rentre dans ce Club Entreprises ?

Alors il y a trois niveaux d’adhésion 35 000, 70 000 et 100 000, et puis tout un package de contreparties pour chaque niveau.

Et quels sont à peu près pour chaque niveau les contreparties ?

C’est ce qu’on trouve pour les mécènes d’exposition : des catalogues, des laissez-passer, des visites privés, de la visibilité. Mais là du coup c’est pas lié à une exposition, ils peuvent choisir sur l’ensemble de l’année les contreparties sur toute la programmation du Grand Palais. C’est l’idée d’avoir un peu une loge au Grand Palais, comme on peut avoir une loge au Stade de France, il peut y avoir un concert, un match de foot, eux pareil, ils ont un coup une expo, Monumenta, un truc de photo.

Combien il y a d’entreprises dans ce club ?

On en a en tout une quinzaine aujourd’hui

Toujours des grosses entreprises ?

Plutôt. Société Générale, Engie, JC Decaux

C’est une volonté de votre part d’avoir des entreprises plus importantes?

Non, c’est celles qui peuvent payer qui viennent (rires)

Vous ne souhaitez pas aller vers les PME et les TPE pour un Club Entreprises de ce type là ?

En fait, si j’avais 30 personnes oui je créerais un club avec des tickets d’entrée à 2000-3000€ pour que les PME puissent le faire. J’essaie d’optimiser mon équipe, du coup on a créé une offre plutôt haut de gamme, contrairement à ce qui peut être fait au Palais de Tokyo par exemple, ou encore au Louvre qui ont créé des tickets d’entrée plus bas pour leur club entreprise, mais parce qu’ils ont peut-être plus de ressources humaines pour les gérer derrière. Parce qu’après un mécène qui nous donne 5000€, il vous demandera autant de travail qu’un mécène qui vous donnera 100 000€ en terme de suivi, parce qu’il considère que c’est aussi important pour lui.

Sur votre site internet j’étais frappé par l’outil d’estimation du coûtt du soutien ? est-ce que c’est une volonté de la RMN - Grand Palais d’éduquer les entreprises face au dispositif mécénat ? Je l’ai trouvé nulle part ailleurs. On voit très bien, c’est bien marqué le coût réel du soutien, avec toutes les déductions d’impôts. C’est une volonté justement d’éduquer un peu les mécènes et de montrer combien coûte réellement quand on en fait un ?

Non pour être franc avec vous je suis pas sur que notre site internet soit le plus grand pourvoyeurs de mécène, aucun mécène ne m’a appelé en disant, j’ai vu votre outil…

Mais c’est vrai qu’on pourrait penser que ça s’adresse à des PME et des TPE, ce genre de petits outils là, et vous me dites que vous êtes plus sur les grands entreprises donc finalement pourquoi avoir un tel outil, c’est plus à destination du public ?

Non c’est plus pédagogique, pour expliquer aux gens qui regardent comment ça fonctionne, peut-être à des chefs d’entreprises, après je suis pas sûr qu’ils aient le temps. Très honnêtement tout le monde a un site internet, tout le monde parle du mécénat sur leur site, très honnêtement, je ne sais pas si mes homologues vous ont dit qu’il y avait des gens qui nous appelait pour donner de l’argent. Le mécénat, c’est un métier de prospection, personne ne vous appelle en vous disant “J’ai 200 000€ !”. C’est extrêmement rare, une fois par an, une boîte vous dit : “l’an prochain, on fête notre anniversaire, on voudrait faire un mécénat.” C’est quand même super rare. Même ce qu’on a sur notre site internet, moi je sais que c’est pour la forme. C’est pas ça qui va me faire venir des mécènes, on a essayé de le faire le plus didactique possible, notamment avec ce petit truc là.

Vous parlez de prospection et de relations, par exemple, on avait vraiment l’impression entre le musée et certains de leurs mécènes c’était une relation d’amitié très forte voire d’amour, on a l’impression que ces liens là sont très importants pour pouvoir mettre en place des mécénats par la suite, est-ce que c’est le cas aussi ici chez RMN - Grand Palais ?

Alors, d’amour, je ne sais pas…

En tout cas, c’est très idyllique quand ils en parlent…

C’est un métier de relationnel. C’est vrai qu’avec nos mécènes on essaie de construire une relation qui peut devenir amicale. Faire du mécénat et venir dans nos institutions culturelles c’est partager des choses, des moments, des jolis moments, on partage des jolis moments avec des gens. Il y a des choses qui se passent, quand on est seuls dans des expos, quand on leur montre des montages, quand on est seuls dans la nef. Et donc oui après on s’efforce de lier des relations avec des mécènes parce qu’on sait quand ils ont entre un projet entre nous et un autre musée, s’il y a une bonne entente avec nous, je pense qu’ils pencheront plus facilement vers nous.

On voit de plus en plus certaines agences qui font de leur métier maintenant, la prospection la facilitation d’organisation d’évènements. Si je me trompe j’ai vu que vous travailliez avec Smile&Co et Havas S&E. Qu’est-ce qui fait que vous choisissez de travailler avec des agences de ce type là ?

Alors, c’est quand j’étais à Pompidou que j’ai travaillé avec ces deux agences. On voulait tenter les agences pour avoir plus, enfin un autre regard, justement sur nos méthodologies de travail comme je vous les dit, avec toutes les institutions, on se connaît tous. Quand il y en a un qui part d’un musée… Quand je suis parti d’Orsay, c’est un de mes collègues du Quai Branly qui est venu

C’est un petit monde alors?

Ouais voilà, il n’y a pas beaucoup de sang neuf qui arrive dans nos secteurs, donc du coup on avait essayé de voir des gens qui pouvaient penser différemment, avoir des approches plus marketing plus liées à la marque qu’a la communication institutionnelle, plus vers le marketing d’entreprise que l’art en lui-même. C’est pour ça qu’on a testé des agences avec plus ou moins de succès. Smile&Co avait une approche très marketing qui nous semblait très intéressante et qui s’est un peu essoufflée. Donc on a arrêté. Et après avec Havas S&E, on voulais voir, faire des parallèles entre le sponsoring sportif et puis aussi, se dire qu’une grande agence comme Havas avait forcément des grands comptes, qu’elles auraient pu, faire valoriser auprès de leur grands clients en terme de mécénat. Mais ça n’a pas forcément marché non plus. Je pense qu’il y avait un problème de culture entre le monde culturel et le monde de l’agence. En ce moment, on travaille avec Havas Paris et ça se passe plutôt bien aussi. Il nous font une étude sur une nouvelle offre de mécénat qu’on voudrait lancer : on n’avait du mal à trouver le wording, l’argumentaire, donc c’est eux qui vont piloter ça.

Qu’est-ce qui a fait que ça n’ait pas pu marcher avec Smile&Co et Havas S&E?

Ça ne fonctionnait mais pas au niveau de nos attentes. Ça a fonctionné, ils ont trouvé des mécènes, mais ça s’est un peu émoussé ensuite.

Parce qu’il y a des différences de culture, de travail ?

Smile&Co avait une approche très marketing, ils faisaient des grosses propositions comme enagence, ils allaient très loin dans le brand content pour justement englober le mécénat dans une stratégie d’entreprise. Après c’est difficile de travailler avec des agences qui ne sont pas chez nous. Ils comprennent pas les complexités, la façon dont on veut travailler, nos méthodes de travail. C’est toujours un peu compliqué pour elles d’avoir un pied à l’intérieur, sans connaître les interlocuteurs, exactement ce qu’on peut faire et ce qu’on peut pas faire. C’est pour ça que les agences, il faut pas les prendre comme agences de prospection mais il faut les prendre comme agences conseil, sur ce qu’on fait là nous au Grand Palais, sur la création d’offre, même comme elles connaissent bien les entreprises, leurs clients, les tendances. Pour la prospection, je pense qu’il n’y a rien de mieux que les gens qui travaillent dans l’institution, c’est pas un truc qu’on peut détacher.

Sur la prospection, vous faites un vrai travail de veille sur votre exposition d’une part et sur quel mécène serait intéressé par exemple, est-ce que vous avez un exemple à me donner pour voir comment ça fonctionne ?

On fait des brainstorming, comme pour Keita par exemple. On a depuis longtemps comme mécène la fondation Roederer car on sait qu’ils soutiennent la photo depuis longtemps à la BNF. Naturellement on leur propose cette exposition. Après Imeris, on a su que, qu’ils cherchaient à investir le territoire de la photo alors qu’avant ils étaient dans la musique baroque. C’est tombé pile au bon moment, et on a fait cette expo. Après comme c’était de la photographie africaine, on a cherché toutes les entreprises qui étaient en Afrique : Bolloré, CFAO… Et ça n’a pas trop marché cette piste là. C’est comme ça qu’on travaille, soit les pistes géographiques, soit le sujet de l’exposition. Visco, une entreprise qui fait des tissus Africains…

Est-ce que ça prend du temps de mettre en place tout ce travail de recherche, où est-ce que ça se fait assez rapidement, car vous avez l’habitude le faire ?

Non c’est long quand même, nous on travaille deux ans en avance. On travaille sur les expositions de 2017-2018. Donc oui c’est quand même long : il faut identifier les entreprises, trouver les entreprises qu’on ne connaît pas, on contacte, on les rencontre. C’est un peu un travail de fourmis.

Est-ce que c’est important pour vous de se consacrer qu’aux grandes entreprises médiatiques pour donner du poids aux expositions ?

De façon très pragmatique, toutes les entreprises qui peuvent être mécènes, on les prend, on ne dit pas “vous, vous êtes médiatiques, on préfère.” Il y a des stratégies, comme je vous le dit, on a pas la capacité de dire : “Toi, je te veux, toi, je te veux pas…” C’est quand même, pas un marché où tout le monde vient nous voir pour se battre pour être mécène. En revanche, ce qu’on fait avec certaines entreprises, notamment celles qui ont des réseaux commerciaux, on leur propose de communiquer avec nous, puisqu’on on considère que ça démultiplie la communication et qu’en plus c’est plus valorisant pour eux, qu’ils ne soient pas uniquement sur nos affiches. Ils font aussi la promotion de leurs expositions dans leurs réseaux commerciaux. Par exemple avec Etam, on avait mis sur leurs boutiques des vitraux. Avec Gap par exemple, on fait des affichages dans les boutiques d’ile de France, à l’intérieur et a l’extérieur, on avait fait des jeux, dans la boutique de Gap sur les Champs-Elysées, on avait fait une soirée où on pouvait gagner un voyage à Los Angeles puisque c’était la fondation du musée de San Fransisco et puisque Gap est aussi de là-bas, à son siège à San Fransisco. On propose à des entreprises partenaires de faire ça dans leurs vitrines, pareil avec Etam, des jeux sur les Réseaux sociaux.

Donc c’est vraiment du marketing, que vous mettez en place aussi?

Oui, avec SushiShop, avec Uniqlo, on avait fait un concours au moment de l’exposition Kiko Hokusai pour interpréter la Vague au Mont Fuji. Donc des étudiants artistes, et Uniqlo imprimait les t-shirts chez eux, dans leur boutique du Marais, on avait un partenariat avec les Maisons des Thés.

Ces dispositifs vous servent à quoi ?

A toucher une plus grande population : quand vous avez toutes les vitrines d’un magasin Gap, vu le coût de l’affichage dans Paris, ça nous permet d’afficher de manière minime.

Ça vous permet de toucher plus de clients?

Ça nous permet de toucher plus de potentiels visiteurs.

Est-ce que vous avez des notions de ROI ?

L’évaluation est compliquée à faire dans le mécénat, en terme d’image, elle se fait facilement sur l'événementiel, les entreprises voient le taux de réponse, combien de personnes sont venues, mais c’est très difficile en terme d’évaluation.

Est-ce que vous cherchez à mettre en place des dispositifs d’évaluation ?

Si j’avais ça en chantier mais j’ai pas le temps. Il y a des choses, il y a l’ESSEC qui a une chaire de philanthropie, donc on avait voulu travailler avec eux, avec des étudiants, mais on a pas eu le temps de le lancer.

Je voudrais des chercheurs qui me trouvent des indicateurs de performance ou d’évaluation. C’est plus un travail universitaire qui aurait une application pratique qu’on pourra rendre à nos mécènes. C’est pour ça que moi je suis dans l’opérationnel donc j’ai pas le temps de faire ces trucs là.

Justement ces indicateurs ce sont des choses que les mécènes vous demandent ou attendent?

Pour l’instant non, à part les fondations qui demandent des évaluations, mais sur des données objectives comme pour savoir combien il y a eu de visiteurs à une expo, combien il y a eu d’articles… Ce n’est pas super poussé.

Plus directement avec l’exposition. Est-ce que vous avez des expériences de mécénat qui se soient mal passées avec certains mécènes dans leur choix d’être très présents ? Pour soumettre des artistes, pour qu’ils aient un droit de regard plus important ?

Non. Enfin on leur dit vraiment ce que je vous ai dit dans des partenaires comme ça chacun a son rôle, le mécène est important car il permet la faisabilité du projet, mais que les professionnels sur la partie des choix artistiques et sur la partie culturelle, ça reste l’institution culturelle. Et que de la même manière, on ne se permet pas de faire des commentaire sur leur stratégie ou leur business. Les mécènes nous accompagnent, nous choisissent car c’est nous qui avons cette expertise pour ces choix artistiques. Il n’y a jamais eu de conflit où les artistes auraient voulus être très présents, quand ils auraient voulu être très présents, on met les barrières qui faut parce qu’on leur explique ce dont ils ont pas conscience: une présence trop forte, ou pas intelligente va se retourner contre eux, c’est à dire le public, la presse surtout. S’ils sentent qu’une entreprise a pris le dessus sur une institution culturelle, elle va sortir un mauvais papier “C’est quoi cette institution qui a pris le dessus ?...” C’est ni bon pour l’exposition, ni pour le mécène.

Je vois que vous travailliez souvent avec les mêmes entreprises.

On a des mécènes qui s’engagent sur plusieurs années. La MAIF s’est engagée pour 3 ans, avec Imeris aussi, la Fondation Roderer. Imeris aussi a signé pour 3 ans. Eux, ce sont sur une thématique, Imeris s’engage sur les expos photos au Grand Palais, Roderer, c’est pareil. Avec la Maif on a choisi des sujets ensemble, et on a choisi aussi des expositions en région, comme ils ont un maillage territorial. Modigliani au LAM, il y avait aussi la MAIF.

Donc on a la possibilité de faire partie du Club Entreprise et de financer plusieurs choses sur des périodes plus longues, sur la même thématique, et sinon par expositions. On peut mécéner une seule exposition. Après j’imagine que ça peut se reproduire si ça se passe bien?

Oui avec Nexity par exemple qui choisit une exposition avec nous une fois par an sans qu’il y ait un engagement pluriannuel.

Justement on peut s’étonner qu’une entreprise de ce type là puisse vouloir mécéner?

Ils ont besoin de recevoir chaque année leurs clients et de faire une soirée au Grand Palais.

Donc on est moins finalement sur de la philanthropie, on est plus sur “je fais un mécénat, j’ai une privatisation derrière.” C’est pas gênant ?

Non ce n’est pas gênant, ce métier est pragmatique dans la mesure où les entreprises aujourd’hui, elles n’ont aucune obligation à faire du mécénat et c’est du cash qui sort en moins pour leurs actionnaires, leurs collaborateurs. Leurs parties prenantes leur demande pourquoi elle font du mécénat: elles doivent rendre des comptes là-dessus. Si on met telle somme, on a une belle soirée qui nous permet de faire venir des clients et de générer du business après. Si elles nous donnaient de l’argent uniquement si on était sympa, je ne pense pas que ce serait possible aujourd’hui.

Comment vous arrivez à vous différencier d’autres institutions culturelles, Roderer est aussi au Palais de Tokyo par exemple. Est-ce que c’est un peu l’offre et la demande finalement ou que vous avez plus de contreparties et vous arrivez à sortir du lot ?

Il y a deux choses. Il y a des questions de positionnement. Chaque institution a une identité, quand j’étais au Louvre, je vendais la marque internationale du Louvre, le plus grand musée du monde, le prestige etc… A Pompidou, on vendait la création, l’art contemporain, les artistes vivants. Au Grand Palis, on a un autre positionnement pour convaincre le mécène. Il y a l’attractivité et le positionnement de l’institution, l’attractivité des projets : on sait que Amadeo, c’est très beau, mais c’est moins attractif que Picasso en terme médiatique.

Après il y a la relation personnelle qu’on lie avec les mécènes, comme je vous dis, si la personne d’un musée n’est pas sympa, peut-être qu’ils viendront vers moi. Souvent c’est très long. Pour Airbus, on a mis trois ans pour les avoir. On aimait bien les gens d’Airbus, on les invitait, on les revoyait mais il ne se passait rien, c’est du travail de long terme. Il faut créer du relationnel avec les gens. Un jour il y a un alignement de planètes qui se fait, il y a de l’argent, une envie, un projet, et le truc se fait. Il faut trouver ce bon moment.

J’aimerais vous parler de l’exposition de Louis Vuitton au Grand Palais, qui a privatisé un des salons pour faire leur exposition. Est-ce que ça vous fait de la concurrence, est-ce que c’est quelque chose que vous assumez pleinement ?

Alors Louis Vuitton, ce n’est pas du mécénat, c’est une location pour faire l’exposition. C’est des marques qui louent nos espaces.

Ce n’était pas avec une contrepartie derrière ?

Non

Est-ce que vous avez un avis sur la Fondation Louis Vuitton? On se rend que la question du mécénat a pu se cristalliser autour de la Fondation, et tout le dispositif fiscal autour. Est-ce que c’est problématique que des acteurs aussi gros arrivent et changent un peu les règles du jeu ?

Ce qu’on voit surtout c’est que les entreprises ont leur propres initiatives comme les Galeries Lafayette, Louis Vuitton. Donc quand ils font ces investissements là, c’est d’autant moins d’investissements qu’ils donnaient aux institutions culturelles. Aujourd’hui LVMH et Galeries Lafayette donnent forcément moins aux institutions culturelles car elles ont leur propres projets. Après pour la culture, c’est très bien qu’il y ait des lieux alternatifs, enfin pas alternatifs mais complémentaires aux institutions publiques. Il y a de magnifiques expositions à la Fondation Louis Vuitton, à la fondation des Galeries Lafayette. C’est très bien pour l’enrichissement, et l’attractivité culturel de Paris.

De toute façon on travaille forcément avec eux, ils ont besoin de nous, on a besoin d’eux. Nous à la RMN on gère la boutique de la fondation Louis Vuitton et Galeries Lafayette sont mécènes de la RMN. Il y a des passerelles qui se font.

Robert Fohr

Description

Rober Fohr, chef de la mission du mécénat à la Direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la Culture et de la Communication nous explique le but de la création d’une telle mission: “L’idée était de faire connaître cette législation le plus largement possible: travail d’information aux particuliers et nouer les relations avec nombre d’instances qui serviraient de relais et faciliteraient le travail de diffusion: chambres de commerce, experts comptables, notariats, MEDEF et d’autres et plus récemment depuis 2015 le Conseil National des barreaux, avec l’arrivée des avocats dans ces partenariats qui sont la pour sensibiliser l’intérêt du mécénat culturel et définir des bonnes pratiques, mission importante du service en liaison avec le service juridique du ministère”.

Pour mettre en place ces “bonnes pratiques”, le Ministère a publié fin 2014 une charte du mécénat culturel, qui est une charte d’application de la législation. Robert Fohr explique que certes la législation repose sur de grands principes mais que tout n’est pas dit dans la loi. dès lors, il est nécessaire de rappeler un certain nombre de principes notamment en ce qui concerne l’usage des contreparties qui ont posés des problèmes d’applications. S’il rappelle qu’il n’existe pas de définition du mécénat dans le droit français, il considère également que le ministère a fait preuve de réalisme en proposant des contreparties tangibles aux entreprises mécènes mais dans une proportion limitée. Le Bureau de la FNCC rapporte son entretien avec Robert Fohr “Le mécénat n’est plus seulement mû par une recherche d’image et de support, dans la culture par exemple, comme support de relations publiques. L’image, la notoriété, la réputation, cela reste important mais aujourd’hui le mécénat répond de plus en plus à une volonté d’engagement citoyen, de responsabilité sociale, d’affirmation de valeurs”.

Conversation avec Robert Fohr
Le 5 avril 2016

Pouvez-vous nous parlez de la Mission Mécénat? Quelle est sa finalité?

Elle a été créé juste avant la promulgation de la loi 2003 dite loi Aillagon, nom de l’ancien ministre qui l’a porté devant le Parlement. L’idée était de faire connaître cette législation le plus largement possible avec un travail d’information aux particuliers et nouer les relations avec nombre d’instances qui serviraient de relais et faciliteraient le travail de diffusion: chambres de commerce, experts comptables, notariats, MEDEF et d’autres, et plus récemment depuis 2015 le Conseil National des Barreaux, avec l’arrivée des avocats dans ces partenariats qui sont là pour sensibiliser l’intérêt du mécénat culturel et définir des bonnes pratiques. C’est une mission importante du service en liaison avec le service juridique du ministère.

Comment définissez-vous ces “bonnes pratiques”?

On a publié fin 2014 une charte du mécénat culturel, qui est une charte d’application de la législation. La législation repose sur des grands principes mais tout n’est pas dit dans un texte de loi. Des problèmes d’applications peuvent se poser comme par exemple l’usage des contreparties qui sont particulièrement recherchées par les entreprises dans le domaine culturel. Et là nous avons rappelé un certain nombre de principes, on a été plus loin que le texte. Aussi des choses qui parfois sont compliquées comme le mécénat de compétence ou le mécénat en nature.

N’y a-t-il pas justement une contradiction et un paradoxe entre la définition du mécénat qui stipule “sans contrepartie directe” et la notion de disproportion marquée?

Il n’y a pas de définition dans le droit français de ce qu’est le mécénat. Il y a l’arrêt relatif à la terminologie financière de 1989 qui dit “pas de contrepartie directe” mais le Ministère de la Culture a fait preuve de réalisme en proposant, suite à l’échange de courriers entre le Ministère du budget et de la culture, qu’il y ait des contreparties tangibles pour les entreprises mécènes mais dans une proportion limitée, dans ce rapport de 1 à 4 qui existait déjà dans la loi sur les associations et en marquant, une ligne, une frontière très nette entre une pratique commerciale qu’est le parrainage et le mécénat qui est un acte de soutien à l’intérêt général.

En dehors de cette limite, il n’y a pas de cadres plus précis pour les contreparties et notamment la valorisation des logos par exemple?

Si vous lisez la charte du mécénat vous verrez qu’on est quand même assez précis. Nous avons fait une distinction pour qui concerne la billetterie entre:
le monde du musée, du patrimoine où on donnait beaucoup de billets d’entrées à un mécène pour qu’il invite ses salariés et ses clients; un monde beaucoup moins contraignant que
les lieux de spectacle vivant où là il y a l’intérêt général. Le public doit pouvoir accéder, acheter des places etc. et les sièges qui sont occupés au titre des contreparties ne doivent pas être trop nombreux. Dans ce cas, la position du logo pouvait varier de 1 à 10% en fonction de la nature des activités mécénées. C’est très pragmatique mais ça fait bien comprendre l’esprit dans lequel on travaille et les principes de la législation qui est que d’abord le mécénat ne doit pas trop opérer l’espace public.

Faire venir personnalités externes plus expertes comme les chambres de commerce, des notaires ou des avocats: est-ce nécessaire? et si oui, pourquoi?

Ce sont des réseaux qui sont proches des entreprises. C’est surtout le cas des experts comptables très proches des patrons de PME TPE, les chambres de commerce évidemment et les notaires qui eux sont en contact avec le monde associatif et les chefs d’entreprise. Les avocats ont aussi un rôle important. On a voulu s’associer à des réseaux capables de s’intéresser au mécénat et de le promouvoir. On a désigné des correspondants au mécénat dans établissements, directions et directions régionales du ministère, environ 120, et nos partenaires en ont désigné dans leur propre réseau. On a construit un vrai maillage du territoire de gens qui sont des référents en matière de mécénat

Est-ce que ça veut dire que l’État est plus facilitateur que financeur de la culture?

Non non l’État continue de financer la culture rassurez vous. Le budget culturel public est assez important. On focalise souvent sur le budget du Ministère de la Culture qui a un peu baissé ces dernières années mais qui s’est stabilisé dernièrement. Il y a une dizaine d’autres ministères qui ont budgets culturels pour le patrimoine (affaire étrangères, recherche, défense) Il y a l’argent des collectivités territoriales, des recettes fiscales affectées, le financement de l’intermittence du spectacle, des prêts de l’État à des structures culturelles. On est près de 20-21 milliards d’euros, ce qui est tout à fait exemplaire en Europe. La conjoncture est néanmoins difficile surtout pour les collectivités. Il y a des pays en Europe où les budgets culturels publics se sont effondrés ces dernières années.

Quand on s’intéresse à la fiscalité et au 5 ‰ , est-ce que cela signifie que les cellules mécénat ont alors tendance à ne chercher que des gros mécènes en chiffre d'affaires au détriment d'une variété et pluralité des mécènes ?

Vous n’avez pas tort c’est une des rares faiblesses de cette législation qui est une des meilleurs au monde si ce n’est la meilleure. Le plafond annuel des dons est très généreux pour les grandes entreprises, pour les principales elles ne l’atteignent jamais, mais il est un peu limité pour le monde des PME et TPE puisque la France est un pays de PME: 95% des entreprises français ont un CA inférieur ou égal à 1 million d’euros donc c’est 5 000 euros de capacité à donner chaque année. Il y a un système de rapport qui permet de donner plus avec la possibilité d’étaler la réduction d’impôts mais c’est un peu limité. Les entreprises sur les territoires se réunissent en club adossés à des établissements culturels: la vocation territoriale va en fondation ou fonds de dotation pour avoir une action plus forte. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières et l’union faisant la force.

Sur un don de 100, si on défiscalise 60 et on reçoit 25 en contre artie, on est finalement généreux que de 15?

Le calcul est un peu plus compliqué que ça parce que les contreparties ça coûte aussi. S’il y a une mise à disposition d’espaces, la réception c’est pas l’organisme qui va vous l’offrir (frais de gardiennage, frais techniques etc.) En réalité ce calcul est un peu théorique. Il y a un avantage de 25% que les entreprises n’utilisent pas toujours. Bon elles l’utilisent beaucoup dans le domaine culturel car ça permet d’inviter les gens, de leur faire plaisir mais dans le champ social c’est beaucoup plus rare. Cette addition c’est un argument de vente pour le mécénat mais dans la réalité les choses sont plus compliquées.

Pour les PME et les TPE, il est important de les inclure à ces dispositifs?

Elles y adhèrent. Selon l’Admical en 2002 il y avait moins de 2000 entreprises mécènes en France. Il y a maintenant 44 000 entreprises qui utilisent la législation, et c’est beaucoup de TPE et PME. Je crois qu’il y a encore un potentiel de développement considérable. On considère les chiffres fiscaux car ils sont surs et ils n’ont jamais baissé depuis 2004. Le mécénat fiscal déclaré a constamment évolué à la hausse. Il y a un très léger tassement en 2014 mais c’est un tassement. La courbe est ascendante. Et c’est pareil pour les particuliers. Après dans le domaine culturel, il y a des moments de pics surtout dans les ministères: il suffit qu’une opération importante tombe une année, par exemple en 2015 l’acquisition d’un tableau de Rembrandt par Rotschild de 80 millions d’euros ça fait monter les chiffres.

On remarque aussi une évolution du domaine de l’art avec la création de nouveaux postes dédiés sur le mécénat ou de structures qui font directement le lien avec les entreprises.

Pour parler des musées il y des sociétés d’amis pour aider les musée à trouver les moyens d’acquérir, de restaurer. Les grands établissements se dotent de services plus ou moins importants qui sont spécialisés dans la recherche de partenaires, la levée de fonds . Et puis quand ce ce sont de bons établissements il y a les fonds de dotations comme le Louvre, un ensemble de partenaires qui vous aident à vous développer et à accomplir vos missions.

Quelles sont vos relations avec l’Admical?

Chacun a son rôle. L’Admical a joué un rôle important dans le développement du mécénat à commencer par les grandes entreprises. Dès sa création en 1969 jusqu’à aujourd’hui. C’est une association qui a fait beaucoup de lobbying et a joué un rôle dans les avancées législatives. Elle a été consultée comme d’ailleurs d’autres organismes comme la Fondation de France. L’État ne travaille pas seul dans son coin, il est à l’écoute de la société civile, des entreprises. C’est vrai que l’Admical a beaucoup fait dans ce sens à l’époque de Jacques Rigaud et joue un rôle important dans la poursuite des réflexions sur le mécénat. Nous sommes en relation constante: nous co-finançons avec le CSA leur enquête biennale. J’étais il y a dix jours dans une séance de travail avec eux et le CSA sur les premiers résultats. Ce sont des partenaires normaux. Mais l’Admical est présent dans tous les champs de l’intérêt général: la culture, le social, l’environnement etc.

Concernant l’évolutions du mécénat, que peut-on envisager pour le futur?

C’est une bonne question. Sur le plan législatif il y a sûrement des petites choses à faire comme relever le plafond pour les PME. Nous y pensons depuis plusieurs années. Dans un contexte budgétaire plus favorable il est probable que nous le demandions aux législateurs. Mais ça coûte beaucoup d’argent. La dépense fiscale du mécénat tout confondu est de plus de 2 milliards d’euros donc ce n’est pas neutre pour l’épargne. Globalement ça rapporte 1,2 milliards de plus. Après il y a, et c’est un sujet d’échange avec l’Admical, le mécénat d’entreprise non déclaré. Beaucoup d’entreprises qui sans faire délibérément du parrainage c’est-à-dire des opérations commerciales font des dons à des associations. L’ampleur de ça c’est difficile à chiffrer mais ce n’est pas neutre, c’est important.

Dans le domaine culturel ce que l’on a vu apparaître et curieusement à partir de 2008-2010 avec la crise financière, c’est le développement de la générosité des particuliers d’abord en faveur des patrimoines. C’est tout le travail qu’a fait ces dernières années la Fondation du Patrimoine et qui a porté ses fruits et qui maintenant reçoit des centaines d’appels. Le dernier chiffre de la collecte est de 14 millions d’euros.

Le crowdfunding,enfin le financement participatif, est quelque chose qu’on observe avec le plus grand intérêt. Nous sommes en contact avec l’Association Financement Participatif France et nos établissements font appel avec succès à ces plateformes comme My Major Company pour le CMN et une très belle opération qui vient de se terminer avec Ulule au Musée d’Orsay et d’autres encore. Ce qu’on constate c’est que depuis 3 ans le chiffre d’affaires du financement participatif double chaque année. Je crois qu’en 2013 on était à 73 ou 78 millions, 152 millions l’année suivante et 296 millions en 2015. Il y a du don, sans contrepartie et avec contrepartie donc une espèce de troc. Il peut y avoir un avantage fiscal si le bénéficiaire est éligible et alors ça rentre dans l’application de la loi mécénat. Il y a du prêt aussi et de l’equity. La culture est principalement concernée par les dons avec des appels à la générosité lancés par des artistes plastisciens, du cinéma de la musique. Bon, les personnes physiques ne sont pas éligibles au mécénat fiscal. Mais quand c’est des musées ou des associations on est dans un système de financement par le mécénat.

Je distingue les appels à la générosité classique comme le Louvre et ce genre de choses de ce qu’est le financement participatif proprement dit parce qu’il y a des plateformes qui sont généralement des start-ups qui ont un vrai métier, qui savent packager les contenus, communiquer dessus, créer de la viralité, travailler sur les réseaux sociaux. C’est ça qui fait que ça se développe beaucoup. Ça concerne une grande partie de la population, des gens de tout milieux. Générationnellement ça prend la relève des profils classiques des donateurs qui sont plus âgés. Les plateformes touchent principalement des gens entre 25 et 49 ans. Par exemple pour la restauration du Courbet, le donateur le plus jeune avait 15 ans. Suivant les projets ça a une ampleur territoriale différente. La restauration du Courbet a été très francilienne. Pour le Louvre c’est un peu plus large.

Quel est le statut juridique des bénéficiaires? On se rend compte que certains établissements ne sont pas éligibles comme le Théâtre de Genevilliers.

Il y a des conditions pour être reconnus d’intérêt général. Il y a trois grandes conditions: une activité lucrative et non concurrentielle, une gestion désintéressée et une activité ne profitant pas à un cercle restreint de personnes. Dans le domaine du spectacle vivant et dans l’art contemporain, quand la présentation au public d’oeuvres sous réserves que la gestion soit désintéressée (donc essentiellement associations ou fondations) alors cette activité est éligible, par exception. Le champ culturel est très largement couvert. Il faut aussi que la nature de l’activité soit d’intérêt général. Tout ça est défini par le Code Général des Impôts. Après ça s’examine un peu au cas par cas. Il y a des associations qui semblent éligibles et quand on regarde de près on se rend compte que non, soit parce qu’il y a une part trop importante d’activités commerciales, soit parce qu’il y a derrière l’objet social une promotion d’artistes avec un collectif d’artistes précis. On travaille dessus tous les jours. C’est l’administration fiscale qui détermine si un organisme est d’intérêt général, et par la procédure du rescrit fiscal.

Pour ce qui est du statut des fondations et fonds de dotation, ce n’est pas paradoxal d’être une entreprise et d’être d’intérêt général à la fois?

Pour les fondations d’entreprises, il s’agit d’une personne morale distincte de l’entreprise, d’une émanation de l’entreprise. On peut sous un certain angle dire que c’est un outil de communication pour les entreprises mais je ne suis pas sure que les grandes fondations d’entreprises fassent gonfler le chiffre d’affaire de ces entreprises.
Prenons l’exemple de la fondation Cartier: est-ce que vous pensez à Cartier International quand vous allez visiter la fondation? C’est un opérateur culturel privé sur Paris qui fait un travail remarquable depuis 30 ans. Je pense que la fondation Louis Vuitton est appelée à être perçue par le public non pas comme un outil de com’ pour le groupe LVMH même si incontestablement ça participe au prestige du groupe d’être un grand opérateur culturel. Quand vous allez à Venise ou à Milan dans les fondations Prada franchement il y a pas de boutiques qui vous vendent des sacs Prada et il y a des expositions exceptionnelles, des plus belles au monde dignes des plus grands musées. C’est l’entreprise qui rentre dans la cité, qui dit “moi de toute manière mon métier c’est la beauté et puis j’ai des savoir faire. Mes partenaires ce sont les artistes donc j’investis ce milieu là.”

Ce serait donc un procès injuste qui a été fait à la Fondation Louis Vuitton lors de son ouverture?

Pour ce qui concerne cette fondation, à la fin l’équipement sera donné à la Ville de Paris, propriétaire du terrain. C’est un très bel équipement avec une programmation exceptionnelle. Mais bien sûr je comprends qu’on se pose des questions. C’est certainement une stratégie de marque bien entendu mais je ne suis pas sure que ça ait un véritable impact. Ça joue sur la réputation, ça bonifie la réputation de l’entreprise.

Avec les réglementations récentes, peut-on encore mécéner quand on est marque de pétrole ou de tabac?

Les entreprises du tabac avec la récente loi santé font face à l’impossibilité de faire du mécénat pour les entreprises de ce secteur. Mais je crois qu’il faut réglementer. C’est un groupe en l’occurrence japonais qui fait débat et en fait le mécénat était fait au nom du groupe qui n’est pas une marque de tabac. On peut considérer qu’il n’y a pas de publicité pour le tabac dans ce mécénat là. L’impact publicitaire sur le public en l’occurrence je n’y crois pas. Le public ne sait pas qui est JTI. C’est de la diplomatie culturelle, de l’influence. mais en même temps ça permet de financer des choses tellement importantes que l’on peut s’interroger.

Et pour ce qui concerne l’alcool?

Il faut qu’il n’y ait pas de logos, pas de noms de marques d’alcool.

Pourtant, on remarque que Louis Roderer est un nom visible?

Il y a une grande tradition de mécénat dans les maisons de champagne.

Comment composer avec ces traditions? Il faut les prendre en compte?

Ce qu’il faut c’est qu’il n’y ait pas d’effet publicitaire et aucune opération commerciale proprement dite qui soit liée à un acte de mécénat, et ça vaut pour les autres secteurs. Les entreprises dégagent des bénéfices et qu’il y ait un retour sur cette richesse ça me semble plutôt sain. Je ne vous en dirait pas plus car c’est un débat qui n’est pas terminé. Je vous exprime mon point de vue personnel et pas celui de l’institution à laquelle j’appartiens. Moi je suis plutôt favorable à une certaine souplesse dans ce domaine à condition que la frontière entre mécénat et parrainage, entre activité commerciale et activité d’intérêt général soit très claire.
On ne peut pas empêcher l’entreprise d’exister. Il ne faut pas qu’il y ait de nom de marque d’alcool mais pourtant le groupe LVMH comprend bien la marque Moet Hennessy: on est dans une sorte d’hypocrisie alors.

Face à des cas comme celui d’Ahae, il ne faudrait pas accentuer le contrôle des financements ?

Nous le soulignons dans la Charte du Mécénat Culturel. Il faut savoir où on met les pieds. Il y a cette affaire avec un coréen assez fâcheuse, ce genre de chose qui aurait nécessité un contrôle en amont. Quand on s’occupe du mécénat il faut lire la presse économique, savoir ce qu’il se passe dans les entreprises. Il y a toujours des moyens de s’informer. Pour ce qui est des entreprises étrangères on a des réseaux avec des conseillers diplomatiques. Mais il faut penser à vérifier.

Qui se doit de faire ces vérifications alors?

Les porteurs de projet se doivent de vérifier la provenance de l’argent, à la rigueur en liaison avec le Ministère de la Culture. Il faut. Enfin ces affaires sont rares. Il y a l’affaire d’Ahae mais c’est très rare ce genre de dérapage.

Que pensez-vous des évènements de 2012 remettant en cause le mécénat?

Par moments, il y a des remises en cause de la générosité fiscale de notre législation en matière de mécénat. Le Ministère de la Culture joue son rôle en liaison avec d’autres ministères pour défendre cette législation donc l’application est évidemment très précieuse dans le domaine de la culture mais aussi dans la vie sociale. La loi a un vrai impact. Ça pose néanmoins la question de l’évaluation des actions de mécénat. J’ai organisé assez récemment un jeudi du mécénat sur ces questions d’évaluation avec le Centre Français d’Évaluation. Il faut que les porteurs de projets et les mécènes qu’il s’agisse d’entreprises ou de fondations évaluent l’impact, l’utilité et le bien fondé de leurs actions de mécénat. C’est en partie sous la forme d’avantage fiscal de l’argent public qui est dépensé. C’est l’impôt choisi en quelques sortes. Et puis parce que tout action doit faire l’objet d’évaluations. Il faut savoir où va l’argent et dans les entreprises il faut savoir dans quoi on dépense l’argent.

Je n’ai rien d’autre à dire sur 2012, le ministère a fait son travail, la loi est maintenue et le Président de la République a redit son attachement à cette législation.

Le débat est-il encore d’actualité ?

Je n’en sais strictement rien.

Les acteurs viennent-ils discuter avec vous pour parler d’une possible évolution de la loi ?

Nous avons des échanges avec des grands établissements, les réseaux culturels, et d’autres partenaires comme l’Admical.

Ce maillage fonctionne ? Vous en voyez les effets concrets?

Bien sur. Ce travail de réseau que l’on fait a joué un rôle important dans le développement du mécénat d’entreprise. Après il y a d’autres structures comme la Fondation de France ou la Fondation du Patrimoine.

Ana Teodorescu

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Ana Teoderescu est chargée de mission pour développer une stratégie de marque dont l’objectif principal est de développer les ressources de l’établissement. Auparavant, elle a rejoint le secteur culturel en 2010 en travaillant chez Smile&co comme conseillère mécénat et communication. De 2012 à 2014, Ana Teoderescu a travaillé au sein du Palais de Tokyo dans le développement économique.

Forte de ces différentes expériences dans le domaine culturel et en lien avec le mécénat, Ana Teoderescu affirme les réalités financières des institutions en recherche de subvention. Un mécénat n’est jamais désintéressé pour elle. Loin d’être un acte gratuit, le mécénat répond à une véritable stratégie d’image entre l’entreprise et l’institution. Les entreprises mécènent pour répondre à des enjeux propres de développement: “Le mécénat n’est jamais désintéressé, même pour un individu philanthrope, il assouvit toujours un besoin qui est celui de autopromotion, autosatisfaction, il y a toujours une raison qui motive l’acte du mécénat”

Elle explique qu’au sein du musée du Louvre, les chargés de mécénat passent environ 70% de leurs temps à gérer les contreparties. Elle nous dit également apprécier dans son métier c’est travailler sur “des mécénats qui répondent aux enjeux des entreprises stratégiques mais qui répondent vraiment à un besoin que ce soit en communication, en développement, en ressources humaines.”

Conversation avec Ana Teodorescu
Le 22 mars 2016

Pouvez-vous nous parler de votre quotidien au musée du Louvre?

Alors mon poste actuel au Louvre n’est pas directement lié au mécénat, je suis actuellement chargée de mission pour développer une stratégie de marque dont l’objectif principal est de développer les ressources de l’établissement. Je dirai que c’est le “next step”, il y a une réflexion plus globale sur qu’est ce qu’on est, le positionnement, quelles sont les valeurs etc... pour pouvoir ensuite diffuser dans les actions de développement cette réflexion et agir en conséquence. C’est une fonction transverse qui n’est pas spécifiquement liée au mécénat mais induit après des actions pour le mécénat. Après j’ai rejoint le secteur culturel en 2010…

Dans une institution c’est compliqué de prendre des décisions, de les assumer, d’avancer des projets, donc quand on a un acteur extérieur, ça permet un petit peu d’être en mode projet, de faire avancer les choses, d’avoir des décisions, d’avoir des compte rendus, de dire “le next-step c’est ça” et puis on fait les choses pour avancer progressivement. Après du coup le mécénat aussi à l’époque c’était quoi, c’était 200 entreprises.
A un moment quand il y a un changement de ministre il y a tout un ensemble de personnes qui se mettent en place et puis il y a des gens qui viennent conseiller les personnes en place et en fonction du réseau des uns des autres il y a des personnalités qui tout d’un coup émergent. Et donc Smile&Co avec sa directrice Sofiane Le Bourhis-Smilevitch qui maintenant a arrêté l’activité sur Paris et continue à Lyon je crois...

Il y a plusieurs types d’agence, mais surtout il y a les agences qui conseillent donc les institutions pour développer la stratégie de mécénat qui parfois s’arrêtent là et parfois… Et il y a d’autres agences qui fonctionnent sur le mode apporteur d’affaires parce qu’ils sont inscrits dans certains cercles, dans certains réseaux, ils vont pouvoir activer un moment donner tel contact, telle entreprise parce qu’ils ont entendu qu’il était fan de je ne sais quel artiste, que c’est le bon moment qu’il vienne rencontrer le président Jean de Loisy.

Donc là on s’inscrit vraiment dans un autre type de stratégie, c’est vraiment la volonté de glanner, soit de communiquer autrement, soit de gagner en légitimité sur d’autres types de marché.

Après je pense qu’il y a une certaine subtilité aussi qu’il faut insérer dans la communication où on reste dans ce qu’on appelle une communication institutionnelle et pas une communication produit.

En général on établit un cadre bien clair où on dit, attention vous pouvez utiliser cette opération dans le cadre d’une communication mais qui n’a pas d’objectif lucratif, qui ne met pas en avant un produit ou un service au bénéfice de telle ou telle offre. Elle met vraiment en avant le positionnement d’une marque, qu’est-ce que le partenariat apporte à la marque, à son univers, c’est ce qu’on appelle vraiment une communication institutionnelle.

Je ne sais pas s’il le positionne exactement comme ça, à mon avis quand il présente les choses il n’a pas forcément le contexte juridique, légal en tête. Pour lui c’est une espèce d’amalgame où on est philanthrope, où on est mécène et puis en même temps on valorise la marque privée.

Moi ce que j’aime surtout travailler c’est des mécénats qui répondent aux enjeux des entreprises stratégiques mais qui répondent vraiment à un besoin que ce soit en communication, en développement, en ressources humaines

Pour ce qui est des affinités, Rolex était tout à fait prêt à soutenir un projet au Louvre mais ils voulaient rencontrer Jean-Luc Martinez pour voir voilà s’il y avait des affinités, si on s’entendait bien, parce que c’est important après en terme en réseau au delà des bénéfices vraiment liés au partenariat même : est-ce qu’on peut imaginer des leviers pour d’autres choses par la suite. On ne sait pas lesquels mais en tous cas une bonne entente est un terreau favorable pour une opération réussie.

On s’intéresse au business de l’entreprise, on arrive à aller chercher des entreprises qui n’ont jamais fait de mécénat auparavant. Alors moi j’ai ce cas très exemplaire de Pages Jaunes, de Taxi G7 qui n’avaient jamais fait de mécénat avant Monumenta Anish Kapoor et qu’on est allé chercher simplement sur des territoires communs de leur stratégie..

Avec les relations d’affinité avec Roederer, on est obligé d’être là à l’écoute, on est très proche mais on va dire que chaque année budgétaire on doit rejustifier, montrer de nouveau pourquoi ça répond aux enjeux de l’entreprise

Le mécénat n’est jamais désintéressé, même pour un individu philanthrope, il assouvit toujours un besoin qui est celui de autopromotion, autosatisfaction, il y a toujours une raison qui motive l’acte du mécénat.

On peut concevoir des projets qu’à la condition que tel ou tel mécène conditionne en fait son don qu’à la condition vraiment que ça réponde à ce qu’ils attendent. Là ça ne va plus en fait. Il faut clarifier dès le début en fait en disant : voilà nous on a besoin de soutien financier pour les activités du musée, pour les expositions, elles sont telles qu’elles sont, on crée des liens, on explique comment elles peuvent entrer en relation avec les entreprises avec les donateurs. Mais quoi qu’il en soit c’est l’institution qui est maître sur la conception de cette offre culturelle. Après le mécène, une fois qu’on lui a présenté tous ces arguments, s’il ne souhaite pas s’y attacher, ou s’il ne souhaite pas .. voilà, tant pis on ne va pas modifier les choses pour le satisfaire. Pour moi c’est plutôt à ce niveau là que se situent les enjeux.

Quand je parle de “besoins” c’est plutôt une méthode de travail. On se dit : quel est l’intérêt de l’entreprise ? Quel est son enjeux stratégique cette année, dans deux ans, dans trois ans ? Quels sont ses enjeux RH ? Est-ce qu’ils ont besoin de fidélisation des talents ? Quels sont ses enjeux de com ? Est-ce que tout d’un coup ils se lancent dans une nouvelle thématique qui fait résonance avec une exposition ou alors avec le positionnement général de l’institution ? Enfin c’est plutôt pour trouver les points d’accroche. C’est pas parce que tout d’un coup il faut qu’on réponde à ce besoin là ! C’est plutôt trouver les liens…

Nazanine Ravaï

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Nazanine Ravaï est chargée de mission auprès de Monsieur François Pinault, Fondateur de PPR devenu Kering et Fondateur et Président d’honneur d’Artemis. Auteur du livre “La République des vanités”, elle était critique politique et journaliste au Figaro.

Elle affirme que la Fondation Pinault pour l’art contemporain relève d’une volonté personnelle et d’un attachement particulier à l’art plutôt que d’une stratégie d’entreprise ou de groupe. Pour elle, il n’y a aucune contrepartie à l’engagement personnel de François Pinault dans l’art : aucun retour sur investissement, ni bénéfice en termes d’image pour les marques ou le groupe. Nazanine Ravai distingue clairement l’activité de mécène de François Pinault de ses activités entrepreneuariales et financières et décrit ses “deux vies” entre art et monde des affaires. Elle revient également sur le concept de “luxe expérientiel” évoqué par François-Henri Pinault lors d’une conférence à Sciences Po. Quelques semaines avant l’annonce de la création de la Fondation Pinault, sa chargée de mission revient également sur le projet avorté de l’île Seguin.

Conversation avec Nazanine Ravaï
Le 25 mars 2016

Pour commencer, quel a été votre parcours comment en êtes-vous venu à travailler ici ?

Moi c'est compliqué. Je suis donc diplômée de Sciences Po, j'ai une maîtrise d'économie et j'ai été engagée au Figaro comme journaliste et je couvrais les pages qui traitaient des affaires financières. Donc les affaires de François Pinault et de Bernard Arnault. J'étais spécialisée à l'époque dans ce qu'on appelle « le haut de bilan », c'est-à-dire toutes les fusions acquisitions, les grandes restructurations financières. J'ai également écrit deux livres à la faveur de cette activité, comme je suivais tous ces entrepreneurs, je les voyais de façon régulière. François Pinault m'a dit j'ai besoin de quelqu'un, est-ce que ça vous intéresserait de venir travailler avec moi ? Je lui ai dis « oui mais pour faire quoi ? » il m'a dit « je ne sais pas j'ai l'impression que j'ai besoin de quelqu'un un peu comme un chef de cabinet ». Donc je l'ai rejoint en 2000 en qualité de chef de cabinet, où je fais un peu l'interface entre lui et à l'époque c'était entre lui et les équipes qui allaient s'occuper de son projet culturel. Voilà et depuis je suis là et je gère le cabinet de François Pinault, son agenda, ses interventions à l'extérieur et ses relations institutionnelles.

Quel est votre rôle plus précisément dans les projets culturels ?

Je fais l'interface, je supervise. C'est-à-dire que François Pinault a plusieurs casquettes, c'est un entrepreneur et puis il y a la casquette mécène et homme de l'art. Il y a sa passion qui est d'aller visiter les artistes, les ateliers, découvrir les œuvres etc. Et il y a tous les aspects logistiques, organisationnels des relations presses, des relations publiques, des partenariats avec les universités, les écoles et les autres institutions. Et je suis la personne qui est au milieu, qui est le relais entre lui qui ne doit pas être submergé par toutes les questions de détails et tous les gens extérieurs. Je suis le filtre. Je gère, dans le dossier de presse quel type de photos on va mettre, quel type de discours on va faire, qui va relire pour savoir si tout est vraiment en règle. François Pinault est quelqu'un d'extrêmement clair, qui ne supporte pas tous ces discours un peu ampoulés qu'on risque de rencontrer dans le monde de l'art contemporain. Voilà c'est ce genre de choses.

Donc c'est Monsieur Pinault qui choisit d'aller directement vers les artistes ?

Ah bah c'est lui. Il a effectivement pas mal de conseillers qui lui signalent telle ou telle œuvre, telle ou telle exposition. Mais c'est toujours lui qui se déplace, qui voit si l'oeuvre l'intéresse, s'il a envie de rencontrer tel artiste et d'aller plus loin. On lui dit ce qu'il faut voir mais c'est lui qui prend son avion quand il a le temps ou quand il va visiter ses entreprises, s'il a deux minutes, enfin deux minutes, s'il a quelques heures devant lui, il y va. Mais c'est vraiment deux choses différentes dans le cas de François Pinault, il n'a pas fait une fondation d'entreprise, c'est une collection qu'il a réunie depuis 40 ans, c'est vraiment une passion personnelle, ça l'intéresse beaucoup. Tout son objectif était d'ouvrir cette collection au plus grand nombre. C’était une démarche très active dynamique et très contemporaine parce que l’idée n’était pas pour lui d’avoir un mausolée avec des oeuvres avec écrit François Pinault, il partait du principe que Paris est rempli de formidables musées et il voulait faire quelque chose en résonance avec la création contemporaine, la création du jour. Il présente à la faveur d’accrochages régulier ses oeuvres à la Pointe de la Douane et au Palais Grassi.

A l’origine on voulait faire un bâtiment à Paris, à l’île Seguin. Malheureusement pour des raisons administratives… parce que Monsieur Pinault est quelqu’un de très impatient, il faut que ce soit fait vite et d’ailleurs il a eu raison parce que depuis le temps ils n’ont rien fait à l’île Seguin (rires), il l’a fait à Venise.

Il y a cette partie là, l’activité muséale et des exposition ; qui est aussi très particulière par rapport aux autres institutions, comme ce sont des expositions d’art contemporain, dès que possible les artistes sont impliquées. Très souvent il demande aux artistes de créer des oeuvres in situ ou des commandes spécifiques pour telle ou telle exposition. Quelque fois il leur donne même carte blanche en disant “regardez dans ma collection ce qui vous intéresse et faites en une exposition”. Ça c’est très rare. La deuxième partie, c’est que nous avons noué des partenariat très étroits avec les université vénitiennes , ils viennent aider pour les accrochages, tout ça. Mais cette collection fait aussi l’objet d’expositions itinérantes, car elle est très sollicitée aussi par d’autres villes que Venise. On l’a fait à Monaco, à Séoul, bientôt à Essen. On nous appelle et on organise des expositions ailleurs. Même à Paris on l’avait fait à la conciergerie. Et il y a un troisième volet qui est que, François Pinault sa démarche c’est aussi de soutenir les artistes contemporains. Il a créé une résidence d’artistes à Lens, dans la cité minière avec la mairie et les institutions locales. Tous les ans ils font un appel à candidature et ils sélectionnent un artiste qui reste un an dans cette résidence et crée une oeuvre. Et aussi il a créé le prix Pierre Daix qui distingue une oeuvre sur l’histoire d’art moderne ou contemporain. Ca c’est les principaux axes des activités de la collection de François Pinault.

Et est-ce que vous pensez que justement ces trois axes, cette activité culturelle intense pour François Pinault a des bénéfices directs sur ses activités entrepreneuariales et financières ?

Ecoutez… Je ne peux pas le mesurer moi. Ce que je peux vous dire c’est que dans sa démarche c’est deux choses complètement différentes. Il n’a jamais voulu par exemple que les entreprises de mode s’associent à ce qu’on fait, ni que les artistes s’associent aux créateurs. C’est pour cela qu’il n’a pas fait de fondation d’entreprise, c’est une autre démarche. François Pinault c’est différent, il a commencé dans le bois et à cette époque là il avait déjà une collection importante, donc ce n’est pas lié à ses affaires. Il se trouve qu’à partir des années 2000, l’ex PPR aujourd’hui Kering, a fiat un virage vers l’industrie du luxe. Mais Monsieur Pinautl était déjà un des plus grand collectionneur d’art moderne et contemporain. En plus dans les différentes marques du groupe, François Pinault s’attèlle à respecter la personnalité de chacun. Gucci existe en tant que tel, Saint Laurent existe en tant que tel et Kering les protège mais ils ne sont pas en concurrence. Ils restent des maisons avec l’artisanat et le savoir-faire qui font rêver mais c’est des maisons avec leur personnalité propre. Pour nous ici, à mon niveau, je ne vois aucune espèce de liaison entre les affaires à proprement parler et l’art.

Donc si j’ai bien compris, quand il soutien des artistes ou finance des expositions c’est en son nom propre et ce n’est pas Artémis ou Kering ?

C’est de sa poche ! En son nom propre c’est Artémis, c’est à lui ! Alors ça peut être pas une des sociétés du groupe… Mais c’est pas par Kering, c’est pas par Gucci ou Saint Laurent. Vous savez il y Artémis c’est la holding familiale, c’est sa société personnelle qu’il a à 100% et puis Artémis est actionnaire de Kering qui a toutes les marques que vous connaissez. Et Artémis est aussi actionnaire du Point, de Kristies de Chateau Latour, à 100% tout ça. Mais c’est la poche de François Pinault via une des sociétés du groupe. Il n’y a aucune exposition sponsorisée par une marque du groupe.

D’accord, je pense que ce qui peut prêter à confusion c’est que vous appelez ça “luxe expérientiel” et Kering c’est beaucoup de marques de luxe…

Bien sûr, effectivement… Parce que François Pinault a créé Artémis et 1992 et PPR il y a plus de 50 ans. Et Kering en 1990 s’est orienté à 95% vers le luxe. Après Artémis c’était une société personnelle, Le Point ou Chateau Latour ça n’a rien à voir avec le luxe, même si Chateau Latour est au delà du luxe mais c’est du vin. Christie’s c’est une activité d’intermédiation. C’est des entreprises qu’il a acheté dans sa holding familiale pour ne pas mélanger les genres. Parce que quand vous mettez en bourse une société il faut que vous soyez transparents par rapport à vos actionnaires minoritaires. Donc il y a un endroit où il est chez lui et l’autre bon il est encore chez lui car il est minoritaire mais il est très respectueux de ce contrat avec les actionnaires minoritaires. C’est pas pareil. Mais François Pinault dit que ce qui est similaire dans l’art à la démarche d’acquisition d’entreprises c’est la prise de risque, c’est pareil quand il soutien un artiste pendant plusieurs années, il prend un risque. Si ça se trouve c’est rien, si ça se trouve c’est un Picasso ! Mais il dit, la grande différence c’est que dans le cas de l’art c’est l’émotion qui est le moteur, alors que dans le cas des affaires c’est surtout pas l’émotion ! Donc dans la démarche de François Pinault, ça n’a rien à voir, c’est très rare ! Depuis que je suis là il n’y a jamais eu de téléscopage entre les deux, bon à part les inviter aux vernissages, il n’y a pas de mélange des genres.

Du coup, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le luxe expérientiel pour François Pinault ?

Alors euh… pour lui… mais qu’est-ce qu’il a dit lui même ?

Dans sa présentation il y avait Artémis dans lequel il y avait le luxe avec Kering et le luxe expérientiel avec Christie’s, Chateau Latour, Venise…

Alors il me semble que le luxe expérientiel c’est un rapport où il y a un investissement humain en temps. Comme dans un musée tous les sens sont sollicités, quand vous buvez un verre de Chateau Latour ou que vous allez dans un hôtel somptueux c’est pareil. C’est des expériences uniques et individuelles pour chacun. La façon de percevoir l’expérience est très personnelle. C’est aussi l’excellence dans tout. Chateau Latour c’est un petit enclos d’une quarantaine d’hectares, c’est un combat contre le temps et ça rend les gens humbles par rapport à tout ce qui les dépasse. Christie’s c’est une entreprise de services personnalisés, ils vont envoient la bonne personne pour votre oeuvre.

D’accord, ce qui était confusant c’est qu’il présente l’art comme un segment d’activité alors que vous nous dites que c’est quelque chose de très personnel pour Monsieur Pinault…

Oui c’est rapproché pour une raison. Normalement les statuts des musées sont très simples, soit c’est une fondation, sous la houlette de la Fondation de France et il y a des contraintes énormes. Vous êtes obligés d’avoir x oeuvres que vous ne présentez pas ou sous certaines conditions. Vous avez pour chaque acquisition ou chaque cession vous devez réunir le conseil d’administration. Et vous êtes de facto minoritaire dans votre conseil d’administration, il y a des représentants et je ne sais plus qui. Donc pour quelqu’un qui a envie d’être flexible qui est un homme libre dans sa tête c’est juste pas possible. Donc il a créé une société qui lui appartient à 100% pour gérer les musées et la collection personnelle de Francois Henri Pinault qui prête les oeuvres à cette société. Donc c’est pour ça qu’il a du mettre cette société dans le luxe expérientiel… Mais c’est dans son discours, pour que ce soit cohérent, la vérité c’est que ce n’est pas une démarche entrepreneuriale.

Il se trouve qu’au moment où on allait construire Palais Grassi et la Pointe de la Douane, on avait cette société qu’on utilisait pour les travaux sur l’Ile Seguin, d’Artémis, donc les deux bâtiments sont restés chez Artémis, ce qui est pour les Vénitiens, compte tenu de l’importance de ces bâtiment, c’était compliqué qu’ils appartiennent à une personne physique. Mais à l’origine la démarche de l’art n’est pas entrepreunariale, il ne considère pas que les sociétés doivent être bénéficiaires, ce qui n’est pas le cas. C’est vraiment une activité de mécénat, mais pas dans le cas du mécénat où vous payer ou des choses comme ça.

Et par rapport à Christies, est-ce que Monsieur Pinault a une relation également personnelle à Christies et est-ce que par exemple il achète directement ses oeuvres chez Christies ?

François Pinault achète ses oeuvres chez Sotheby’s ! Il n’a aucun mandat d’administrateur chez Christie’s, il est simple propriétaire, il achète partout. Il dit toujours “ce n’est pas parce que vous un restaurant que vous n’allez pas dans les autres restaurants”. François Pinault il est aux enchères avec tout le monde, parfois quelqu’un surrenchérit. On a toujours l’impression que Christies fait tout mais en fait Christies prend des oeuvres, les vend aux enchères, eux ils prennent une marge au milieu. Parce quelqu’un me disait avec le prix des oeuvres contemporaines, avec Jeff Koons qui a été revendu, ça fait beaucoup d’argent… Mais bon c’est surtout le vendeur qui gagne beaucoup hein !

Comme c'est un collectionneur d'art contemporain, les jeunes artistes n'ont pas encore une côte très élevée sur ce marché-là, il les achète dans les galeries ou auprès de lui. Il lui arrive de vendre partout, chez Christies comme ailleurs. Ca lui est arrivé de vendre ailleurs que chez Christies. Car quand on vend quelque chose, ça dépend aussi du groupe. De temps en temps certains groupes font de grosses affaires et on préfère vendre là-bas plutôt qu'ailleurs. C'est la façon dont la personne peut nous convaincre.

Pourquoi s'intéresse-t-il qu'à l'art contemporain ?

Parce que François Pinault considère qu'il n'y a pas de césure dans l'art, il a toujours été intéressé par ce qu'il se passé dans ce temps et les artistes contemporains l'intéresse absolument. De plus, les plus grands chefs d'oeuvre sont souvent dans un musée et comme je vous l'ai dit, il ne souhaite pas faire de sa collection un coffre fort en disant « regardez ce que j'ai ». C'est vraiment la volonté de soutenir et d'aider, voire éventuellement d'en découvrir un. Il les suit depuis 15 ans, il les aide à produire des oeuvres, il les prête à de nombreux musées. On édite un magazine avec la Fondation Pinault, on a une grosse activité de prêt. Par exemple, François Pinault a beaucoup aidé Tatiana Trouvé, il l'a présenté plusieurs fois et il aide à la faire connaître, à ce que d'autres musées l'appellent. Il est engagé et davantage auprès du contemporain que l'ancien car il n'aime pas l'effet coffre fort et il veut ouvrir avec le temps.

En terme d'image, on a compris les « deux vies » de F Pinault mais est-ce que les clients, parce qu'il est intéressé par l'art, viennent vous voir parce que son attrait pour l'art renvoie une image séduisante ?

On ne peut pas le quantifier mais je pense que c'est bon en terme d'image. Je ne sais pas si ça entraîne l'arrivée ou augmente le chiffre d'affaire, je ne pense pas. Quand on va dans un magasin de luxe, on achète parce que le produit nous plaît et pas autre chose. Ca peut peut être créer un a priori positif mais les marques ont des signatures bien claires, quand on va chez YSL, on va chez ce designer et pas chez Pinault. Je ne pense pas que le lien soit si facile à faire.
Quand je regarde la Fondation Cartier qui est là depuis 30 ans, est ce que cela a eu un lien avec Cartier ? Je ne crois pas. Quand on y va, c'est le contraire de l'exposition Cartier qui est au Grand Palais. D'un côté on a un truc en verre, dépouillé, et de l'autre un truc exubérant. La fondation s'est affranchie de sa maman, elle existe en tant que fondation à part entière.

La fondation Vuitton c'est différent car n'a que deux ans, on sait encore que c'est Vuitton. Et puis tous leurs défilés ont lieu là, les malles sont accrochées, il y a une vraie collaboration entre la marque et le lieu. C'est différent pour Cartier. Si on va à Venise, rien ne nous rappelle ici. Nous ça fait dix ans, ils ne nous associent pas avec Kering mais avec le père ou le fils Pinault. Après 10 ans. Alors que LVMH fait tout pour qu'on les associe avec Vuitton.

Pourquoi rien ne s'est fait sur l'île Seguin ?

On a travaillé 5 ans là dessus. Il fallait faire un pont. A Paris, on avait les plus beaux musées du monde donc pour convaincre les gens de venir sur l'île, il fallait bien qu'il y ait quelques magasins. Le PLU devait harmoniser l'ensemble dont le pont, on ne pouvait pas y aller à la nage ! Mais c'était trop long, ça a duré plus de 5 ans, on ne pouvait rien commencé sans le PLU qui était coincé. Or F Pinault est quelqu'un d'impatient, il s'est donc tourné ailleurs et ça a mis qu'un an pour Venise !

Est ce que vous pensez que le fait que les fondations portent le même nom que la marque renvoie alors à de la publicité ?

Par exemple François Henri Pinault a créé une fondation mais rien à voir avec l'art ! Mais avec le droit des femmes. L'idée n'est pas d'arroser les gens d'argent mais d'aider au développement. Alors oui on parle de Kering, mais Kering n'est pas une boite de vêtement, c'est la holding qui chapeaute. Donc pas de lien. C'est dans l'esprit de l'entreprise citoyenne. Et l'art en fait aussi partie !

Si l'Etat fait moins, c'est parce qu'il a moins de ressource. Il y a quelque chose d'inouïe dans ce pays, dans cette ville ! J'habite dans le 16ème, quand je prends le bus pour venir ici, je passe devant sept musées ! C'est extraordinaire sur 7 km ! Et si vous allez sur la rive gauche, c'est encore plus ! Ce n'est pourtant pas une ville musée mais il y a une offre extrêmement diverse et importante qui permet et nous donne une possibilité exceptionnelle. Il y a une part d'entreprises citoyennes importantes. Certaines font du mécénat systématiquement. D'autres ont fait des collections comme la Société générale ou AXA. Chacune a eu leur propre démarche. Suez/Engie a soutenu les musées. François Henri Pinault et sa femme ont acheté une table de Marie Antoinette et l'ont donné à Versailles sinon, ils peuvent faire ça. Les entreprises ont différentes manières de faire.
La démarche « je soutiens un musée » comme Engie. Ensuite on a des entreprises qui lancent leur propre fondation comme Cartier ou Vuitton. Qui rend compte d'un espace d'expositions avec un curateur. Après il y a la démarche de François Pinault avec ses œuvres personnelles à accrocher qu'il accompagne d'autres activités culturelles. Il y a à côté Vuitton qui affiche son lien entre le bâtiment et la démarche commerciale.
Aux Etats-Unis, la démarche est simple, chacun crée son propre musée !

Julie Narbey

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Julie Narbey, directrice générale déléguée du Palais de Tokyo nous a expliqué que le mécénat faisait partie de son quotidien dans la mesure où 65% de leurs recettes venaient de leurs propres ressources comprenant la billetterie, le restaurant et la libraire mais également le mécénat. La nécessite pour le Palais de Tokyo d’avoir recours au mécénat est double. D’une part, le mécène aime bien laisser l’idée de laisser une trace dans le patrimoine. Or le Palais de Tokyo ne peut pas jouer sur ce levier dans la mesure où les expositions durent environ 3 mois avant de s’évaporer. Il s’agit donc de mettre en avant la créativité, l’audace et l’émergence des projets plutôt que leur aspect patrimonial. D’autre part, la nature de leur programmation peut constituer un frein pour les entreprises qui de manière générale préfèrent être mécène d’une exposition Monet ou Picasso par exemple car “tout le monde voit ce que c’est.” Les artistes exposés au Palais de Tokyo sont moins connus des entreprises.

Pour ce qui relève du calcul des contreparties dans le cadre du mécénat, si elle affirme que ce n’est pas une science exacte, elle précise que le Palais de Tokyo valorise en termes de pourcentages la question de la visibilité des entreprises et sans qu’il y ait de négociations avec les entreprises. Elle admet alors que parfois certaines entreprises considèrent le mécénat comme véritable outil de communication ce qui rend les discussions plus difficiles. Au contraire, lorsque c’est une fondation qui mécène les discussions sont plus simples car il y a moins d’enjeux de visibilité que pour une marque.

Par ailleurs, Julie Narbey a régit quant à la controverse autour Japan Tobacco International, grand partenaire du Palais de Tokyo qui ne peut désormais plus être mécène depuis la loi Santé de Marisol Touraine: elle ne comprend pas comment on peut accuser le Palais de Tokyo de publicité déguisée pour le tabac et “met au défi quiconque dans la rue de savoir que JTI a un lien avec les cigarettes.” Effectivement, le Palais de Tokyo a été accusé d’inciter les gens à fumer. Or selon elle, avec les affiches du Palais de Tokyo dans le métro présentant en tout petit le logo de JTI, il est assez difficile et délicat de porter de telles accusations. Avec la loi Santé, elle affirme qu’ils se sont “pris un mur” et on dès lors perdu leur plus gros mécène, la perte de ressources pour leur établissement étant énorme.

Conversation avec Julie Narbey
Le 22 avril 2016

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment est-ce que vous côtoyez le mécénat dans votre quotidien ?

Je suis Directrice Générale Déléguée du Palais de Tokyo. Le mécénat fait partie de mon quotidien, il prend 30% de mon temps. Au Palais de Tokyo, on est subventionné à 35% et 65% de nos recettes viennent de nos propres ressources c’est-à-dire la billetterie, les restaurants et la librairie, le mécénat et les privatisations d’espace c’est-à-dire location d’espace pour une exposition, le lancement d’un produit ou un événement autre.

Vous privatisez donc aussi pour une exposition ?

On privatise pour des expositions qui ne sont pas d’art contemporain. On a eu Chanel, qui était une exposition dans le cadre d’un fashion program par exemple. C’est une manière d’intégrer l’objet à notre programme de communication. On a eu aussi un événement avec Windows 8 dans le cadre du lancement d’une nouvelle tablette. Et dans les gros événements, Nike va envahir le Palais dans quelques semaines, tous les espaces qui ne sont pas consacrés aux expositions seront dédiés à l’Euro. C’est quelque chose qu’on intègre beaucoup, on considère que les marques et les entreprises font parties de la vie. Les artistes s’y intéressent car ils essaient de comprendre dans quel monde on vit et c’est donc impossible de s’exclure des marques. Ça fait partie de notre environnement et de notre projet économique. On s'intéresse aux marques principalement dans un objectif d'observation et de compréhension du monde qui nous entoure, ce n'est pas que pour des raisons économiques. Pour ces collaborations, soit ce sont des locations d’espaces, soit ce sont des partenariats et là on est beaucoup plus dans une logique de partenariat avec des collaborations qui sont soit du mécénat général où la somme versée n’est pas fléchée sur tel ou tel objet et il a le droit à des contreparties d’espaces et de visibilité dans la limite des règles de la loi mécénat ; soit ce sont des mécénats plus fléchés comme ça a été le cas avec Céline qui avait signé pour l’exposition John Giorno.

On a aussi du mécénat en nature. Normalement on finalise un mécénat avec Roche Bobois pour avoir des espaces, des assises, des canapés etc. C’est un mécénat qui marche plutôt bien, soit pour équiper nos espaces, la jolie terrasse qui est derrière nous par exemple c’est du mécénat d’un horticulteur qui en a fait son showroom et qui entretient gratuitement et change les plantes pour nous, c’est la terrasse du personnel.

On travaille aussi avec la fondation Bettencourt qui nous apporte leur connaissance très pointue des meilleurs artisans d’art en France et nous, on conçoit des expositions autour de ce sujet avec toute notre liberté. Cette année on a fait Double Jeu qui pousse assez loin une collaboration avec la fondation et qui est très heureuse qu’on l’ait emmenée jusque là avec une communication grand public. Ça a permis de montrer l’objectif de l’association via ce mécénat, de montrer les métiers d’art sous un autre jour, et les montrer à un plus large public et nous l’objet nous intéressait pour un dialogue avec les artistes. Du coup, chacun s’y retrouve, nous dans notre liberté d’organiser des expositions et en collaboration avec la fondation. Voilà le panorama de nos collaborations.

Vous avez parlé de visibilité et de mise à disposition d’espaces en ce qui concerne les contreparties, à quoi est-ce que cela renvoie ?

Dans la loi mécénat, 25% maximum du montant donné peut être alloué en contrepartie. Donc nous on valorise plutôt en pourcentage la question de visibilité, donc par exemple une entreprise qui donne 100 000euros, si elle a son logo, on va considérer que ça vaut 5000 euros.

Vous n’avez pas de grilles pour calculer ces contreparties?

On le fait en terme de pourcentage pour la visibilité et pour nos espaces Il y a une grille de location d’espaces qui est votée par le Conseil d’Administration et permet de dire que s’il reste 20 000 euros d’espaces, l’entreprise peut choisir en fonction de ses besoins de Ressources Humaines ou de Relations Publiques, les espaces jusqu’au niveau autorisé.

N’est-ce-pas difficile de savoir combien vaut un logo sur une affiche ?

Ce n’est pas du tout une science exacte. On applique les mêmes règles pour tous, il n’y a pas de négociation avec les entreprises à ce sujet. On a un pourcentage du montant. Comme les logos sont les mêmes sur l’affiche, s’il y a une Engie et une petite PME, ça n’a pas la même valeur. Or il faudrait, alors que les deux aient donné le même montant alors qu’Engie est plus grosse que l’autre entreprise. On ne veut pas rentrer là dedans.

En ce qui concerne vos mécènes, est-ce principalement de grosses entreprises en terme de chiffre d’affaire ou il y a aussi des PME ?

Il y a beaucoup de grosses entreprises, et malheureusement il y a de plus en plus de fondations comme la fondation Engie, Bettencourt, Total, Roederer. C’est une bonne chose pour nous mais le mécénat passe de plus en plus par les fondations. C’est quelque chose d’assez confortable pour nous vu qu’une fondation est plus en prise avec les sujets qu’elle mécène et dans une vraie démarche philanthropique. Parfois il nous arrive d’avoir des discussions avec les entreprises qui considèrent le mécénat comme un véritable outil de communication et de marketing et donc les discussions sont plus compliquées. Quand c’est avec une fondation, c’est plus clair. L’entreprise a affecté une partie de ses bénéfices à la fondation qui les répartit en fonction de programmes et d’objectifs qui sont ceux définis par la fondation. C’est plus simple car il y a moins d’enjeux de visibilité que pourraient avoir une marque.

Ce qui est plus triste, c’est que les entreprises font de moins en moins de mécénat. Celles qui ont des fondations en font via celles-ci et leur budget est en baisse. Les entreprises, même les plus grosses, n’ont plus les mêmes moyens pour le mécénat et le mécénat correspond seulement la part qui reste si on a fait des bons chiffres. Ça varie en cours d’année, ce qui ne nous arrange pas, on a besoin d’un montant certain, si possible pluriannuel pour pouvoir avoir des programmes d’activité pérennes. On peut comprendre mais c’est difficile. Peu d’entreprises s’engagent sur plusieurs années, ce qui est difficile.

Pour les PME, nous on a une approche particulière. En fait nous on va les chercher, notamment pour le mécénat en compétences ou en nature. On a des expositions qui font appel à des métiers très variés. Pour l’exposition de Thomas de Charogne il y a deux ans, on avait besoin de 20 000 pneus pour faire la scénographie. On a donc cherché une entreprise de recyclage qui pouvait nous mettre à disposition des pneus. Or ce n’est pas des entreprises qui font spontanément du mécénat. Donc on les appelle et se crée un dialogue. Et ça avait marché donc une entreprise de recyclage de pneus avait été partenaire. De temps en temps ça marche. Mais sur les PME ce n’est jamais facile.

Pouvez-vous nous parler du Tokyo Art Club Entreprise ? Quel est son rôle et est-ce limité aux entreprises mécènes ou ouvert également à vos partenaires et aux entreprises qui privatisent vos espaces?

Ce n’est pas du tout pour les entreprises qui privatisent. C’est un cercle de mécènes où notre approche avait été de se dire qu’être mécène du palais ou d’une exposition renvoie à des montants élevés. Une exposition coûte entre 100 000 et 400 000 euros donc on voulait créer un cercle avec une adhésion clé en main où on n’a pas besoin de discuter du type de contreparties, du logo etc. L’adhésion est simple, le montant des contreparties est le même pour tous avec des montants qui renvoient au low cost du mécénat puisqu’on a une adhésion à 8000 euros et une adhésion à 20 000euros. Celle à 20 000 intègre la privatisation d’un espace du Tokyo Art Club une fois par an vu que ça rentre dans les contreparties des 25%.

C’est une tentative de low cost et de relations publiques en fait. Chaque entreprise mécène et membre du club peut inviter jusqu’à six personnes, il y a trois petits déjeuners et visites d’expos, et trois cocktails-conversations avec un artiste dans l’année. Lors de ces événements, l’entreprise peut donc inviter qui elle veut, ses clients, partenaires, salariés etc. Et ça fonctionne très bien vu que c’est assez simple, chacun donne sa liste d’invités et c’est lié à la programmation du Palais.

Ce qui est intéressant est que c’est une clé d’entrée dans le mécénat pour les entreprises qui ne sont pas très grosses et qui ont envie de s’investir, d’avoir une démarche philanthropique ou d’être en partenariat avec un milieu culturel et ça intéresse aussi les grosses entreprises car ce sont des petits montants. On a donc des entreprises de taille très variées.

Est-ce qe vous avez rencontré des difficultés avec la loi Evin et la loi santé étant donné que JTI était votre partenaire ?

On n’a pas rencontré une difficulté mais on s’est pris un mur. La loi Evin est très claire et est parfaitement respectée, il n’y aucun problème. Mais nos partenaires n’ont pas le droit de communiquer sur la vente de cigarettes. Je mets au défi quiconque dans la rue de savoir que JTI a un lien avec les cigarettes. On nous a accusé de publicité déguisé, c’est quand même assez difficile. Avec l’affiche dans le métro d’une expo avec le logo JTI en tout petit, nous accuser d’inciter les gens à fumer, c’est quand même assez délicat. Donc la loi Evin n’empêche pas de faire des partenariats. La loi santé par contre a purement et simplement interdit aux sociétés de tabac de faire du mécénat. La loi dit que les sociétés de tabac n’ont pas le droit de faire du mécénat donc on a perdu notre plus gros mécène, le plus fidèle et le plus gros. On a essayé de faire un peu de lobbying pour expliquer que c’était un mécène qui ne défiscalisait rien donc ça ne coûtait rien à l’État comme c’est une société basée en Suisse. Et ils n’utilisent pas les contreparties justement à cause de toutes les contraintes liées à la loi Evin. Et ils étaient mécènes de plusieurs établissements publics, la perte de ressources pour les établissement culturels était énorme. Mais elle est passée donc on s’est dit au revoir du jour au lendemain depuis février.

Cela signifie que le mécénat une économie assez fragile ?

Oui c’est la ressource la plus fragile. La billetterie c’est assez stable, comme le restaurant. Les privatisations marchent bien, ça pourrait paraître volatile mais comme on a de très beaux espaces, on remplit bien. Mais le mécénat est plus compliqué à prévoir.Et les cercles sont intéressants de ce point de vue là car ils fidélisent et comme ce n’est pas très cher, les gens réadhèrent. On mise donc dessus, en créant peut être des niveaux d’adhésion supérieurs.

Donc c’est plus difficile pour le Palais de Tokyo que pour le Louvre ou le musée d’Orsay ?

Il y a deux points difficiles au Palais de Tokyo : on n’a pas de collection donc on ne s’inscrit pas dans une démarche patrimoniale. Or le mécène aime bien l’idée de laisser une trace dans le patrimoine. On ne peut pas jouer sur ce levier vu qu’on fait des expositions de trois mois et puis tout s’évapore. On fait plutôt raisonner l’émergence, le fait d’être un lieu qui inspire, la créativité, qui est audacieux… Ça intéresse aussi les entreprises. L’autre difficulté est que quand on cherche des financements deux ans à l’avance pour l’exposition de Monet ou Picasso, tout le monde voit ce que c’est. Nous c’est plus compliqué, l’artiste est peu connu des entreprises et lui même n’a aucune idée de ce à quoi ressemblera son expo, même six mois avant ! C’est un process de création lent et complexe, propre aux artistes… Cette incertitude est difficile à vivre pour les entreprises, du moins au début. Donc elles ne s’engageaient pas… Il fallait donc créer de la confiance avec les entreprises et leur montrer que quelque soit le moment de l’année ou de la programmation, il y aura toujours une offre qui pourra correspondre à leurs attentes, sans prendre de risques énormes. Et ils jouent sur l’effet de surprise.

Y a t-il déjà eu un travail de collaboration entre les artistes et les entreprises ?

Ça arrive qu’il y ait des implications de l’entreprise dans le travail de l’artiste. J’ai un exemple qui n’a pas aboutit mais on avait un artiste qui voulait travailler sur la réalité augmentée et il a travaillé à l’époque avec Orange qui s’intéressait à cette technique et a mis à la disposition de l’artiste ses instituts de recherche pour dialoguer, rechercher, avancer avec ces ingénieurs. L’artiste a des idées qui vont au delà de ce qui existe donc ça permet d’obtenir de belles collaborations. L’artiste pousse l’ingénieur à se poser des questions et à aller au delà de ce qu’il avait imaginé.

Thierry Consigny

Description

Thierry Consigny a côtoyé la question du mécénat dès le début de sa carrière. Alors étudiant à l’ENA et stagiaire en Auvergne, il a organisé un festival lié à la poésie et sa mission principale était la recherche de mécénats. C’est donc très tôt que les enjeux autour de cette problématique se sont imposés à lui. A la fin de son cursus académique, il s’est rapidement dirigé dans le domaine de la publicité et a monté son agence, Saltimbanque qui a la particularité de créer beaucoup de passerelles entre le monde de l’entreprise, des marques et le monde artistique. D’après lui, l’art doit être présent dans les stratégies d’entreprise car il apporte une plus-value véritable et il veut aider les sociétés qui ne baignent pas forcément dans le milieu culturel à s’engager davantage dans des actions de mécénat. L’agence a entre autres travaillé avec Roederer qui a pu bénéficier de cette forme de communication ancestrale, à la Médicis, en évoquant davantage que du champagne, en initiant à un façon de voir la vie d’après cet acteur car le mécénat culturel sert à fabriquer “une réalité immatérielle”.

Il considère que l’individu est assez autonome pour faire les distinctions nécessaires entre le mécénat, une exposition, un artiste et l’entreprise. L’action du mécène n’est en rien désintéressée comme le dicte sa définition juridique, mais cependant, sa présence est inévitable et porteuse.

En effet, il est “impensable aujourd’hui de monter une expo sans subvention” rappelle-t-il. Mais il admet que le principal mécène en France reste l’Etat. Les contributions des mécènes restent dérisoires par rapport aux sommes versées par les pouvoirs publics. Les soutiens financiers des entreprises privées ne représentent que 1,2 milliard d’euros en 2014. En comparaison le ministère de la culture a un budget de 7 milliards d’euros. Ainsi si le soutien financier privé semble indispensable en complémentaire de celui des pouvoirs publics, il garde un rôle de “complément” et pour l’instant reste bien inférieur au soutien de l’Etat.

De plus, il pense que la loi devrait être revue en faveur des PME et des particuliers étant donné que la loi de Jean Jacques Aillagon de 2003 reste très favorable aux grandes entreprises.

Enfin, en ce qui concerne les fondations d’entreprise, il oppose la gestion de la fondation Louis Vuitton à la gestion de la fondation Cartier. Alain-Dominique Perrin, en créant la fondation Cartier a réellement séparé la fondation et la marque d’après son point de vue. La fondation Cartier a une réelle indépendance artistique et les choix d’artistes exposés n’ont rien à voir avec les valeurs de la marque Cartier. Alain-Dominique Perrin a ainsi mis une frontière très claire entre la marque et la fondation mais celle-ci n’est pas toujours aussi claire. La fondation Louis Vuitton subit au contraire des critiques par ce mélange trop voyant entre les intérêts de la marque et l’action du mécénat et l’acteur le rappelle.

Conversation avec Thierry Consigny
Le jeudi 10 mars 2016

Est-ce que vous pourriez commencer par nous raconter votre parcours ? Comment avez-vous été amené à travailler en lien avec le mécénat et à monter cette agence ?

Mon lien avec le mécénat a d’abord été de chercher des mécènes. Quand je faisais mes études, j’étais stagiaire de l’ENA en Auvergne et j’ai créé un festival de poésie et donc j’ai eu besoin de mécènes. A vrai dire on n’en trouvait pas, c’était très difficile. On trouvait des petits mécènes locaux mais qui donnaient peu, qui donnaient vraiment trois fois rien, 5000 francs d’un côté, 5000 francs de l’autre… On n’avait pas un gros budget d’ailleurs, on avait un budget de 300 000 francs, ce qui est dérisoire pour maintenant. Et on a été invité par l’ENA - qui savait qu’on était engagés dans ce truc - à participer à une conférence organisée par l’ENA sur le mécénat d’entreprise qui était une chose toute nouvelle à l’époque, c’était dans les années 80. Donc on a participé à ça et quelque temps après on a eu le coup de fil de la secrétaire générale de la fondation France Télécom qui nous a dit : “Je vous ai vu à cette conférence, ça m’intéresse. Venez me voir.” Et quand on est allé la voir elle nous a dit “Bon alors c’est combien votre affaire ?” Alors on lui a dit “Voila c’est 300 000 mais bien entendu on cherche plusieurs mécènes.” “Ah non non non moi je ne veux pas plusieurs mécènes, je veux juste un mécène, c’est moi” et hop elle a pris tout le truc !

Donc voilà, mes études c’était SciencesPo-l’ENA et dès l’ENA en fait je me suis intéressé à tout ce qui est communication, culture etc.
En sortant j’étais au ministère des Finances mais je suis vite partie pour aller dans la pub. Et dans la pub j’ai appris le métier chez BDDP donc avec les grands monsieurs comme Boulet, Dru etc qui sont restés des amis mais qui étaient à la fois des patrons et des maîtres.
Après j’ai créé une première agence qui était une désastre financier etc. Et puis une deuxième qui a bien marché qui s’appelait les “Ouvriers du paradis” et qui n’était pas encore très axé sur le mécénat, les choses artistiques etc mais enfin qui était déjà axé sur le luxe et vous avez déjà vu qu’il y a beaucoup de rapports entre le luxe et le mécénat et qui avait déjà une patte un peu artistique enfin qui changeait déjà des autres agences. Et puis je l’ai vendue et j’ai créé cette petite agence ici qui s’appelle Saltimbanque. Et qui elle est une agence de pub normale mais dont la singularité est de créer beaucoup de passerelles entre le monde de l’entreprise, de marques et le monde artistique.

Vous considérez que votre place dans le mécénat est une place d’intermédiaire, de médiateur entre l’artiste et les entreprises, quelles sont vos relations avec les différents acteurs ? Si vous avez un exemple que vous pouvez nous donner ?

Il y a toutes sortes de cas différents, tout ça est inspiré d’une idée personnelle mais pas exclusive, qui est une idée répandue exprimée de plein de façons : la phrase de Rimbaud “La poésie ne rythmera plus l’action” ou Jouvet “Il faut mettre de l’art dans la vie et de la vie dans l’art” ou Robert Filliou “L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art”. Tout ça est la même idée de ne pas avoir d’un côté l’art et de l’autre côté la vie réelle et l’art ne serait qu’un supplément d’âme, toutes ces choses que je déteste mais au contraire essayer de mêler les choses et que la vie elle-même soit un entremêlement des deux. Et ça je l’applique à nous même, à notre travail, et je propose aux entreprises de l’appliquer en leur disant en gros “mettez de l’art dans votre moteur et vous verrez ce n’est pas du tout une danseuse c’est pas du tout uniquement pour se faire plaisir. Vous verrez ça marche !” Et ça marche aussi commercialement et d’ailleurs mon enchantement c’est quand ça marche vraiment commercialement.

Enfin il y a plusieurs enchantements, quand ça peut générer, ça peut contribuer à des créations. Elles sont valables par définition, c’est la finalité du beau de n’avoir pas d’autre finalité que lui-même, que ce soit des créations comme celle-ci que vous voyez au mur ça c’est Alberola qui a en ce moment une sublime exposition au Palais de Tokyo où il a aussi une salle permanente, c’est une des très rares permanente du Palais de Tokyo qui s’appelle la salle des Instructions ou la “Power Room”. Cette salle a été rendue possible par le mécénat de Roederer et ça fait très plaisir que des choses valables comme ça soient permises. L’idée de ça c’est que nous sommes tous artistes, on peut essayer de faire de la publicité non pas en rentrant dans des moules mais en ayant une vraie ambition de au moins faire joli !

Cette inspiration là de mêler l’art et la vie, après dans le boulot disons d’intermédiaire enfin c’est un intermédiaire actif c’est pas juste quelqu’un qui met en contact, c’est quelqu’un qui génère des projets etc, ça s’exprime de toutes sortes de façons, ça peut être du mécénat pur et simple, un chèque fait par une entreprise à un artiste ou à une institution artistique mais ça peut être aussi de commander des oeuvres à un artiste, de commander des produits à un artiste ou intégrer un artiste dans la communication de l’entreprise de telle ou telle façon. Il y a plein de façons de faire.

Est-ce que vous pouvez nous raconter votre quotidien, le parcours d’une commande à Saltimbanque ? Qui fait la commande ? Est-ce que c’est vous qui êtes l’initiateur de la démarche ?

Alors d’abord on n’est pas une agence de mécénat ou même de communication culturelle on est vraiment une agence de communication marchande publicitaire dans le sens large du mot : aujourd’hui ce n’est pas seulement faire des affiches ou des pages c’est aussi faire de l’internet et tout ça mais nos clients naturels sont des marques commerciales à qui on vend de la communication commerciale pour faire vendre leurs bouteilles, leurs chambres d’hôtel, leurs vêtements etc etc. Simplement, la différence avec une autre agence c’est que assez systématiquement on met de l’art dans tout ça ! Mais sinon au bout du bout ça sert à la même chose, ça passe par les mêmes circuits souvent d’appel d’offres, de compétitions pour gagner le budget et après des relations agences/annonceurs assez banales y compris d’ailleurs dans ce qu’elles ont de chiantes, de soumission de l’agence à un client, de s’occuper de tas de petits détails, de gérer les caprices etc. Le quotidien est de temps en temps très réjouissant et en général très emmerdant.

Donc c’est les entreprises qui font appel à vous pour leur communication publicitaire par rapport à un produit ou n’importe et c’est vous qui intégrez l’art dans cette publicité ?

D’abord comme tu vois c’est une toute petite agence donc il n’y a pas 50 000 entreprises qui ont fait appel à nous jusqu’à maintenant et justement, parce que je crois à la chose je voudrais convaincre de la justesse, de l’efficacité etc de cette approche.

On travaille avec des boites prestigieuses comme Hermès mais qui ont déjà cette idée en tête. Hermès ils n’ont pas besoin de moi d’ailleurs, Hermès est une oeuvre d’art d’une certaine façon. Le directeur artistique d’Hermès c’est un artiste à la base. Mais je voudrais vendre cette idée à des grands groupes anonymes disons qui sont loin de cette idée là.

Les gens qui viennent nous voir, ça peut se passer tout simplement par hasard mais derrière ce hasard il y a le fait qu’ils ont entendu parler de nous pour cette manière de faire et à priori ça leur va bien et ils viennent nous voir. Ce qu’il y a c’est que ça leur va bien pour une raison et son contraire. Soit ça leur va bien parce qu’ils sont déjà comme ça et qu’ils ont envie de travailler avec des gens comme ça. Par exemple là on travaille avec Shang Xia, la marque chinoise créée par Hermès, c’est déjà dans les gênes de cette marque d’être à la frontière entre l’art et le commerce. La créatrice de cette marque était une sorte d’artiste, les produits vont être exposés au Palais de Tokyo dans quelques jours. La c’est plutôt : on se ressemble donc on s’assemble.

Il y a d’autres cas où c’est le contraire c’est à dire une société qui ressent qu’elle aurait besoin de cette fibre là et que ça lui manque et par conséquent elle vient nous chercher. Par exemple on travaille pour la Société des Bains de mer de Monaco qui gère tous les hôtels, tous les casinos, tous les restaurants de Monaco. Ils ont fait un appel d’offre, on a gagné cet appel d’offre parce qu’on apportait cette dimension là dont ils ont ressenti le besoin. Après c’est là la difficulté, un client qui n’a pas ça et qui ressent qu’il en a besoin, le problème c’est qu’en général ce n’est pas un hasard, il est génétiquement assez loin de la culture, de l’art … Il sait qu’il en a besoin mais enfin il le sait intellectuellement, après, dans la pratique c’est très très difficile à mettre en oeuvre.

Pourquoi est-ce qu’il pense qu’il en a besoin ?

Là, par exemple, pour Monaco c’est très clair, c’est qu’aujourd’hui, la clientèle riche dans le monde, la jet set, l’un de ses sujets favoris, c’est l’art contemporain. La jet set se déplace dans le monde à Miami, à Bale, à HongKong, à Londres, à Paris notamment en suivant les grandes foires d’art contemporain, est très motivé par ça, par la culture. Or eux c’est leur clientèle et ils se rendent compte qu’ils sont insuffisants là dessus. Il y a des choses à Monaco mais la Société des Bains de mer elle-même … Des hôtels dans le monde ont déjà intégré une dimension culturelle forte, eux ce n’est pas le cas donc ils en ont besoin.

Est-ce que vous avez un exemple d’entreprise pour laquelle devenir mécène a été extrêmement porteur ?

Oui, je bosse avec Louis Roederer depuis une quinzaine d’années. Alors on fait toujours la publicité, vous connaissez cette phrase de Procter&Gamble : “Je sais bien que la moitié de ma pub ne sert à rien mais je ne sais pas laquelle”. Donc c’est la même chose sur le mécénat, on ne sait pas exactement comment ça se fait.

Louis Roederer a toujours eu un grand concurrent qui est Dom Perignon. Une bouteille de Dom Perignon ça valait plus cher qu’une bouteille de Cristal Roederer, 30% plus cher. Aujourd’hui une bouteille de Cristal Roederer ça vaut 30 à 40% plus cher qu’une bouteille de Dom Perignon. C’est un peu comme le cours des actions, c’est un peu une vision arithmétique qui donne une idée de la quotation, du prestige, du désir etc. Roederer est une affaire qui marche du tonnerre de Brest et qui se trouve avoir mis dans son image, dans sa communication beaucoup de dimension artistique en particulier à travers le mécénat depuis longtemps.
Au départ on faisait simplement des annonces un peu artistiques, puis on a commencé à faire un peu de mécénat avec la bibliothèque nationale et puis on a créé une fondation qui a non seulement été mécène de la Bibliothèque nationale mais du Palais de Tokyo, du Grand Palais et d’un festival à NY de différents artistes en direct etc.
Aujourd’hui, la plupart des personnes qui consomment du Roederer l’ignorent à vrai dire. Ils pensent ne pas le savoir mais moi je suis convaincu qu’ils le savent sans le savoir ; ça pénètre quand même l’image de la marque, ça contribue au prestige, à la qualité, au raffinement de la marque etc. Et ça, ça procède d’une autre idée que j’ai depuis très longtemps qui est : la publicité fait partie du produit. C’est à dire que l’image du produit n’est pas un truc en plus.
Vous buvez du Roederer, le plaisir que vous ressentez ce n’est pas juste parce qu’il se trouve effectivement que c’est un champagne de très bonne qualité qui est fait avec beaucoup de soin. La qualité est aussi dans tout le soin mis autour du produit, c’est à dire dans quels évènements il apparaît, à quels artistes il est associé, quelle est la qualité esthétique et même fondamentale de sa publicité, tout ça c’est le produit. Exactement le même vin mais avec un packaging horrible, des pubs horribles et dont vous entendez qu’il ne sert qu’à sponsoriser le grand prix de Formule 1, vous n’allez pas en tirer le même plaisir. Il y a une réalité psychologique, immatérielle presque aussi forte que la réalité matérielle. Le mécénat est aussi fait pour ça, pour fabriquer cette réalité immatérielle.

Comment choisissez-vous les artistes ?

Je ne les choisis pas vraiment. Il y avait ce bouquin Le Hasard et la nécéssité, là on pourrait dire “Le Hasard et les affinités”. Il y a une grande part de hasard, de rencontres, de circonstances … Et puis il y a une grande part d’affinités ; les miennes en tant que je conseille les marques et celles des responsables des marques. Il y en a plus ou moins cultivés, qui ont plus ou moins un goût déjà affirmé. Hermès ce n’est pas la peine de leur présenter des artistes ils les connaissent très bien. Ils les fréquentent, ils sont à leur niveau… Roederer, ce sont des paysans, des paysans très riches et sophistiqués mais à la base, d’ailleurs ils en sont fiers et ils ont raison, ce sont des paysans, des vignerons. Et donc eux-mêmes, sauf exception, ils ont besoin qu’on leur présente les artistes. Donc il faut leur faire rencontrer et connaître.

Est-ce que vous pourriez nous donner votre définition du mécénat ?

Il y a une définition juridique qui est importante : un don sans contrepartie ou pour lequel la contrepartie est précisée dans la loi, il y a une implication fiscale très précise et forte comme vous avez du le regarder. Est-ce que c’est du mécénat ou est-ce que c’est du sponsoring ? ça change tout du point de vue financier. La définition de base c’est “un don sans contrepartie”. Je pense qu’elle est très juste du point de vue opérationnelle, juridique. Il faut d’ailleurs surveiller cette “non contrepartie”, vérifier que ce n’est pas de la pub déguisée. Il y a eu des redressements. La Fondation l’Oréal s’est faite redressée un moment parce qu’ils faisaient une telle exploitation publicitaire de leur prix sur la femme de l’année en faisant passer les dépenses de pub dans le mécénat qu’ils ont été redressés par le fisc qui leur a dit : “Cette partie là c’est de la pub, vous n’avez pas à appliquer les réductions fiscales dessus.”

En revanche au-delà de l’aspect juridique et fiscal, dire que c’est sans contrepartie, ça crée une ambiguïté qui n’est pas saine parce que ça voudrait dire que c’est complètement désintéressé. Le mécène de l'antiquité romaine n’était pas désintéressé. C’était un homme politique et les poètes étaient au service de sa carrière politique et c’était tout à fait clair avec eux, c’était intéressé. Mais c’est un haut intéressement. Le mécène le plus irréprochable sur l’absence de confusion entre le commerce et le mécénat, c’est Cartier. La fondation Cartier créée avec Alain-Dominique Perrin il y a longtemps, un des pionniers du mécénat en France, quand il a créé ça, il a dit très clairement : “Il n’y a aucun lien entre la fondation et la marque.” D’ailleurs aucun artiste qui a été exposé à la fondation ne pourra jamais recevoir de commande pour faire une vitrine ou pour faire une collection ou pour faire des bijoux c’est impensable. Et jamais dans les boutiques on ne fera la moindre référence à ce qu’il se passe à la fondation. Parce que ce n’est qu’à cette condition que la fondation pourra être crédible dans le monde artistique et d’ailleurs il a parfaitement réussi parce qu’effectivement c’est une fondation totalement crédible. C’est très important pour un artiste contemporain aujourd’hui d’être exposé à la fondation Cartier. Il n’y a pratiquement pas d’autre fondation privée de marque comme ça qui a autant de crédibilité, autant de prestige artistique que la fondation Cartier.

Je dirai que même être exposé à la fondation Louis Vuitton aujourd’hui même si c’est un bâtiment magnifique, je ne pense pas que ce soit aussi important pour un artiste contemporain que d’être exposé à la fondation Cartier. Être exposé à Cartier c’est comme être exposé au Palais de Tokyo même si c’est une marque qui finance. Et ça c’est grâce à cette frontière très nette qu’a mis Perrin. Mais en mettant cette frontière il n’a pas du tout dit “Je fais ça juste pour l’amour de l’art”. Pas du tout. Il a dit : “C’est tout à fait intéressé mais c’est pour l’image de Cartier tout en haut et je fais confiance au public pour faire le lien entre la noblesse de cette action, l’intérêt, la créativité et la modernité que ça véhicule et la marque.” Mais c’est eux tout en haut qui font le lien après les deux actions sont complètement séparées. Au point d’ailleurs que de son temps, tant qu’il était encore au pouvoir, la fondation Cartier s’écrivait sans le logo Cartier, après qu’il ait lâché les rênes, ils ont fait une étude et ont vu que comme Cartier est un nom assez banal, il avait tellement séparé les choses que les gens ne faisaient plus du tout le lien. Et pour le coup ce lien tout en haut ne se faisait pas. Et du coup depuis ils ont écrit “fondation Cartier” avec le logo du joaillier.

Comment distinguez-vous le mécénat avec le parrainage et le partenariat ?

Les mots font surtout la différence dans le juridique entre le mécénat d’une part et tout le reste de l’autre côté. Le reste c’est plutôt sponsoring dans mon esprit mais en français on met peut être parrainage etc. En gros c’est ce qui représente une grande part de désintéressement même si ce serait complètement faux et dangereux parce que ça crée des malentendus de prétendre que c’est totalement désintéressé. Pas du tout, c’est intéressé. Malgré cette part d’intéressement pour la marque il faut qu’il y ait une grande part de désintéressement réel, c’est à dire que ce soit en grande partie au service de l’art, de artistes, institutions artistiques pour lesquels on bosse et très secondairement au service de la marque pour laquelle on bosse. Et ça, ça reflète le service fiscal qui dit que vous pouvez déduire de votre impôt 60% de ce que vous avez dépensé dans le mécénat. Ça veut dire que c’est les contribuables, par un manque à gagner qui payent 60% de ce que vous investissez dans le mécénat. Et par conséquent il faut qu’à 60%, si on est juste, votre mécénat soit désintéressé.

Par exemple, un cas très concret, vous vous dites : est-ce que cet artiste correspond vraiment aux valeurs de ma marque ? Vous ne vous dites pas ça puisque vous vous dites : à 60%, l’artiste que je soutiens, je le soutiens gratuitement en tant qu’artiste valable qui contribue à la création artistique. Je ne me demande pas s’il correspond aux valeurs de ma marque. A 60%, à 40% je peux me dire “oui est-ce que …?” La fondation Hermès par exemple, quand on voit son programme, la plupart des trucs n’ont rien à voir avec l’univers d’Hermès. C’est la même chose pour Cartier, quand ils font le Street Art, on n’est vraiment pas dans le luxe, la joaillerie etc. Mais s’ils ne faisaient que des trucs qui correspondent soit à l’univers un peu authentico-poétique d’Hermès, soit luxueux de Cartier, on dirait “c’est nul, c’est pas du mécénat, c’est de la pub.”

On a vu dans nos recherches qu’il y avait une rupture avec la loi d’Aillagon en 2003, comment interprétez-vous cette loi ? Qu’est ce qu’elle a changé selon vous dans le domaine du mécénat en France ?

La loi Aillagon ouvre les vannes d’une certaine façon. C’est cette loi là qui dit 60% des dépenses de mécénat sont défiscalisés, c’est à dire sont à déduire de l’impôt. Il y a un avant et un après. Ce qui est frappant cela dit c’est que c’est énorme.

Par exemple, prenons Hermès dépense 100 millions en mécénat, sur ces 100, il y a 60 qu’ils payent en moins de leur impôt. Donc en fait sur les 100 il y en a que 40 qu’ils dépensent réellement. C’est énorme. Ce qui est frappant c’est que malgré cette incitation très forte, les investissements de mécénat artistique en France ne sont pas énormes. Non seulement ils ne sont pas énormes mais ils ont plutôt baissé. En 2008 c’était de l’ordre d’1 milliard d’euros et en 2012-2013 c’était la moitié. Ce n’est pas parce que le mécénat globalement avait baissé mais c’est parce que le mécénat social ou sur la recherche avait beaucoup pris le pas par rapport au mécénat artistique. Mais 500 millions de mécénat artistique compte tenu de la part des incitations fiscales qu’il y a, ce n’est pas considérable. L’investissement pub de Renault c’est 1milliard et demi. Juste Renault. Juste la pub. Donc 500 millions au total ce n’est pas énorme. Et je dis souvent : par rapport à toute la littérature, tous les articles qu’il y a sur le mécénat pour dire “maintenant les musées sont vendus au marketing” “les marques ont conquis les musées”, certains critiquent beaucoup le Palais de Tokyo la dessus par exemple, en fait le budget du ministère de la culture de tête c’est 7 milliards.

Donc on parle de 500 millions versus 7 milliards pour le budget du ministère de la culture et encore il faudrait rajouter les activités locales… En fait le grand mécène français, dans la tradition de Louis XIV, ça reste le contribuable, d’autant plus que le mécénat lui-même est en partie payé par le contribuable. Ces sommes des mécènes sont marginales par rapport aux frais de fonctionnement sauf quelques exceptions comme le Palais de Tokyo. Par rapport au Louvre ou par rapport à Beaubourg c’est marginal, quand c’est 10% ou 15% c’est le bout du monde. Mais en même temps ce sont les sommes avec lesquelles les dirigeants de ces institutions peuvent jouer, peuvent dire “on va faire telle expo”. Sinon l’essentiel c’est les frais fixes, ce qui leur donne une liberté d’action, de création … c’est le mécénat ! Aujourd’hui c’est impensable de monter une expo sans des subventions etc. Mais les mécènes viennent jouer un rôle un peu à la marge. C’est une marge très utile mais c’est à la marge.

Si on veut avoir une réflexion un peu politique, démocratique sur le sujet, aujourd’hui, le mécène principal c’est la caissière de monoprix qui paye la TVA tous les jours en allant faire ses courses. Elle ne le sait pas mais c’est elle qui paye. Et c’est elle qui paye y compris pour les plus riches. Ce sont les plus riches qui vont dans des expos, ce sont les entreprises les plus riches qui bénéficient de la déduction fiscale puisqu’elles payent beaucoup d’impôts qui ont la possibilité de jouer le rôle de mécène, mais tout ça n’est possible à la base que parce que la caissière de monoprix paye sa TVA.

Vous pensez qu’il y a des limites à la loi Aillagon ?

Je le pense, mais c’est une banalité : par définition elle est limitée aux entreprises qui ont beaucoup d’argent. Comme c’est une déduction sur l’impôt, sur le profit, il faut faire beaucoup de profits pour en bénéficier. Ce serait assez bien que des PME, des petites boites qui ne gagnent pas beaucoup d’argent et aussi des particuliers puissent en profiter. Enfin ce n’est pas tellement que eux puissent en profiter mais c’est que la création artistique, les institutions artistiques etc puissent lever de l’argent par un système de fond qui est à inventer mais que des boites qui ne sont pas les boites qui Cac40 trouveraient une incitation différente que l’impôt sur la société. Par exemple moi ma petite boite, j’en fait un peu de mécénat mais c’est très limité puisque comme je paye peu d’impôt ça ne va pas très loin. Ce n’est pas limité à l’intérieur des impôts comme vous savez c’est 5/1000 du chiffre d’affaire ou 20% de l’impôt sur la société. Si vous faites 100 000 euros de bénéfice par an vous pouvez au maximum déduire 20 000 euros de mécénat.

Vous pensez que cette réglementation a des chances d’évoluer dans ce sens ?

Non ! Elle a risqué plusieurs fois de disparaître au nom du coût que ça représenterait pour l’Etat, de l’injustice justement comme c’est les entreprises les plus riches qui en bénéficient etc. Non seulement les entreprises les plus riches mais c’est vrai aussi pour les particuliers, si vous achetez des oeuvres d’art contemporaines, si vous pouvez les déduire, on sait que c’est une niche fiscale qui a l’inconvénient démocratique de bénéficier aux plus riches. A ce titre, à plusieurs reprises, les députés de gauche ont attaqué. Mais à chaque fois ils n’ont pas abouti.

C’est vrai qu’il y a cet inconvénient mais de l’autre côté si on supprimait ce truc là, pour le coup ça mettrait énormément d’institutions artistiques et d’artistes en France dans la panade. Moi je suis plutôt gauchiste mais malgré ça je trouverai très dommage que tout ce qui se fait de bien avec cet argent pour la création artistique en France soit tari. Parce que s’il y a un truc qui marche pas trop mal en France qui par ailleurs est un pays qui bloque c’est la création artistique. Un endroit comme le Palais de Tokyo c’est un champion du monde, un Zidane des institutions d’art contemporain dans le monde et reconnu comme tel ! Or ce super champion par exemple il vit à moitié de ses revenus avec de l’argent qui n’est pas de la subvention, d’une part en vendant des tickets mais surtout d’autre part avec le mécénat, la location des salles … Et ça il ne peut le faire que grâce au système fiscal actuel.

Le mécénat bénéficie aux plus riches mais est-ce qu’il bénéficie aussi aux plus grands artistes ou est-ce qu’il laisse une place aux plus petits ?

Oui, ça c’est vrai que c’est une lacune, un défaut du système. Mais bon je crois que ça a toujours été comme ça quel que soit le système mais il y a une prime aux stars. Mais bon, dans le sport c’est pareil ; si on est Federer on gagne énormément, si on est juste le 200ème joueur mondial on gagne 3 fois rien. L’écart est considérable. Les marques fonctionnent très souvent exactement comme Nike avec Federer, elles achètent de la notoriété.

Les décideurs n’ont pas tellement de goût, ils se disent seulement “c’est bon pour ma marque d’être associé à Jeff Koons, d’être associé à Ai iWeiWei” Ce n’est pas parce qu’ils sont super connus qu’ils sont super mauvais. Ils peuvent être super connus et super bons, de même qu’ils peuvent être super connus et super nuls ou super inconnus et super bons… Les marques ont à peu près toutes ce réflexe de chercher des artistes connus pour que ce qu’elles vont faire avec eux ait de la visibilité et pour que ça contribue à leur prestige, ça accentue cette prime aux stars. Il y a quelques marques qui ne tombent pas la dedans, c’est le cas de la fondation Hermès par exemple qui vraiment n’en a rien à fiche du tout. Ils peuvent travailler avec quelqu’un de très connu ou de pas connu de façon tout à fait indifférente, ils se basent uniquement sur leurs goûts etc.

La fondation Cartier fonctionne elle vraiment comme une fondation artistique, indépendemment du fait qu’elle appartienne à une marque. Sa programmation ça va être des gens très connus ou des gens pas connus, là aussi, selon les choix, les inspirations du directeur ou de la directrice du moment. Sinon il y a un autre tropisme qui est le fantasme des artistes émergents. C’est comme les castings pour les filles des défilés de mode c’est toujours sexy mais pas vulgaire et là : l’artiste émergent mais pas quand même trop inconnu. Ça c’est la tarte à la crème.

Beaucoup de marques sont à la recherche de jeunes artistes, aussi parce que ça leur coûte moins cher et parce qu’elles ont le sentiment de découvrir mais il faut quand même qu’ils soient un petit peu dans le bain. Par rapport à ça, Jean de Loisy au Palais de Tokyo il a un concept que je trouve très bien qui dit : c’est très bien les stars, ce sont souvent de très grands artistes, c’est très bien les artistes émergents, nous aussi on est là pour faire connaître des artistes inconnus mais il y a un troisième truc : les artistes immergés. J’aime beaucoup cette idée. Une fois par an, il fait une grande exposition sur un artiste dit “immergé”, c’est à dire un artiste que presque plus personne ne connaît, dans son trou quelque part en France ou dans le monde mais que lui ou les gens du Palais de Tokyo connaissent. Jean-Michel Alberola qui a une grande expo en ce moment, il n’est pas vraiment un artiste immergé parce que c’est un artiste très connu de connaisseurs etc, mais en même temps ce n’est pas un artiste très connu du grand public. L’année dernière il y avait comme ça un artiste qui s’appelait Patrick Neu qui faisait des choses très très fines, inconnu totalement et d’ailleurs se fichant totalement de la notoriété, n’étant même pas venu au vernissage mais Jean considérait que c’était un des plus grand artiste du moment.

Les marques travaillent rarement avec des artistes sauf Hermès donc s’en remettre à des institutions comme le Palais de Tokyo, on s’en remet à des gens qui savent et qui échappent au starsystem de mode. Et la marque si retrouve parce que si ce n’est pas directement par la notoriété de l’artiste, c’est par la notoriété de l’institution.

Concrètement, quelles sont les étapes pour devenir mécène ? Le fait de donner le chèque ou en amont?

On peut être mécène tout bêtement en faisant un chèque, il n’y a pas de problème et les artistes en sont très contents. L’inculture ou le réputé mauvais goût des mécènes peut finalement tomber très juste. Il ne faut pas oublier que les grands impressionnistes, les grands mécènes parisiens ne les regardaient même pas, ils hurlaient de rire. Parce que rétrospectivement on se dit que c’était des artistes maudits mais que quand même on considérait comme des génies. Mais pas du tout, on ne les considérait pas du tout comme des génies, on les considérait comme de la merde. Et d’ailleurs c’est très compréhensible, si vous mettez un tableau de Manet ou Monet à côté d’un tableau de Cabanel, il parait beaucoup plus impeccable. Il fallait avoir l’esprit vachement ouvert pour dépasser la tradition. Ce ne sont pas du tout les grands mécènes éclairés parisiens qui ont acheté les impressionnistes. C’est d’abord les gens du Havre, parce qu’il se trouve que les impressionnistes sont venus peindre au Havre et il y avait des bourgeois enrichis au Havre qui avaient l’habitude de croiser des peintres. Ils ont acheté comme on achèterait des peintures à Etretat de petits vendeurs locaux.

Ensuite ça a été de nouveaux riches russes et américains qui, selon les critères du comte ou de la comtesse, n’avaient juste aucun goût. Sauf que cet “aucun goût” justement les libérait du “bon goût” et leur permettait d’apprécier les impressionnistes là où les grands bourgeois éclairés ne les appréciaient pas. Alain-Dominique Perrin par exemple qui a créé la fondation Cartier et qui a eu un rôle tellement positif pour le mécénat et qui est un grand collectionneur lui-même, ce n’est pas à priori quelqu’un de très éclairé, c’est plutôt un nouveau riche. Il est d’origine très modeste, c’était un petit vendeur de quartier qui est monté par son dynamisme. Donc lui au départ c’est simplement faire un chèque.

Maintenant, si on veut que cela devienne pour soi même intéressant, il faut non seulement faire un chèque mais aimer ça. Dans mon métier, je vois beaucoup de mécènes d’entreprise qui le font parce que c’est la mode, parce qu’il y a l’incitation fiscale, parce que c’est prestigieux, mais qui au fond ne s’y intéressent pas vraiment. Et ça, je trouve ça dommage juste pour eux à vrai dire. Il y a effectivement de magnifiques choses à prendre, à vivre en se plongeant dans le travail des artistes. Mais on peut être mécène sans ça.

Comment se déroulent les négociations entre le mécène et les institutions ou les artistes ?

En général les institutions ont un besoin budgétaire, les expositions ça coûte tant, un événement ça coûte tant et à partir de là ils cherchent les mécènes. Soit le mécène prend la totalité, soit il prend une partie. Il y a cet aspect : voilà combien on a besoin, voilà combien on est prêt à mettre.

Et deuxièmement il y a les contreparties, parce que malgré tout il y a des contreparties et en principe elles sont très encadrées par la loi. Contreparties en termes de mise à disposition d’espace, visibilité du mécène sur les différentes publications qu’elles soient digitales ou papier, des tickets gratuits, des invitations … Tout ça est censé être comptabilisé. Des institutions le font très précisément, puis d’autre c’est un peu plus à la louche. Là aussi il peut y avoir une négo entre le mécène et le mécéné sur la réalité de la chose.

Donc la plupart du temps c’est par rapport à une exposition ?

Là je parle d’expos mais il y a plein d’autres mécénats. Il y a des concerts, il y a les grands mécènes de l’Opéra, de la Philarmonie, de la salle Pleyel …

Mais c’est rare qu’une entreprise finance une institution culturelle globalement ?

En général, la contribution tombe dans le budget général de l’institution. Mais de plus en plus maintenant les mécènes aiment que leur mécénat soit pointé sur tel ou tel événement ou telle ou telle exposition. C’est la même chose pour le mécénat humanitaire. On va donner à la Croix Rouge, ça va tomber dans le budget général de la Croix Rouge mais on donne pour telle action en Afrique … Mais c’est les apparences, la vérité c’est que ça tombe dans le budget général. Après l’institution se débrouille. Par exemple sur une expo, elle peut budgéter cette expo à 200 000 euros alors qu’en fait ça ne va lui coûter que 50 000 à l’arrivée et le budget va permettre de payer d’autres trucs.

Donc ce qu’en fait l’institution n’est pas réglementé ?

Non non ce n’est pas tellement réglementé et à vrai dire je pense que ça n’importe pas tellement au mécène. S’il estime que telle expo il l’achète 200 000 et pour 200 000 il a sa visibilité, ses invitations et que le mécéné s’est débrouillé pour que ça ne lui coûte pas 200 000 et que ça lui serve à financer d’autres choses, je pense qu’aucun mécène ne s’en scandaliserait.

Est-ce que vous connaissez des institutions ou des artistes qui ne sont pas du tout inclines à ..?

Oui oui, JR par exemple, je le connais depuis très longtemps, on a fait plein de trucs ensemble. A priori il ne veut pas avoir à faire à des mécènes, il n’est pas contre le mécénat dans son principe, mais il dit que lui son boulot consiste à aller photographier des gens gratuitement dans le monde entier et ensuite à exploiter artistiquement ces photos et que donc ce serait une trahison de sa part vis à vis de ces gens, de ces femmes qu’il a photographié si tout d’un coup il vendait ça à l’Oréal etc. Je l’ai vu tout à fait sincère même de manière dramatique sur ce point là et à la fois, malgré tout, étant donné la place qu’il a maintenant, il lui est arrivé de faire des trucs avec des marques mais pas pour se mettre du pognon dans sa poche. L’exemple de son honnêteté là dessus; il avait fait un projet artistique à travers le monde qui s’appelait “Women are heros”. Le financement de ce film était assuré par un tour de table dont des tv, je ne sais plus si c’était Canal ou France 3 qui s’était finalement retiré et ça foutait complètement son projet par terre, la maison de production était du coup mise par terre etc. Son entourage lui a dit : “Mais JR tu sais, la fondation l’Oréal serait ravie de sponsoriser ton truc” Il y avait un trou de 300 000 euros, ils prenaient 300 000, ils mettent leur logo au début, à la fin et tout va bien. Il m’a appelé pour me demander mon avis, et je lui ai dit “Oui, fais le, on va réduire au maximum leur visibilité en revanche je suis sur qu’ils sont super motivés pour aller financer tel ou tel truc dans des villages mais vas y tu ne vas pas planter tout ça.” Il me dit : “Ecoute je réfléchis” et en fait le lundi il m’appelle en me disant “Bon en fait j’ai réfléchis je ne peux pas faire ça”. Et donc il ne l’a pas fait. Pendant une semaine il a eu tout le monde sur le dos, on lui a dit que c’était un enfoiré, qu’il mettait les gens au chomage, qu’il ne pensait qu’à lui … Mais toujours est-il qu’il ne l’a pas fait. Et il a bien fait parce que le film a été sélectionné au festival de Cannes et du coup la tv qui s’était retirée est revenue et du coup tout s’est bien passé et lui a gardé son cap.

Mais ça ne l’empêche pas de faire quelques fois des trucs. Par exemple avec Roederer il avait fait un petit film que vous pouvez voir encore sur son site. Et là il avait besoin d’un financement pour ce film, ce n’était pas exactement du mécénat, parce qu’il n’en voulait pas mais Roederer a racheté le droit de diffuser le film sur son site. C’était un habillage parce que de toutes façons le film était sur youtube etc mais c’était un habillage pour ne pas dire que c’était un don, c’était un achat.
Et puis pour les 150 ans de Bernardaud, ils ont fait tout un programme de création d’assiettes et de plats avec des artistes, je m’étais occupé de leur trouver des artistes dont Alberola, David Lynch etc et j’en avais parlé à JR qui m’avait dit “Enfin tu déconnes complètement, la prochaine fois tu vas me demander de faire du PQ” Bon très bien. Et deux mois après je vais le revoir et je lui dis “mais tu sais il y a quand même Jeff Koons, Alberola, David Lynch ... “ Alors là il m’explique très sérieusement que c’est très bien mais que eux ne peuvent pas le faire. Et là dessus arrive sa femme, Prune, qui est aussi une grande artiste et je lui dis “Mais toi Prune tu ne voudrais pas ..?” et là Prune “Oui JR, vas y on le fait !” Donc ils l’ont fait ensemble et ils ont fait de très belles assiettes. Mais du coup ce n’était pas un projet JR, c’était un projet JR et Prune. Et d’ailleurs ce n’était pas du tout pour l’argent parce qu’ils n’ont pas touché un fifre pour ça. Ils touchent des royalties sur les assiettes vendues mais ce sont vraiment des ventes marginales donc c’était vraiment pour l’intérêt artistique de faire des assiettes.

Est-ce que le mécène peut avoir une influence sur la programmation artistique ?

Historiquement il l’a toujours fait. Les grands mécènes c’est un peu comme les grands producteurs, les grands éditeurs, ils peuvent avoir un influence très positive sur un artiste. Louis XIV était un mécène extraordinaire. Le brief de Versailles c’est “Je veux de l’enfance répandue partout”. C’est une influence de mécène sur un artiste magnifique. Il a certainement influencé et Le Nôtre et Molière … Ça ne me parait pas du tout impensable. On dit toujours “Il faut respecter la liberté de l’artiste …” Oui bien sur, mais de toutes façons un vrai artiste est libre par définition. S’il ne veut pas écouter ce qu’on lui dit, il ne l‘écoute pas. En revanche un mécène éclairé, un mécène cultivé, un mécène lui même un peu artiste sur les bords, il peut très bien contribuer à nourrir l’artiste d’idées, d’inspirations.

Du coup le rôle du mécène ne se limite pas du tout à un rôle financier ?

Ce que je te décris là c’est Louis XIV, c’est rarissime. En général le mécène se limite quand même à un rôle financier. D’ailleurs en général le projet existe et il s’agit de se financer existant, il ne s’agit pas de le changer. Mais c’est possible qu’Hermès par exemple, avec certains artistes avec qui ils travaillent beaucoup depuis des années, ils ont contribué à amener leur travail dans telle ou telle direction mais enfin s’ils l’ont fait c’est presque à leur insu. Mais le maître c’est “liberté totale”.

Par exemple Roederer n’interfère absolument pas dans la programmation du Palais de Tokyo. Simplement en fin d’année par exemple 2016 ou 2017 le palais va lui dire “voilà ma programmation” qu’est ce que vous prenez ? Et le montant du mécénat va être plus ou moins élevé selon qu’ils prennent une, deux ou trois expos. Mais c’est hors de question que Roederer dise à Jean de Loisy “il faudrait faire une exposition sur tel ou tel truc.” Dans les usages aujourd’hui Jean de Loisy dirait peut être : “J’y aurai peut être pensé mais là du coup ça annule l’idée.”

Est-ce que vous avez des exemples de situations où le mécénat a eu des répercussions négatives pour l’entreprise ou l’institution ?

C’est une question d’opinion en fait. On peut trouver une exposition nulle ou scandaleuse qui se trouve être mécéné par tel ou tel, on va dire “c’est des cons”. Mais après c’est une question de goût, de culture artistique. Encore une fois c’est très subjectif mais au moment des Jeux de Londres, ArcelorMittal a financé une grande tour construite par Anish Kapoor, je ne suis pas le seul à penser que ce n’était bien ni pour Mittal, ni surtout pour Kapoor. Encore pour Mittal, c’était une démonstration de richesse, mais pour Kapoor ce n’était pas terrible parce qu’il faisait ce qu’on appelait un “ménage”. C’est à dire que manifestement il faisait ça pour le pognon et l’oeuvre n’était pas très inspirée.

Donc quand ça se passe mal selon vous c’est qu’il y a trop cette dimension financière et pas assez de liberté artistique ?

Non, parce qu’il était libre de faire sa tour, mais pas assez de nécessité artistique. Est-ce qu’il le fait juste pour prendre son chèque ou est-ce qu’il prend son chèque au passage mais le fait parce que artistiquement il a besoin de le faire, il a envie de le faire, il a ça à dire, à exprimer, à créer …
Là aussi c’est subjectif mais quand Jeff Koons a fait un emballage pour Dom Perignon, je pense que ça ne sert pas du tout Jeff Koons, ça à la limite il est au dessus de ça, mais surtout ça ne sert pas du tout la création artistique. Je pourrai aussi l’appliquer à nous, pour Roederer, Alberola me dit “Elles sont très bien les pubs que vous faites mais j’ai remarqué que vous étiez de plus en plus imités, vous devriez faire un seau.”
Il avait une idée, il fait beaucoup d’oeuvres avec des néons et il avait repéré qu’il y avait une certaine qualité de néon qui s’appelle Cristal et donc il s’est dit : “Je vais tout simplement faire une petite silhouette de bouteille avec écrit Cristal dedans”
C’est une enseigne Cristal, donc c’est une publicité dans le sens le plus ringard du mot. Il se trouve que dans le deal avec le Palais de Tokyo on avait prévu que outre être mis sur des murs etc, Roederer avait la possibilité de commander trois oeuvres à des artistes inspirés ou pas par Roederer peu importe à placer ici ou là dans le Palais avec juste un petit cartel disant “collection Louis Roederer”. Donc comme il nous disait ça on lui a dit “ok, fais le, on t’achète l’oeuvre ! et puis après on verra avec le Palais où on peut la mettre ...” Et elle est là, dans le hall du Palais de Tokyo au dessus de la petite cafétéria. Moi personnellement je l’aime beaucoup parce qu’il me fait rigoler tellement il est simple, tellement c’est une enseigne comme les enseignes de café. Mais par exemple Jean de Loisy, il l’a pris parce qu’il est sympa mais il m’a toujours dit “Ce n’est pas ce que Jean-Michel a fait de mieux”.

Vous pensez quoi de cette surreprésentation des marques dans les musées ? des plaques “financé par …” ?

Ca ne me dérange pas du tout ça je dois dire ! Si vous allez au Louvre, au moins la moitié ou les deux tiers des tableaux autour de la Joconde vous verrez “Collection Louis XIV”. C’est là qu’on se rend compte à quel point Louis XIV achetait à tours de bras et à quel point nos collections actuelles lui doivent. Si maintenant c’est la fondation Total etc qui l’achète, que ce soit marqué sur le cartel je trouve que c’est sa juste place. S’ils mettaient des néons qui empêcheraient de regarder … mais que ce soit noté sur le cartel ça ne me dérange pas. De même qu’il ne me dérangerait pas du tout que les journalistes quand ils font un papier sur une expo à la fin disent “expo financée avec le concours de”, ce qu’ils ne font pratiquement jamais, et ça je trouve ça dommage. Je trouve que c’est la juste place d’un mécène, si une expo n’a été possible que grâce à un mécène .. Ça a toujours été comme ça, les vitraux à Chartres, les mécènes ont même leur gueule sur les vitraux, ce qui d’ailleurs est trop, en général ça gâche un peu le vitrail moi je trouve, mais enfin il se trouve qu’à l’époque on n’hésitait pas. Et donc le noter sur le cartel, non je trouve ça normal.

Que pensez vous des critiques de Médiapart sur la Fondation Louis Vuitton ?

Pour vous dire la vérité, je ne suis encore jamais allé à la Fondation Louis Vuitton. Ce qui est d’ailleurs un espèce d’acte manqué … Mais de ce que j’en ai entendu : il y a une sur-représentation de la marque, là ce n’est pas juste un petit cartel. C’est quand même un objet publicitaire, dans ce partage 60/40 etc c’est trop nettement un objet publicitaire. Là c’est simplement une question de bonne éducation d’une certaine manière, le mec qui fait le chèque se met trop en avant, c’est tout. C’est mécaniquement le même mécanisme que la Fondation Cartier sauf que c’est juste dans la manière de faire. Quand on va à la fondation Cartier, on va voir une exposition, on ne va pas à une démonstration de marketing et de richesse de Cartier.

Est-ce que les entreprises deviendraient mécènes sans la défiscalisation ?

Non, même Hermès, tout généreux qu’ils soient, n’auraient pas de fondation. Si demain on arrête la déduction fiscale de 60%, ces sommes s’arrêtent à l’instant. Il n’y a pas un conseil d’administration d’une boite en France qui voterait un chèque à une fondation d’entreprise sans la déduction fiscale. Après on en pense ce qu’on veut, politiquement, démocratiquement. Mais c’est un fait. Même si on est gêné que ce soit les plus riches etc autant laisser le truc tel que parce que sinon des tas de trucs formidables ne se feraient plus.

Dernière question, est-ce que vous pensez qu’il y a des sujets qu’on n’a pas abordé ?

Non ça ne me vient pas à l’esprit !

Loïc Bégard

Description

Loïc Bégard est chargé de mission chez LVMH depuis plus de douze ans. Il est chargé de la mise en place du mécénat culturel et artistique, humanitaire et médical du groupe, de la valorisation du patrimoine culturel, immatériel, identitaire des Maisons de LVMH. Il s’occupe également des projets spéciaux pour la Fondation Louis Vuitton, ainsi que de la communication institutionnelle, des relations publiques et presse.

Pour lui, la dimension culturelle et artistique est inhérente au groupe LVMH. Il pense que LVMH est un acteur culturel majeur en France et dans le monde et que c’est le seul groupe au monde ayant ces caractéristiques. La richesse de l’histoire du groupe et l’expertise des savoir-faire de l’artisanat dans les différentes maisons sont un atout majeur pour LVMH. Il s’agit d’un patrimoine à valoriser et cela entre pleinement dans la stratégie du groupe pour créer de la valeur.

Enfin, LVMH étant un des premiers groupes français au CAC 40, il se doit d’investir dans l’art et de ce fait est une des plus grandes entreprises mécène en France. Cet investissement dans l’art est à la fois philanthropique et stratégique pour un groupe et des maisons de luxe qui veulent associer leur image à la finesse, l’excellence et l’unicité des oeuvres d’art.

Conversation avec Loïc Bégard
Le 22 avril 2016

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre métier et votre lien avec la Fondation ?

Mon rôle consiste à développer globalement les relations du groupe LVMH avec le monde de l'art, les institutions culturelles et artistiques en générales. Et d'autre part, à valoriser l'actif culturel et identitaire du groupe, à savoir : le socle de valeurs liées à l'excellence, à la qualité, à la créativité, à la transmission des savoir-faire, à l'artisanat sur lesquels reposent le développement économique du groupe et la marge de nos différentes maisons. Ces deux engagements, d'une part l'engagement global de LVMH et d'autre part la valorisation de sa propre base institutionnelle, souvent se recouvrent, parfois sont séparés font que mon domaine d'intervention est relativement large. Je travaille avec Jean-Paul Clavery qui est le conseiller de Bernard Arnault et donc à ce titre, nos missions sont très bien définies, mais elles sont aussi larges.

Grosso modo mon rôle c'est le mécénat de LVMH, par exemple depuis la rentrée de l'année dernière nous avons été mécènes de « Nuits blanches », nous avons organisé une action importante de solidarité et d'accès à la culture en collaboration avec le secours populaire à la Fondation Louis Vuitton. En ce début d'année, nous sommes mécènes d'une création au théâtre de l'Odéon, nous avons une relation privilégiés avec ce théâtre. Et nous sommes le mécène historique de Monumenta, au Grand Palais.

Je m'occupe ponctuellement des relations publiques et des relations presses.

Il y a également un troisième volet de prospection et de réflexion pour nos activités, notre engagement, explorer de nouveau projets.

Et la 4e chose dont je m'occupe et qui structure mon travaille c'est un certain nombre de projets qui ont pour objectif la valorisation de nos actifs au niveau même du groupe ou auprès d'une maison en particulier (comme le musée Christian Dior à Granville).

Est-ce que quand vous parlez de la valorisation de l'actif culturel vous parlez aussi des expositions comme l'exposition Louis Vuitton dans des grands musées ?

Oui ça rentre dans mon champ de compétences mais LVMH a une structure assez décentralisée, avec un grand esprit entrepreneuriale et de libertés qui fait que chaque maison a un président qui en mène la marche. Chaque maison a son propre service de communication, avec des objectifs propres aux intérêts de chaque maison. Je ne m'occupe pas de tous les projets de Hennessy, de Fendi, de Vuitton... Après je travaille notamment ponctuellement avec des maisons comme Vuitton. Vuitton est une des maisons les plus emblématiques du groupe, d'abord par sa réussite économique, sa renommée mondiale et aussi parce que c'est une maison ancienne, fondée en 1854, c'est une maison qui a un patrimoine historique, culturel, architectural, identitaire extrêmement fort. Donc Vuitton est une maison qui est très très légitime pour organiser des expositions ou réaliser des éditions, des publications autour de cet héritage.

Toutes nos maisons sont très anciennes

La réussite économique du groupe repose en partie là dessus, sur cette richesse et cette histoire. Cela explique qu'il y a toujours eu le souci d'avoir une direction stratégique globale du groupe et sur une indépendance de chaque maison.

Comment choisissez-vous les expositions ou œuvres que vous mécénez ?

Nous avons plusieurs axes dans le mécénat de LVMH. D'abord le soutien de grandes expositions, de grandes manifestations artistiques. On a dû être mécènes d'une bonne vingtaine d'expositions au grand palais. (…) A chaque fois nous avons le souci de permettre à un public le plus large possible de rencontrer de grands artistes contemporains. Nous avons tout un volet de soutien aux jeunes artistes. Et nous avons tout un volet d'action dans le mécénat humanitaire et médical.

Pour répondre à la question de comment on s'organise, c'est un peu la question de la poule et de l'oeuf. LVMH est un mécène historique depuis plus de 20 ans. Nous avons développé au fil des années des relations privilégiées avec les directeurs de grands musées et des principales institutions parisiennes françaises. Donc nous sommes énormément sollicités par les grands musées et les grandes institutions pour qu'on puisse leur apporter un soutien financier sous forme de mécénat. C'est à travers ces échanges que nous percevons l'intérêt de soutenir tel ou tel projet. Mon rôle consiste à proposer des projets à Jean Paul Clavery et la décision finale revient toujours à Bernard Arnaud.

Par rapport à la Fondation Louis Vuitton, d'où vient la volonté de créer cette fondation ? Qu'est-ce que cela apporte au groupe et aux marques ? Et pourquoi la Fondation Louis Vuitton et pas une Fondation LVMH ?

La question est très bonne. Il y a une toute petite ambiguité qu'il faut lever. Le mécénat de LVMH est un vecteur d'action et de communication dans le développement stratégique du groupe qui fait partie de l'identité de LVMH depuis sa création depuis la fin des années 80. Et la Fondation Louis Vuitton je dirais s'inscris dans cette action de mécénat. Mais le mécénat de LVMH et la Fondation Louis Vuitton sont deux choses différentes même si la Fondation Louis Vuitton a été inspirée par le mécénat du groupe et si d'un point de vue opérationnel les relations entre les deux sont très étroites. Car moi même je travaille sur des projets de mécénat pour le groupe et des projets spécifiques à la Fondation. Et JP Clavery dirige tous les projets de mécénat du groupe et est également l'administrateur de la Fondation.

Pourquoi avoir créé une Fondation ? Alors je crois que cela répondais à un souhait très profond et personnel de Bernard Arnauld d'offrir après je dirais 20 ans de tradition de mécénat dans le groupe, au public français et international, un lieu pérenne à partir duquel se déploierait cet engagement philanthropique qu'est l'engagement global de LVMH dans le monde culturel et artistique. Il avait à cœur qu'un jour LVMH ait un lieu pour présenter des projets artistiques, des expositions. Que LVMH devienne un acteur culturel à part entière, ce que nous sommes devenus au fil des années en tant que mécène, ce qui a été reconnu officiellement puisque LVMH fait partie du cercle restreint des grands mécènes de la Nation. Cela a avait fait l'objet d'une remise de décoration en 2008 au ministère de la Culture. Et ensuite Bernard Arnault avait le souci que le bâtiment lui-même exprime cet engagement culturel et artistique du groupe, au travers d'un geste architectural très très fort

Laurent Le Bon

Description

Laurent Le Bon se définit comme “un mix d’histoire de l’art et de SciencesPo”. Il étudie également à l’Ecole Nationale du Patrimoine et devient conservateur du patrimoine. Il décrit sa carrière comme un enchaînement de trois temps. Dans un premier temps il travaille à la délégation aux arts plastiques où il s’occupe de la commande publique. Puis, en 2000, il rentre au Centre national d’art et de culture Georges Pompidou. Il s’occupe plus particulièrement il devient directeur à partir de 2010 du Centre Pompidou Metz. La troisième partie de sa vie professionnelle est sa place actuelle de président du Musée Picasso. En parallèle de ces activités, Laurent Le Bon enseigne à l’Ecole du Louvre et à l’Ecole de la Communication de Sciences Po. Laurent Le Bon est également reconnu car il est nommé en 2008 commissaire de l’exposition très controversée de Jeff Koons au château de Versailles. En 2012, il est le directeur artistique de la Nuit Blanche à Paris.

Laurent Le Bon refuse le manichéisme qui tendrait à vouloir opposer une vision pure de l’art et le capitalisme, sous la forme du mécénat, venant dénigrer la pureté de l’art. Il adopte une vision beaucoup plus nuancée dans laquelle le mécénat fait partie du quotidien des acteurs du monde de l’art contemporain. L’enrichissement du patrimoine français qui est la grande richesse du pays selon lui est le principal. Ainsi il se réjouit d’apprendre que François Pinault va apposer sa fondation en plus de la Fondation Louis Vuitton qui contribue à la renommée culturelle de Paris à l’international.

Conversation avec Laurent Le Bon
Le 27 avril 2016

Est-ce que vous pourriez, pour commencer, me retracer votre parcours ?

Ecoutez, c’est assez bref, en terme de formation je suis un mix d’histoire de l’art et de Sciences Po, quand j’ai cherché une voie professionnelle, est arrivée la création de l’Ecole Nationale du Patrimoine à l’époque qui maintenant s’appelle l’Institut du Patrimoine. Donc j’ai passé dans les premières années le concours et je suis devenu ce qu’on appelle un conservateur du patrimoine. Maintenant ça fait un peu plus de 25 ans avec trois temps dans cette carrière : un premier temps où j’étais à la délégation aux arts plastiques qui est liée un petit peu à l’administration de l’art contemporain et qui maintenant est intégré à la direction générale de la création artistique. Dans cette délégation je m’occupais de la commande publique c’est à dire pour le dire vite comment l’Etat commande les oeuvres à des artistes dans des postes publics, à la fois pour en faire et surtout pour gérer le patrimoine qui a été créé. Par exemple Daniel Buren quand il a créé ce qu’on appelle les colonnes de Buren mais qui s’appelle vraiment “Les Deux Plateaux” : il fallait entretenir, restaurer etc. Ensuite j’ai eu une deuxième partie de ma vie où je suis rentrée au Centre Pompidou, j’étais un conservateur au Centre Pompidou, j’étais au Musée national d’art moderne durant une dizaine d’années avec une partie plus spécifique où je me suis occupé du projet du Centre Pompidou Metz. C’est cette idée que le Centre Pompidou a une collection nationale mais qu’elle peut être diffusée dans le monde, on fait des prêts, Mais on peut aussi avoir des expériences plus originales, plus inédites avec cette architecture originale qui a été conçue avec un établissement autonome, financé par les collectivités territoriales. Et la dernière partie de ma vie professionnelle, c’est celle d’aujourd’hui. Maintenant je travaille au musée Picasso.

Quel est votre quotidien au sein du musée Picasso ?

C’est un quotidien très riche ! On n’a pas le temps de s’ennuyer. Ce qui caractérise nos métiers c’est la diversité, on ne peut pas vraiment dire qu’il y a une journée type. Dans le métier de conservateur il y a s’occuper de la collection ; on a la plus grande collection d’oeuvres de Picasso au monde, on est responsable de cette collection, il faut l’inventorier, la conserver, s’en occuper, la diffuser .. C’est un point important de notre métier. Pour la diffuser, soit on fait des présentations au musée soit on fait des diffusions à l’étranger, je reviens de Budapest où on a fait une retrospective Picasso. Et il y a aussi tout un aspect de diffusion, j’aime bien enseigner. J’ai enseigné à l’Ecole du Louvre, à Sciences Po. On publie aussi, on écrit des livres. Moi je ne suis pas forcément spécialiste de Picasso donc je fais aussi des expositions à l’extérieur. Voilà, tout ça donne une diversité d’aspect du métier et puis après plus traditionnellement comme je suis le directeur de ce musée, ce sont plus des fonctions de management. Il y a un budget d’une quinzaine de millions d’euros, on est une équipe d’une centaine de personnes et donc j’essaye que ça ne se passe pas trop mal et qu’on aille de l’avant.

Du coup vous êtes une institution publique ?

Oui, ça s’appelle un Établissement Public Administratif. On est une personne morale, on est indépendant, et donc il y a un conseil d’administration que je préside. On a un budget, une équipe …

Donc vous êtes financés par l’Etat ?

En partie. C’est une subvention d’environ 3 millions d’euros et je dois trouver le reste. Et là ça va peut-être rejoindre votre sujet parce que le reste ça fait beaucoup d’argent.

Sur les 15 millions d’euros vous devez trouver 12 millions d’euros ?

Oui, enfin ça dépend comment on compte, c’est un peu plus compliqué, il y a des crédits d’investissement. Il y a des crédits qui ne sont pas forcément en cash. Mais enfin à la louche effectivement il faut trouver une dizaine de millions d’euros. C’est ce qu’on appelle les ressources propres. Le principal moyen d’en trouver c’est très facile, en France la plupart des musées sont payants donc c’est la billetterie. Et après il y a plusieurs modalités, il y a le produit des concessions : vous avez des cafés et des librairies donc il y a une redevance. Il y a les locations d’espace si vous voulez faire une soirée au musée. Et puis il y a ce qui a l’air de plus vous intéresser dans le cadre de votre projet : le mécénat.

Vous avez des entreprises partenaires fidèles ou vous devez toujours aller chercher ?

Nous c’est un peu spécifique parce qu’on vient d’ouvrir donc on a une petite histoire. Le musée a 30 ans il a ouvert en 85 mais on a fermé de 2009 à 2014 donc notre histoire recommence. Vous allez me dire tout le monde connaît le musée Picasso : oui et non ! Beaucoup de gens pensent qu’on est encore fermé, il y a eu des problèmes à la réouverture parce que l’ancienne présidente a été démise de ses fonctions donc c’était un peu une période de crise donc il faut redonner confiance et parfois les gens, ce qui n’est pas votre cas, pensent qu’on est le musée de la famille Picasso : ils pensent que la famille Picasso finance ce musée mais en fait non l’argent ne vient pas de la famille Picasso ! Donc c’est plus difficile d’aller chercher de l’argent via le mécénat. Moi actuellement je n’ai pas encore réussi à trouver un mécénat sur le long terme qui aide plusieurs projets de suite. C’est plutôt, comme vous l’avez dit, du mécénat de projet, vous identifiez une action par exemple les ateliers artistiques, les ateliers pédagogiques ou une exposition, vous montez un dossier et vous allez chercher l’argent sachant que depuis un ou deux ans la situation est devenue un peu chaude pour des raisons économiques. Et parce qu’il y a eu un changement de tendance dans le mécénat, dans les années 80-90 la culture avait peut être le vent en poupe, aujourd’hui c’est plus difficile, avec cette transformation qu’on appelle le mécénat sociétal etc. Il y a moins le côté qu’on avait en 80-90 de soutien aux grandes expositions etc.

Quand vous parlez de changement est ce que vous sentez aussi un changement du financement public ?

Nous on a rouvert donc la subvention est stable mais sinon dans un contexte global il y a en effet une baisse de la subvention.

Une question plus globale : quelle est votre définition du mécénat ?

La je n’ai pas préparé, vous me prenez un peu à froid, mais pour moi la vraie action de mécénat c’est le soutien libre et désintéressé à une action de service public parce qu’on est dans le cadre d’un musée. Vous avez sûrement déjà vu ça 53 fois mais c’est vrai qu’en France certaines actions de mécénat se rapprochent plus du sponsoring, d’actions de communication, voilà ça a été dénoncé par la Cours des comptes et par d’autres organismes. Je ne vais pas la citer mais j’ai une grande entreprise française qui nous soutient dans l’action pour nos publics scolaires et on leur a dit “alors qu’est ce que vous souhaitez ? vous souhaitez des contreparties ?” et bah elle nous a dit “non”. Pour moi, ça c’est du vrai mécénat.

Une entreprise a refusé les contreparties ? C’est très rare ..

Ça existe ! A Metz dans mes précédentes fonctions j’avais reçu comme ça un chèque, par la poste ou quasi de quelqu’un disant “je soutiens le Centre Pompidou Metz, je fais un don et je veux être anonyme”. ça pour moi c’est vraiment LE mécénat tel qu’on en rêve, tel qu’on voit dans les manuels.

Vos autres rapports de mécénat il y a quand même des contreparties mises en place ?

Ah oui, là on est tout à fait dans le côté traditionnel de la loi Jean-Jacques Aillagon. Avec les contreparties telles que vous les connaissez par coeur, les pourcentages et ainsi de suite.

Et comment vous gérez ces contreparties ? Il y a un chargé de mécénat au sein du musée Picasso ?

Je pense être un très rare musée de ce niveau à ne pas avoir de chargé de mécénat propre. C’est un de nos objectifs. On a eu des stagiaires et on a une directrice de la communication et du mécénat qui se dirige elle-même en fait.

Elle gère à elle toute seule l’organisation du mécénat, la gestion des contreparties ?

Elle a deux personnes auprès d’elle, une pour gérer tout ce qui est communication et l’autre qui gère tout ce qui occupe un temps énorme : les locations d’espace, les privatisations qui est une partie du mécénat, notamment quand il y a des contreparties.

Comment vous distinguez justement cette location d’espace et le mécénat ?

Là il faut demander à la Cours des comptes, c’est tout simple, la location d’espace vous venez, vous voulez louer l’espace pour un événement privé, je ne sais pas : votre anniversaire, votre mariage. Il y a une grille et on sait que c’est pour tant d’argent que vous pouvez faire un diner etc. La contrepartie du mécénat : l’entreprise va me dire : je donne X milliers d’euros pour telle action et après on va calculer le pourcentage des contreparties, on va dire “tiens, vous avez suffisamment pour pouvoir faire, une soirée, vous pouvez avoir votre logo là et ainsi de suite”. On discute avec l’entreprise pour savoir ce qu’elle souhaite.

D’accord si je veux faire mon anniversaire, mais si je suis une entreprise, n’importe laquelle, BIC, et que je loue l’espace : vous ne pensez pas qu’il y a parfois une confusion dans l’opinion public ? On a l’impression que le musée Picasso organise une exposition BIC ?

Non je ne crois pas, en revanche il peut y avoir une confusion... Enfin l’entreprise elle a le choix soit de louer, mais elle n’est pas obligée de communiquer dessus, ça c’est autre chose, soit elle peut faire du mécénat et avoir dans les contreparties du mécénat une soirée. Mais ce n’est pas la même démarche. Mais ça peut lui coûter la même chose et c’est ça que la Cours des Comptes questionne. Elle dit que l’entreprise a mécéné de X milliers d’euros mais en fait quand on fait le compte réel des contreparties et autre finalement ça a coûté plus que ça n’a rapporté ! Parce qu’on a offert plus, parce qu’on a mal calculé.

De manière très concrète, les contreparties chez vous c’est quoi ?

Ca peut être de la visibilité, ça peut être des offres de soirée, ça peut être des catalogues. Il faut être inventif. Après il y a une grille mais on peut trouver plein de choses.

Comment voyez-vous l’emprise que peuvent avoir des entreprises sur des collections d’art qui au départ ont cette notion de désintérêt ? Je me suis un peu renseignée sur vous et j’ai vu que vous avez travaillé à Versailles avec les expositions de Jeff Koons etc qui sont assez controversées : comment voyez-vous du coup ces relations de mécénat ? Est-ce que c’est une nécessité pour l’art contemporain aujourd’hui ou plutôt une aliénation ?

Le mécénat ce n’est pas une nécessité, parfois pour se lancer dans un projet c’est simple : si vous n’avez pas le soutien vous ne pouvez pas le faire. Mais vous pouvez aussi ne rien faire. Mais on est arrivé à une génération, notamment la votre, où imaginer qu’on peut tout faire avec de l’argent public c’est un peu idéal, utopique. Peut-être dans les années 50-60. On appartient à une génération où on pense qu’il n’y a pas d’un côté la pureté, la virginité du secteur public et de l’autre l’enfer, le diable du secteur privé. C’est beaucoup plus complexe que ça donc c’est important de dialoguer ensemble, on se voit tout le temps. Après il y a une chose très simple qui s’appelle la déontologie. Soit vous respectez déontologiques simples soit vous ne respectez pas. Dans le cas de Koons c’est différent. Vous vous pouvez dire “c’est un scandale d’avoir exposé un artiste contemporain à Versailles” très bien. Moi je peux vous faire un discours d’une heure pour vous expliquer sincèrement pourquoi je pense que ça peut être une idée intéressante. Après on peut trouver des soutiens à cette manifestation mais il faut que ça se fasse dans des cadres dans des règles respecteux. Un moment on m’a dit qu’un grand collectionneur français avec soutenu ce projet. Je suis bien placé pour le savoir c’est moi qui était commissaire de cette expo. Je peux vous dire que c’est moi qui ait eu l’idée de cette expo, qui l’ait proposé. Après que plusieurs personnes, dont un grand collectionneur français aient souhaité soutenir ce projet : tant mieux ! C’est la vie d’un projet.

Quand vous parlez de cadre : vous faites référence au cadre juridique de la loi ?

-Oui, il suffit d’aller sur le site du ministère, il y a des chartes de déontologie des choses comme ça. Ça me semble une évidence mais il faut parfois le rappeler.

Vous avez connu la transition avant et après la loi Aillagon...

Clairement ça a développé le mécénat il faut être honnête. Ce qui avant était parfois un peu flou, les entreprises ne comprenaient pas bien ce qu’elles pouvaient faire etc. Cela a le mérite d’avoir mis noir sur blanc et d’avoir apporté des déductions fiscales beaucoup plus importantes.

Qu’est ce que vous pensez du fait que cette loi soit remise en question ? Du projet de loi de 2012 ?

Oui mais ce n’est pas passé. Vous avez toujours des gens pour dire : pourquoi la culture on irait la soutenir, pourquoi il y aurait des avantages ? C’est un débat de fond. Moi je fais partie de personnes qui pensent d’abord que sans la culture la vie serait peut-être un peu plus compliquée. Et que dans notre pays, j’enfonce des portes ouvertes, je vous prie de m’en excuser, mais le patrimoine tout ça, c’est ce qui fait notre richesse. Moultes études ont montré que contrairement à ce qu’on dit on n’est pas là uniquement à brasser de l’air, en plus ça apporte des moyens, ça fait vivre des gens. Tout le monde a à y gagner.

Vous pensez que la loi est en sécurité ? Il y a toujours un risque ?

C’est toujours un risque. Mais aujourd’hui je crois que c’est vraiment acté qu’il faut qu’il y ait des équilibres entre public et privé qu’il faut des éléments qui permettent de soutenir les initiatives privées.

Vous dites que vous avez besoin de 10 millions d’euros : est-ce que vous organisez des événements pour attirer les investisseurs ? Il y a quelques semaines on est allés au Tokyo Art Club où il y avait un événement organisé notamment par Thierry Consigny où il y avait des entreprises présentes et le but était de les faire investir.

Il y a plein de manières : soit si on connaît des gens c’est du relationnel. Après il peut y avoir un moment plus important où on sensibilise mais on ne le fait pas de manière … On le fait au cas par cas. Nous on est quand même une toute petite maison, on n’est pas le Louvre avec tout un service mécénat. Eux sont armés pour ça. Nous on est beaucoup plus dans l’artisanat.

Le cas échéant vous vous verriez faire un événement pareil ?

Oui bien sur ! On l’a fait d’ailleurs. ça nous est arrivé de réunir des directeurs de la communication pour leur faire visiter le musée. La on a réuni des traiteurs on leur a montré nos espaces ce qu’on peut faire s’ils veulent proposer à des clients. Oui bien sur on a toute une politique de développement commercial ça fait partie du jeu !

Que pensez-vous de la Fondation Louis Vuitton ?

On les connaît très bien puisqu’on fait beaucoup de choses ensemble. Un des acteurs de la Fondation Louis Vuitton est membre du conseil d’administration du musée Picasso Monsieur Clavery qui s’occupe du mécénat à Louis Vuitton. On est très heureux. Comme je vous le disais tout à l’heure on est dans un moment de crise dans notre pays, tout le monde se pose des questions, il y a plusieurs manières de voir les choses, je suis peut être un peu bisounours mais plus il y a d’initiatives plus on s’en réjouit. On peut toujours débattre 107 ans. Après il y a quelqu’un qui a décidé d’investir, de se lancer dans une aventure culturelle extraordinaire avec un bâtiment magnifique. On peut ne pas aimer Franck Gehry mais il a créé cette chose que tout le monde apprécie. En tous cas qui a un fort succès public donc oui on est très heureux. ça fait partie de cette idée : plus vous avez d’offre, plus vous créez un effet masse qui fait que vous attirez. Il ne faut pas croire qu’on est dans une logique de compétition. Bien sur qu’on se regarde tous, qu’on fait attention, qu’on discute, qu’on débat. Par exemple vous, je ne sais pas comment vous organisez vos loisirs culturels mais imaginez vous êtes à Londres, à Bruxelles, vous avez un peu d’argent vous dites : tiens qu’est ce que je vais faire ce week-end ? Vous allez faire un arbitrage : tiens il y a la Fondation Louis Vuitton, il y a une grande expo au Grand Palais, le musée Picasso c’est sympa, tiens j’y vais ! Si au contraire il y a juste un truc vous êtes peut être un peu moins partante.

Vous parlez d’aventure culturelle mais est-ce que vous pourriez parler d’aventure mécénale ?

En tous cas c’est comme ça qu’elle est présentée, après je ne connais pas leurs comptes mais en tous cas ce n’est pas avec la Fondation Louis Vuitton que les bénéfices du groupes Louis Vuitton. Après voilà tout le travail sur l’image que ça rejaillisse évidemment. Mais l’objectif, si Bernard Arnault avait voulu créer la Fondation Louis Vuitton pour faire de l’argent ça se saurait : voilà il a créé un équilibre, il a dépensé de l’argent pour créer son bâtiment. Voilà, maintenant il le fait vivre.

Donc vous ne comprenez pas les articles qui sont sortis en disant …

Si je les comprends, on est dans un monde de débats, on est en France. Il n’y a pas que les français d’ailleurs. Il y a des gens qui ne vont pas aimer l’architecture, il y a des gens qui ne vont pas aimer le projet etc. Il y a un moment dans ma vie, ce n’est pas que j’étais dans une logique révolutionnaire mais j’étais un peu critique. Et voilà, je ne dis pas qu’il y a une ligne de fracture mais en France il y a certains conservateurs et assez peu qui sont managers. Moi je suis content d’être manager, je serai aussi content de faire de la recherche scientifique tous les jours mais un moment voilà j’aime être dans l’action .. J’aime débattre, mais un moment il faut passer le stade de la critique et puis on va de l’avant. C’est ce qu’on voit avec tous ces mouvements en Europe, que ce soit place de la République, Podemos en Espagne. Tous se posent la question : et après ? Comment on passe à l’action politique ? C’est un débat vieux comme le monde. Après dans un cadre plus privé je peux avoir mon avis personnel mais je pense, c’est Edgar Morin qui a un peu théorisé ça, si on n’est pas à mieux comprendre les acteurs du privé, à faire des choses ensemble, à mieux se comprendre …

Aujourd’hui on a appris que François Pinault lance sa fondation …

Oui, enfin il la relance parce qu’il avait déjà un projet il y a quelques années. J’en pense pareil … Encore plus content ! Vous imaginez on va avoir parmi les deux plus grands collectionneurs d’art du monde qui vont ouvrir leur lieu à Paris. C’est quand même génial. Par les temps qui courent on ne va pas se plaindre.

Est-ce que dans vos accords, l’entreprise a un droit de regard ?

Ca ne m’est jamais arrivé … On m’a raconté des histoires comme ça mais par exemple, à Metz, j’ai fait un des plus gros mécénat de France avec la fondation Hermès, pour une exposition qui s’appelait “Formes simples”, au-delà du mécénat on était vraiment dans un accord de co-production. J’avais veillé à les associer à toutes les réunions, à tout. Jamais en aucun cas … S’il y a ce genre de cas, ça se fait en amont. C’est pour ça qu’on doit se battre entre nous, parce qu’il n’y a pas 50 000 entreprises qui mécènent en France, on parle des grands noms, mais la grande difficulté du mécénat aujourd’hui, ce n’est pas le chèque à 500 000 euros qui est difficile à trouver, ce qui est génial ce serait qu’il y ait beaucoup plus de petits mécènes à 10 000 euros. Vous trouvez 20 mécènes à 10 000 euros ça fait déjà un beau chèque !

C’est la loi qui ne permet pas ..

Si elle permet ! Mais les petites entreprises, les PME ne sont pas du tout sensibilisées à ça. ça ne les intéresse pas, et puis nous on n’est pas armés pour ça. C’est beaucoup plus de travail de conviction. C’est des plus petites équipes chez eux et ainsi de suite.

Est-ce que vous avez déjà rencontré un artiste qui refusait que son travail soit mécéné par une entreprise ?

J’imagine qu’il y en a oui …

Mais ça ne vous est pas arrivé dans votre expérience …

Ca serait une position un peu politique, ils l’afficheraient dès le départ donc on veillerait à ne pas se mettre dans cette situation. En général c’est plutôt l’inverse. Les artistes arrivent tout est déjà bouclé. Du coup on ne peut plus rien faire.

Et le statut de la défiscalisation pour vous ? Que pensez-vous du fait que finalement c’est plus le contribuable qui paye ?

C’est très important ce que vous dites, on ne le dit pas assez, tout ça n’est pas gratuit. On dit defiscalisation comme si c’était une formule magique, je veux dire, non. C’est une autre manière de faire financer par le contribuable. C’est un vrai choix politique mais moi ça m’intéresse. Tout le monde nous parle de subvention mais c’est une autre manière parce que l’argent n’est pas allé à autre chose, c’est un vrai choix public mais je trouve ça intéressant comme formule.

Pour revenir à la Fondation Louis Vuitton, ce que dénoncait certains articles c’est que, dans ces temps de crise, c’est le contribuable qui a financé ce batiment à la gloire d’une marque …

Oui, au bout du bout du bout de l’histoire. En même temps il n’y aurait pas eu quelqu’un pour lancer le truc on se serait retrouvé il n’y aurait rien et puis c’est tout. C’est un peu la poule et l’oeuf. Parce que inversement, il faudrait faire des calculs économiques mais on pourrait démontrer, je ne sais pas, je crois qu’ils ont fait 1 million de visiteurs, il payent quand même des impôts, de la TVA du machin, que ces 1 million de visiteurs ont fait des dépenses .. Il y a plein de manières financières pour montrer que la Fondation Louis Vuitton elle fait vivre je ne sais pas combien de personnes. Ce n’est pas noir et blanc.

Est-ce que vous avez eu une expérience de mécénat qui s’est mal passée ? qui a eu des retombées négatives et/ou pour l’artiste et/ou pour l’entreprise ? où ils n’auraient peut être pas du s’engager dans cette négociation ?

Vous me posez une colle… Il doit y avoir des risques mais… Vous en avez trouvé vous ?

On nous en a raconté ..! La Tour d’Anish Kapoor à Londres par exemple, certains intervenants pensaient que ce n’était pas la meilleure oeuvre d’Anish Kapoor

Mais en même temps la tour a été assez médiatisé… On l’a vue partout. Ce n’est pas un vrai cas.

En fait certains acteurs nous ont dit que quand ça vient d’une commande d’une entreprise c’est souvent assez dévoyé et que le succès n’est pas toujours au rendez-vous alors que quand l’artiste a un projet initial qui lui tient à coeur qui après vient être subventionné par une entreprise, là ça peut être intéressant.

Oui mais ça c’est une vision assez idéaliste. Il n’y a pas d’un côté un artiste dans sa bulle, coupé de la société et du monde et de l’autre une méchante entreprise qui cherche à faire semblant de mécéner et en fait qui défiscalise et utilise des artistes pour ça. Bien sur que c’est complexe. Il y a tout un sans dire que c’est des échecs mais des tas de cas où on dit, tiens la culture est allée parce qu’elle a invité une entreprise à financer un projet qu’elle n’aurait pas fait elle même si bon voilà c’est là que c’est subtile la limite. Mais après, la plupart des artistes qui sont intéressants aujourd’hui c’est aussi parce que ce sont des artistes engagés qui ont un rapport intéressant à la société… qui nous aident à voir le monde différemment voilà. Dans le mécénat il y a aussi prise de risque, donc parfois vous pouvez vous tromper. Vous commandez une oeuvre ça peut être un échec mais pour moi ce n’est pas un échec parce que vous avez toujours fait quelque chose plutôt que rien.

Est-ce que vous envisageriez de refuser une entreprise mécène à cause de ce qu’elle fait ? Une entreprise de tabac par exemple ?

Ca fait partie d’une charte de déontologie, après, si l’entreprise a des rapports au monde illégal, blanchit de l’argent, alors évidemment on fait attention. Après il y a tous ces débats récents, notamment en Angleterre, voilà … C’est toujours un peu compliqué. C’est pas simple.

Donc vous vous penchez quand même sur l’aspect éthique d’une entreprise avant de vous lancer dans un partenariat ?

Oui oui bien sur.

Comment considérez vous le statut des fondations ? Est-ce que vous considérez que ce sont des intermédiaires entre l’entreprise et l’institution ou est-ce que c’est eux-mêmes des bénéficiaires du mécénat ?

Bah un peu des deux. Si vous créez une fondation, vous le faites bien sur parce que vous êtes un saint … mais si vous pouvez aussi défiscaliser.. C’est aussi utiliser l’argent d’une autre manière. Il y a plein de fondations en France qui ne sont pas des fondations. Qui sont des “fausses” fondations entre guillemets parce qu’elles sont sous l’égide de la Fondation de France. Les vraies fondations au sens juridique du terme il y en a très peu. C’est très difficile à faire, il faut un capital important. Aujourd’hui ce qui se développe le plus c’est le fond de dotation. C’est moins connu juridiquement mais bon. La fondation Dubuffet, la fondation Giacommetti voilà je ne vois pas bien ce qu’on pourrait leur reprocher, elles défendent l’oeuvre d’un artiste.

Donc pour vous une “vraie” fondation comme vous dites c’est par exemple la Fondation Cartier ?

Alors la fondation Cartier est une vraie fondation mais je pense qu’elle est sous l’égide de la fondation de France, là je ne peux pas vous dire …

Mais qu’est ce que ça change une fondation sous l’égide de la Fondation de France ?

Je pense que c’est moins compliqué à créer qu’une vraie fondation. Une vraie fondation vous avez tout un dossier à remplir. Vous devez le faire valider par le ministère de l’Intérieur et d’autres ministères et ainsi de suite. Alors que sous l’égide de la Fondation de France, le dossier est plus simple, vous avez moins de capital à mettre.

Vous disiez tout à l’heure que vous avez travaillé avec la Fondation Hermès ? Dans ce cas vous n’étiez pas du tout en rapport avec les dirigeants de l’entreprise Hermès ?

Par exemple le président de la fondation Hermès c’est un dirigeant d’Hermès. C’est le directeur artistique qu’est Alexis Dumas. Bah si en permanence ..

Donc il n’y a pas véritablement de frontière entre l’entreprise et la fondation ?

Bah si lui il essaye. Il a un peu les deux casquettes. Pierre-Alexis Dumas, bien sur qu’il le fait avec la connaissance d’Hermès mais il le fait avec la fondation comme soutien à des projets et pas dans la logique de directeur artistique d’Hermès.

Donc les projets qu’il soutient n’ont rien à voir avec Hermès ?

Si parce qu’il a défendu des valeurs dans sa fondation qui peuvent reprendre celles du monde d’Hermès mais c’est marqué dans les statuts, c’est dans la charte, il n’y a rien de secret. Ils vont défendre l’intelligence de la main, des choses comme ça.

Est-ce qu’un artiste mécéné par la Fondation Hermès pourrait par exemple dessiner un carré ?

Ils l’ont fait plein de fois, mais ça se fait indépendemment. Ils commandent un artiste qu’ils ont pu soutenir mais ce n’est pas le même budget. Il y a Daniel Buren qui a fait des carrés Hermès des choses comme ça.

Quel rapport entretenez-vous avec l’ADMICAL ?

Bah en fait je les connais mal. Je regarder un peu ce qu’ils font, ils ont l’air de défendre mais c’est plus pour les entreprises. Je connais bien le président mais voila. Parfois quand je veux leur demander un conseil des choses comme ça mais je ne les vois pas souvent.

Quel est le statut selon vous de la charte de l’ADMICAL ?

Je ne la connais pas par coeur mais ça doit être proche de la charte du mécénat du Ministère de la culture. Je pense que c’est la même. Je pense que c’est indispensable de la lire... Dès qu’on la lit... il y a sans doute des choses qu’on ne respecte pas mais globalement… C’est plus la charte du mécène que la notre.

Stephane Von Gastrow et Karine Pauzat

Description

Après des études de droit, Stephane Von Gastrow et Karine Pauzat travaillent tous deux au Centre des Finances publiques. Stephane Von Gastrow est inspecteur fiscal spécialisé dans la gestion du patrimoine et du mécénat. A partir des articles 200 et 238bis du Code général des impôts, il étudie le statut des institutions et projets culturels voulant bénéficier du mécénat pour vérifier qu’ils répondent au critère central d’intérêt général et sont donc éligibles au mécénat. Le Centre des Finances publiques gère ainsi la défiscalisation prévue dans la loi sur le mécénat.

Lors de l’entretien, Karine Pauzat et Stephane Von Gastrow ont repris chaque point des articles 200 et 238bis du Code général des impôts pour expliquer les critères d’éligibilité des organisations mécénées. Malgré la législation précise ils insistent sur le caractère libéral du mécénat. Un organisme culturel peut émettre seul des justificatifs permettant aux entreprises d’avoir accès à la défiscalisation mais l’organisme peut être contrôlé derrière et s’il ne répond pas aux critères de la loi il sera alors sanctionné. Les critères d’éligibilité au mécénat, selon eux, tournent autour de deux notions centrales : l’intérêt général et la gestion désintéressée. Ils soulignent également le statut particulier des fondations qui sont des émanations de l’entreprise mais en sont très distinctes. Entre les critères émis par les législateurs dans la loi et la pratique concrète de celle-ci, les deux inspecteurs fiscaux ont permis d’appréhender la réalité des critères juridiques encadrant la pratique du mécénat.

Conversation avec Stephane Von Gastrow et Karine Pauzat
Le 3 mai 2016

Karine Pauzat : Nous la base en fait c’est le code général des impots, donc on va partir du texte. En fait il y a deux articles qui traitent principalement du mécénat : il y a l’article 200 et l’article 238bis. Le 200 c’est don des particuliers dans le cadre du mécénat et il y a l’article 238bis du Code Général des Impots et là c’est le don des entreprises dans le cadre du mécénat.

Alors déjà un don éligible, on parlera après des conditions déligibilité va donner lieu à une réduction d’impôt de 60% du montant des versements dans la limite de 5/1000 du chiffre d’affaire.

Stephane Von Gastrow : Voilà ce qu’ils appellent “défiscalisation” le plus souvent nous dans notre texte c’est “réduction d’impôt”. C’est ça le terme consacré, le terme juridiquement juste.

Est-ce que vous savez pourquoi ils ont fixé cette défiscalisation à 60% ?

Stephane Von Gastrow : ça c’est l’évolution historique, la prise en compte de la réduction d’impôt dans le cadre des dons ça remonte déjà à pas mal d’années. Et il y a eu des époques où c’était en dessous de 60%. Une grande date était 2003, ce qu’on a appelé trivialement la loi Aillagon qui a modifié notamment ces articles 200 et 238bis du Code Général des Impots. Il y a eu ce renforcement de cette politique favorable au mécénat à cette époque là mais ça existait déjà auparavant, ce n’est pas nouveau. Ça s’est seulement renforcé à partir de 2003.

Karine Pauzat : Le petit a) va faire référence au don des entreprises d’oeuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère qui peut être culturel. Les associations, pour être éligibles au mécénat doivent être d’intérêt général mais aussi présenter tout un tas de caractères : éducatif, scientifique, philanthropique, sportif, humanitaire, familial … ou culturel. Culture ou “concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique.” Nous les associations qu’on traite c’est principalement des fondations ou fonds de dotation qui nous demandent notre avis pour savoir si elles sont éligibles au mécénat. Donc si ces associations se disent culturelles on va vérifier que ça rentre bien dans ce qu’on appelle culturel au sens de cet article. Est-ce que vous avez des exemples Stephane ?

Stephane Von Gastrow : Il n’y a pas très longtemps une association déclarait oeuvrer aider à la restauration de chapelles à St Sulpice donc là c’était clairement le domaine culturel puisqu’on entend le domaine culturel comme étant tout ce qui concoure à la création, à la diffusion ou à la préservation des oeuvres de l’art ou de l’esprit. Et là, aider à des travaux dans les chapelles c’est clairement à de la préservation du patrimoine donc il n’y a pas eu de problème pour confirmer que l’association correspondait bien au caractère culturel.

On utilise souvent le terme “défiscalisation” mais en fait on confirme à ces associations qu’ils ont le “droit d’émettre des reçus fiscaux qui permet à leur donateur d’avoir droit à la réduction d’impôt prévu par l’article du Code général des impôts”.

Karine Pauzat : Nous on ne se penche pas sur le donateur mais sur l’organisme qui reçoit des dons et l’organisme qui reçoit des dons en fait va émettre des reçus fiscaux, c’est à dire des attestations que l’entreprise donatrice va joindre à ses résultats. Mais l’association, la fondation ou autre délivre des reçus fiscaux et si elle en délivre à tort elle est susceptible d’avoir une amende et une sanction fiscale. La sanction fiscale ne va pas aller vers le donateur mais l’organisme qui a émit des reçus fiscaux à tort. Donc nous on ne regarde que l’organisme qui délivre des reçus fiscaux ou qui demande un avis. Parce que ce qu’on leur donne c’est un avis et non pas une décision administrative.

Stephane Von Gastrow : Ça part d’une logique c’est que le donateur ne sait pas tout de l’organisme auquel il donne. Le donateur de bonne foi ne sait pas s’il y a un problème dans les critères culturels. C’est la responsabilité de l’organisme qui reçoit le don. On lui confirme donc qu’il remplit tous les critères.

Vous dites que vous ne donnez qu’un avis mais qui prend la décision ?

Karine Pauzat : Il n’y a pas de décision. Nous on étudie pour voir si l’association est éligible au mécénat mais on est qu’au stade de l’avis. Il y a un recours devant le collège de second examen des demandes de rescrits. Ça s’arrête là en fait, il n’y a jamais de décision administrative.

Stephane Von Gastrow : Le législateur dans l’article 238bis du Code général des impôts a simplement marqué les conditions bien détaillées mais il n’y a jamais eu marqué “une fondation agréée”. Parce que tout simplement on est dans une logique où on fait tout simplement confiance. C’est plus libéral, dans la logique du droit des associations formées librement. On met un garde fou avec possibilité de contrôle, possibilité d’amende. Mais en principe une association peut d’elle même émettre des justificatifs en montrant qu’elle s’est documentée et qu’elle pense qu’elle remplit bien toutes les conditions mais elle fait ça sous sa responsabilité. C’est à dire qu’après s’il y a un contrôle et qu’elle avait mal compris elle risque une amende. Mais c’est vraiment dans la continuité du droit des associations. On laisse une grande liberté.

Karine Pauzat : Alors ça peut être des dons pour les fondations d’entreprise éligibles au mécénat mais après pour une fondation d’entreprise les dons ne sont déductibles que si elle remplit les conditions et seulement pour les dons effectués par les salariés du groupe. Les dons extérieurs ne seront pas éligibles. C’est un aspect assez limitatif du mécénat culturel. Après les dons aux musées sont aussi éligibles au mécénat. Les musées nationaux, mais aussi les musées de commune sont éligibles au mécénat.

Stephane Von Gastrow : Nous on ne traite pas des dossiers des musées car ils ont souvent de très bons services juridiques internes et ils savent très bien s’ils sont éligibles ou pas au mécénat. Les fois où on a eu des problèmes avec les musées c’était des problèmes de personnalités morales. Un vieux dossier, un musée nous avait saisi, ils bénéficiaient du mécénat de compétence. Ils voulaient savoir s’ils pouvaient émettre des reçus fiscaux parce que derrière il n’y avait pas forcément la personnalité morale, c’était la Réunion des Musées Nationaux. C’était il y a presque six ans. Mais pour les musées on est très peu saisi à part s’il y a un problème. Mais sinon sur leurs reçus fiscaux ils sont assez surs de la chose. Il y a une autonomie de direction.

Mais pourquoi certaines institutions fiscales ont le droit au mécénat et d’autres non ? On a vu que le Théâtre de Gennevilliers par exemple …

Karine Pauzat : Derrière l’aspect culturel il y a d’autres conditions qui peuvent faire que tout le monde n’est pas éligible. Derrière le texte de loi il y a d’autres conditions à remplir. Il faut que la gestion de l’organisme soit désintéressée.

Stephane Von Gastrow : Derrière l’idée de gestion désintéressée il y a l’idée tout simplement du bénévolat. On vérifie au niveau des dirigeants de l’organisme de savoir s’ils sont totalement bénévoles. On accepte un minimum de rémunération pour les dirigeants mais il faut contrôler. D’autre part il ne faut pas que les dirigeants aient un intérêt direct, même indirect sur les résultats de l’organisme. Et il s’agit qu’il n’y ait pas de distribution des résultats aux membres de l’organisme. Et que en cas de cessation de l’activité, que cet actif ne soit pas, là aussi transmis aux membres. Mais c’est une chose toujours demandée : la gestion doit être désintéressée. Une société, par définition a pour but de distribuer les résultats aux associés. Dans ce cas là, un théâtre par exemple qui est géré par une société, le théâtre n’entre pas dans les critères parce que la gestion n’est pas désintéressée.

Quel est le statut des fondations du coup ? Parce qu’elles sont gérées par une société, par une entreprise …

Stephane Von Gastrow : C’est prévu par le texte. C’est l’évolution légale qui a permis que les entreprises malgré tout puissent intervenir notamment dans le mécénat culturel en mettant un dispositif légal qui permet de passer ça. La fondation n’est pas l’entreprise. Il y a une différence et c’est ce qui permet de sortir de ce problème de la gestion désintéressée.

Karine Pauzat : Une fondation d’entreprise est l’émanation de l’entreprise. Il faut qu’il y ait du bénévolat au sein de la fondation pour qu’elle soit éligible sinon elle ne le sera pas.

Par exemple, j’étais assez surprise d’apprendre que le directeur de la fondation Hermès est le directeur artistique de l’entreprise Hermès..

Stephane Von Gastrow : Je ne connais pas ce dossier mais je pense que, dans le cadre de la fondation, il agira de manière bénévole. Il n’aura pas de rémunération spécifique pour son activité au sein de la fondation. C’est dispositif mis en place par la loi pour permettre aux entreprises d’être plus présentes dans le domaine du mécénat. Parce que certaines par le simple don n’étaient pas suffisamment stimulées et avaient besoin d'apparaître d’avantage. Elles apparaissent ainsi par le nom mais la fondation n’est pas l’entreprise. Si les dirigeants de la fondation sont des dirigeants de l’entreprise, s’ils y sont de manière bénévole ça ne remet pas en cause le principe de la gestion désintéressée.

Karine Pauzat : Autre condition d’éligibilité au mécénat, les organismes ne doivent pas s’adresser à un cercle restreint de personnes.

Stephane Von Gastrow : Le cercle restreint de personnes est le négatif de l’intérêt général. Un des cas les plus connus c’est les associations d’anciens élèves. Si l’association n’est faite que pour permettre aux anciens élèves de se retrouver c’est considéré comme un cercle restreint. Mais si cette association a une autre activité dans le domaine culturel ou humanitaire là elle ne serait plus seulement au profit des anciens élèves. Mais si c’est seulement à leur profit, même s’ils sont 500, même s’ils sont 2000 ce n’est pas l’intérêt général.

Karine Pauzat : Et il ne faut pas que l’organisme ait une activité lucrative. Mais il y a quelques subtilités.

Stephane Von Gastrow : C’est l’idée de ne pas être dans le domaine commercial, ne pas être dans la concurrence. C’est ce qui fait la différence entre lucratif et non lucratif. Mais ce n’est pas exigé dans le domaine du spectacle vivant et dans les expositions d’art contemporain. C’est une exception prévue par le législateur mais de manière postérieure à 2003, c’est assez récent. Ça se situe vers 2008. Ce qui est important c’est la gestion désintéressée et le fait que l’activité dominante soit la présentation de spectacles publics ou l’organisation d’expositions d’art contemporain. On ne demande pas que ce soit non-lucratif puisque dans la plupart des cas c’est dans le cadre concurrentiel avec une billetterie. Mais on a pensé qu’il faudrait qu’ils bénéficient du mécénat culturel. C’est une décision politique prise il y a un peu moins de dix ans.

On a donné les conditions propres à l’organisme qui reçoit mais un don c’est d’abord quelque chose qui est donné avec une intention libérale.

Karine Pauzat : Il ne faut pas qu’il y ait de contrepartie en fait, il ne faut pas que l’entreprise quand elle fait son don attende quelque chose en retour.

Mais souvent des contreparties sont mises en place que ce soit des visites pour les salariés de l’entreprise, des soirées …

Stephane Von Gastrow : Absence de contrepartie ça peut être pris au sens de disproportion marquée entre les petites attentions que pourra avoir le bénéficiaire envers le donateur et ce qui sera vraiment une contrepartie.

Karine Pauzat : Il y a une différence entre le mécénat et le parrainage qui va donner lieu à des contreparties. S’il y a bien disproportion marquée on est bien dans le mécénat, s’il n’y a pas disproportion marquée on est dans le parrainage.

Stephane Von Gastrow : On dit que la valorisation du don ne doit pas dépasser le quart du don. L’idée de la disproportion est quantifiée avec cette idée du quart. Donc si une entreprise donne 200 000 euros, quelques invitations en contrepartie c’est une disproportion très marquée.

Un fond de dotation combine la souplesse de la création d’une association aux avantages d’une fondation. On peut être tout seul pour créer une fondation, une seule personne morale peut créer une fondation. Mais le fond de dotation simplifie les démarches. Un fond de dotation peut redistribuer à un organisme qui a elle un fond culturel. Là il n’y aura plus de problème d’égibilité. C’est un cas assez particulier.

Françoise Benhamou

Françoise Benhamou est spécialiste de l’économie des médias et de la culture, professeur à l’université Paris XIII. Elle étudie les rapports entre financements publics et privés dans le cadre du mécénat culturel. Le mécénat, au coeur des relations entre le public et le privé, est indispensable comme ressource complémentaire à la politique culturelle insuffisante pour garantir des programmations de qualité selon elle. Mais elle souligne que le coût représenté par le mécénat pour l’Etat est très important: “le mécénat représente un coût non négligeable pour la collectivité.” Elle explique: « particulièrement recherché en période de restriction budgétaire, le mécénat constitue pour une large part une subvention déguisée, puisque compensée à plus des deux tiers par la puissance publique ; son affectation n'est pas décidée par les administrations ou les instances culturelles et politiques, mais par des agents privés. Il ne saurait donc être pensé comme un substitut à l'argent public, mais comme une forme complémentaire de l'effort collectif dont le déclenchement échappe aux décideurs publics. (...) Le mécénat constitue donc en termes économiques un complément de financement dont la charge est assumée en large partie par l'État. Il permet de fait aux établissements de « forcer » les pouvoirs publics à un effort qu'ils ne fournissent plus tout à fait, mais au risque de l'affaiblissement de la maîtrise de l'affectation des budgets consacrés aux expositions et aux acquisitions » (Françoise Benhamou, « Économie du patrimoine culturel », éditions La Découverte, 2012.)

Elle explique par ailleurs que les musées exercent une mission de service public, ce qui les distingue fondamentalement d'entreprises commerciales. Par ailleurs, comme le souligne l'économiste Françoise Benhamou, « lorsque la part des apports privés, plus sensibles à la conjoncture, augmente, l'équilibre du musée devient fragile». Elle critique enfin les disparités qui découlent du mécénat culturel: “Le mécénat accentue les inégalités entre établissements. Ses sirènes chantent plus aisément du côté des institutions les plus prestigieuses : la Scala de Milan ou le Théâtre de la monnaie de Bruxelles parviennent à tirer leur épingle du jeu, et si Vivendi fait faux bond au festival d'Aix pour l'édition 2015, Altarea Cogedim prend le relais.”

Jean de Loisy

Jean de Loisy est un critique d'art et commissaire d'exposition français, spécialiste de l'art moderne et contemporain. Il débute au Ministère de la Culture de 1986 à 1988 où il est chargé de mission pour la création contemporaine dans les monuments historiques. Il est ensuite de responsable des expositions au Carré d'art de Nîmes avant de devenir conservateur à la fondation Cartier en 1990 puis conservateur au Musée national d'art moderne du centre Pompidou de 1994 à 1997. Il est nommé président du Palais de Tokyo en juin 2011

Jean de Loisy considère qu’il faut abolir les frontières entre ces deux mondes, celui du public et du privé, dans la mesure où l’un a besoin de l’autre. Une journaliste du Monde va même jusqu’à dire qu’ “ll est le seul à accepter que des entreprises privées tiennent une place importante dans ce centre d'art public, allant à jusqu'à faire participer des mécènes au choix des expositions et de la programmation”. “On travaille par exemple avec le responsable d'une exposition sur la manière de raconter l'histoire de l'entreprise pour donner un sens artistique à son activité”, plaide Jean de Loisy. Les artistes sont totalement disposés à travailler dans ce cadre. Cette "infiltration” du monde de l'art sur le monde réel et réciproquement n'est pas un jeu dangereux, répond Jean de Loisy. Ainsi, lors d’une soirée au Tokyo Art Club dédié aux entreprises partenaires et mécènes du Palais de Tokyo, Jean de Loisy explique que le mécénat ne doit en aucun cas être “un coup de communication” mais qu’il doit au contraire s’agir d’une “conversation”, d’un “dialogue sur le long terme.” Il précise par ailleurs que les mécènes n’ont “aucune influence sur la programmation” mais uniquement une possible “influence sur sur la façon de montrer les choses”.

Jean-Michel Tobelem

Jean-Michel Tobelem est professeur associé à l’université Panthéon-Sorbonne, directeur d’Option Culture, docteur en sciences de gestion des équipements culturels et spécialiste du mécénat. Il affirme ainsi lors d’une interview dans La Gazette : “Le marketing est utile aux institutions non lucratives, non seulement pour accroître leurs ressources, mais aussi pour remplir leurs missions de conquête et de diversification de leurs publics. La stratégie permet de formaliser leurs missions fondamentales et leurs objectifs, avec un plan d’actions, un chiffrage et un phasage de celles-ci”. Il étudie ainsi particulièrement l’apparition du marketing dans les musées notamment dans “De l'approche marketing dans les musées”, Jean-Michel Tobelem.

Il dénonce également la Fondation Louis Vuitton dans un article du Monde, qui a été supprimé pendant six heures avant d’être remis sur le site. Il qualifie la fondation de “mécénat d’entreprise sans la générosité”. Elle représente pour lui l’emblème des dérives du mécénat qui utilise cette pratique pour mettre en place de “gigantesques actions de communication” en plus de la forte défiscalisation. Jean-Michel Tobelem s’attaque même à la personne de Bernard Arnault qui, selon lui, profiterait de cette vitrine pour redorer son image : “Bernard Arnault, qualifié par certains de prédateur sans scrupule, assoiffé de richesses et tenté par l’exil fiscal en Belgique, devient par la magie du mécénat un protecteur admiré et désintéressé des arts et de la culture.”

ADMICAL

L’ADMICAL, Association pour le Développement du Mécénat Industriel et Commercial, est une association reconnue d’utilité publique créée en 1979 par Jacques Rigaud. Cette association joue un rôle primordial dans le développement du mécénat d’entreprise en France.

Leur mission est de donner aux entreprises et entrepreneurs les moyens de concrétiser leur action dans le mécénat. L’objectif de l’association en 1979 est d’implanter le mécénat d’entreprise en France dans tous les domaines de l’intérêt général : social ou culturel. L’association est présidée aujourd’hui par Henri Loyrette. L’ADMICAL a mis en place une “charte du mécénat” permettant à tous ces signataires de se réunir autour d’une vision commune du mécénat. Mécènes, acteurs publics, agences ou organismes professionnels ont signé la charte de l’ADMICAL. Ses objectifs opérationnels sont: représenter les entreprises mécènes en France auprès des médias, des pouvoirs publics, des acteurs de la vie culturelle et sociale et du monde universitaire; informer, conseiller et former les entreprises; constituer un carrefour de réflexion et de rencontres autour du mécénat.

Elle compte à présent 190 adhérents pour qui elle est devenue un centre de ressources et elle bénéficie de l’appui de 120 entreprises (parmi lesquelles : Alcatel Alstom, BNP Paribas, la Caisse des Dépôts et Consignations, Électricité de France…) pour qui l’association représente un lieu de référence professionnelle, un cadre de rencontres et d’échanges, et une plate-forme d’observation du mécénat pour les nouveaux venus. Elle met à leur disposition ses compétences et ses informations, et peut les aider ponctuellement dans la gestion de leur politique de mécénat.

L’outil le plus connu est le « Répertoire du Mécénat », produit en collaboration avec la Fondation de France et remis à jour chaque année; il recense les actions soutenues par les entreprises françaises dans les domaines de la culture et de la solidarité, en France et à l’étranger. L’association publie également la Lettre du Mécénat qui présente l’actualité du mécénat dans les domaines de la culture, la solidarité et l’environnement, le Guide juridique et fiscal pour faire le point sur l’ensemble des dispositions concernant les mécènes et leurs partenaires, une revue de presse mensuelle et un guide pratique “enjeux du mécénat”.

Tous les deux ans, Admical organise les « Assises Internationales du Mécénat d’Entreprise », réunissant les professionnels pendant deux journées. Admical est financé essentiellement par les cotisations de ces membres, et le concours du Ministère de la Culture et de la Francophonie. Travaillant au départ plus particulièrement en matière de mécénat culturel, Admical collabore depuis 1991 avec la Fondation de France, et c’est par ce biais qu’il aborde les domaines de la solidarité et de l’environnement.

Cour des Comptes

La Cour des comptes est une juridiction financière qui contrôle la régularité des comptes publics et notamment des établissements publics nationaux. Ses comptes rendus ne sont pas contraignants mais informent les institutions républicaines et l’opinion publique sur la régularité des comptes. La Cour des comptes est donc chargée de contrôler les comptes des institutions culturelles et notamment leur utilisation des donations privées et subventions publiques.

Fondation Galeries Lafayette

La Fondation d’Entreprise des Galeries Lafayette a été créée en octobre 2013 et ouvrira ses portes en 2017 en plein cœur du quartier du Marais, à Paris. Présidée par Guillaume Houzé, Directeur de l’Image et de la communication des Galeries Lafayette et du BHV MARAIS, et par Madame Ginette Moulin qui en assure la Présidence d’honneur, cette nouvelle institution reconnaît la capacité singulière de tous les créateurs à anticiper et participer aux changements sociétaux. La Fondation sera un lieu de création, de production et d’exposition aux formes d’expression les plus actuelles, des arts plastiques à la mode, du design aux arts vivants. Lieu de vie, de parole et d’idées à destination du grand public, la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette occupera un bâtiment du XIXème siècle réhabilité par l’agence OMA, menée par Rem Koolhaas. Pour cette première réalisation à Paris, le cabinet de renommée internationale est assisté sur la partie immobilière du projet par les équipes de Citynove, qui gère et valorise le patrimoine immobilier du groupe Galeries Lafayette.

Depuis son origine, le groupe Galeries Lafayette a fait de l'engagement dans la création sous toutes ses formes - mode, arts appliqués, design - l'une des valeurs fondatrices de son identité. Le Groupe agit comme médiateur entre des artistes emblématiques, des jeunes créateurs et le grand public, en liaison avec les principes qui ont présidé à sa naissance: la rencontre unique de la création et du commerce pour tous. En 2001, le Groupe ouvre un lieu d’exposition permanent : la Galerie des Galeries, située au 1er étage des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann. Depuis 2010, le Groupe fédère et pérennise ses actions de soutien aux musées et aux institutions culturelles à travers la Direction du Mécénat: elle sélectionne, découvre, donne à voir et à connaître les artistes émergents.

Fondation Lous Vuitton

Créée à l’initiative de Bernard Arnault par Frank Gehry, la Fondation Louis Vuitton, située à Paris, soutient la création artistique contemporaine française et internationale et la rend accessible au plus grand nombre. Inaugurée le lundi 20 octobre 2014 par le Président de la République française, M. François Hollande, et par M. Bernard Arnault, la Fondation Louis Vuitton affirme et pérennise l’engagement de mécène pour l’art et pour la culture de LVMH et de Louis Vuitton. Elle enrichit le patrimoine de Paris d’un monument emblématique de l’architecture du XXIe siècle. Une collection permanente, des expositions temporaires, des commandes artistiques et de nombreux événements pluridisciplinaires, notamment musicaux, rythment la programmation de la Fondation Louis Vuitton.

De l’automne 2014 au printemps 2015, l’inauguration de la Fondation se déploie en plusieurs temps, chacun conçu autour d’une exposition, d’un choix précis au sein de la collection – composée d’œuvres appartenant à la Fondation et à la collection personnelle de Bernard Arnault –, ainsi que de divers événements pluridisciplinaires. La collection de la Fondation, placée sous la direction artistique de Suzanne Pagé, est conçue sur la base de partis pris affirmés et identitaires souhaités par Bernard Arnault. Enfin, la musique occupe une place centrale dans la vie de la Fondation Louis Vuitton. L’Auditorium est le lieu dédié à la rencontre entre les musiciens et les artistes issues de toutes les disciplines de la création contemporaine. La programmation artistique de la Fondation illustre le dessein de Frank Gehry : “Concevoir à Paris un vaisseau magnifique qui symbolise la vocation culturelle de la France”.

La fondation Louis Vuitton a cristallisé les critiques de nombreux artistes et intellectuels (Jean-Michel Tobelem, Pierre Alféri ou encore Thierry Briault pour n’en citer que quelques uns), accusée de transgresser les limites imposées par le mécénat culturel, d’être dénuée de volonté d’intérêt général. Au contraire, elle constituerait pour eux surtout un coup de communication et le symbole des dérives du financement de la culture. Si elle fortement critiquée par certains, d’autres n’hésitent pas à louer. Elle constitue à leurs yeux le renforcement du capital culturel français et se réjouissent de voir de telles initiatives naître à Paris, d’autant plus qu’elle présente des expositions de grande qualité.

Fondation Pinault

La Fondation Pinault fait partie de Artémis, la holding familiale présidée par François Pinault, actionnaire majoritaire du groupe Kering. La fondation a pour but de venir en oeuvre à l’accès à tous à l’art contemporain.

Le groupe Artémis incarné par François Pinault a souhaité promouvoir l’art contemporain à travers deux lieux d’exposition uniques à Venise : Palazzo Grassi et Punta della Dogana. En 2000, il avait manfisté sa volonté d’installer sa fondation sur l’Ile Seguin à Paris. Il lance alors un concours d’architecte, choisit un conservateur et assure que le musée ouvrira en 2007. En juin 2004, il confie même à Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, qui a aussi été directeur de Beaubourg, l'expertise fonctionnelle du bâtiment conçu par Ando et l'étude des statuts possibles de la future entité. A cette même date trois associations déposent un recours contre le Plan Local d’Urbanisme, dénonçant la densité des constructions sur l'ensemble du projet. Entre temps, le maire de Boulogne parvient à un accord avec les associations, qui ont levé leur recours en échange de la promesse de réduire les mètres carrés constructibles. Mais cela ne suffit visiblement pas à François Pinault. Dans une tribune fracassante du Monde daté du 10 mai, il annonce son renoncement définitif au site de l'île Seguin et choisit alors Venise pour sa fondation.

Le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana sont alors depuis 2006 et 2009 les sites permanents de la Collection Pinault. Ils présentent un programme d’accrochages réguliers confiés à des commissaires d’exposition internationaux et invitent de grands artistes contemporains à réaliser des projets spécifiques. Depuis 2013, le Teatrino permet de développer autour de ces expositions un riche programme culturel et éducatif.

Louvre

Le Louvre est un musée mythique de la vie culturelle parisienne. Situé dans les murs du Palais du Louvre ancienne demeure des rois de France, le musée est l’un des plus grands au monde. Sa surface d’exposition est de 60 600m2 et ses collections comprennent 460 000 oeuvres. Le musée est le plus visité au monde. L’histoire du musée suis les rebonds de l’histoire de France. Palais royal délaissé par Louis XIV pour Versailles, les collections d’art royales commencent à y être entreposées. Sous la Révolution il devient le “Museum central des arts de la République”. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les chefs d’oeuvre du musée sont évacués. Les collections sont réorganisées dans les années suivant le conflit. La surface du musée s’agrandit dans les années 1980. Sous son premier mandat, François Mitterand décide de redonner au musée l’aile Richelieu auparavant occupée par le ministère des Finances qui déménage alors à Bercy. Il annonce la réalisation du “Grand Louvre”. Le musée est actuellement dirigé par Jean-Luc Martinez. Son prédécesseur, Henri Loyrette a développé la marque Louvre vers les Etats-Unis ou les Etats du Golfe. Mais l’autofinancement du musée reste insuffisant pour leur permettre une indépendance totale. Le Louvre continue a recevoir une subvention publique du Ministère de la Culture. En 2015, le musée a lancé et réussi une opération “Tous mécènes” en rassemblant plus d’un million d’euros pour acquérir une nouvelle oeuvre d’art du XVIIIème : la Table de Teschen.

Aujourd’hui le Louvre est financé à 53% par l’Etat et à 47% par le mécénat et les ressources propres de l’établissement. Le Louvre précise sur son site que devenir une entreprise mécène donne lieu à de nombreux avantages.

Les premiers relèvent de la visibilité comme “une forte visibilité auprès d’un public national et international, en tant qu'entreprise « citoyenne », des relations publiques de prestige au Louvre, une opportunité de valoriser la culture d’entreprise en interne, notamment par la mise en place d'accès et actions spécifiques envers les salariés, la construction d'une relation privilégiée sur mesure avec le musée du Louvre et des avantages fiscaux substantiels.”.

Les entreprises ont également droit à des visites privées du musées: des “Visites privées des collections permanentes ou d’une exposition temporaire durant les heures de fermeture du musée” et une “Mise à disposition des espaces du musée pour organiser des cocktails, dîners ou petits déjeuners”

des accès privilégiés et prioritaires au Louvre

un lien privilégié avec le musée comprenant des “opérations pour les salariés” (rencontres avec les conservateurs, libre accès pendant la durée du partenartiat etc.) et des “privilèges réservés aux mécènes” (diner annuel des mécènes, etc.)

Le Louvre a également mis en place un Cercle des Mécènes afin de dynamiser les actions de mécénat en faveur de l’établissement. Sur son site internet, le Louvre présente le Cercle comme suit: “Le Cercle des Mécènes du Louvre rassemble des hommes et des femmes qui souhaitent participer au rayonnement du musée, transmettre leur passion pour l’art en soutenant des actions patrimoniales et des projets pédagogiques et sociaux. En compagnie de ceux qui veillent sur les collections du musée, les membres découvrent le Louvre sous un jour différent et participent aux événements qui en font un lieu prestigieux, passionnant et vivant.” Il met également en avant les différents avantages dont bénéficient les membres de ce cercle, le premier étant le lien privilégié qu’ils entretiennent avec le musée. Les avantages énumérés sont principalement événementielles avec des visites privées, des avant-premières, des rencontres avec les artistes mais également des invitations à tous les vernissages et une reconnaissance nominative parmi les mécènes sur le rapport d’activité et le site internet du musée. Le Louvre précise le montant d’adhésion pour un an, élevé à 5 000€ mais il met surtout en avant la réduction fiscale qui ramène le montant à seulement 1 700€. Les plus grands mécènes du Louvre sont Deloitte, Lafarge ou Total, certains y ont même des salles qui portent leurs noms.

LVMH

Le groupe LVMH réunit plus de 70 Maisons d’exception qui créent des produits de haute qualité et est le seul acteur présent simultanément dans cinq secteurs majeurs du luxe : Vins & Spiritueux, Mode & Maroquinerie, Parfums & Cosmétiques, Montres & Joaillerie et Distribution sélective. Il compte aujourd’hui plus de 125 000 collaborateurs à travers le monde et a réalisé en 2015 des ventes de 35,7 milliards d’euros. Dès 1990, LVMH a entrepris une action de mécénat en faveur de l’art et de la culture pour faire partager, au plus grand nombre, sa passion pour la créativité.

Dès 1990, LVMH a entrepris une action de mécénat en faveur de l’art et de la culture pour faire partager, au plus grand nombre, sa passion pour la créativité. Depuis vingt ans, LVMH a mis en place un mécénat qui porte les valeurs du Groupe et de ses Maisons tout en respectant leur propre territoire de communication. Une démarche qui permet à LVMH de renforcer, à travers des initiatives dans les domaines de la culture et de la création artistique, son engagement en faveur du plus grand nombre. Le mécénat de LVMH en faveur de l’art et de la culture s’exerce dans plusieurs domaines, en France et à l’international : réhabilitation de monuments historiques, enrichissement de collections de grands musées, contribution à des expositions majeures nationales, engagement pour la création auprès d’artistes contemporains. Le soutien apporté à plus de 45 grandes expositions en France et à l’étranger a ainsi permis à des millions de visiteurs de découvrir des artistes majeurs tant de l’Histoire de l’Art que de l’art le plus actuel.

Ministère de l'Economie et des Finances

Le Ministère des Finances est un département ministériel du gouvernement français chargé de la politique financière de la France. Le ministère a pour vocation la gestion des finances publiques. Celles-ci peuvent être définies comme l’ensemble des règles les finances de différentes entités dont l’Etat et les établissements publics qui comprennent les institutions culturelles. Le Ministère est donc confronté à la dette publique mais doit assurer les subventions publiques. Bercy est également un acteur majeur de lois et projets de loi sur le mécénat qui assurent la défiscalisation. C’est pourquoi en 2012, un projet de loi a souhaité réduire la défiscalisation prévue dans le cadre de la loi sur le mécénat. Le Ministère des Finances s’est donc opposé au Ministère de la Culture sur cette question.

Mission Mécénat

Impulsée par la loi du 1er août 2003 sur le mécénat, les associations et les fondations et créée en 2003, la mission du mécénat a mis en place et anime un réseau de « correspondants mécénat » dans les directions - centrales et régionales - et établissements du Ministère de la Culture et de la Communication. Le site du ministère précise alors son rôle : “son rôle est de coordonner et de professionnaliser l'action du ministère et des acteurs culturels en matière de mécénat, de diffuser les nouvelles dispositions législatives et réglementaires auprès de ses partenaires, de proposer des évolutions de la loi dans le cadre de l'harmonisation européenne des législations, de développer et d'animer le "cercle des mécènes et donateurs" du ministère, de susciter et d'aider à la création de fondations. Enfin, elle est associée à la recherche de mécènes -entreprises et particuliers- pour le financement de certains projets du ministère et de ses établissements.”

Lancés en octobre 2005 par la mission du mécénat, les « jeudis du mécénat » sont des rencontres entre mécènes, professionnels du mécénat et porteurs de projets. Ils ont pour objectif de faire connaître au plus large public, à travers des expériences significatives, les développements et les problématiques du mécénat culturel depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003. Certaines rencontres peuvent être organisées « hors les murs » à Paris ou en région.

Musée Picasso

Le musée Picasso, situé dans le 3ème arrondissement de Paris, est un musée national centré sur l’oeuvre de Pablo Picasso. Le musée est constitué d’une collection permanente provenant des héritages des descendants du peintre. Les archives personnelles de Picasso ont été données à l’Etat et font ainsi partie des fonds du musée. Ainsi la collection du musée contient 4608 oeuvres. Le musée national Picasso a été créé en 1985 mais a rouvert en octobre 2014 après cinq années de travaux. “Notre histoire recommence” déclare Laurent Le Bon. Le musée a le statut d’Établissement Public Administratif” dirigé par un conseil d’administration présidé par le directeur Laurent Le Bon. Le budget de l’institution est d’une quinzaine millions d’euros, les subventions publiques apportent environ trois millions d’euros mais il est nécessaire de trouver par l’autofinancement et les donations privées plus de dix millions d’euros. Le directeur précise que “parfois les gens pensent qu’on est le musée de la famille Picasso : ils pensent que la famille Picasso finance ce musée mais en fait non l’argent ne vient pas de la famille Picasso!”.

Le Musée Picasso invite lui aussi les entreprises à soutenir l’activité de l’établissement que ce soit en mécénat en numéraire, mécénat en nature ou mécénat de compétence. Sur son site internet, il précise que “Soutenir le Musée Picasso Paris, c’est lui donner les moyens de ses ambitions.” Parmi les différents projets à soutenir on retrouve des expositions, acquisitions, actions éducatives, accessibilité, restauration. Les avantages et privilèges sont également mis en avant: une forte visibilité auprès d’un public national et international, une valorisation de l’image de l’entreprise (visibilité sur les supports de communication), des privilèges d’accès à un musée dont la collection n’a pas été vue en France depuis plus de quatre ans, une privatisation des espaces rénovés de l’Hôtel Salé pour vos relations publiques. Parmi ses mécènes, le musée a compté en 2015, Canson, la banque Neuflize, Chanel ou encore la Fondation Sisley d’Ornano.

Palais de Tokyo

Le Palais de Tokyo, contrairement aux principaux autres établissements culturels, a un statut juridique particulier: il s’agit d’une SASU, c’est-à-dire une société par actions simplifiées unipersonnelles de droit privé, l’Etat étant l’actionnaire unique. Mais si l’Etat est l’unique actionnaire, les entreprises privées tiennent une place importante dans le financement des événements. Si l’Etat prend en charge une grande partie du budget, environ 65% des ressources du Palais de Tokyo viennent des entreprises mécènes et/ou partenaires.

Le Palais de Tokyo propose trois types de relations avec les entreprises:

Le mécénat : sur son site internet le Palais de Tokyo précise que “dans ce cadre, le montant de votre apport (en numéraire, en nature ou en compétence) bénéficie d’une défiscalisation de 60% (dans la limite de 0,5% de votre chiffre d’affaires) et vous bénéficiez de 25% de contreparties. Le coût réel de votre apport revient donc à 15% du montant initial. Les mécènes du Palais de Tokyo ont un profil varié et le montant de leur contribution dépend de leurs moyens autant que de leur stratégie. Chacun d’eux bénéficie d’un traitement personnalisé adapté à sa problématique et aux objectifs de son engagement.”

Le parrainage : “dans ce cadre, les deux partenaires s’engagent à procéder à un échange de contreparties de valeur équivalente : à votre apport financier correspond la fourniture par le Palais de Tokyo de prestations de services et de biens à hauteur de votre apport. Toute dépense de parrainage qu’elle soit en numéraire ou en nature, correspond à une opération de nature commerciale et fait donc l’objet d’une facturation assujettie à la TVA de 19,6 %”. Il s’agit alors de partenariats dont les principaux et annuels sont Swarvoski, la fondation Total ou la fondation Louis Roederer.

Le partenariat média qui est un “acte de soutien qui consiste à échanger de l’espace publicitaire contre de la visibilité sur les supports de communication de la manifestation et la possibilité d’organiser pendant celle-ci des événements de relations publiques. Tous les supports généralistes ou spécialisés, TV, Radio, Presse écrite, Internet, Affichage deviennent ainsi des acteurs majeurs des événements du Palais de Tokyo”.

Par ailleurs, le Palais de Tokyo met également ses espaces à disposition pour permettre aux entreprises d’organiser leurs événements au cœur d’une destination culturelle. Les avantages mis en avant par l’établissement sont les suivants: “donner un retentissement maximal lors d’un grand événement, mais aussi de décliner si vous le souhaitez des événements de petit format dans la durée, faisant du Palais de Tokyo votre lieu de rendez-vous à Paris pour vos cibles, un lieu d’exception où elles se sentent privilégiées”.

Par ailleurs, le Palais de Tokyo a mis en place un cercle pour les entrepris nommé le Palais Tokyo Art Club. Ce Club propose aux entreprises “une offre dédiée qui a pour vocation de rassembler des acteurs économiques de tailles diverses et de secteurs d’activités variés autour d’un projet commun et d’un programme de rendez-vous exclusifs.”

“En plus d’un lieu prestigieux, les membres du Tokyo Art Club Entreprises bénéficient d’une offre clés en main avec deux niveaux d’adhésion qui leur permet de disposer d’un ensemble d’avantages à activer en fonction de leurs besoins et d’une réduction d’impôt à hauteur de 60% du montant de leur don.” Deux régimes sont alors proposés aux entreprises:

Elles peuvent soit devenir membre fondateur avec un ticket d’entrée minimum de 20 000€ impliquant alors une réduction d’impôt de de 12 000€. Le coût réel net de l’entreprise s’élève à 3 000€.

Elles peuvent sinon devenir membre bienfaiteur avec un ticket particulièrement bas par rapport aux autres établissements culturels: 8 000€, considéré comme le “low cost” du mécénat. Cela implique alors une réduction d’impôt de 4 800€ et le coût réel net de l’entreprise s’élève à 1 200€.

Les contreparties accordées aux membres du Tokyo Art Club relèvent de la visibilité (logos sur les outils de communication pour les membres fondateurs, mentions littéraires pour les membres bienfaiteurs) des contreparties événementielles (petits-déjeuners visites, soirées, invitations aux vernissages et à la programmation du Tokyo Art Club, encore une fois plus importants pour les membres fondateurs que bienfaiteurs) et des menus-biens (laissez-passer, coupes files, guides et magazines).

RMN-Grand Palais

La Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais est un établissement culturel public créé en 1895 et le premier opérateur culturel européen qui accueille 2,7 millions de visiteurs dans toutes nos expositions et produit 50 événements au Grand Palais. Plus spécifiquement, le Grand Palais construit en 1887 à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, a le statut officiel de EPIC depuis 2007 : Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial. Les subventions de l’Etat se sont élevées en 2014 à 19,4 millions d’euros. La RMN Grand Palais compte un chiffre d’afaire de 118,2 millions d’euros et un résultat net de -0,5 millions d’euros. Dans son compte de résultat, elle affiche 3 millions d’euros en subventions et mécénat acquisitions et 8,6 millions d’euros en “autres subventions et mécénat”. Dans le rapport d’activités de 2014, Jean-Paul Cluzet, directeur de la RMN Grand Palais jusqu’en janvier 2016 tient “à saluer les entreprises mécènes qui ont été fidèle dans cette programmation souvent exigeante”. Il a effectivement cherché à maintenir des événements artistiques de grande ampleur, comme Monumenta dès 2014, en développant le mécénat. Indépendemment des expositions financées en partie par des entreprises privées, le Grand Palais accueille notamment des défilés de mode. Ainsi au fil des années et des Fashion Week, Chanel a transformé le Grand Palais en aéroport, casino, brasserie ou supermarché pour les besoins artistiques de ses défilés.

Le RMN- Grand Palais propose différentes formules au entreprises : sans devenir mécènes elles peuvent soutenir l’activité du Grand Palais en louant des espaces ou privatisant des expositions. Les mécènes quant à eux ont la possibilité de soutenir un projet qu’il s’agisse d’une exposition ou d’un projet spécifique. Ils jouissent dès lors de privilèges énumérés sur le site du Grand Palais: l’entreprise mécène “rayonne sur son environnement immédiat”, “fédère ses équipes autour d’un projet enthousiasmant”, “bénéficie d’invitations et de visites privées de grandes expositions” et enfin “accueille ses contacts dans des lieux d’exceptions”. Parmi ces mécènes, le Grand Palais compte Maif, Mécène d’honneur, Alexandre Turpault, Bouygues Bâtiment Ile-de-France, ERDF, Fondation Louis Roederer, La Vallée Village, Natixis, Nexity, Orange, PriceWaterhouseCoppers.

Le Grand Palais a à plusieurs reprises accueilli des expositions qui ont fait controverse, notamment l’exposition Louis Vuitton “Volez, voguez, voyagez”. Cette “exposition” n’est en réalité qu’une location d’espace pour accueillir un évènement. Si la distinction est claire pour les professionnels du métier, elle l’est beaucoup moins pour le grand public et les médias qui dénoncent une telle action.“Correction”, ironise Le Canard Enchaîné, “Vuitton squatte le Grand Palais pour s’honorer lui-même”.

Sources

Le mécénat : réglementations

Le mécénat : pratiques

Le mécène

Le mécéné

Le mécénable

Une enquête réalisée par

  • Tiphaine Armand
  • Sybille Bernard
  • Anne Bourrassé
  • Baptiste Goursaud
  • Juliette Reinhart
  • Adeline Simon
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Cartographie des controverses
Sciences Po Paris
2016