Acteur : Emmanuel Parody
Secrétaire général du GESTE
Présentation de l’acteur & du contexte :
Emmanuel Parody, après un long parcours dans le monde des médias et notamment en ligne, est le sécrétaire général du GESTE, une organisation qui fédère les principaux professionnels éditeurs en ligne de tous horizons confondus (médias, vidéo, musique, jeux et petites annonces). Le GESTE compte parmi ses membres de nombreux éditeurs de presse en ligne comme Le Monde, Le Parisien, Le Figaro - CCM Benchmarck, Médiapart, 20 Minutes, et des acteurs comme Google France ou Médiamétrie.
Son rôle dans l’écosystème :
Les acteurs du GESTE désirent un même objectif : la mise en place d’un “écosystème pérenne et équitable” pour les activités d’internet. Le GESTE a travaillé sur de nombreux sujets qui sont directement liés à la controverse que nous étudions : ils ont une position sur les adblocks, sur la monétisation des contenus, sur les diverses aides à la presse et enfin à propos de la neutralité des réseaux et des plate-formes. Le GESTE se propose d’être la voix de éditeurs de presse qu’il représente, que ce soit au travers des propositions ou des actions, comme celle menée contre les bloqueurs de publicité en mars 2016.
La façon dont il se voit dans l’environnement :
Le GESTE est un organisme qui regroupe de nombreux acteurs du numériques différents. Ainsi, selon Emmanuel Parody les positions qu’il dégage ne sont pas définitives car l'écosysteme est en pleine effervescence. Eux même ont du mal à dessiner une ligne claire pour le futur pour essayer de compter.Emmanuel Parody souligne que le GESTE n’est pas un syndicat et correspond plus à une “auberge espagnole”. Autrement dit, l’organisation comprend beaucoup d’adhérents dont les intérêts ne sont pas tous commun. De ce fait le principal rôle du GESTE est de réfléchir sur les problématiques du web entre acteurs du numérique pour éventuellement trouver des solutions. Le GESTE se voit donc comme une organisation de rassemblement de partis qui peuvent avoir les mêmes intérêts face aux bouleversements qu’a induit le numérique sur leurs pratiques. Il fait le pont entre les éditeurs de presse, les producteurs de contenus, les régies, les plateformes etc. C’est donc une organisation qui discute avec tous les acteurs en présence.
Les problèmes qui se posent pour le GESTE :
Les adblocks représentent un véritable problème pour les membres du GESTE à tel point que l’organisation a décidé de lancer une action anti-adblockers de prévention en mars 2016. Emmanuel Parody reconnait que la publicité intrusive est un problème et que les lecteurs préfèrent l’éviter. Cependant, avec les adblockers se pose la question de ce que représente la publicité pour l’économie de la presse. Ainsi, avoir de la publicité sur un site de presse permet la gratuité du contenu. De plus les entreprises de blocage de publicité sont en elles-même problématiques. En effet, pour Emmanuel Parody, ce sont des sociétés privées uniquement intéressées par le profit, dénuées de dimension éthique. Or pire que la publicité selon lui, l’autre versant de la gratuité c’est le fait de donner ses données personnelles et ses droits sur les contenus que l’on publie sur Internet. En effet, si vous avez gratuitement accès à des contenus sans publcité, c’est que ce contenu est rémunéré grâce à vos données personnelles. Cette manière de financer l’information est, selon Emmanuel Parody encore plus intrusive et insideuse que la publicité, or c’est le mode de financement des plateformes comme Facebook.
L’illusion de la gratuité
Selon Emmanuel Parody il y a une certaine incompréhension du modèle économique de la presse chez les lecteurs et même chez les journalistes. Selon lui, c’est la combinaison de l’achat et de la publicité qui a toujours permis de faire fonctionner l’économie de la presse. “Donc il y a un phénomène d’incompréhension totale de tous les acteurs sur le fait que personne n’a jamais payé le coût réel de production de l’information, enfin l’utilisateur final n’a jamais payé le coût réel“. La gratuité de l’information est donc un mythe qu’il faut chasser. Que ce soit avec la publicité, ou aujourd’hui avec les données, l’utilisateur a toujours payé son contenu.
Le système de subvention de l’Etat
Les subventions de l’Etat qu’elles soient directes ou indirectes sont un problème pour le système économique de la presse car cela rend les titres dépendants commercialement. Selon lui, le seul vrai titre indépendant, à ce niveau là, c’est Prisma, donc Voici ou Capital. A l’inverse “Celui qui se rince le plus c’est l’Humanité [...]”Selon lui le système de subventions publiques “sert à soutenir la presse régionale essentiellement de manière honteuse alors qu’elle tient des petits monopoles dans les régions etc. C’est cela le problème. Vous voulez un canard indépendant des aides de l’Etat, c’est le groupe Prisma, Capital, Voici etc. Vous voulez un canard les gens achètent et qui est indépendant, c’est Voici. Ce n’est pas la réponse que vous vouliez entendre.”
Facebook et la fermeture du web
Selon Emmanuel Parody, les plateformes sont en train d’absorber toute l’audience pour la garder en espace fermé. De ce fait, les acteurs monopolistiques que sont Facebook ou Google ont pris tout l’espace au sein de cet écosystème : “A partir du moment où 60% de l’audience mobile y arrive par Facebook vous êtes obligés de discuter avec Facebook. Oui, Facebook est quand même en train de préparer son propre navigateur donc il ne va pas être emmerdé par les adblocks”. Ces plateformes “créent l’usage … Quelqu’un me disait c’est un modèle de crack, c’est un modèle de dealer de crack”. Il continue à citer l’exemple de Facebook : “Je vous fait goûter, et ensuite le prix commence à monter, c’est-à-dire que, qui dit que vous aurez 100% de la publicité dans deux ans, dans trois ans, dans cinq ans. Qui dit que vous aurez accès même à la data etc . L’histoire montre que vous aviez accès à plein de choses, deux ans après vous n’y avez plus accès.”. Facebook avec des applications comme Instant Articles par exemple est en train de “tuer l’écosystème du web” en imposant des conditions et des usages aux éditeurs de presse. Selon Emmanuel Parody personne d’autre que Facebook n’est capable de fournir une audience si connectée. Même si les deux tiers du lectorat est sur Facebook, Emmanuel Parody ne considère pas qu’aller sur Instant Articles soit une bonne solution. Par exemple Libération n’a eu aucun intérêt à y aller et Emmanuel Parody estime que cette opération leur rapporte environs 3000 euros par mois en revenus publicitaires.
Google AMP et le code
Dans l’idée de “fermeture du web” Google joue également un rôle important avec AMP : “Google est en train de faire ce que faisait Microsoft dans les années 80/90. Je mets des bouts de code que je contrôle. Ainsi Google essaie de mettre la main sur l’écriture de l’Internet et cela se comprend dans une guerre des plateformes avec Facebook notamment.” Même si Google semble être un moindre problème pour les éditeurs de presse par rapport à Facebook, Google n’a pas encore perdu la bataille, notamment celle du mobile. C’est par exemple Google qui est le premier à avoir mis en place une méthode intrusive de collecte de data.
La mesure d’audience
En ce qui concerne le fait de ne pas comptabiliser les audiences d’Instant Articles, ce sont des raisons internes à Médiamétrie qui ont poussé à cette décision. En écoutant les propos d’Emmanuel Parody cette institution a l’air de fonctionner selon ses propres règles : “Médiamétrie c’est une auberge espagnole. C’est-à-dire que les choses sont décidées par leurs clients et donc il ne faut pas se mettre sur le dos de Médiamétrie”. Leur mode de fonctionnement est particulièrement opaque pour les non inités. Allant jusqu’à parler de magouille, Emmanuel Parody souligne que s’il y a marchandage, c’est aussi la faute des éditeurs de presse qui contournent les règles préalablement établies.
Fragmentation de la marque média
Avec les pratiques de consommations sur Internet, avoir une marque média forte est devenu crucial : “[Avant], le problème c’est que, quand vous vendiez un produit, un journal, il y avait un début et une fin. Une marque c’est un objet: comment transposer ça sur Internet ? Cela a donné le site web. Mais maintenant avec la multiplication des supports et des formats, ce qui est en train de se passer ce n’est pas très clair [...].” Le défi c’est alors de “marqueter” son média indépendamment du support de publication qui sera au final difracté. Selon lui, le problème de beaucoup de médias français réside dans le fait qu’ils n’ont pas de stratégie de marque.
Des politiques qui ont laissé tomber le dossier
Les médias sont considérés comme économiquement nuls pour peser dans l’agenda politique. Google ayant mis en plus l’argent sur la table, la politique française a laissé tomber le combat et s’en est remis aux instances européennes.
Les solutions :
Changer de modèle économique
Quand on parle de modèle économique de la presse il faut, selon Emmanuel Parody, faire comprendre que le tout gratuit n’existe pas : “Ma position, c’est de dire qu’à un moment, il ne faut pas faire croire qu’il y a d’autres discussions. C’est-à-dire que c’est payant, si c’est gratuit ça sera toujours la publicité qui paiera”. Ainsi la solution du paywall intégral est une bonne idée. Emmanuel Parody est un fervent soutien de Médiapart. En effet, pour lui la logique de payer à l’article est très mauvaise car ce n’est pas comme cela que les gens raisonnent, alors que l’abonnement est un acte plus fort : c’est un acte d’adhésion éditorial à la marque sociale que votre titre véhicule. Le tout payant est donc un modèle économique cohérent pour rémunérer la production et la diffusion des contenus. En ce qui concerne les fondations et le mécénat, Emmanuel Parody n’y est opposé. Les fondations ce n’est pas l’indépendance selon lui : “c’est exactement l’inverse. La fondation c’est avant tout un organisme qui a fait un choix idéologique fort et aux États-Unis à part deux trois fondations qui financent les enquêtes, c’est l’inverse. C’est un média complètement verrouillé pour un choix idéologique, et c’est accessoirement du blanchiment d’argent.”
Changer les formats de publicité
A l’inverse si la stratégie du titre est de continuer à pourvoir du contenu gratuitement, il faut revoir la manière de faire de la publicité. Et cela commence par limiter les formats les plus intrusifs : “Ma position c’est d’appliquer les règles simples: de dire on n’empêche pas le lecteur de lire. La publicité avant, autour, après mais quand on lit on ne recouvre pas les articles.” De façon intéressante, Emmanuel Parody compare la situation presse aux paysans, expliquant que la presse a elle aussi “perdu le contrôle de la distribution, perdu le contrôle de la diffusion et du coup a perdu le contrôle de la fixation des prix. Même en publicité maintenant c’est un système boursier donc [la presse] n’a plus la capacité de fixer (ses) prix. [...] Vous voulez sortir de ce piège ? Il faut faire du bio. Et faire du bio ce n’est pas tout à coup produire du bio. C’est reconstruire la chaîne de distribution qui permet d’amener jusqu’à des magasins bio, il faut reconstruire toute la chaîne. Et certains disent: si vous allez sur Facebook, vous renoncez quelque part à reconstruire la chaîne de distribution et au contraire vous êtes en train de dire “moi je vais abandonner, je vais là où il y a de l’audience parce que j’ai abandonné toute idée de maîtriser moi-même comment j’acquière mon audience””. Or cette reconstruction de la chaine passe par des solutions localisées qu’il faut mettre en commun pour véritablement reprendre le contrôle sur la chaîne de valeur, d’où l’utilité du GESTE.