La presse, une industrie en crise

Derrière ce que certains appellent le quatrième pouvoir, se trouve une industrie en difficulté face à une transformation du marché de l’information. Une transformation dans la consommation puisque l’actualité est maintenant plus consommée en ligne qu’en version imprimée; une transformation de l’univers concurrentiel aussi, puisqu’en allant sur le web, la presse rencontre de nouveaux acteurs. Alors que les éditeurs de presse détenaient historiquement une place de premier choix chez les annonceurs, ils entrent à présent en concurrence sur le marché publicitaire avec des acteurs tels que Google ou Facebook. Ce point est important au sens où, en France, les recettes publicitaires constituent une source de revenus importante pour ces entreprises. L’idée que la presse traditionnelle est en crise face à l’arrivée d’un nouveau support de communication n’est pas nouvelle : tout au long du XXe siècle on a annoncé la mort de la presse avec l’arrivée successive de la radio ou de la télévision. Ce ne sont finalement pas ces innovations qui ont profondément fragilisé la presse, celle-ci s’étant peu à peu redéfinie. Pourtant la crise qu’elle connaît avec l’arrivée d’Internet n’est pas de même nature, il faudra alors voir en quoi cette nouvelle crise de la presse se distingue des précédentes.

Cette crise trouve son origine dans une perte de revenus structurelle et une remise en question des modes de production et de consommation d'informations avec des nouvelles technologies qui se sont diffusées dans l’écosystème de la presse. La question est alors de caractériser les relations entre les entreprises de presse françaises et ces entreprises américaines dont la technologie transforme le monde de la presse.

Aujourd’hui, cette crise économique et éthique prend corps de façon frappante à travers par exemple, des plans sociaux, tel celui traversé par Libération en 2015, et de façon plus dispersée avec des affrontements réguliers sur des mécanismes économiques  précis. On se demande quels seront les nouveaux supports de distribution de l’information. Chez les journalistes, on parle de schizophrénie : entre contraintes financières et désir de produire des contenus approfondis de qualité, ils ne peuvent que constater la transformation de leur métier.

La presse est aujourd’hui confrontée à un bouleversement tant économique que culturel dans la mesure où ce ne sont pas seulement ses modèles financiers qui sont remis en cause mais son identité et son rôle dans l’écosystème de l’information.

Les acteurs qui en parlent: Hervé Ribaud et Julia Cagé.

“Aux États-Unis, la publicité a représenté jusqu’à 80% des recettes de la presse d’information. En France, cela fait longtemps qu’on est plutôt autour de 40%. Dans un cas comme dans l’autre, quand vous perdez de 40 à 80% de vos recettes, vous êtes confrontés à une crise économique” — Julia Cagé, Economiste

Internet, l’illusion du gratuit ?

Historiquement, le financement de la presse a longtemps reposé sur trois sources : la publicité, les petites annonces et l’achat . Avec l’arrivée d’Internet, les petites annonces ont depuis longtemps quitté les pages de nos quotidiens pour se retrouver sur des sites spécialisés. La circulation papier ne cesse de baisser et les kiosques quittent peu à peu nos rues. La publicité quant à elle a trouvé sa place en ligne tout en perdant de sa valeur.

Si certains journaux comme 20 Minutes étaient déjà gratuits, financés uniquement par la publicité en version imprimée, on observe une généralisation de ce modèle économique sur Internet : aujourd’hui nous avons la possibilité de consommer gratuitement l’information en ligne. Du moins, nous en avons l'impression. La production d'information n'est cependant pas gratuite. Si la dématérialisation, induite par la distribution via  un site internet diminue fortement les coûts de production (papier, impression, distribution, etc.) qui constituent 50% des charges d’un quotidien, la gratuité que nous connaissons dans notre consommation de tous les jours semble être une illusion selon Emmanuel Parody pour qui la publicité a toujours payé l’information en soi, tandis que les abonnés ne payaient que les coûts de distributions. “On a foiré !”, s’exclamait Scott Cunningham, directeur général chez IAB Tech Lab en référence à l’utilisation de la publicité pour financer les médias sur Internet. Cette expression trouve écho chez les éditeurs de presse, qui se reprochent d’avoir voulu faire “ du digital pour le digital ” sans penser dès le début un modèle économique dédié, se reposant alors uniquement sur la publicité. Le problème qui se pose alors, c’est qu’avec Internet, la publicité a peu à peu perdu de sa valeur. En effet, sur Internet, l’espace publicitaire n’est pas limité comme sur un objet imprimé, celle-ci a donc mécaniquement été dévaluée. Contrairement aux entreprises de la Silicon Valley, qui ont fait de la connaissance technique de leur audience un avantage concurrentiel, les éditeurs de presse n’ont pas su innover à temps. Les acteurs tels que Google et Facebook sont venus s’intercaler sur ce marché et prennent eux aussi leur part du gâteau publicitaire, aggravant alors la situation. Avec un modèle qui repose sur le “tout gratuit”, l’audience est une donnée cruciale. La question qui se pose est alors : comment monétiser une audience qui tend à s’informer de manière gratuite via une multitude de  plateformes ?

Le constat est donc simple mais problématique : aujourd'hui on n'a jamais autant lu la presse - on parle même d’infobésité - et pourtant ses revenus publicitaires continuent encore de chuter. C'est ce que l'on appelle un “ effet ciseau ”. C’est-à-dire une situation économique où la croissance de la lecture en ligne ne permet pas de compenser la chute importante de la circulation du journal imprimé dans la mesure où, en termes de recettes publicitaires, un lecteur “papier” vaut actuellement quatre fois plus qu’un lecteur “numérique”. On observe de cette façon une chute de 8,7% des recettes de la presse à près de 2,7 milliards d’euros pour 2014.

Le financement par la publicité paraît compromis alors qu’il semble également risqué de revenir à l’abonnement du fait des nouvelles pratiques de consommation de l’information.

Les acteurs qui en parlent: Samuel Laurent, Julia Cagé, Michaël Vuillaume, Hervé Ribaud, Emmanuel Parody, et Raphaël Garrigos.

“Il était tentant de se dire que la publicité, comme sur le papier, payait les coûts de production du contenu.” — Emmanuel Parody, GESTE
“Sur Internet il y n’a plus de limite donc le prix est relativement faible. Malgré tout, il y des recettes publicitaires qui existent sur Internet, sauf qu’il est entièrement approprié par trois ou quatre acteurs: Google, Facebook, Twitter et de manière croissante Amazon. Donc de facto ça renforce encore plus la crise des médias” — Julia Cagé, Economiste
“Quand on a démultiplié [la publicité], on a rendu complètement illisibles les sites parce que des pop-ups, des machins, des trucs arrivaient dans tous les sens. C’est ça qui a fait que “we messed up”, c’est ça qui a fait foirer le fait qu’on n’a pas réussi à trouver le bon modèle économique.” — Hervé Ribaud, Havas Média
"Aujourd’hui Libération mais aussi Le Monde, tout ceux qui font du gratuit, sont soumis à une quête de l’audience. Une dictature de l’audience publicitaire, c’est-à-dire qu’il faut se renouveler très vite, être présent partout." — Raphaël Garrigos, Les Jours

Google : hiérarchiser l’information

A l’origine, Google est un moteur de recherche répertoriant et classant les sites internet sur une plateforme, selon un algorithme de référencement précis. Moins connu pour ses activités liées à la presse, l’entreprise américaine a cependant fait sa première incursion dans ce domaine dès 2002 avec la création de Google News , service non monétisé  qui apparaîtra en France en 2009 sous le nom de Google Actualités . Le modèle économique de Google repose surtout sur son moteur de recherche [ Search ] qui lui confère 97% de ses revenus. En effet, c’est sur ce service que l’entreprise vend des espaces publicitaires que l’on trouve sous la forme de quatre “liens sponsorisés” en tête de recherche, associés à des mots clés payant pour les annonceurs.

Il est alors important de noter que l’accès à l’information se fait d’abord par le Search  plutôt que par le service Google Actualités. L’agrégateur représente 93.5% des parts de marché des moteurs de recherche en France. Il constitue le premier point d’entrée à l’information en France puisqu’il est à l’origine de 40% de visites sur les sites de presse. Il est alors essentiel d’être “bien classé” par Google pour apparaître parmi les liens qui seront les plus cliqués et pourront donc donner lieu à une monétisation . Pour ce faire, les entreprises font appel à des référenceurs qui connaissent les critères de hiérarchisation de Google et optimisent grâce à la SEO les sites internet en conséquence. La poids de Google s’exprime ainsi de façon concrète par son algorithme,  Hummingbird, qui fixe les critères de qualité et va de ce fait hiérarchiser l’information selon son “autorité”. Parmi ces critères figurent notamment l’originalité du contenu, et le nombre de liens pointant vers un site internet - il s’agit du PageRank. L’algorithme est au centre de nombreux débats et combats depuis plusieurs années. On citera par exemple la problématique du Deep Link : les entreprises de presse reprochaient alors à Google de monétiser à leur désavantage un contenu qu’ils avaient produit. Ceci mena par exemple en Espagne à porter le problème au tribunal, suite à quoi Google ferma son service de News  dans le pays. On peut aussi parler ici des pratiques de Google Bombing auxquelles Google répondit en ajustant son algorithme. Ici, Google devient un infomédiaire:  il se positionne en autorité qui classe l’information, rôle qu’avait auparavant la presse dans le domaine de l’actualité. Google est donc devenu une véritable référence de l’information pour les utilisateurs, et cela, les éditeurs de presse ne peuvent pas l’ignorer. Ce d’autant qu’une étude récente pointe que les utilisateurs font désormais plus confiance à Google qu’aux médias traditionnels.  De plus, par une simple modification de l’algorithme, un site peut perdre 10% de son trafic en une journée.

Avec une telle portée pour l’écosystème de la presse, certains acteurs se sont posés une question : comment régule t-on un algorithme ? C’est ici qu’intervient la notion de “loyauté des plateformes” qui énonce le fait qu’on ne peut pas demander à un algorithme d’être neutre parce qu’il n’a pas vocation à l’être. Il doit en revanche être loyal, c’est-à-dire faire ce qu’il dit qu’il fait. Par exemple, il a été reproché à Google d’avantager ses propres services sur son moteur de recherche. C’est notamment sur ce point que s’est créé l’Open Internet Project (O.I.P.), se plaignant d’un abus de position dominante de la firme américaine. Le principal problème qu’a posé Google aux éditeurs de presse est donc la place que prend la plateforme dans la hiérarchisation de l’information et son importance quant à l’audience que Google permet d’engendrer.

Les acteurs qui en parlent: Raphaël Garrigos , Michaël Vuillaume , Dominique Cardon et Julia Cagé.

“On pourrait dire que les algorithmes sont devenus les nouveaux gatekeepers de l’espace public” — Dominique Cardon, Sociologue
“Aujourd’hui on écrit un site, on le fabrique, on fait ses domaines, ses sous-domaines, on fait ses titres, on fait ses balises, parce que l’on pense aux robots. [Google] a domestiqué toute l’écriture du web” — Dominique Cardon, Sociologue
“Écrire pour Google News, c’est écrire pour les internautes avant tout” — Michaël Vuillaume, Référenceur

Aider, soutenir ou arroser la presse ?

Qui dit modèle économique exsangue dit solutions pour subvenir au problème. Ainsi les acteurs ont réfléchi à mettre en place des solutions qui sont de l’ordre de l’aide à la presse.A près une forte mobilisation des éditeurs de presse en 2012 qui a conduit les pouvoirs publics à s’occuper de l’affaire, Google a dû réfléchir à une façon d’apaiser les tensions. Dans cette optique, l’entreprise a proposé de verser des aides à la presse, solution retenue par tous les partis. Cela s’est d’abord concrétisé en France avec le Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), puis elle s’est étendue à l’Europe avec le  Digital News Initiative (DNI). Cet accord de soutien financier s’est inscrit dans un contexte de tensions entre les éditeurs de presse et l’entreprise de Mountain View à propos de la répartition de valeur générée par l’utilisation des contenus de presse. Ce compromis cependant n’a pas fait l’unanimité au sein des acteurs autant dans les buts que dans la forme.

La question des subventions, qu’elles soient sous forme privée avec le mécénat ou publique via l’Etat, fait réellement débat au sein de l’univers de la presse. Les diverses subventions allouées par l’Etat ne semblent pas suffisantes pour faire réellement repartir cette industrie en crise, mais surtout elles ne sont pas viables sur le long terme. Pour autant les acteurs ne sont pas d’accord sur la solution à adopter face à cette situation où  les aides ne suffisent plus. Par exemple des acteurs contestataires comme Julia Cagé proposent des solutions visant à limiter le recours à la concentration ou à la dépendance des médias aux plateformes. Résolument opposée à la solution de Google et du DNI, elle propose dans Sauver les Médias de passer par le financement participatif ou d’adopter une organisation sous forme de société de médias à but non lucratif pour trouver une solution pereine.

Ce partage entre solutions privées et publiques se retrouve dans la structure des mobilisations politiques. En effet, lors de notre enquête nous avons observé une absence quasi totale d’action politique concrète. Mis à part quelques rapports de parlementaires, du CNNum et de l’ARCEP, les pouvoirs publics en France semblent avoir délaissé le débat. On constate alors que la gestion de ces enjeux s’avère avoir été déléguée au niveau européen. A ce titre, la mobilisation la plus notable est celle de l’Open Internet Project qui a structuré le mouvement des acteurs du numérique européens. Leur travail a été de mener un combat juridique contre Google à l’échelle européenne sur un potentiel abus de sa position de monopole. Pour autant cette initiative européenne semble souffrir d’un défaut majeur : sa lenteur. L’un des enseignements de cette mobilisation est que la temporalité entre le politique et l’innovation est complètement distendue. La plainte contre Google a été déposée en 2010, nous sommes en 2016, l’enquête n’est pas finie et à part une notification de grief adressée à Google par la Commission Européenne en 2015, aucune conclusion n’a été tirée à ce jour en ce qui concerne les accusations d’abus de position dominante et de concurrence déloyale.

Le résultat de cette lenteur politique face à une crise urgente, est que la majorité des solutions que proposent les acteurs sont locales et atomisées. Pour certains, comme Julia Cagé, l’entreprise Google a réussi à faire taire la mobilisation générale avec son Fonds pour l’innovation. Ce que l’on constate, ce sont donc des initiatives qui veulent à leur échelle changer le fonctionnement de la chaine de valeur. On peut mettre en parallèle deux initiatives différentes venant des médias. D’une part nous avons l’exemple de Les Jours, un tout nouveau pure-player qui fonctionne par l’abonnement, donc le payant, dont la stratégie repose sur des contenus de qualités (enquêtes fouillées sur le long terme) et une marque média forte. C’est de fait l’ambition de reconstruire la chaîne de valeur en prenant à contre courant le modèle de gratuité. En proposant des articles payants, ils contrôlent les coûts de production mais aussi la distribution qui se fait directement sur leur site. D’un autre côté, on observe un phénomène de concentration du marché français des médias avec des acteurs comme Patrick Drahi ou le trio Pierre Bergé, Xavier Niel et Mathieu Pigasse.  Leur idée est de regrouper médias et acteurs du numérique pour atteindre la taille critique au niveau des audiences et ainsi faire vivre des titres qui ne sont pas rentables seuls. En se regroupant, la stratégie des investisseurs consiste à rester dans le même schéma économique tout en se structurant de manière à pouvoir peser face aux autres acteurs.  On voit à travers cet exemple que les entreprises de presse ont certes des intérêts communs à défendre, mais qu’elles n’en restent pas moins concurrentes, en témoigne leur caractère atomisé. Par conséquent, elles ne forment pas de front commun et peinent à se réinventer seules dans un contexte critique de crise structurelle.

Les acteurs qui en parlent: Raphaël Garrigos, Dominique Cardon, Samuel Laurent, Julia Cagé, Emmanuel Parody et Philippe Colombet.

“[Google] nous jette deux trois cacahuètes, on se rue dessus, on les coupe en deux”— Emmanuel Parody, GESTE
“Google a acheté le silence et la satisfaction des médias français qui ont arrêté de le critiquer” — Julia Cagé, Économiste
“Les solutions dans la presse ne viendront pas de la législation, de nouveaux impôts ou quoi que ce soit d’autre, mais de la presse elle même, et de sa capacité à se prendre en main pour innover” — Philippe Colombet, Google France

Facebook, le réseau social de l’information

Comme nous avons pu le voir, Google a réussi à normaliser ses relations avec les éditeurs de presse grâce aux deux fonds qu’il a mis en place pour la France et l’Europe. Cependant, l’industrie de la presse semble aujourd’hui pointer du doigt un nouvel acteur qui tend à prendre de plus en plus de place sur le fil de l’info: Facebook. Les faits restent les mêmes : Google contrôle toujours 95% de parts de marché sur le moteur de recherche et sa technologie continue de classer les contenus et l’information. Alors pourquoi Facebook ? Qu’est-il reproché à la plateforme vis-à-vis de la presse ?

Tout comme Google, Facebook est en position de monopole, et l’entreprise revendique des chiffres impressionnants, tant au niveau de sa santé fiancière que de son utilisation. Le réseau social est incontournable, on compte aujourd’hui plus d’un milliard et demi de personnes inscrites sur Facebook dont 30 millions en France. Ce qu’a réussi à faire Facebook, c’est conjuguer l’audience et la technologie. L’un des principaux problèmes que pose Facebook selon les éditeurs est qu’il court-circuite le chemin de distribution de l’information. En plus de proposer du contenu social, les articles de presses ont une place de plus en plus importante dans le fonctionnement et les habitudes du réseau, notamment parce que l’on observe une désertification du fil d’actualité. A l’instar d’un kiosque, c’est sur Facebook que les internautes ont tendance à trouver les articles qu’ils vont lire pour s’informer. L’entreprise cherche alors à faire rester ses utilisateurs sur la plateforme le plus longtemps possible. En effet, comme une grande majorité de la presse, le modèle économique de Facebook repose sur la publicité, donc l’audience que réussit à capter la plateforme est capitale pour son bon fonctionnement économique. Facebook réussit bien l’exercice car l’entreprise dispose non seulement de l’audience, mais aussi d’une technologie permettant de la cibler grâce à de la donnée. Chose attrayante pour les éditeurs de presse car c’est sur cette plateforme que se retrouvent des cibles particulières qu’ils n’arrivent pas forcément à atteindre, comme les plus jeunes lecteurs.

Si Google juge de l’autorité d’une page, l’algorithme de Facebook fonctionne de façon affinitaire. En effet, la sélection de l’information présentée aux utilisateurs sur leur News Feed s’effectue selon les rapports sociaux. On reproche d’ailleurs souvent à Facebook de créer une Filter Bubble, c’est-à-dire d’enfermer l’utilisateur dans un écosystème qui lui est propre ; effet qui est relativisé par certains acteurs comme Dominique Cardon. Ceci a des conséquences sur les stratégies des éditeurs de presse. En effet, si Facebook constitue un point d’entrée essentiel vers les sites de presse, ceci ne peut pas se faire sans prendre en compte les règles internes de la plateforme. Ici, le critère n’est plus l’autorité mais l’affinité. Une notion centrale est celle de sharability [capacité à être partagé] et de viralité. Pour qu’un article apporte du trafic à un site de presse, il faut qu’il soit partagé : le Graal pour la presse est d’atteindre une audience cohérente avec la stratégie du média. La contrepartie c’est alors qu’il faut mettre son contenu sur la plateforme, et prendre le risque de perdre le contrôle de l’éditorialisation des contenus au sens de la hiérarchisation de ceux-ci, tout en détournant les lecteurs du site internet d’origine. Le problème qui est alors soulevé par les acteurs c’est à la fois le rôle que joue Facebook dans la distribution de l’information et dans sa curation. En effet, rien ne garantit que Facebook traite de manière “loyale” les contenus d’information qui sont sur la plateforme. Si l’entreprise assure faire fonctionner son algorithme selon les affinités des utilisateurs, certains acteurs remettent en question cette affirmation. C’est donc le News Feed qui est le nerf de la guerre : or ce dernier fonctionne grâce à un algorithme opaque sur les variables qui sont retenues. Ainsi on comprend en quoi, en distribuant leurs articles sur Facebook les éditeurs de presse perdent la main sur l’éditorialisation des contenus (dans le sens de hiérarchisation de l’information).

Enfin, comme c’était le cas avec Google, les éditeurs de presse sont désavantagés dans le rapport de force avec Facebook, à qui on reproche d’imposer les conditions de présence sur la plateforme. On sent alors une inquiétude de certains éditeurs de presse qui ne peuvent pas faire sans Facebook et qui de fait, sont dans une position de dépendance. Certains acteurs ont évoqué la métaphore “du dealer de crack” : plus l’éditeur publie son contenu sur la plateforme, plus il s’engage auprès de la plateforme et se plie à ses règles qui peuvent changer à tout moment, prenant ainsi le risque de détourner le lecteur de son propre site. Tout miser sur l’audience virale de Facebook peut être vu comme un acte de soumission, voire une erreur stratégique majeure. Toute la question est alors de savoir si oui ou non, la plateforme de Facebook est une solution viable à la crise que connaissent les médias.

Les acteurs qui en parlent: Johan Hufnagel, Raphaël Garrigos, Dominique Cardon, Jean-François Pillou, Emmanuel Parody et Edouard Braud.

“Quelqu’un me disait que [Facebook], c’est un modèle de dealer de crack, c’est-à-dire que je vous fait goûter et ensuite le prix commence à monter. [...] L’histoire montre que vous aviez accès à plein de choses, deux ans après vous n’y avez plus accès” — Emmanuel Parody, GESTE
“La viralité est très mauvaise, le coût d’acquisition est très mauvais, ce ne sont pas des choses très efficaces.” — Emmanuel Parody, GESTE
“Il y a quelques années, [...] on accusait Google d'être dans une position dominante vis-à-vis notamment des éditeurs et qu'ils captaient tout le contenu. Ce qui est rigolo c'est qu’aujourd'hui, il y a des gens qui disent que c’est Facebook qui a une position dominante. Alors bon on s'aperçoit que les concurrents commencent à arriver puis il y en a des nouveaux toujours de nouveaux.” — Johan Hufnagel, Libération
“Je comprends que [certains éditeurs de presse] aient peur, sauf qu’on ne leur donne que des gages de partenariat et d'amitié” — Edouard Braud, Facebook

Eric Scherer

Directeur de la Prospective et de la Stratégie numérique du groupe France Télévisions. Auteur de publications sur le journalisme 2.0 ou le nouveau rôle de Facebook comme “kiosque mondial”.

Mark Zuckerberg

Fondateur et président-directeur général de Facebook. Il souhaite aider les journalistes et soutenir la presse par le biais d’innovations comme Instant Articles ou Signal.

Et l’information devint mobile

Aujourd’hui, de plus en plus de lecteurs se tournent vers le mobile pour lire les informations, notamment chez les plus jeunes générations. De ce fait, sur mobile, les réseaux sociaux ont développé des technologies de diffusion de l’information qui correspondent à leur format : c’est le cas de Snapchat avec Discover, de Twitter avec Moments et Périscope, de Google avec AMP et de Facebook avec Instant Articles (IA). Ces applications ont pour conséquence directe de multiplier les  formats de production de l’actualité.

Ainsi, les sources d’accès à l’information sont démultipliées : que ce soit sur l’ordinateur, les mobiles ou les tablettes, on ne lit plus un journal du début à la fin mais on s’informe via un patchwork d’articles que l’on sélectionne selon les supports. Cette démultiplication des points d’entrée de lecture a pour effet de  rendre moins cohérente la marque média.

Cela pousse également les éditeurs de presse à constamment s’adapter à ces formats. Se pose alors la question de savoir si le journaliste doit écrire sur le mobile, s’il doit adapter l’écriture pour essayer d’attirer cette nouvelle audience, souvent jeune qui ne lit pas forcément la presse traditionnelle. De plus, ce qui est caractéristique de la lecture sur le mobile c’est qu’elle se fait avec des applications dont l’usage est majoritairement cloisonné par cinq grandes applications qui captent l’audience. Autrement dit le lecteur est sur son application et il reste dans cet écosystème. Cette tendance est accentuée par la manière dont les plateformes développent leur technologies de lecture. Instant Articles, proposé par Facebook est l’exemple le plus frappant de cette pratique. En effet, IA est un produit qui permet la lecture d’un article de presse directement sur la plateforme de Facebook avec comme promesse un temps de chargement réduit. La menace pour la presse est alors que les utilisateurs ne sortent plus de la plateforme et à long terme ne se dirigent plus d’eux-même vers les sites des médias. A la fois les éditeurs de presse ont donc intérêt à aller sur ces plateformes pour attirer de l’audience, en même temps elles perdent encore plus le contrôle de leur distribution et la maîtrise de leur lectorat.

Plus précisement cela caractérise une perte de pouvoir dans le rapport de force du côté des éditeurs de presse. En effet, face à de telles transformations des usages, la capacité à innover est cruciale pour conserver sa place dans l’écosystème. Face à un manque d’initiative de leur part, les entreprises de presse doivent composer avec des innovations imposées par les géants de la tech. Quand Le Monde se pose encore la question d’aller sur Snapchat, le New York Times propose des contenus en réalité virtuelle. Les éditeurs de presse n’ont pas su s’adapter assez rapidement à la donnée sociale et mobile de l’information, créant ainsi une dépendance aux plateformes qui, elles, ont su se positionner rapidement sur ces usages. Ces dernières ont la capacité d’innover à chaque nouvel usage de l’information creusant encore l’écart avec les éditeurs de presse, et s’affirmant toujours plus dans cet écosystème : hier pour le social et le mobile, aujourd’hui pour le live et la vidéo.

Si Facebook avec IA ou Google avec AMP offrent leur technologie aux éditeurs de presse, ceux-ci redoutent de perdre plus encore la maîtrise de leur diffusion et de la connaissance de leurs lecteurs. Ce qui les inquiète, ce sont alors les conditions que Facebook ou Google peuvent imposer dans un tel rapport de force. Aujourd’hui sur Instant Articles, les éditeurs de presse touchent 100% des revenus publicitaires s’ils gèrent eux même la publicité et 70% dans le cas où la publicité passe par la régie publicitaire mise en avant  et détenue par Facebook [Audience Network]. Rien ne garantit que ce soit le cas dans quelques années dans la mesure où Facebook possède industriellement cette technologie. Au final, ces applications mobiles “cannibalisent” un peu plus la distribution de l’information. Cependant il est encore plus difficile pour les éditeurs de presse de se passer de ces supports sur lesquels s’informe une part croissante et déjà importante de leur audience.

        

Ce que l’on discerne, c’est que cette situation de dépendance des éditeurs aux plateformes est l’aboutissement de deux vagues successives. D’une part, dès 2008, les réseaux sociaux et plus particulièrement Facebook, ont laissé de plus en plus de place aux articles partagés par les utilisateurs et ont été jusqu’à adapter leur structure et leurs produits pour publier et consommer directement l’information. Ce mouvement se retrouve amplifié par la place croissante que prend le mobile comme support de l’information. Facebook a su prendre le tournant du mobile contrairement aux éditeurs de presse, gardant ainsi son avantage concurrentiel sur les segments de l’information, accentuant la dépendance des acteurs historiques. Résultat: on constate une accélération dans la controverse dans la mesure où les concurrents directs de Facebook ont investi dans le champs du mobile, laissant une fois de plus les éditeurs sur le bord de la route.

Les acteurs qui en parlent: Raphaël Garrigos, Michaël Vuillaume, Johan Hufnagel, Julia Cagé, Edouard Braud, Jean-François Pillou et Emmanuel Parody.

“La question pour les médias c’est qu’est ce qu’on fait pour raconter des choses nouvelles, pour anticiper le lendemain” — Hervé Ribaud, Hava Média
“Soi-disant, le but d’Instant Articles est d’améliorer la vitesse de chargement des pages. Dans les faits, si un site mobile est bien fait, cela charge très rapidement et il n’y a pas de différence. Le but effectivement [de Facebook] est de garder les utilisateurs sur (sa) plateforme” — Jean-François Pillou, Groupe Figaro
“Nous, notre objectif, c’est de permettre aux éditeurs de mieux distribuer leur contenu” — Edouard Braud, Facebook
“Instant Articles change tout. Tant que vous cliquiez sur le lien et que vous arriviez sur le site, il y avait encore moyen de capturer le lecteur. Sur Instant Articles, vous n’allez plus sur le site, vous restez sur Facebook donc vous perdez toute possibilité de capturer le lecteur.” — Julia Cagé, Économiste

Désintermédiation : quand la presse perd le contrôle

Le bouleversement concomitant dans la consommation et la production de l’information en ligne met en lumière ce qu’on appelle la “désintermédiation de la presse” par des acteurs comme Google et Facebook ou encore plus récemment Snapchat, Twitter et Instagram. Ces derniers sont aujourd’hui des canaux de distribution incontournables en ligne, notamment Facebook, qui a su prendre rapidement le tournant du mobile, support essentiel de l’information. Cette perte d’intermédiaires au profit des plateformes et des réseaux sociaux a des conséquences économiques sur les revenus, et sur la marque média.

Premièrement, ce phénomène de transfert de la diffusion impacte les revenus des éditeurs à plusieurs niveaux : l’audience est déviée sur ces plateformes, de fait le contenu, tout comme l’audience se retrouvent atomisés. La circulation papier ne cesse de chuter et l’audience en ligne ne suffit pas à rémunérer la production de contenu. En effet, seulement 10% de la population française paye pour l’information en ligne, et si des quotidiens comme Le Monde et Les Echos vendent environ 300 000 édition papier par jour, ils vendent respectivement 47 000 et 21 000 éditions numériques.

Ensuite, la désintermédiation de la presse par les réseaux sociaux a des conséquences sur la marque média. Par marque média, on entend ce qui va permettre à un lecteur de caractériser un média, le reconnaître parmi d’autres grâce au style, aux valeurs et au contenu, pour s’affirmer comme une marque définie. Ces plateformes étant les nouveaux supports de l’information en ligne, le contenu des éditeurs se retrouve atomisé. Chaque article est distillé parmi d’autres sur des fils d’actualité, il doit exister pour lui même et ne plus simplement s’inscrire dans une mise en page faite pour une Une de site internet. De plus avec les nouveaux formats destinés à faciliter la lecture mobile comme AMP de Google ou Instant Articles de Facebook, ces articles de presse tendent à s’uniformiser, car l’écriture mobile nécessite de suivre une certaine norme pour s’insérer dans un format précis. De cette façon, il devient plus difficile de différencier le contenu d’un média d’un autre, et l’unicité du titre disparaît. Outre ce pouvoir de distribution, les réseaux sociaux ont un pouvoir de curation sur ces contenus. Ceci a également un effet sur la marque d’un éditeur de presse dans la mesure où le journaliste perd le pouvoir de mettre en avant tel ou tel contenu. En effet, ce ne sont plus les journalistes mais les algorithmes de ces plateformes qui décident quel article sera mis en avant auprès de l’utilisateur : elles ont désormais une responsabilité dans la distribution de l’information.

Cette atomisation de l’information pose une double problématique : comment écrire un article considéré comme nécessaire d’un point de vue éthique, mais qui coûte plus cher à produire et sera potentiellement moins lu donc moins lucratif ? Surtout quand l’utilisateur n’a accès sur la plateforme qu’à des articles censés correspondre à ses attentes et préférences. Comment maintenir un équilibre entre des contenus moins populaires mais nécessaires au droit à l’information et des articles viraux et très lucratifs ? Cette atomisation, outre l’aspect économique, contribue à renforcer la “schizophrénie” que connaissent actuellement les journalistes qui ne veulent pas sacrifier la qualité de leur contenu pour chercher à tout prix l’audience et la viralité, dans le cas d’une dépendance à la publicité.

Si l’on parle souvent de “désintermédiation” du circuit de l’information en ligne, on pourrait aussi parler de “réintermédiation” dans la mesure où l’on observe l’arrivée de nouveaux intermédiaires entre la production, les éditeurs de presse, et la consommation, les utilisateurs. De par leur puissance en terme de trafic sur Facebook et Google, les éditeurs de presse perdent la maîtrise sur la chaîne de distribution. Leur site internet n’est plus le support privilégié de l’information et cette situation pose un problème de dépendance. En effet, étant donné son fonctionnement algorithmique, une plateforme comme Facebook pourrait remettre en cause le modèle d’un média du jour en lendemain, dans la mesure où, une fois l’usage né, elle pourrait changer les termes des partenariats comme Google a pu le faire dans le passé avec son fonds de soutien à la presse. L’autre point est celui de la transparence : si on ne demande pas aux éditeurs traditionnels de justifier leurs choix éditoriaux, cette question se pose pour les géants de la tech tant leur pouvoir de distribution est grand. En effet, l’articulation des articles, la mise en avant de certains contenus n’a pas les mêmes conséquences quand on s’adresse à 20 000 lecteurs ou un milliard d’utilisateurs. Ainsi, l'algorithme du fil d’actualité de Facebook ne fonctionne pas en terme chronologique mais selon les préférences de l’utilisateur. Google et Facebook ne sont donc pas simplement des nouveaux support de distribution de l’information mais jouent un rôle dans l’articulation des contenus. Par cette curation, on peut donc considérer que ces plateformes réalisent des choix éditoriaux.

Les acteurs qui en parlent: Johan Hufnagel, Dominique Cardon, Samuel Laurent, Julia Cagé et Edouard Braud.

“Quand je poste mon article sur Facebook, je suis en compétition avec votre soeur et votre beau-frère” — Samuel Laurent, Le Monde
“Dans la maison Facebook, on est en train de donner des appartements aux éditeurs et la capacité de faire ce qu’ils veulent faire dedans” — Edouard Braud, Facebook
“C’est sûr que les médias qui choisissent de pas avoir de mur payant, de se mettre sur Instant Articles, perdent même leur existence en tant que média” — Julia Cagé, Économiste
“Aujourd’hui Google, représente beaucoup plus de sources de trafic que Facebook. [...] L'idéal étant d’avoir une multiplicité d’acteurs qui amène du trafic, comme ça, cela permet de limiter les risques que l’un ou l'autre des acteurs aille faire des choses qui ne soient pas dans notre intérêt” — Jean-François Pillou, Groupe Figaro

(Re)monétiser l’information

Face à la désintermédiation du fil de l’information, la fragmentation de l’audience des médias et l’atomisation de leur contenu, les éditeurs de presse doivent refondre leur modèle économique s’ils veulent survivre à la crise qu’ils connaissent. On voit ainsi se dessiner en France plusieurs tentatives afin de re-monétiser l’information en ligne et renouer avec l’équilibre financier. Cela est d’autant plus important que le pouvoir de négociation face aux plateformes dépend aussi de la santé économique des groupes de presse.

Au lieu de s’adapter à la chaîne de valeur existante, le modèle du payant propose de renouer avec l’idée qu’il faut payer pour un contenu de qualité. C’est le cas du nouveau média Les Jours dont nous avons parlé précédemment. A la tête de ce pure-player, on trouve Raphaël Garrigos et Isabelle Robert, ainsi que six anciens collaborateurs de Libération, quotidien historique qu’ils ont quitté dans un contexte de plan social et de rachat par Patrick Drahi. Cependant, tous les médias ne peuvent adopter ce modèle parce que pour miser sur la qualité du contenu, il faut  pouvoir compter sur un lectorat qui va accepter de payer.

Rester dans l’écosysteme tel qu’il est, c’est soit miser sur le gratuit, soit sur le freemium. C’est justement le cas du quotidien Libération, qui a décidé d'accélérer sa numérisation sur le modèle du tout gratuit où l’ensemble des contenus sont financés par la publicité. Johan Hufnagel a d’ailleurs été nommé directeur délégué de Libération aux côtés de Laurent Joffrin en Juin 2014 pour mettre Internet au coeur du  journal. Ainsi, Libération a décidé de tester les nouveaux formats de distribution qui lui étaient offerts comme Instant Articles. Décision stratégique qui lui valu, comme nous l’avons vu, beaucoup de critiques de la part de la profession.

Enfin, une autre solution trouvée par certains éditeurs de presse est de renforcer leur modèle du freemium, basé tant sur l’abonnement que sur la publicité, pour concurrencer les plateformes. On peut prendre ici l’exemple du rapprochement stratégique entre le Groupe Figaro et CCM Benchmark. Par ce rachat en Octobre 2015, le Groupe Figaro a frappé un grand coup dans le numérique. En effet, le quotidien bénéficie désormais de la technologie de CCM qui permet de connaître l’audience de ses sites, et peut alors se targuer d’être le quatrième acteur après Facebook en terme d’audience en ligne.  Le nouvel ensemble atteignant les 24 millions de visiteurs uniques hors mobile, juste derrière les 26 millions du réseau social. On retrouve ici un chapitre dans la lutte des éditeurs de presse : retrouver la maîtrise de son audience. Or pour la maîtriser il faut d’abord la comptabiliser, et cela représente un véritable point de tension par rapport aux méthodes utilisées.

En France, c’est Médiamétrie qui est en charge de la comptabilisation de l’audience. Avec la fragmentation du lectorat, cette instance se retrouve au coeur de débats houleux. En effet, comment comptabiliser et monétiser une audience quand celle-ci est distribuée sur des supports qui ne sont pas des médias ? Par exemple, Médiamétrie a récemment refusé de prendre en compte les audiences d’Instant Articles, ce qui pose de nombreux problèmes aux éditeurs de presse ayant fait le choix d’aller sur ces nouveaux formats.

        

Les acteurs qui en parlent: Raphaël Garrigos, Dominique Cardon, Samuel Laurent, Julia Cagé, Johan Hufnagel, Edouard Braud et Jean-François Pillou.

“Les médias d’information produisent un bien public qui n’est pas un bien comme les autres. Il doit viser à la maximisation de la qualité de l’info et pas la maximisation des profits. On voit donc la tension” — Julia Cagé, Economiste
“Ce qui me pose problème avec Médiamétrie, ce sont les acteurs qui empêchent d’autres acteurs qui sont plus en souffrance. Par exemple, Libération se fait lyncher parce qu’ils sont 100% Instant Articles, alors que ça leur permet de se développer” — Edouard Braud, Facebook
“[Instant Articles] c’est bien ça charge rapidement mais on n’a plus la maîtrise du support. [...] On ne va pas compter dans Médiamétrie des choses qu’on ne contrôle pas” — Jean-François Pillou, Groupe Figaro
“Je pense qu’on pourrait refuser Médiamétrie” — Johan Hufnagel, Libération

Adblocks, l'ennemi commun ?

L’écosystème de l’information se retrouve aujourd’hui face à un potentiel ennemi commun : les adblockers. Les bloqueurs de publicité ont mis à mal l’équilibre déjà fragile des sites d’information en “filtrant” la publicité pour les utilisateurs. La publicité n’étant pas affichée pour le lecteur, elle n’est pas comptabilisée comme étant vue, et n’est donc pas facturée aux annonceurs qui achètent les espaces en fonctions du nombre de vues et/ou de clics. Ceci prive de ce fait les éditeurs de presse d’une partie de leurs revenus publicitaires.  Ce phénomène représente un nouveau défi pour les éditeurs et acteurs du numérique dont Google : plus d’un français sur trois est équipé d’un adblocker, et ce chiffre monte à un utilisateur sur deux quand on parle des 16-24 ans.

Après Google et Facebook, les éditeurs de presse ont désigné un nouvel intermédiaire comme ennemi de leur profession. Si on a parfois le sentiment que les acteurs de la presse ne se mobilisent pas, la campagne lancée par le GESTE en mars 2016 est un exemple clair de l’action des éditeurs contre les bloqueurs de publicité. Pendant une semaine, une quarantaine de sites éditeurs, rassemblés au sein de leur organisation professionnelle, ont fermé la porte de leur site aux utilisateurs d’adblocks, de manière plus ou moins forte, et avec plus ou moins de pédagogie, invitant les utilisateurs à désactiver leur logiciel sur leur site pour accéder à l’information. A l’issue de cette semaine, la contre-attaque du GESTE aurait fait baisser l’audience adblockée de 11% à 20% selon les catégories de site.

Face à ce nouveau péage dans la monétisation de l’information, certains acteurs proposent de nouveaux formats de publicité qui échapperaient à ces bloqueurs : le native advertising ou publicité native. Reprenant les codes des médias, cette publicité sous forme d’article rédigée en collaboration avec la rédaction, cherche à s’inscrire dans le flux de l’information et donc à être plus facilement intégrée par les lecteurs. Cependant, ces contenus sponsorisés posent de nombreux problèmes éthiques à certains journalistes et commentateurs qui y voient une trahison de la part des médias, parlant de publicité “cachée”. Cette solution est donc elle-même controversée :  est-ce réellement rentable ? Est-ce que ceci ne va pas contribuer à dégrader la confiance attribuée à la marque média ? Face à ce nouveau défi, on observe pour la première fois une mobilisation concertée et d’ampleur des éditeurs de presse. Ceci témoigne de leur capacité à discuter et mener une action  d’un même front. Pourtant, cette mobilisation semble bien fragile sur le long terme car la solution qui en résulte, la publicité native fait débat en elle-même. En outre, on peut expliquer cette faiblesse par le fait que in fine l’adblocker n’est qu’un symptôme de la crise plutôt que sa racine.

Les acteurs qui en parlent: Johan Hufnagel, Jean-François Pillou, Samuel Laurent, Hervé Ribaud, Julia Cagé et Philippe Colombet.

“Les adblockers ont vraiment enfoncé le dernier coup de poignard” — Julia Cagé, Economiste
“[Face aux ablocks], on est dans le même bain avec les éditeurs” — Philippe Colombet, Google

Les frères ennemis de l'info

L’une des conclusions de notre enquête est qu’aucune solution viable mais surtout globale n’a encore été trouvée face à cette crise structurelle.  On peut donc légitimement s’interroger sur l’identité du prochain acteur qui viendra se placer entre l’utilisateur et le producteur de l’information, et défiera une fois de plus le modèle économique de la presse. En effet, si aujourd’hui les éditeurs de presse se ruent sur Snapchat pour toucher une population plus jeune, que se passera t-il quand le réseau social, qui compte 10 milliards de vidéos vues par jour, décidera de changer ses conditions d’utilisation notamment à destination des éditeurs ? Dans les fait c’est déjà le cas des éditeurs américains qui avaient vu dans Snapchat Discover une nouvelle opportunité pour développer leur croissance dans la mesure où leur audience s’y trouve déjà, mais ils ont du une nouvelle fois adapter leur contenu à la plateforme qu’ils ne possèdent et ne contrôlent pas.

Google, Facebook, Apple, Twitter, Snapchat et bien d’autres plateformes et  réseaux sociaux sont aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, des acteurs centraux dans l'écosystème de la presse. Si aujourd’hui ces acteurs, que ce soit à travers des soutiens financiers, des formats adaptés à la consommation mobile, des outils et formations à destination des journalistes, se présentent comme des partenaires des éditeurs de presse, il faut cependant relativiser cette relation : Google et Facebook ne sont pas uniquement des partenaires, mais sont désormais des concurrents directs dans l’écosystème de l’information. En effet, si elles ne produisent toujours pas de contenu, les plateformes sont désormais les nouveaux distributeurs de l’information en ligne. De par leur puissance et leur maîtrise des canaux de distribution, elles peuvent modifier les termes d’un partenariat commercial et déséquilibrer tout un écosystème. Elles peuvent transformer les éditeurs de presse en simple producteurs de contenu, dépossédés de leurs prérogatives historiques et de leur identité.

La presse, Google et Facebook sont donc les frères ennemis de l’information tant ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Google et Facebook ont encore besoin des éditeurs pour proposer du contenu pertinent à leurs utilisateurs alors que les éditeurs de presse n’ont jamais autant été aussi dépendant de ces plateformes pour être lus. Le partage de la valeur a rarement été aussi inégal, et le rapport de force n’a jamais été aussi déséquilibré.










Les frères ennemis de l'info :
Google, Facebook et la presse

Les modèles économiques de la presse française face à la numérisation


Une étude de controverse menée par
Anne-Lou Cabarat, Marine Doux, Ariane Seibert, Tsukasa Tanimoto, Sophie Tsotridis & Coline Virly



x

Dire que les entreprises de presse sont en crise n’est pas chose nouvelle.

À chaque diffusion d’une nouvelle technologie d’information correspond une remise en question des usages et de la consommation de l’actualité. Ce fut le cas avec la radio, la télévision, ou le minitel qui étaient censés à leur époque signer la mort de la presse traditionnelle. La démocratisation d’Internet a remis au goût du jour cette interrogation avec des traits qui lui sont spécifiques. Internet incarne le tout gratuit et le contenu en accès libre, et la tendance initiale des médias a été, pour la plupart d’entre-eux, d’aller progressivement diffuser leur contenu sur Internet et d’adopter un modèle reposant sur le financement par la publicité. Or ce modèle semble entrer en contradiction avec lui même : avec une chute constante de ses revenus publicitaires l’industrie est poussée dans ses retranchements. A l’ère où le tout gratuit s’est ancré dans l’esprit du lecteur, jamais la question de savoir comment monétiser l’information ne s’est posée avec autant de force.

Acteur : Julia Cagé

Économiste spécialiste des médias, professeur d’économie à SciencesPo

Présentation de l’acteur & du contexte :

Julia Cagé est une économiste spécialiste des médias et professeur d’économie à Sciences Po. Elle a publié en février 2015 son livre Sauver les médias: Capitalisme, financement participatif et démocratie, où elle défend un modèle de société de médias à but non-lucratifs et fait le constat des différents défis auxquels doit faire face la presse. Son livre qui a d’ailleurs reçu le Prix spécial des Assises du Journalisme 2016, a eu un impact dans le secteur de la presse et lui a permis de faire la rencontre de journalistes, de personnalités comme Xavier Niel, et d’être auditionnée à l’Assemblée nationale.

La façon dont elle se voit dans l’environnement :

Julia Cagé est une chercheuse, qui aimerait aider la presse à trouver un modèle économique vertueux. Elle se positionne en opposition face à Google qui selon elle “arrose les éditeurs pour les faire se taire” et à Facebook qui, avec l’arrivée d’Instant Articles “finit de massacrer ce qu’il restait de business-model”.

Posent problème :

Concentration & nature de l’actionnariat :
Le fonctionnement par actionnariat met en danger l’indépendance des médias selon Julia Cagé de par une logique de maximisation des profits qui va à l’encontre d’une optique de maximisation de la qualité de l’information. La solution de la concentration ne permet pas à la presse de renouveler son modèle économique vers un système plus vertueux.
Appropriation des recettes publicitaires par Google, Facebook, Twitter & Amazon :
Si la presse a longtemps bénéficié de revenus publicitaires, elle se trouve à présent confrontée à une désintermédiation de ses revenus au profits des géants de la technologie : “Sur Internet il n’y a plus de limite donc le prix est relativement faible. Malgré tout il y des recettes publicitaires qui existent sur internet [...] sauf qu’il est entièrement approprié par trois ou quatre acteurs: Google, Facebook, Twitter et de manière croissante Amazon. Donc de facto cela renforce encore plus la crise des médias.”
Contenu sponsorisé :
Julia Cagé est particulièrement opposée à ce type de publicité. C’est un leurre selon qui tend à réduire la qualité des contenus et menace la confiance du lectorat, ce qui rend non-viable un modèle payant de l’information en ligne. C’est donc une fausse solution au problème de perte de valeur de la publicité.

Ne posent pas problème :

Les Adblockers : Si les bloqueurs de publicité accélèrent effectivement la contradiction d’un modèle qui repose sur des revenus publicitaires, ils peuvent de par là même les amener plus vite à une transformation de leur modèle économique.

Les solutions :

Une société de média à but non-lucratif : Julia Cagé propose la création d’un statut de “société de média à but non-lucratif”, sorte de modèle hybride entre la fondation et la société par actions. Ce modèle prône un financement participatif qui, de par ses statuts, permettrait de majorer les droits de vote des plus petits actionnaires au détriment des plus gros.
Le modèle payant en ligne : “On voit bien que les gens sont prêts à payer pour une information plus triée, plus limitée et plus sériée.” Instaurer des murs payants (paywalls) permettrait selon Julia Cagé de réintroduire une vraie hiérarchie de l’information produite en ligne.

Acteur : Edouard Braud

Directeur des Partenariats Médias - Facebook France

Présentation de l’acteur & du contexte :

Chez Facebook, Edouard Braud développe les partenariats et renforce les relations entre Facebook et les principaux médias en France pour les accompagner dans l’adoption de nouveaux produits de distribution de contenus à l’instar d’Instant Articles.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Edouard Braud voit Facebook comme un pionner, le premier à avoir souhaité mettre la puissance de sa plateforme au service des éditeurs. “Nous notre objectif, c’est de permettre aux éditeurs de mieux distribuer leur contenu” Si certains acteurs comme Emmanuel Parody, le secrétaire général du GESTE, parlent d’un modèle de “dealer de crack”, Edouard Braud nie la dépendance des éditeurs à la plateforme, et plus particulièrement à son nouveau produit, “Demain matin, Libération décide d’arrêter Instant Articles, c’est une case à décocher et ça ne changera strictement rien dans votre newsfeed.”

Posent problème :

Les luttes internes :
Pour lui, ce sont les luttes internes, propres aux entreprises de presse qui font obstacles à l’innovation, à l’adoption de nouvelles stratégies et qui bloquent de par ce fait le développement vers une économie vertueuse des titres. “Après, ce qui me pose problème [...] ce sont les acteurs qui empêchent d’autres qui sont plus en souffrance, comme Libération, qui se fait lyncher parce qu’ils sont 100% Instant Articles, alors que ça leur permet de se développer.”

Ne posent pas problème :

Les Adblockers : Sur Facebook, le soucis des adblockers ne se pose pas, la publicité n’y étant pas bloquée, il s’agit notamment d’un argument important pour la présence de la presse sur le réseau social.

La rupture d’usage : Le temps de chargement des pages -huit secondes en moyenne-, notamment sur mobile freinent la consommation de l’information et rompent la navigation.

Les solutions :

Accelerated Mobile Page et Instant Articles sur le mobile : Avec l’arrivée des Accelerated Mobile Page de Google et de Instant Articles avec Facebook, de nouveaux modèles vertueux émergent, a contrario de la tendance qui tend à rendre les plateformes responsables de tous les maux de la presse: “Je ne vois pas ce qu’on peut faire de plus pour eux”; “Nous, on propose de donner l’audience et les revenus, donc on ne pompe rien du tout.”

Acteur : Hervé Ribaud

Directeur Département Publishing (Digital+Print) - Havas Média France

Présentation de l’acteur & du contexte :

Hervé Ribaud dirige le département Publishing d’Havas Média, la 6e agence de publicité mondiale. Il s’occupe ainsi de la partie presse de l’agence, qu’elle soit en version numérique ou imprimée.
Les agences médias sont directement liées aux éditeurs de presse en ce qui concerne la monétisation du contenu présent sur internet. Elles doivent également réagir à la baisse du prix de la publicité, à l’aversion croissante pour la publicité au sein du lectorat et donc à l’arrivée des adblockers. Enfin elles ont également tout intérêt à bien définir la mesure d’audience qui est capital pour définir la valeur des espaces qu’ils achètent pour les annonceurs.

Son rôle dans l'écosystème

L’agence média est une régie qui met en relation les annonceurs et les médias pour négocier l’achat d’espaces publicitaires. Plus particulièrement, Hervé Ribaud, travaille avec les éditeurs de presse autant pour les versions papier que numérique. C’est donc l’intermédiaire clé entre les annonceurs et les éditeurs de presse, qui est particulièrement concerné par la crise structurelle du modèle économique des médias.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Les agences médias sont également exposées aux problématiques de la crise des revenus publicitaires de la presse. Pour Hervé Ribaud, il est essentiel de travailler avec les éditeurs de presse, mais aussi avec Google et Facebook. Les annonceurs doivent trouver des solutions à la crise qu’ils auraient engendré avec une publicité considéré comme trop intrusive. C’est donc le rôle des agences médias de faire le pont entre les éditeurs et les annonceurs pour trouver un moyen de faire de la publicité dans le contexte actuel.

Les problèmes qui se posent aux agences média :

Le modèle économique :
Hervé Ribaud rappelle tout d’abord que la presse est une industrie soutenue par un modèle économique qui a déraillé. Selon lui, depuis 2009 les “publishers prints” ont perdu environ un tiers de leurs revenus publicitaires. De plus, le tournant du digital dans lequel se sont engouffrés les éditeurs de presse n’a pas été bien négocié. En effet, sur le web les médias ont fonctionné avec le système “d’inventaire aux clics” pour monétiser la publicité. Ce fut véritablement la source de la catastrophe car le “branding”, c’est-à-dire la marque média, ne se vend pas au clic.
Hervé Ribaud partage donc l’idée que les éditeurs de presse ont “foiré” avec la publicité : tout d’abord le fait de passer au tout gratuit sur le digital a bouleversé le modèle économique. Enfin, la solution des éditeurs à cette première erreur stratégique n’a rien arrangé : les éditeurs ont démultiplié les formats de publicité rendant cette dernière totalement intrusive et illisible. Il souligne que la publicité en elle même n’est pas mauvaise, mais c’est la gestion des éditeurs de presse qui en a fait quelque chose de problématique.
De plus, il décrit un problème concomitant à la perte de valeur de la publicité : la multiplication des sources d’accès à l’information. Le fait d’avoir la radio, Facebook, les newsletters, le journal physique, les notifications Twitter, le journal de 20h, rend l’information de moins en moins précieuse. Ainsi, pour les éditeurs de presse il est de plus en plus difficile d’avoir une véritable valeur ajoutée d’information surtout avec la concurrence des plateformes qui mettent en avant toute la journée une infinité de news à l’utilisateur.

Les adblockers :
Les adblockers sont un problème majeur pour les régies média, notamment pour les générations les plus jeunes. En effet, ce sont les premiers à ressentir le caractère instrusif d’une publicité démultipliée et omniprésente. Le problème, selon Hervé Ribaud, est donc de renouveler le contrat de lecture “entre les marques de publishers print digitalisés et leurs lecteurs qui ne supportent plus ces pop-up et ces interventions inopinées de la publicités.”. Il faut cependant noter la spécificité du problème des adblockers pour les régies : “nous, si il y a un adblocker, notre publicité n’est pas adservée [comptabilisée] par le serveur donc on ne paye pas. C’est transparent pour les annonceurs aussi. Mais c’est un manque à gagner qui est aujourd’hui je crois, d’environs 200 millions de dollars de manque à gagner par an sur ce marché.”

Google et Facebook des ennemis ? :
Selon Hervé Ribaud, même si Facebook peut paraître attractif pour toucher de nouveaux publics - qui s’informent principalement via les plateformes et qui en ont marre de la publicité à outrance -, les éditeurs de presse doivent rester méfiant. Il faut faire attention à la stratégie du tout gratuit.
A l’inverse, le Fonds Google a été une très bonne chose : grâce à cet argent, on ne serait plus dans une posture de David contre Goliath. En effet, cette négociation a permis de montrer la capacité des éditeurs de presse français et européens à pouvoir batailler. Cependant, le rapport de force reste inégal car l’Europe ne sait pas se mobiliser selon lui : “Pour l’instant, je pense que la voie Européenne n’a pas été suffisamment explorée pour être fort par rapport à des GAFAs. Aujourd’hui effectivement, il n’y a pas de cadre législatif, il n’y a pas vraiment de contre pouvoir. Les acteurs Européens ne se sont pas ligués.”

Les solutions :

La publicité native :
Selon Hervé Ribaud, la publicité native est véritablement la solution au problème de la crise du modèle économique de la presse. La publicité native est selon lui une co-construction d’une narration publicitaire qui intègre l’ADN du titre ou du publisher. Le but n’est ni de tromper le lecteur ni de produire du faux contenu, mais c’est une publicité qui est mieux intégrée car elle est construite avec la rédaction. Ce serait alors une solution à la dichotomie entre “publicité et qualité” et permettrait de pérenniser les revenus pour laisser les journalistes travailler sur des sujets de fonds et donc travailler une marque média forte. C’est donc la meilleure solution selon lui pour régler le problème de la perte de valeur de la publicité, et permettrait de contourner les adblockers.
L’autre méthode mise en lumière par Hervé Ribaud est celle des allemands de Bilt ou des anglais du Telegraph : couper l’accès au contenu en cas d’adblock. Hervé Ribaud décrit aussi la solution intermédiaire française : une campagne explicative contre les bloqueurs de publicité, ou encore l’initiative du groupe Prisma média qui a créé “my adfilter”, un adblock qui fonctionne sur tous les sites sauf ceux du groupe.
La concentration
Hervé Ribaud n’est pas forcément contre la solution de la concentration, car cela permet de consolider un groupe et de faire vivre en son sein des titres qui ne sont économiquement pas rentables mais qui ont leur place dans le paysage démocratique Français. Il prend l’exemple d’Altice Media Group de Patrick Drahi : “L’idée c’est de démontrer que, dans un paysage français difficile où il y a moins d’argent pour la publicité, on est en train de construire un bastion de puissance. Et une concurrence réelle et sérieuse par rapport à des GAFAs comme des Google, des Facebook qui siphonnent une grande partie des données des annonceurs.” La concentration est donc une bonne solution pour peser dans le rapport de force face aux entreprises comme Google et Facebook.
La mesure d’audience
Le groupe Havas a crée One Global un outil de mesure d’audience sur tous les supports de lecture: l’idée est que, chez Havas, dès que l’on peut mesurer quelque chose, il faut le faire. En ce qui concerne Instant Articles et la mesure d’audience plus précisément, Hervé Ribaud n’est pas forcément favorable car elle risque d’être comptabilisée pour le compte de Facebook et pas des éditeurs.
Se mobiliser
Havas s’est notamment mobilisé à travers le GESTE, où l’agence a été très active pour la campagne contre les adblockers. Ils ont fait partie des négociations et ont effectué un travail de publicisation auprès des annonceurs et des éditeurs. D’autres initiatives ont également été lancées par l’entreprise comme la “Française de programmatique”, organisme qui souhaite fédérer des éditeurs Français qui font de la publicité digitale, pour proposer des prix équitables et faire des contenus qualitatifs.

Acteur : Dominique Cardon

Sociologue au laboratoire des usages d’Orange Labs

Présentation de l’acteur & du contexte :

Dominique Cardon est sociologue au laboratoire des usages d’Orange Labs, il est spécialisé dans les transformations de l’espace public, notamment avec les nouvelles technologies. En 2015, il publie À quoi rêvent les algorithmes, livre décrivant la façon dont les techniques de calcul “bouleversent notre société, à travers le classement de l’information, la personnalisation publicitaire”. Il y introduit notamment le concept de “loyauté des plateformes”.

Son rôle dans l'écosystème

Si la recherche anglo-saxone est riche concernant les algorithmes et nouvelles techologies, Dominique Cardon est la figure française de ce mouvement. À ce titre, on fait souvent appel à lui lors les conférences concernant le numérique et ses transformations. Il était d’ailleurs invité aux Assises du Journalisme de Tours cette année.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Bien qu’intervenant beaucoup comme expliqué plus haut, Dominique Cardon ne se voit pas comme un “spécialiste de la question” des transformations de la presse sur Internet. Il considère cependant que les chercheurs ont un rôle à jouer par rapport aux entreprises telles que Google et Facebook, notamment quant à une possible régulation de ces plateformes : “ils doivent produire des preuves, de la connaissance, ça c’est un travail de chercheur. Je milite beaucoup pour qu’on aie un projet à l’agence nationale de la recherche là dessus”. Il pense en effet que les chercheurs sont essentiels pour ce qu’il nomme la “rétro-ingénieurie” de ces technologies qui impactent des écosystèmes très divers.

Posent problème :

La presse payée par la publicité :
Pour Dominique Cardon, le fait que la presse se repose sur la publicité pour se financer “l’a abîmée, l’a corrompue, et lui a créé plein de problèmes”. Il ne s’agit pas du bon modèle, puisqu’elle tend à une “dégradation du contenu journalistique qui est les articles à clic”.
Google créé des normes :
Selon Dominique Cardon, le lancement d’Accelerated Mobile Pages (AMP) est “terrible” puisque Google “produit de nouveaux services et il balance des trucs comme ça. Du coup il devient de fait propriétaire d’une norme. Alors ils vont distribuer la norme.” En effet, selon lui AMP se lance dans une véritable entreprise de réécriture des formats internet sur le mobile. Ainsi, l’entreprise profite d’une situation économique lui permettant d’innover pour imposer ses formats et normes aux autres acteurs, mission qui était précédemment réservée aux “pères fondateurs”.

Ne posent pas problème :

La marque média
: Pour le sociologue, la marque média n’est pas en danger, elle “n’a pas disparu et ne va pas disparaître mais [elle] ne commande plus, ne prescrit plus comme les journalistes l’imaginaient sans doute à tord, la lecture de son lecteur.” Selon lui, Internet et les plateformes ont permis pour la première fois de réellement connaître la façon dont un journal est consommé: “Maintenant on sait. Et d’abord, on voit que le journal est démembré, il est coupé et on a une consommation qui est hyper-concentrée, complètement aléatoire etc.” Ce qui n’est pas problématique puisqu’il s’agissait pour lui d’un simple fait qui existait sans être montré.

La publicité : Dominique Cardon considère que la captation des revenus publicitaires par Google et Facebook ne pose pas problème en ce que le “marché publicitaire, avait été d’une certaine manière capté par les médias qui faisaient payer un prix astronomique des annonces”. De plus, c’est son système économique en soi qui “ne tient plus”.

Google et la presse : Si Dominique Cardon considère que critiquer les plateformes est nécessaire, celles-ci ne posent pas problème tant qu’elles restent loyales : “Il faut critiquer Google tout le temps. Mais simplement le problème de la presse n’est pas Google. Ça peut être sa solution”. Il insiste sur cette notion de loyauté puisqu’il croit que “demander à un algorithme d’être neutre, c’est idiot parce que ça voudrait dire ne serait-ce que vis à vis de Google, qu’on saurait quelle est la bonne représentation objective de l’information. Qui sait ? Quel est le critère qu’on va mettre en oeuvre ?”. Si Dominique Cardon comprend le “sentiment qu’ont les producteurs d’information d’être dépossédés de leur pouvoir”, il pense que c’est ce qui les “amène à porter des accusations”

Facebook et le Filter-Bubble : Si beaucoup critiquent Facebook en expliquant que la plateforme pousse à la création d’une bulle dans laquelle l’utilisateur se trouve enfermé, sans pouvoir accéder à de nouveaux contenus, Dominique Cardon pense que Facebook étant un “dispositif néo-libéral” la responsabilité est renvoyée à l’utilisateur : ”Si on veut dire Facebook fait une bulle, ce n’est pas tellement de dire que la bulle va donner des trucs de droite à des gens de droite et des trucs de gauche à des gens de gauche. Je n’y crois pas. C’est la fiction de la démocratie, du citoyen bien informé. [...] Dans la vraie vie, non… on a des opinions, on lit de son camp.” Ainsi, Facebook ne fait que renforcer des habitudes déjà ancrées auparavant. La plateforme n’est pas à blâmer pour ce phénomène qui n’est qu’une translation d’une donnée sociologique dans la sphère du web, bien que le sociologue souligne que, si ce n’est pas son rôle, elle pourrait participer à le diminuer.

Les solutions :

L’abonnement : Pour Dominique Cardon, si la publicité n’est pas un modèle viable pour la presse, on doit retourner à l’abonnement. Ce retour à l’abonnement suppose cependant un besoin de qualité : “il y a effectivement deux tensions qui sont liées au fait que dans le modèle économique de l’abonnement, on refait payer le public. Et vu la nature sociologique du public, ils ont raison de le faire payer car ces gens ont des sous et peuvent payer l’information. Et puis ceux qui ne payent pas, donc c’est payé par la publicité, c’est payé par le clic. [...] on repasse un contrat social avec le lecteur, ça peut se faire effectivement.”

Un observatoire pour les plateformes : La loyauté des plateformes est un point crucial pour le sociologue. Cependant il n’existe pas ou très peu de solutions pour les réguler : les algorithmes sont des objets techniques complexes, souvent protégés et difficile à appréhender. C’est pourquoi il milite pour “un observatoire pour voir si les plateformes sont loyales c’est-à-dire qu’elles ne disent pas à l’utilisateur quelque chose qu’elles ne sont pas en train de faire, mais qu’elles fassent autre chose que ce qu’elles prétendent faire en leur nom et ça on peut d’une certaine manière le démontrer.”

Acteur : Jean-François Pillou

Fondateur & CEO de CCM Benchmark, Directeur du Développement numérique du Groupe Figaro

Présentation de l’acteur & du contexte :

Jean-François Pillou est le fondateur et directeur général associé de CCM Benchmark, qui possède des sites leaders comme Comment ça Marche, L'Internaute, Journal du Net, Le Journal des femmes, etc. A la suite du rachat à l’automne 2015 de CCM Benchmark par le Groupe Figaro, Jean-François Pillou a été nommé directeur du développement numérique du Groupe.

Son rôle dans l'écosystème

Suite au rachat en octobre 2015 de CCM Benchmark, le Groupe Figaro est devenu le leader des médias numériques français avec une audience de près de 24 millions de visiteurs uniques selon Médiamétrie NetRatings, permettant de toucher 50 % des internautes français et plus de 50 % de couverture sur toutes les cibles clés du marché publicitaire. Le Groupe Figaro se rapproche ainsi de l’audience de Facebook en France (26 millions), mais loin encore de Microsoft (35 millions) et de Google (41 millions). Le modèle économique de ce nouvel ensemble repose majoritairement sur la publicité et met à profit l’avancée technologique, la maîtrise des audiences de CCM Benchmark pour les activités des éditions du Figaro. Ce rachat est un premier exemple Français de consolidation d’un groupe média par la diversification dans des activités web comme a pu le faire en Allemagne le groupe Axel Springer.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Jean-François Pillou refuse de se placer par rapport à Google ou Facebook: “On est un groupe média donc on se compare aux groupes médias”. Cependant, il reconnaît être en compétition avec les GAFAs [Google, Apple, Facebook et Amazon] notamment sur la question de la production de contenu et sur la publicité. Ainsi, depuis leur rapprochement, le “nouvel ensemble Figaro CCM Benchmark, est le 1er groupe média en France juste derrière Google, Facebook et Microsoft”.

Les relations entre la presse, Google & Facebook : Jean-François Pillou pose le caractère particulier de la relation entre les groupes médias, et Google-Facebook: “Ce sont en même temps des partenaires, parce qu’ils nous amènent du trafic, on travaille avec eux, quand ils lancent des nouveaux produits, on est sollicités pour les mettre en place chez nous, etc. Et en même temps ce sont des concurrents parce effectivement sur le marche de la publicité, ils prennent une part du gâteau.”

La façon dont il voit Google & Facebook : Contrairement à ce qu’a décrit Eric Scherer [Directeur de la prospective à France Télévisions], Jean-François Pillou ne voit pas Facebook comme le nouveau kiosque de l’information en ligne, mais “un des kiosques de l’information, un hub qui permet d'accéder a l’information”. Ainsi Facebook “n’est pas le nouveau kiosque. C’est un nouveau kiosque.” Il accentue l’aspect social de la plateforme, notamment dans les pratiques des utilisateurs : selon lui Facebook aura toujours besoin de contenu produit par les utilisateurs eux-mêmes et ne peux pas se contenter de diffuser du contenus d’information.

La façon dont il voit Google : Premier point d’entrée de l’information en ligne en France, Jean-François Pillou voit Google comme un acteur plus puissant que Facebook en terme de trafic: “Aujourd’hui, Google représente beaucoup plus de sources de trafic que Facebook.” De plus, si Jean-François Pillou place l’ensemble Figaro-CCM Benchmark comme l’un des premiers, si ce n’est le partenaire majeur de Google en Europe, il précise qu’”avec Google, on négocie pas les conditions”. En effet, il compare Google à un dealer de crack: si la première dose est gratuite, on doit payer après quand on devient dépendant - il cite ici son expérience avec le produit de cartographie de Google “Google Maps”, qui est devenu payant du jour au lendemain pour pour ses sites du groupe CCM.

Les problèmes qui se posent :

Les Adblocks et la publicité :
“Les adblocks ce n’est pas la cause des problèmes, c’est le symptôme d’un problème. Le problème de fond, c’est la publicité intrusive, donc, à notre sens, ce qu’il faut qu’on corrige, c’est d'arrêter de diffuser de la publicité intrusive sur nos sites. C’est la meilleure manière de répondre aux phénomène d’adblocks.”

Le pouvoir de négociation avec les acteurs :
Pour Jean-François Pillou, les liens entre les différents acteurs de l’écosystème se définissent par le pouvoir de négociation que chaque acteur possède, ce pouvoir de négociation étant définit par l’audience qu’il représente et sa stabilité économique. Ainsi, pour que la presse conserve un pouvoir de négociation face à Facebook et Google, le trafic doit venir de plusieurs sources: “L'idéal est d’avoir une multiplicité d’acteurs qui amène du trafic, comme ça, cela permet de limiter les risques que l’un ou l'autre des acteurs aillent faire des choses qui ne soient pas dans notre intérêt.”

Médiamétrie et la mesure d’audience :
Avec la multiplication des supports de consommation de l’information, Jean-François Pillou pointe les difficultés de mesurer ces nouvelles audiences:“Personne n’est satisfait de Médiametrie parce que c’est plus en plus compliqué. Je ne dis pas qu’ils ne font pas du bon boulot. Ils font tout ce qu’ils peuvent. [...] La mesure d’audience est crucial mais aujourd’hui c’est imparfait”

Les problèmes qui ne se posent pas :

La rentabilité :
La question de la rentabilité et de la recherche d’un modèle économique n’est pas vue comme un problème dans la mesure où le Groupe Figaro est rentable, notamment par l’acquisition stratégique de CCM Benchmark. Et c’est cette rentabilité qui permet à l’éditeur d’aller de l’avant et de conserver un pouvoir de négociation avec Google et Facebook. En effet, Jean-François Pillou explique que : “à partir du moment où on est rentable, on peut gérer sa propre croissance, et on n’est pas a la merci d’un changement de la législation qui va couper telle ou telle subvention. Si on est rentable finalement, on est autonome, on est capable de prendre de bonnes décisions. Si on ne l’est pas, a un moment donné on est en difficulté. D’année en année, on reporte le problème. Donc, oui, il faut être rentable. Il faut s’assurer de l'être. Si on ne l’est pas, c’est que le modèle n’est pas bon, ce qui veut pas dire que par ailleurs, on ne va pas faire un bon contenu qui répond aux attentes.”

Les solutions :

La maîtrise de l’audience & la marque média : Pour Jean-François Pillou, la rentabilité de l’ensemble CCM Benchmark-Figaro vient de deux valeurs ajoutés propres au groupe : la marqué média et la puissance sur le web qui permet une véritable maîtrise de leur audience. Ainsi,”en terme de data, on est l’un des plus avancé ce qui permet d’aller faire des choses toujours en avant sur le marché donc on est capable de tout proposer sur les différents verticaux.”.

Acteur : Johan Hufnagel

Directeur délégué adjoint de Libération

Présentation de l’acteur & du contexte :

Johan Hufnagel à été nommé en 2014, directeur délégué adjoint de Libération aux côtés de Laurent Joffrin. Johan Hufnagel est en quelque sorte chargé d’assumer le rôle du Monsieur Numérique de Libération. Spécialiste du web et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il est chargé des versions numériques du journal. Ancien rédacteur en chef et cofondateur de la version française et africaine du magazine en ligne Slate, il a également participé au lancement de la version en ligne du journal 20 Minutes, dont il fut le rédacteur en chef, site qui est aujourd’hui le plus lu en France.

Son rôle dans l'écosystème

Libération est un quotidien historique dont les intérêts représentent ceux de la presse nationale quotidienne “traditionnelle” qui s’adapte aux évolutions liées au formats du web et du mobile. Le quotidien connaît depuis plusieurs années maintenant une profonde crise économique. La chute constante de son chiffre d’affaire a poussé la direction à un plan social et de nombreuses remises en question éditoriale et financière, conduisant à son rachat par Patrick Drahi en 2014.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Johan Hufnagel présente Libération comme un quotidien qui n’a pas forcément le choix dans ses partenariats, qui saisit l’opportunité que lui offre Facebook à un moment où les utilisateurs y vont massivement consommer l’information. Les technologies arrivent et se succèdent, pour autant il faut “aller de l’avant” et essayer les formats qui sont proposés. Il souligne alors qu’il n’a “jamais été l’ennemi de Google”, et même selon lui, “Google est un outil formidable comme Facebook est un outil formidable”. Il est pour l’instant relativement satisfait des résultats d’Instant Articles.
Cependant il souligne que le rapport de force pourrait très facilement s’inverser à partir du moment où Facebook voudrait durcir les conditions d’utilisation pour les éditeurs. Il reconnaît donc un poids tout à fait inégal entre ces entreprises du web et son journal : il ne rejoint pas Philippe Colombet qui considère que Google et les éditeurs de presse sont “dans le même bain”, car l’entreprise ressemble plus à “une flottille de petits bateaux rapides avec de gros navires amiraux”.

Les problèmes qui se posent à Libération :

Atteindre la rentabilité financière :
Le principal défi pour Libération est de poursuivre l’intégration web, d’aller là où les lecteurs sont et de renforcer sa marque dans les formats proposés. Johan Hufnagel est conscient du poids qu’a Facebook dans le phénomène de délinéarisation et de désintermédiation des contenus sans forcément le pointer comme la source de la crise de la presse. Il met en cause l’attitude de ces médias : l’utilisation de la publicité à outrance et l’uniformisation des contenus par bâtonnage de dépêches AFP sont ce qui a mené les médias dans le mur.

La mesure d’audience :
Johan Hufnagel s’attarde sur la manière dont est comptabilisée l’audience aujourd’hui. En premier lieu, il souligne que les adblockers sont effectivement un problème mais qu’au vu de l’utilisation de la publicité par les éditeurs de presse sur Internet, c’est aux sites eux-mêmes de se réformer. Ensuite sur l’instance de mesure d’audience, Médiamétrie, il a un discours très critique : leur système pousse à la triche généralisée et c’est un système qui ne convient plus du tout aux modes de consommation délinéarisés. A travers son discours; on prend conscience qu’une mesure d’audience juste est cruciale dans la mesure où Libération se rémunère en grande partie grâce à la publicité présente sur ses sites.

Médiamétrie et la mesure d’audience :
Avec la multiplication des supports de consommation de l’information, Jean-François Pillou pointe les difficultés de mesurer ces nouvelles audiences:“Personne n’est satisfait de Médiametrie parce que c’est plus en plus compliqué. Je ne dis pas qu’ils ne font pas du bon boulot. Ils font tout ce qu’ils peuvent. [...] La mesure d’audience est crucial mais aujourd’hui c’est imparfait”

Les problèmes qui ne se posent pas :

La rentabilité :
La question de la rentabilité et de la recherche d’un modèle économique n’est pas vue comme un problème dans la mesure où le Groupe Figaro est rentable, notamment par l’acquisition stratégique de CCM Benchmark. Et c’est cette rentabilité qui permet à l’éditeur d’aller de l’avant et de conserver un pouvoir de négociation avec Google et Facebook. En effet, Jean-François Pillou explique que : “à partir du moment où on est rentable, on peut gérer sa propre croissance, et on n’est pas a la merci d’un changement de la législation qui va couper telle ou telle subvention. Si on est rentable finalement, on est autonome, on est capable de prendre de bonnes décisions. Si on ne l’est pas, a un moment donné on est en difficulté. D’année en année, on reporte le problème. Donc, oui, il faut être rentable. Il faut s’assurer de l'être. Si on ne l’est pas, c’est que le modèle n’est pas bon, ce qui veut pas dire que par ailleurs, on ne va pas faire un bon contenu qui répond aux attentes.”

Les solutions :

Les principales solutions apportées par Libération sont très “individualistes”, en effet, on ne retrouve pas dans son discours une tentative de mobilisation à grande échelle pour un changement du système des médias français.
Par exemple pour résoudre le problème de la mesure d’audience, Johan Hufnagel préconise que les calculs soient fait directement par les éditeurs de presse sur le site, l'application mobile, le compte YouTube, le compte Twitter etc. De même, pour relever le journal, il faut selon lui miser sur une marque média forte avec un contenu qui soit reconnaissable avec une certaine valeur ajoutée. Ce qui fait le succès de sites d’information comme Slate ou Vice, selon lui, c’est que l’on reconnaît un style journalistique particulier.
Si l’on devait résumer sa solution pour son média ce serait : “Pour que ça marche il faut, une technologie, un business model qui est en cohérence avec la technologie, le contenu et les formats de contenus qu’on va inventer”. Or pour cela le mot d’ordre c’est “try and learn” avec la technologie disponible, qui s’avère être celle que propose les plateformes.

Acteur : Michael Vuillaume

Responsable référencement (SEO) et études chez le Point - Ex LeMonde.fr & Le Figaro

Présentation de l’acteur & du contexte :

Michaël Vuillaume est le responsable référencement et études au magazine Le Point. Avant de rejoindre Le Point, il a également travaillé pour le référencement et la stratégie numérique de deux des plus grands titres de presse d’information: Le Figaro et Le Monde. Le référencement ou Search Engine Optimization (SEO) est une pratique d’optimisation des sites internet pour les moteurs de recherche, et de manière contextuelle, l’objectif de la SEO sera donc de voir son site dans les premières propositions de Google selon les termes de recherche. Il a de fait une connaissance technique des outils de Google, notamment l’algorithme de Google Search ainsi qu’une vision immergée dans l’entreprise de presse.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Il se définit pour sa part comme un “White Hat”, un référenceur respectant les recommandations de Google pour être bien référencé. Son rôle est éclairant sur le fait que le référencement sur Google est un véritable enjeu pour les éditeurs de presse, tant la plateforme est source de trafic.

La façon dont il voit les journalistes : Bien que le SEO dépende du département marketing de l’entreprise de presse, Michael Vuillaume est en lien constant avec les journalistes dans la mesure où il doit optimiser le référencement de leurs articles. Au fil de ses relations il a distingué deux types de journalistes : “Il y a ceux qui sont journalistes pour être lus et ceux qui sont journalistes pour écrire.”. Autrement dit, l’idée de devoir écrire avec la contrainte de la technologie de Google ne fait pas l’unanimité au sein des rédactions. Ainsi ses relations avec les journalistes dépendent de la culture de ces derniers face aux technologies de diffusion de l’information imposée par un moteur de recherche monopolistique. Pour autant il souligne que son rôle n’est pas de donner des sujets aux journalistes mais de les aider à rédiger un papier en fonction des critères de Google.

`

La façon dont il voit Google : En ce qui concerne sa vision de Google, on pourrait la résumer ainsi : “Disons que Google a besoin de nous pour pouvoir avoir des news, et nous on a besoin de Google pour pouvoir avoir des gens qui viennent voir nos news.” Michael Vuillaume parle d’une coopération entre les acteurs, même s’il avoue que le rapport de force est inégal entre les partis. Google n’entend pas devenir un média, cependant il s’implique dans l’écosystème de la presse en finançant l’innovation. Michael Vuillaume reconnaît la difficulté de se passer de Google quand on est un média, mais il souligne que l’atout de Google c’est son expérience utilisateur, en effet pour lui, “écrire pour Google News, c’est écrire pour les internautes avant tout.”

Les problèmes qui se posent :

Comptabilisation de l’audience :
Si Instant Articles (IA) et Google Accelerated Mobile Pages (AMP) proposent des formats intéressants pour les éditeurs de presse, la non-comptabilisation de ces audiences par Médiamétrie ne permet pas de valoriser le trafic en revenus publicitaires. “La seule préoccupation que j’ai avec AMP, est ce que cela ampute du trafic mobile sur le site mobile [...] Il y a aussi une autre problématique qui est que ce sont des pages hébergées sur les serveurs de Google et de Facebook. Or, ces pages hébergées ne rentrent pas sur l’audience Médiametrie.”

Les problèmes qui ne se posent pas :

L’algorithme de Google :
l’algorithme de Google et les usages qu’il implique ne forment pas une ligne éditoriale qui déposséderait les éditeurs de presse de leur pouvoir de décision, mais plutôt un avantage, une ligne de conduite puisque “écrire pour Google News, c’est écrire pour les internautes avant tout”.

Google qui finance la presse :
“Google participe aussi au financement de la presse par l’intermediaire de ces fonds [le Fonds pour l'Innovation Numérique de la Presse, puis la Digital News Initiative] , mais comme le gouvernement par exemple, ou les instances publiques”.

Les solutions :

Le payant :
Si le modèle du payant, voire du gratuit qui mène au payant est souvent abordé, il n’est pas présenté en tant que solution et ce, en reconnaissant la diversité des modèles des entreprises de presse.

Acteur : Olivier Sichel

Président de LeGuide.Com et membre fondateur de l’Open Internet Project

Présentation de l’acteur & du contexte :

Olivier Sichel est le président du comparateur de prix en ligne LeGuide.com, co-fondateur de l'Open Internet Project (O.I.P.) et du Digital New Deal Foundation, des lobbies européens anti-Google. L’O.I.P. regroupe près de 400 entreprises du numérique, parmi les plus importants éditeurs d'Europe : lancé début 2014, son but est de mettre fin à des «distorsions de concurrence» dans l'activité de Google. Sa principale action a été le dépôt d'une plainte devant la Commission européenne en mai 2014, dont l'instruction est toujours en cours à Bruxelles. Le principal reproche était est la mise en avant excessive des services de Google sur son moteur de recherche, au détriment de la concurrence, en particulier sur le shopping. Formé il y a maintenant deux ans, l'OIP a connu l'arrivée et le départ de certains acteurs. C'est le cas par exemple de Lagardère Active, qui a signé avec Google un accord en octobre 2015. Il doit « assurer la promotion et l’accessibilité des contenus [...] du groupe Lagardère Active via les plateformes technologiques de Google ».

Son rôles dans l'écosystème

L’O.I.P. est une organisation qui rassemble des “acteurs de l’internet” européens qui veulent se mobiliser contre les pratiques anticoncurrentielles de Google. À titre d’exemple, on y retrouve des acteurs comme Axel Springer, CCM Benchmark, le GESTE ou encore Solocal et Meilleurstaux.com.
L’O.I.P. a joué un rôle majeur dans la plainte lancée à l'egard de Google à la Commission Européenne. Cette organisation a eu pour effet de structurer le mécontentement de certains acteurs d’Internet face aux pratiques du moteur de recherche. Finalement, une notification de grief a été envoyée à Google en avril 2015 par la Commissaire Européen Margrethe Vestager. Cette notification est le résultat d’une enquête qui a commencé en 2010 après que de multiples acteurs du numériques aient chacun porté plainte à la Commission. L’O.I.P. incarne l’esprit de ces plaintes et de cette enquête sous forme d’un lobby structuré. En effet, Olivier Sichel souligne le rôle de l’O.I.P. dans ce contexte : “Notre manifeste est clair. Ce que l’on veut c’est d’abord l’application du droit de la concurrence et un environnement “level playing field”. Un environnement concurrentiel où on puisse challenger les positions dominantes et les monopoles.”. Ce qui est caractéristique de cette organisation c’est qu’elle veut faire appliquer un droit qu’elle juge bafouée pour l’instant. Olivier Sichel reconnaît la difficulté du processus législatif européen, il lui semble donc capital de s’organiser en lobby pour suivre cette enquête et faire pression pour que des décisions soient prises.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

C’est avant tout la pression économique qui pousse les acteurs à se mobiliser. En tant que président du Guide.com, Olivier Sichel nous a décrit sa situation qu’il voit dégradée à cause des pratiques jugées anti-concurrentielles de Google. Plus généralement, selon l’O.I.P., la mobilisation est devenue une question de survie économique, elle se doit alors de lutter pour un cadre légilstatif favorable à la promotion de l’innovation au sein d’un environnement compétitif qui n’est plus sain en raison du monopole de la plate-forme Google.
Cet acteur est spécifique dans la mesure où c’est la seule organisation au niveau européen qui s’attaque à ce type de problématiques. En fait, c’est véritablement la seule organisation structurée de lutte “globale” que nous ayons rencontré dans cette enquête. Vu son unicité, l’O.I.P. regroupe des “acteurs du numériques” différents qui n’ont pas forcément tous les mêmes intérêts mais qui se retrouvent sur un point : ils se sentent floués économiquement par le fonctionnement du moteur de recherche de Google. On retrouve donc des acteurs qui sont concernés par des problématiques dites de “shopping”, d’autres de “voyages” et enfin les éditeurs de presse. Dans son discours, Olivier Sichel souligne qu’il ne défend pas les intérêts des éditeurs de presse en tant que tel. En effet l’O.I.P. défend une certaine position qui concerne également les éditeurs de presse : le moteur de recherche de Google impose des règles qui sont défavorables au libre exercice de la concurrence. Cela étant valable pour les comparateurs de prix comme pour le contenu news.

Les problèmes qui se posent pour l’O.I.P. :

Google :
Tout d’abord, l’O.I.P. se bat contre Google. Plus précisément l’organisation a pour vocation de réguler les pratiques anticoncurrentielles de Google sur son moteur de recherche. Cette entreprise pose problème pas seulement parce qu’elle jouit d’une situation de monopole mais parce qu’elle utilise cette position dominante pour brider les autres services. Par exemple en mettant en avant son propre comparateur de prix Google a “tué le métier de comparateur”. Ainsi, de nos jours, “si vous n’existez pas sur Google, vous n’existez pas“. En n’étant pas sur Google vous risquez de perdre une majorité de votre audience, et de fait votre modèle économique ne sera pas viable. En ce qui concerne les éditeurs de presse, il juge que la solution du fonds Google en France puis en Europe ne permet pas de régler la situation. En effet, il considère que ce partenariat est extrêmement déséquilibré et perturbe les moyens de mobilisation. En tout cas, ce n’est pas une solution à long terme qui peut s’inscrire dans le droit. Pour illustrer son propos, il utilise la métaphore -peut être un peu disproportionnée)- des Amérindiens et des “Yankees”, Google représentant les blancs qui petit à petit enferment les concurrents dans des territoires de plus en plus restreints et asséchés. En plus d’être une véritable menace pour la concurrence, le monopole de Google risque de mener à une “uniformisation, un assèchement” culturel.

Les problèmes qui ne se posent pas :

Facebook, un problème ?
L’O.I.P. se concentre véritablement sur le cas de Google, l’idée étant qu’il faut en premier régler cette plainte et voir par la suite. En effet, Olivier Sichel considère que “c’est pas parce qu’il y a une nouvelle problématique qui surgit avec Facebook que l'ancienne avec Google n’est pas traité”.
Rappelons que cette mobilisation est très sectorielle et se concentre sur un point très prècis. Au niveau législatif, la liste des revendications est très précise, or il semble déjà difficile de faire aboutir cette plainte. De fait on comprend à quelle point la mobilisation à ce niveau semble compliquée à réaliser et à performer. Ils ne se positionnent donc pas sur Facebook, leur problème c’est : “Le monopole de Google et l’abus de position dominante, qui est : j’ai 99% de part de marché dans le domaine de la recherche et je m’en sers pour attaquer tous les domaines verticaux.”

Nations vs. Europe
Olivier Sichel souligne une tension au niveau législatif entre le national et l’européen : les États semblent avoir délégués toute action possible à Bruxelles. Ce n’est pas forcément un problème en soi dans la mesure où la réponse sera d’autant plus efficace qu’elle concerne une large échelle. Pour autant, la Commission européenne semble longue à réagir et à proposer des mesures conservatoires, or les États ne semblent pas vouloir reprendre le dossier : “il n’y a aucune mesure d’urgence possible dans le droit de la concurrence européen. Vous avez la possibilité d’avoir des mesures conservatoires au niveau national et cela, on avait essayé de les faire au niveau de l’Autorité de la concurrence: elle a été dessaisie par Bruxelles”. Il souligne alors que cela est majoritairement dû au “manque de compréhension des politiques, des enjeux qu’il y a. La compréhension que le numérique révolutionne tous les secteurs [étant] assez récente. “

Les solutions :

Changer de modèle économique :
Concernant LeGuide.com, Olivier Sichel nous a confié avoir dû changer de modèle économique: “on laisse tomber sur les comparateurs de prix, on a pivoté de modèle économique, on fait un autre métier. Car c’est un métier qui a disparu.”
De plus il porte un regard nuancé sur la stratégie de diversification et de digitalisation du groupe Axel Springer qui est souvent pris en référence pour son avance numérique. En effet, cette solution de rachat de sites internet de médias en ligne rend l’entreprise encore plus dépendante de Google et du trafic que le moteur de recherche lui amène. On peut alors comparer cela à la stratégie du Figaro avec CCM Benchmark et en nuancer le succès.

Revenir au plan national ?
Comme nous l’avons souligné plus haut, les gouvernements nationaux, et c’est particulièrement le cas en France, semblent avoir délégué la responsabilité de légiférer sur les plateformes du web à l’Europe. En somme le niveau national ne compte plus tellement. Pour autant les décisions à Bruxelles sont très longues à venir, et surtout, il semble compliqué d’arriver à un accord satisfaisant. Voyant cela, Olivier Sichel ne rejette pas entièrement l’idée de revenir au niveau national pour avoir une régulation des plateformes. Il souligne qu’en France on sait gérer les monopoles, c’est par exemple le cas des télécoms avec l’ARCEP comme instance de régulation ou encore l’électricité. Pourquoi alors ne serait-ce pas possible avec Google ? Selon lui on pourrait dégrouper l’entreprise comme c’est le cas avec les télécoms. Mais pour cela il faut une autorité de régulation des plateformes dont les prérogatives seraient inscrites dans le droit.

La méthode chinoise et les russes ?
“Si vous regardez la manière dont les chinois se débrouillent : ils ont leur propre moteur de recherche, c’est Baidu. Ils ont décidé de le pousser. [...] Les chinois ont réussi à avoir une industrie du numérique à eux. Ils organisent la concurrence entre les acteurs. Cela ne veut pas dire que les chinois n’ont pas le choix mais ils ont décidé de ne pas abdiquer leur souveraineté numérique, en se disant que l’espace numérique était extrêmement important.” Même si l’on voit assez rapidement les limites de ce raisonnement (au niveau politique la Chine et la Russie sont peu comparables à l’Europe), l’idée est que l’Europe doit créer son propre espace numérique et ne pas seulement utiliser les outils que les firmes américaines proposent. Or pour créer un environnement de ce type il faut que la concurrence puisse se faire et il faut donc un cadre législatif pour que l’innovation Européenne puisse se faire.

Acteur : Philippe Colombet

Responsable des partenariats entre les médias et Google en Europe

Présentation de l’acteur & du contexte :

Philippe Colombet est le responsable des partenariats entre les médias et Google en France, en Espagne, aux Pays-Bas et en Russie. Il se voit comme l’ambassadeur de Google auprès des éditeurs de presse. Il a notamment participé à mettre en place le Fonds pour l'Innovation Numérique de la Presse (FNIP) en 2013 ainsi que la Digital News Initiative (DNI) en 2015.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Google & Google Actualités, le moteur de recherche :
Google est utilisé à deux niveaux qu’il faut différencier : Google Recherche, moteur de recherche monétisé par la publicité dominant en France, et Google Actualités, moteur de recherche spécialisé dans la recherche d’actualité non-monétisé apparu en 2002. Google Actualités représente la troisième source utilisée pour la recherche d’information chaque semaine en France en 2015 sur Internet [Google à 95,46% – Bing à 2,2%, Yahoo! à 1%.]. Le moteur rapporte selon les sites de presse entre 20% et 40% du trafic.
Google se donne à voir comme un moteur de recherche, une plateforme de contenu en opposition au modèle de portail depuis ses origines. Pour Google Actualités, les termes sont plus précis encore : il s’agit d’un capteur de signaux, d’une plateforme de découverte non monétisée, bien que la recherche d’information se reporte aussi à présent sur le moteur de recherche Google qui lui, est monétisé.
Philippe Colombet considère que Google n’est en rien un média puisque le moteur de recherche ne propose pas selon lui de ligne éditorial contrairement au modèle de portail ; l’éditorialisation se veut construite par l’utilisateur.

Google, l’entreprise :
Google, et notamment avec la DNI, se présente comme une solution aux défis que rencontrent les entreprises de presse et plus encore, un partenaire au sein d’un écosystème où la presse rencontre les même défis, notamment face aux adblockers. “On partage un peu les mêmes tendances d’usage et on a des problèmes à résoudre en commun”. “On est dans le même bain [face aux adblockers]”.

Les problèmes qui se posent :

Le mobile :
“Ce qui est radicalement bouleversant aujourd’hui, c’est ça [montre son iPhone]”
Ici, la croissance de l’utulisation du mobile pour la consommation du contenu sur internet amène des question de monétisation, mais également de transformation puisque l’expérience mobile est très différente de celle sur ordinateur ou tablette.

Les Adblockers :
“Comment faire pour que les adblockers ne deviennent pas le choix par défaut de tous les jeunes ? C’est un vrai problème, pour les médias et pour nous [...] ça pose un problème de financement.” Philippe Colombet met en lumière que ce n’est pas uniquement les adblockers, mais la raison pour laquelle ils sont utilisés qui pose problème et qui doit amener à des transformations.

Les problèmes qui ne se posent pas :

La dépendance de la presse aux plateformes :
“Je pense qu’en Europe on peut avoir de temps en temps un peu trop une vision de l’influence, de la dépendance technologique et politique, et un peu moins de “de qui je peux apprendre pour être plus fort””.
“Laisser son contenu indexé dans Google ce n’est pas non plus faire le choix de la technologie Google. Ce n’est pas comme si les éditeurs avaient besoin de faire une version Google de leur site.”

Les solutions :

Transformer la publicité :
“On doit juste préserver un écosystème publicitaire sain, pas intrusif pour l’utilisateur. Il n’y a pas que la publicité, bien entendu.”

Collaborer pour apprendre :
Ici, Google agit en tant que partenaire qui utilise sa position avantageuse pour aider les éditeurs de presse : Google souhaite montrer son engagement auprès des médias: “Nous sommes dans une phase de transition extrêmement rapide et nous savons qu'il est difficile pour de nombreux acteurs d'innover seuls.”

Acteur : Raphaël Garrigos

Co-fondateur et Directeur chez Les Jours

Présentation de l’acteur & du contexte :

Raphaël Garrigos quitte Libération en Janvier 2015 dans le cadre d’un plan social, après quinz ans passé au sein du quotidien. Accompagné d’anciens collègues du même journal, ils lancent Les Jours grâce à une campagne de financement participatif sur KissKissBankBank. Le site internet d’information se positionne comme un “nouveau média indépendant, en ligne [...] Les Jours sont nés du constat qu’il n’y a jamais eu autant d’informations, mais qu’on n’a jamais eu autant de mal à être bien informés.”

Son rôle dans l'écosystème

Les Jours, en tant que nouveau média, propose une solution innovante tant dans son modèle économique que dans la forme des contenus. A contre-courant du mouvement du gratuit, ce nouveau média fait le pari du payant comme Médiapart avant lui, site de presse dont il se réclame d’ailleurs : “On est passés, après le succès de Médiapart [118 000 abonnés], et on essaie de marcher dans ces traces là, dans ces traces économiques en tout cas”.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Si Raphaël Garrigos, avec Les Jours, semble vouloir proposer une nouvelle solution permettant de se détacher des problématiques actuelles de financement de la presse, il n’en reste pas moins conscient du poids de celles-ci. En effet, en “rupture personnelle et professionnelle [par rapport à Libération]”, ces problématiques ne le touchent pas directement du fait de l’organisation économique des Jours cependant il est conscient que cela pose problème au secteur de la presse : “Aujourd’hui Libération, mais aussi Le Monde, et tous ceux qui font du gratuit, sont soumis à une quête de l’audience, une dictature de l’audience publicitaire. C’est-à-dire qu’il faut se renouveler très vite, il faut être présent partout. Notre pari, c’est celui du payant.”

Les problèmes qui se posent :

L’indépendance face aux actionnaires :
“Quand on a vu Patrick Drahi arriver pour “sauver” Libération on s’est demandés si on avait envie de Patrick Drahi comme propriétaire. Et assez vite on s’est rendus compte [...] que non, on n’avait pas envie de rester avec Patrick Drahi.”
Pour Raphaël Garrigos, l’actionnaire est puissant dans la chaîne de l’information : c’est lui qui détermine la stratégie de l’entreprise de presse et de par là, la façon dont l’information sera produite ainsi que les conditions dans lesquelles elle le sera. “J’ai l’impression que Patrick Drahi est en train de créer une espèce d’ensemble de bric et de broc qui ne veut rien dire, sans investir dans les médias. Il y a 120 journalistes au Monde.fr, il y a 120 journalistes pour tout Libération. C’est une chose délirante.”

Les relations entre Facebook et la presse
“Le but de Facebook c’est que l’on ne sorte plus de Facebook et ils sont prêts comme ça - c’est un raccourci- à racheter des contenus. Mais ce n’est pas Libération qui va gagner à la marge,c’est Facebook qui va gagner.”
Selon lui, Facebook a intérêt à avoir la presse de son côté, mais c’est l’entreprise américaine qui en retire tous les profits au détriment des entreprises de presses qui sont en danger de “dépendre, être pieds et poings liés avec Facebook.”

La stratégie de la presse sur le Web
Raphaël Garrigos a une position assez tranchée sur la façon dont la presse a effectué sa transition sur le web. Selon lui, “la presse française a fait n’importe quoi. Elle a mis en gratuit des papiers sur le web que l’on vend le lendemain”.

La dépendance à la publicité
Pour Raphaël Garrigos, un modèle économique uniquement centré sur la publicité est voué au long terme à l’échec, en tout cas en ce qui concerne le journalisme de temps long. En effet, il explique :“[Les médias] essaient de récupérer un gâteau publicitaire qui est en train de s’amenuiser et chacun prend des miettes. Personne n’a la taille critique, ou très peu, pour en prendre suffisamment. Peut-être que Libération et d’autres passent trop de temps sur l’instantané mais c’est parce qu’on ne donne pas les moyens aux titres de presse d’investir dans le temps long. Parce que travailler sur le temps long, c’est travailler dans le vent, c’est prendre le temps, c’est ne pas publier un papier pendant une semaine, même pendant trois jours juste pour prendre le temps de travailler, de chercher, d’approfondir.”

Les problèmes qui ne se posent pas :

Faire payer l’information en ligne :
“Tout de suite on s’est dit “ce sera sur internet, ce sera sans publicité, ce sera sur abonnement”. Parce qu’on trouve le modèle assez pur, qui correspond aussi à l’époque. [...] Mais ce n’est pas seulement Médiapart, c’est aussi le mouvement plus global sur le net de paiement comme Netflix, Deezer, Spotify, qui nous on inspirés.”

La dépendance à Facebook et Google :
La dépendance à Facebook est ici abordée comme corrélée au modèle de financement choisi par l’entreprise de presse. C’est en choisissant son modèle économique qu’elle se lie plus ou moins à l’entreprise américaine : “Pour moi, franchement Facebook, WhatsApp ce sont des outils de communication ce ne sont pas des médias. Ils en sont ce qu’on en fait. [...] Nous notre médium c’est les Jours, ce n’est pas Facebook”.
En parallèle, si un bon référencement sur Google est présenté comme relativement nécessaire, ce n’est pas en terme de dépendance à l’audience, mais d’évaluation que Google est évoqué : “On n’a pas de rapport avec Google, on fait tout pour être bien référencés parce qu’il faut l’être quand on est payant, moi je voudrais que quand on tape “Kurdistan”, le premier papier qui arrive, ce soit celui d’Olivier Bertrand [journaliste aux Jours]. Mais pas pour des questions publicitaires, parce que la publicité ne nous intéresse pas, mais parce que je pense que le papier d’Olivier sur le Kurdistan ça va être le meilleur qui aura été écrit de toute la presse.”

Les solutions :

Le payant contre la publicité :
Comme nous l’avons vu, Raphaël Garrigos, avec Les Jours, propose en ce modèle une solution possible à une sortie de crise dans la mesure où le modèle du payant permet de se séparer des problématiques liées au marché publicitaire, aux problématiques de dépendance : “À partir du moment où on se sort de l’audience publicitaire, ça change tout. [...] Dans trois ans, si on atteint les 25 000 abonnés on sera rentables avec des investisseurs privés à côté tout en restant totalement indépendants.”

A Propos

6 étudiants de l’École de la Communication de Sciences Po, 9 mois d’enquête et de travail acharné, 14 entretiens, 16 heures de vidéo et d’audio, 110 heures de retranscriptions, 3 cartes mémoires, 70,2 litres de café, 12 conférences et 95 756 messages échangés. Ce sont les ingrédients qui nous ont permis de vous raconter cette controverse : Les frères ennemis de l’info : Google, Facebook et la presse.

Dans le cadre du cours de Cartographie des Controverses de Sciences Po, en septembre 2015, on nous avait lancé un défi : étudier et restituer une controverse socio-technique, l’explorer sous toutes ses coutures et rendre visibles les discussions qui la rythment et les enjeux questionnés. D’abord lancés sur la piste de la disparition du média papier, nous nous sommes vite rendus compte que la controverse se cachait ailleurs. Nous remarquions, en tant qu’utilisateurs, qu’avec l’arrivée d’Internet, notre consommation de l’information, ses contenus et ses formats avaient changés. Et en même temps, en se promenant sur Facebook et autres réseaux sociaux, nous avions le sentiment de n’avoir jamais été autant exposés à l’info. Comment les réseaux sociaux et l’information en ligne étaient devenus si intrinsèquement liés ? Ça a fait tilt, il devait se tramer quelque chose entre la presse et les géants du web. Le monde des médias est au coeur d’une révolution silencieuse : s’il n’y a pas de manifestations violentes, ce n’en est pas moins une véritable controverse dont les conséquences ne se conjuguent pas au futur mais bien au présent.

Le site que vous avez sous les yeux est le résultat d’une enquête de terrain qui nous aura mené des Assises du Journalisme à Tours jusqu’aux bureaux de Google France à Paris. En 9 chapitres, nous avons tenté de synthétiser ce qui sous-tend les relations obscures entre les différents acteurs de cet écosystème passionnant en pleine mutation : la presse.

Bibliographie (PDF)

Remerciements

Cette enquête n’aurait jamais pu être réalisée sans l’ensemble des personnes qui ont pris de leur temps pour répondre à nos questions, partager leur connaissance et points de vue, et encouragée dans notre démarche. L’équipe les remercie infiniment. Nous tenons également à remercier très sincèrement toute l'équipe pédagogique du cours de Cartographie des Controverses Scientifiques de l'École de la Communication de Sciences Po Paris.

Un merci tout spécial à Nicolas Benvegnu, pour son soutien indéfectible, son exigence et ses conseils avisés (à toute heure) qui nous ont accompagné tout au long de l’année.

L’équipe

Anne-Lou Cabarat - Enquêteur Qualitatif
Anne-Lou est un peu la MACHINE du groupe. Récidiviste de la cartographie des controverses, spécialiste des retranscriptions, elle fut également responsable du Pôle Réconfort tout au long de cette enquête. Puriste de la grille d’entretien, Anne-Lou a veillé sur chaque interview avec passion. Pour en savoir plus, c’est ici.



Marine Doux - Enquêteur Qualitatif
Se rêvant en Bob Woodward et harcelant les acteurs sur Twitter, Marine a mis cinq mois à comprendre que l’enquête n’était qu’un EXERCICE. Consacrant 23h/24h de son temps à la controverse et douée d’un talent certain pour trouver des articles de presse, elle aura passé le semestre à noyer l’équipe de liens divers assortis de la mention “HUGE” ou “ENORME” selon les occasions. Vous pouvez la trouver ici pour être noyés à votre tour.



Ariane Seibert - Scénographe
Ariane est la scénographe du site. Ses compétences en design lui auront permis de retranscrire en pas moins de 250 000 schémas didactiques les 4000 heures de discussion enflammée du reste de l’équipe. Elle n’a pas seulement marouflé les murs du site internet mais a également canalysé durant cinq mois l’énergie de son binôme infernal. Pour retrouver ses travaux, c’est par .



Tsukasa Tanimoto - Scénographe
Tsukasa est la 2ème moitié du binôme de scénographe, spécialisé en vidéo et en bidouillage de HTML… mais surtout notre coordinateur et machine à blagues. Quand il n’est pas sur les cours de tennis, il entretient sa ligne éditoriale gastronomique sur Snapchat (username = tsukasa.tanimoto). Sinon, il fait aussi des trucs sympas ici.



Sophie Tsotridis - Enquêteur Qualitatif
Sophie est enquêteur qualitatif. Et nous n’en dirons pas plus pour des raisons de confidentialité.



Coline Virly - Enquêteur Quantitatif
Coline est enquêteur quantitatif. Outre sa passion pour les tableaux excel et les bibliographies sans fin, Coline a exploré les tréfonds de Twitter à la recherche des affrontements masqués, des luttes intestines, mais surtout du tweet parfait. Sinon, on peut la trouver ici.



Les titres auxquels vous avez échappés

  • Google, Facebook et la presse sont dans un bateau. Qui tombe à l’eau ?
  • Du clic à l’article
  • Pas d’impôt, pas d’info
  • L’info en ligne: David avec Goliath
  • Qui veut tuer Monsieur Papier ?

Acteur : Samuel Laurent

Journaliste au Monde, Responsable de la rubrique des Décodeurs

Présentation de l’acteur & du contexte :

Samuel Laurent est journaliste et responsable des Décodeurs du Monde, la rubrique du site d’information qui mélange infographies, data journalisme et contenus explicatifs.
Samuel Laurent est avant tout un journaliste web, ainsi sa vision de la controverse témoigne des problématiques éditoriales qu’amène la crise des revenus publicitaires. Il lie de fait les questions de qualité de contenu, de monétisation de la production, et de diffusion du contenu à l’ère des plateformes.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Samuel Laurent voit les Décodeurs comme la partie “innovation” du Monde. Du fait des contenus qu’il produit, le site a la possibilité d’essayer d’aller sur les plateformes comme Facebook ou même Snapchat pour montrer leur présence et aller chercher un lectorat qui ne se rend pas instinctivement sur Le Monde. De plus, Le Monde reste un média avec une marque forte, et c’est souvent l’exemple que les autres titres de presse prennent pour se comparer. Leur stratégie d’innovation, avec par exemple la Matinale [nouvelle application mobile], est un repère dans l’écosystème médiatique français. De même leur modèle économique, qui repose sur du Freemium est une solution qui pour l’instant semble être profitable au quotidien. De fait, Le Monde n’est pour l’instant pas sur Instant Articles, ce qui témoigne d’une certaine liberté d’action face à ce réseau social. Enfin, pour Samuel Laurent, la ligne qui définit Le Monde serait que l’information publiée chez eux est fiable, quitte à parfois produire dans le temps long, car ce qui importe c’est la qualité de l’information.

Les problèmes qui se posent au Monde :

La maîtrise du contenu :
Même si selon lui, il faut s’adapter aux supports que sont Google et Facebook, Samuel Laurent reste inquiet sur le fait que les éditeurs pourront rester maîtres de la diffusion de leur contenu. Par exemple sur Facebook ce qui fait qu’un article sera partagé c’est la viralité et cela le journaliste ne peut pas le maîtriser.

La qualité du contenu
Cette crise pousse les journaliste à se reposer la question “qu’est-ce que le journalisme ?” : selon lui, c’est le travail d’éditorialisation qui est primordial. Même s’il ne pense pas qu’un jour Google et Facebook voudront produire du contenu, ils posent problème dans leur manière de distribuer le contenu qui brise l’effort d’éditorialisation des éditeurs de presse. En effet, l’algorithme à la fois de Facebook ou de Google ne répond pas à une hiérarchie de l’information de type journalistique. Sur ces plateformes, ce n’est donc pas l’article de fond, sourcé ,qui sera valorisé mais la publication “de votre soeur ou votre beau frère”.

Comment aller cherche le lectorat
Avant de s’inquiéter de ce que fait Facebook ou Google, il faut regarder ce qui fait un bon média. En effet pour Samuel Laurent, la valeur ajouté d’un titre est particulièrement importante, surtout dans une économie de l’attention qui n’est pas en faveur de la production journalistique “traditionnelle”. Il se pose alors énormément de questions pour savoir comment aller chercher des lecteurs qui spontanément ne vont pas sur Le Monde (les “jeunes” plus particulièrement). En effet, il ne croit pas que les lecteurs soient prêt à repayer pour de l’information, de fait un mouvement de retour au payant mènerait à une fracture du lectorat : “Les deux modèles [tout payant vs tout gratuit] ont des défauts. Mediapart c’est l’information élitiste destinée à des gens déjà informés qu’elle existe. Cela veut dire qu’en gros, on laisse les pauvres avec Melty et Facebook.”. Cette tension entre choisir le payant ou le gratuit comme modèle économique l’amène de facto à analyser le cercle vicieux du modèle économique de la presse, sans pour autant savoir trancher sur le bon modèle économique.

La mesure d’audience
A l’instar d’acteurs comme Michaël Vuillaume ou Johan Hufnagel, Samuel Laurent confirme que l’instance actuelle de comptabilisation de l’audience, Médiamétrie, repose sur un système de triche généralisée qui ne répond pas au besoin des éditeurs de presse.

Les solutions :

Samuel Laurent ne formalise pas véritablement de solutions, il donne plutôt son analyse sur les problématiques précédemment citées en fonction de son expérience.

En ce qui concerne la réconciliation des lectorats :
Samuel Laurent est pour mélanger différents types de contenus au sein d’un même média. Autrement dit traiter, de l’information sérieuse de manière ludique mais surtout, faire des papiers fiables.

En ce qui concerne le financement des médias :
Samuel Laurent est pour mélanger différents types de contenus au sein d’un même média. Autrement dit traiter, de l’information sérieuse de manière ludique mais surtout, faire des papiers fiables.

Facebook Instant Articles & Snapchat Discover :
Enfin, il est plutôt dans l’esprit d’aller vers le lecteur sur les plateformes où il se trouve. Il ne refuse pas les innovations comme Instant Articles de Facebook ou Discover de Snapchat, il est relativement confiant sur le fait qu’un bon média produisant du contenu fiable pourra gagner à utiliser ce type de plateforme pour fidéliser un public qui n’est pas habitué à se rendre sur le site du Monde.

Acteur : Emmanuel Parody

Secrétaire général du GESTE

Présentation de l’acteur & du contexte :

Emmanuel Parody, après un long parcours dans le monde des médias et notamment en ligne, est le sécrétaire général du GESTE, une organisation qui fédère les principaux professionnels éditeurs en ligne de tous horizons confondus (médias, vidéo, musique, jeux et petites annonces). Le GESTE compte parmi ses membres de nombreux éditeurs de presse en ligne comme Le Monde, Le Parisien, Le Figaro - CCM Benchmarck, Médiapart, 20 Minutes, et des acteurs comme Google France ou Médiamétrie.

Son rôle dans l’écosystème :

Les acteurs du GESTE désirent un même objectif : la mise en place d’un “écosystème pérenne et équitable” pour les activités d’internet. Le GESTE a travaillé sur de nombreux sujets qui sont directement liés à la controverse que nous étudions : ils ont une position sur les adblocks, sur la monétisation des contenus, sur les diverses aides à la presse et enfin à propos de la neutralité des réseaux et des plate-formes. Le GESTE se propose d’être la voix de éditeurs de presse qu’il représente, que ce soit au travers des propositions ou des actions, comme celle menée contre les bloqueurs de publicité en mars 2016.

La façon dont il se voit dans l’environnement :

Le GESTE est un organisme qui regroupe de nombreux acteurs du numériques différents. Ainsi, selon Emmanuel Parody les positions qu’il dégage ne sont pas définitives car l'écosysteme est en pleine effervescence. Eux même ont du mal à dessiner une ligne claire pour le futur pour essayer de compter.Emmanuel Parody souligne que le GESTE n’est pas un syndicat et correspond plus à une “auberge espagnole”. Autrement dit, l’organisation comprend beaucoup d’adhérents dont les intérêts ne sont pas tous commun. De ce fait le principal rôle du GESTE est de réfléchir sur les problématiques du web entre acteurs du numérique pour éventuellement trouver des solutions. Le GESTE se voit donc comme une organisation de rassemblement de partis qui peuvent avoir les mêmes intérêts face aux bouleversements qu’a induit le numérique sur leurs pratiques. Il fait le pont entre les éditeurs de presse, les producteurs de contenus, les régies, les plateformes etc. C’est donc une organisation qui discute avec tous les acteurs en présence.

Les problèmes qui se posent pour le GESTE :

Les adblocks et la publicité intrusive

Les adblocks représentent un véritable problème pour les membres du GESTE à tel point que l’organisation a décidé de lancer une action anti-adblockers de prévention en mars 2016. Emmanuel Parody reconnait que la publicité intrusive est un problème et que les lecteurs préfèrent l’éviter. Cependant, avec les adblockers se pose la question de ce que représente la publicité pour l’économie de la presse. Ainsi, avoir de la publicité sur un site de presse permet la gratuité du contenu. De plus les entreprises de blocage de publicité sont en elles-même problématiques. En effet, pour Emmanuel Parody, ce sont des sociétés privées uniquement intéressées par le profit, dénuées de dimension éthique. Or pire que la publicité selon lui, l’autre versant de la gratuité c’est le fait de donner ses données personnelles et ses droits sur les contenus que l’on publie sur Internet. En effet, si vous avez gratuitement accès à des contenus sans publcité, c’est que ce contenu est rémunéré grâce à vos données personnelles. Cette manière de financer l’information est, selon Emmanuel Parody encore plus intrusive et insideuse que la publicité, or c’est le mode de financement des plateformes comme Facebook.

L’illusion de la gratuité
Selon Emmanuel Parody il y a une certaine incompréhension du modèle économique de la presse chez les lecteurs et même chez les journalistes. Selon lui, c’est la combinaison de l’achat et de la publicité qui a toujours permis de faire fonctionner l’économie de la presse. “Donc il y a un phénomène d’incompréhension totale de tous les acteurs sur le fait que personne n’a jamais payé le coût réel de production de l’information, enfin l’utilisateur final n’a jamais payé le coût réel“. La gratuité de l’information est donc un mythe qu’il faut chasser. Que ce soit avec la publicité, ou aujourd’hui avec les données, l’utilisateur a toujours payé son contenu.

Le système de subvention de l’Etat
Les subventions de l’Etat qu’elles soient directes ou indirectes sont un problème pour le système économique de la presse car cela rend les titres dépendants commercialement. Selon lui, le seul vrai titre indépendant, à ce niveau là, c’est Prisma, donc Voici ou Capital. A l’inverse “Celui qui se rince le plus c’est l’Humanité [...]”Selon lui le système de subventions publiques “sert à soutenir la presse régionale essentiellement de manière honteuse alors qu’elle tient des petits monopoles dans les régions etc. C’est cela le problème. Vous voulez un canard indépendant des aides de l’Etat, c’est le groupe Prisma, Capital, Voici etc. Vous voulez un canard les gens achètent et qui est indépendant, c’est Voici. Ce n’est pas la réponse que vous vouliez entendre.”

Facebook et la fermeture du web
Selon Emmanuel Parody, les plateformes sont en train d’absorber toute l’audience pour la garder en espace fermé. De ce fait, les acteurs monopolistiques que sont Facebook ou Google ont pris tout l’espace au sein de cet écosystème : “A partir du moment où 60% de l’audience mobile y arrive par Facebook vous êtes obligés de discuter avec Facebook. Oui, Facebook est quand même en train de préparer son propre navigateur donc il ne va pas être emmerdé par les adblocks”. Ces plateformes “créent l’usage … Quelqu’un me disait c’est un modèle de crack, c’est un modèle de dealer de crack”. Il continue à citer l’exemple de Facebook : “Je vous fait goûter, et ensuite le prix commence à monter, c’est-à-dire que, qui dit que vous aurez 100% de la publicité dans deux ans, dans trois ans, dans cinq ans. Qui dit que vous aurez accès même à la data etc . L’histoire montre que vous aviez accès à plein de choses, deux ans après vous n’y avez plus accès.”. Facebook avec des applications comme Instant Articles par exemple est en train de “tuer l’écosystème du web” en imposant des conditions et des usages aux éditeurs de presse. Selon Emmanuel Parody personne d’autre que Facebook n’est capable de fournir une audience si connectée. Même si les deux tiers du lectorat est sur Facebook, Emmanuel Parody ne considère pas qu’aller sur Instant Articles soit une bonne solution. Par exemple Libération n’a eu aucun intérêt à y aller et Emmanuel Parody estime que cette opération leur rapporte environs 3000 euros par mois en revenus publicitaires.

Google AMP et le code
Dans l’idée de “fermeture du web” Google joue également un rôle important avec AMP : “Google est en train de faire ce que faisait Microsoft dans les années 80/90. Je mets des bouts de code que je contrôle. Ainsi Google essaie de mettre la main sur l’écriture de l’Internet et cela se comprend dans une guerre des plateformes avec Facebook notamment.” Même si Google semble être un moindre problème pour les éditeurs de presse par rapport à Facebook, Google n’a pas encore perdu la bataille, notamment celle du mobile. C’est par exemple Google qui est le premier à avoir mis en place une méthode intrusive de collecte de data.

La mesure d’audience
En ce qui concerne le fait de ne pas comptabiliser les audiences d’Instant Articles, ce sont des raisons internes à Médiamétrie qui ont poussé à cette décision. En écoutant les propos d’Emmanuel Parody cette institution a l’air de fonctionner selon ses propres règles : “Médiamétrie c’est une auberge espagnole. C’est-à-dire que les choses sont décidées par leurs clients et donc il ne faut pas se mettre sur le dos de Médiamétrie”. Leur mode de fonctionnement est particulièrement opaque pour les non inités. Allant jusqu’à parler de magouille, Emmanuel Parody souligne que s’il y a marchandage, c’est aussi la faute des éditeurs de presse qui contournent les règles préalablement établies.

Fragmentation de la marque média
Avec les pratiques de consommations sur Internet, avoir une marque média forte est devenu crucial : “[Avant], le problème c’est que, quand vous vendiez un produit, un journal, il y avait un début et une fin. Une marque c’est un objet: comment transposer ça sur Internet ? Cela a donné le site web. Mais maintenant avec la multiplication des supports et des formats, ce qui est en train de se passer ce n’est pas très clair [...].” Le défi c’est alors de “marqueter” son média indépendamment du support de publication qui sera au final difracté. Selon lui, le problème de beaucoup de médias français réside dans le fait qu’ils n’ont pas de stratégie de marque.

Des politiques qui ont laissé tomber le dossier
Les médias sont considérés comme économiquement nuls pour peser dans l’agenda politique. Google ayant mis en plus l’argent sur la table, la politique française a laissé tomber le combat et s’en est remis aux instances européennes.

Les solutions :

Changer de modèle économique
Quand on parle de modèle économique de la presse il faut, selon Emmanuel Parody, faire comprendre que le tout gratuit n’existe pas : “Ma position, c’est de dire qu’à un moment, il ne faut pas faire croire qu’il y a d’autres discussions. C’est-à-dire que c’est payant, si c’est gratuit ça sera toujours la publicité qui paiera”. Ainsi la solution du paywall intégral est une bonne idée. Emmanuel Parody est un fervent soutien de Médiapart. En effet, pour lui la logique de payer à l’article est très mauvaise car ce n’est pas comme cela que les gens raisonnent, alors que l’abonnement est un acte plus fort : c’est un acte d’adhésion éditorial à la marque sociale que votre titre véhicule. Le tout payant est donc un modèle économique cohérent pour rémunérer la production et la diffusion des contenus. En ce qui concerne les fondations et le mécénat, Emmanuel Parody n’y est opposé. Les fondations ce n’est pas l’indépendance selon lui : “c’est exactement l’inverse. La fondation c’est avant tout un organisme qui a fait un choix idéologique fort et aux États-Unis à part deux trois fondations qui financent les enquêtes, c’est l’inverse. C’est un média complètement verrouillé pour un choix idéologique, et c’est accessoirement du blanchiment d’argent.”

Changer les formats de publicité
A l’inverse si la stratégie du titre est de continuer à pourvoir du contenu gratuitement, il faut revoir la manière de faire de la publicité. Et cela commence par limiter les formats les plus intrusifs : “Ma position c’est d’appliquer les règles simples: de dire on n’empêche pas le lecteur de lire. La publicité avant, autour, après mais quand on lit on ne recouvre pas les articles.” De façon intéressante, Emmanuel Parody compare la situation presse aux paysans, expliquant que la presse a elle aussi “perdu le contrôle de la distribution, perdu le contrôle de la diffusion et du coup a perdu le contrôle de la fixation des prix. Même en publicité maintenant c’est un système boursier donc [la presse] n’a plus la capacité de fixer (ses) prix. [...] Vous voulez sortir de ce piège ? Il faut faire du bio. Et faire du bio ce n’est pas tout à coup produire du bio. C’est reconstruire la chaîne de distribution qui permet d’amener jusqu’à des magasins bio, il faut reconstruire toute la chaîne. Et certains disent: si vous allez sur Facebook, vous renoncez quelque part à reconstruire la chaîne de distribution et au contraire vous êtes en train de dire “moi je vais abandonner, je vais là où il y a de l’audience parce que j’ai abandonné toute idée de maîtriser moi-même comment j’acquière mon audience””. Or cette reconstruction de la chaine passe par des solutions localisées qu’il faut mettre en commun pour véritablement reprendre le contrôle sur la chaîne de valeur, d’où l’utilité du GESTE.

Retour à la controverse
Vue d'ensemble
Chronologie