Voici la retranscription de l'interview de Jean-Michel Costes, réalisé le 11 avril 2011 en face-à-face :
La première question : comment définiriez vous le cannabis en terme de classification dans les drogues?
Oui. Bah, nous on le considère comme une drogue, c’est à dire un produit psycho actif. C’est un produit qui peut modifier l’état de conscience d’une personne, au même titre que l’alcool, le tabac, et beaucoup de produits donc qui sont classés dans les drogues illicites ou traités comme tels. C’est clairement un produit psycho actif qui modifie l’état de conscience d’un individu, avec des effets du cannabis qui sont plutôt en général des effets d’euphorie, de bien être et puis en fonction de la dose, de la sensibilité de l’individu, peut provoquer une ivresse.
Pour préciser un peu, que pensez vous finalement de cette notion drogue douce/drogue dure? Vous êtes plutôt partisan de ceux qui la remettent en cause?
Oui, oui, ça veut rien dire. Nous, on est plutôt, on insiste plutôt sur le fait qu’il n’y a pas de drogues douces et drogues dures mais des usages doux et des usages durs de certains produits, voilà. Donc, il y a des usages doux du cannabis, des usages durs du cannabis, il y a des usages doux de l’alcool, des usages durs de l’alcool et même des produits comme l’héroïne, vous pouvez très bien faire un usage doux de l’héroïne… alors après, il y a une plus ou moins grande dangerosité de différents produits… on y reviendra, c’est d’ailleurs la question d’après mais ça je pense que c’est un clivage extrêmement important et notamment je dirais dans l’approche entre passion et raison. Pour moi, c’est le premier clivage important, une espèce de focalisation qui en général aboutit à une diabolisation sur ce qui était le problème. C’est pour ça, même la question « le cannabis est-il dangereux », il faudrait dire « l’usage du cannabis est-il dangereux » parce que le produit en lui-même est, sauf sur certains usages, mais qui sont, c’est l’effet qui le montre, peuvent êtres problématiques voir très problématiques… c’est en fait une plante, sauf tout, assez banale sauf qu’elle est psycho active, donc elle modifie l’état de conscience et à partir de ce moment là, il y a ce que va en faire l’individu et surtout le contexte dans lequel il est, le contexte social.
Finalement, en fait, on continue un petit peu mais finalement, c’est une échelle à remettre en cause si il s’agit d’une question d’usage…
Oui, en fait voilà… une échelle de dangerosité de 1 à 10 alors, voilà c’est ça : comment vous faites une échelle, c’est très réducteur, donc… comment on considère la dangerosité? Pour moi, il y a deux façons de la saisir, à savoir soit la dangerosité pour soi-même, soit la dangerosité collective, pour la société, l’impact… c’est très différent. Alors, si on prend les différents produits déjà, ils sont consommés de façon plus ou moins massive… il y a des produits qui sont massivement consommés dans la culture en France, ça va être l’alcool, le tabac… d’autres produits qui le sont beaucoup moins, l’héroïne, la cocaïne… le cannabis lui est dans une situation un peu médiane, c’est à dire même chez les jeunes, on serait plutôt sur un produit qui est massivement consommé… alors c’est évident que c’est un produit psycho actif qui peut avoir des conséquences de dommages, plus il est massivement consommé, plus il peut produire de la nuisance pour l’ensemble de la société. Donc, c’est pour çà que… dans les critères de dangerosité, je pense qu’il faudrait déjà avoir deux axes : dangerosité pour l’individu et dangerosité pour la société. Et puis alors après, comment… vous parlez des critères, donc sur la question 2, sur une échelle de dangerosité, un indice comme ça, très schématiquement, en prenant en compte l’ensemble de la dangerosité, c’est à dire pas que pour la santé… pour la santé certes, mais pour la santé physique, santé mentale, incluant le risque de dépendance et ce qu’on appelle les dommages sociaux, c’est à dire par rapport à l’ insertion des jeunes dans le système scolaire, pour les adultes, pour fonder une famille ou s’insérer dans une famille ou dans un avenir professionnel, ou des questions de délinquance voilà… donc si on considère tous ces dommages, y compris en volume, pour moi il est clair que sur une échelle de 1 à 10, je mettrai à 10 des produits comme l’alcool, l’héroïne, et la cocaïne crack, un cran en dessous des produits comme la cocaïne snifée, l’ecstasy, et le tabac. On pourra en discuter de pourquoi je vous dit tout ça et puis… un cran en dessous autour de 4, 5 donc le cannabis.
Je le mettrais à peu près comme ça, donc on en vient tout de suite sur la question des critères, basés justement les dangers du cannabis. Moi je pense que, dans les critères, il faut vraiment prendre en compte toute la palette des critères. C’est à dire, donc déjà les axes dangerosité pour soi, dangerosité pour autrui, pour la collectivité et puis alors pour la santé, les critères c’est la mortalité, la part attribuable à la consommation d’une substance dans la mortalité… donc ça ce sont les travaux qui ont été faits pour l’alcool et le tabac. On sait que l’alcool fait 60 000 décès par an, le tabac c’est 40 000, les drogues illicites, c’est quelques centaines. Alors ça se comprend bien parce qu’il y a moins de consommateurs. Et le cannabis, assez massivement, on manque de recul, il n’y a pas encore de travaux qui ont permis de faire cette évaluation globale… on a une petite évaluation des décès de la circulation routière, attribuable au cannabis, autour de 100… il est probable que dans quelques années, nous prenions du recul et que nous commencions à voir sur plusieurs années sans doute une part des décès de cancer qui seront attribuables au cannabis puisque ça aura exactement les mêmes conséquences que pour le tabac puisque son mode de consommation fait qu’il est fumé… donc ce n’est pas la substance en elle-même mais son mode de consommation. Donc sur la santé, la question de la mortalité, des maladies qui sont liées à la consommation, la santé mentale, donc on a beaucoup parlé, notamment du lien cannabis schizophrénie… bon là c’est un champ en lui-même plein de controverses parce qu’il y a des études plus ou moins contradictoires. Disons qu’il y a un relatif consensus, après il y a des interprétations différentes selon les scientifiques mais disons qu’une majorité de scientifiques s’accordent sur le fait que le cannabis peut renforcer une fragilité pré existante et donc être le déclenchement de la maladie… de même que des gens souffrant de schizophrénie auront une plus grande appétence à consommer du cannabis… c’est une espèce de renforcement. Donc santé mentale je disais et puis évidemment le potentiel de dépendance. Alors, la dépendance, pourquoi c’est un problème en soi… eh bien parce que cela fait que ça enlève sa liberté à l’individu… donc pour dire qu’il va continuer dans sa consommation avec les effets sanitaires dommageables mais aussi ça va avoir une conséquence sur un autre aspect, son insertion sociale… l’effet de la dépendance pourra faire que la substance, le produit prenne tout la place dans la vie de l’individu, plus de place que d’autres choses… donc c’est aussi à mon avis un critère fort pour juger de la dangerosité et les dommages sociaux donc j’en ai déjà parlé, au niveau scolaire, au niveau familial, au niveau professionnel et au niveau de la criminalité. Et je pense que si on allait loin en terme de critères, on pourrait, notamment dans la dimension que j’ai appelé collective, on pourrait tout à fait aussi avoir un critère important qui est l’écologie… il y a des drogues qui sont plus ou moins écologiques. De ce point de vue là par exemple, le cannabis me paraît une drogue plus écologique, entre guillemets, que par exemple, des drogues de synthèse… c’est un autre axe qu’on a peu entendu qui me paraît également intéressant pour juger de la dangerosité d’un produit.
Alors ensuite, comment concrètement sont effectuées ces études sur les dangers des drogues?
Pour les études, il y a les études qu’on appelle les études expérimentales, qui sont essentiellement sur des modèles animaux; c’est la grande spécialité, par exemple, du professeur Costentin, sur les porcs ou sur les souris; alors, on les manipule, on leur enlève des gènes, on leur met des trucs… bon voilà. Alors tout ça, c’est extrêmement intéressant pour comprendre le mécanisme profond de l’addiction, de la dépendance… ça peut éventuellement avoir des conséquences favorables pour trouver, dégager des voies thérapeutiques… mais c’est un peu compliqué. Est-ce que ces études sont pertinentes pour apprécier la dangerosité d’une substance? À mon avis, relativement peu parce que très souvent… enfin, c’est toute la question de l’extrapolation de ces donnés à l’Homme. En général, les doses qu’on administre à ces souris sont des doses qui correspondraient chez l’Homme à une quantité assez monstrueuse mais bon… Et puis, est-ce que l’on sait transposer les doses de cannabis qu’on administre à une souris à ce qui correspond à un certain nombre de joints chez l’Homme… rien déjà que cette question là me semble terriblement compliqué… donc à partir de là, si vous arrivez à démontrer que des phénomènes de dépendance que l’on va attribuer à la souris… comment l’extrapoler à l’Homme? Alors, vous pourrez conclure, c’est ce que font ces études que tel produit rend plus dépendant parce que dans votre modèle expérimental, la souris va préférer prendre tel produit… et d’ailleurs Jean Pol Tassin a du vous en parler, il y avait une magnifique étude qui démontrait que les souris étaient plus dépendantes au sucre qu’à la cocaïne… voilà, alors est-ce qu’on en conclut que le sucre est plus dangereux que la cocaïne? Peut être? Du point de vue santé publique, il y a sans doute plus de décès liés au sucre, ou du moins à l’excès de sucre, qu’à la cocaïne. Et là, on rejoint un autre critère et vous voyez, on est sur une toute autre approche qui est celle de la santé publique… donc là, on quitte le monde des souris etc., on retombe dans le monde des Hommes… et dans le monde des Hommes, alors là, que signifie le fait de faire des expériences? Puisqu’on ne va pas mettre des hommes dans des petites cages et leur administrer de la cocaïne, eh bien, on regarde en fait en bout de course et on s’intéresse aux dommages… et on se rend compte effectivement que d’un point de vue santé publique, il y a plus de morts par alimentation et excès de sucre que de morts de consommation de cocaïne… donc on peut en conclure que le sucre est sans doute plus dangereux que la cocaïne. Vous voyez donc, ce sont deux approches assez différentes. Donc, dans tous les cas, ce qui est compliqué dans l’affaire, ce sont les difficultés d’extrapolation, et ça, je vais vous donner un autre exemple, bien documenté, sur l’enquête SAM sur stupéfiants et mortalité routière, enfin accidents de la route; il y avaient des études expérimentales. Le premier champ de la recherche, c’était donc ce qu’on appelait la recherche expérimentale, pour le coup pas sur des souris qui ne conduisent pas de voitures, mais sur les hommes… vous voyez, il y aussi là quand on commence à se pencher sur l’expérimentation humaine, il y a aussi quand même… enfin c’est très très limité ne serait-ce que sur les considérations éthiques… on ne peut pas faire n’importe quoi, pour des raisons éthiques; donc c’est assez limité. Vous ne pouvez par exemple, pas mettre des hommes, plongés dans un univers de cocaïne, c’est impossible éthiquement, donc c’est extrêmement compliqué. Donc là, l’étude expérimentale consistait à voir dans quelle mesure le cannabis perturbait la conduite automobile… donc pour des questions éthiques, vous ne pouvez pas le faire dans la vraie vie, vous ne pouvez pas mettre des gens sous l’effet de cannabis, les lâcher sur la route et regarder… c’est pas éthique. Donc, ce que vous faites, c’est que vous faites cela en simulateurs. Donc, vous prenez une personne, deux groupes, le design classique d’étude clinique, en double aveugle, donc un groupe sous l’influence de cannabis et l’autre qui ne l’est pas puis vous leur faire faites sur un simulateur de la conduite et vous constatez qu’effectivement, que le cannabis perturbe un certain nombre de fonctions motrices qui sont très importantes pour la conduite automobile. Dans un premier temps, vous vous dites donc Eureka, j’ai trouvé, donc le cannabis c’est pas bon sur la conduite automobile… erreur! Ce n’est pas forcément le cas, ce n’est pas et c’est souvent ça en science… c’est une condition nécessaire mais pas forcément suffisante. C’est exactement le cas ici parce que si vous mettez cette population et il y a d’autres études par d’autres méthodologies qui l’on montré, donc si vous mettez les conducteurs dans la vraie vie, on se rend compte que quand ils sont sous l’influence de cannabis, à un certain degré d’influence sous le cannabis, pas en ivresse profonde etc., eh bien l’ivresse cannabique, la légère ivresse cannabique n’est pas comme l’ivresse alcoolique qui est une ivresse qui disons, augmente la capacité de passage à l’acte, d’être violent, agressif, pour les violences conjugales mais aussi être en excès de vitesse etc. Alors que pour euh… c’est un peu l’image du baba cool qui a fumé son joint, et donc, un consommateur de cannabis, ayant conscience de son état, va plutôt se sentir un petit peu sous influence et il va réduire par exemple sa vitesse… et en réduisant sa vitesse, du coup, vu que c’est le facteur qui augmente le plus l’accidentologie sur la route, eh bien, il va avoir moins d’accidents… donc ce n’était pas suffisant comme expérience. C’est pour cela que nous avons fait une étude épidémiologique sur les conducteurs, alors je vous ne la décris pas dans le détail parce que il y en aurait pour deux heures pour expliquer la méthodologie exacte, mais grosso modo, si on compare conducteurs sous influence et conducteurs qui ne sont pas sous influence, on a montré que, dans la vraie vie, effectivement il y avait un risque, il était faible mais il y avait un risque. Donc, en épidémiologie, on mesure le risque individuel et le risque collectif, donc le risque individuel, le risque relatif, c’est à dire quand vous êtes sous influence, quelle est la probabilité… enfin en fait c’est le risque 2, c’est à dire qu’un conducteur sous l’influence de cannabis a 2 fois plus de risque de provoquer un accident avec décès qu’un conducteur qui n’est pas sous influence… voilà. Donc c’est un risque en épidémiologie qui est assez faible, pour la sécurité routière, ça correspond à peu près au risque du téléphone portable au volant… le risque alcool étant lui de 8, donc plus élevé et puis alors alcool + cannabis, ce qui potentialise les effets, on arrive à 14 ou 15. Ensuite le risque collectif, c’est la fraction attribuable, c’est à dire on prend l’ensemble des décès et on essaie de démêler les contributions respectives de la vitesse, des substances, alcool etc., et là, on avait trouvé que c’était environ à hauteur de 2%. Donc 2% des décès étaient imputables au cannabis.
Donc c’était un long développement mais pour vous donner un exemple. Et tout ça pour vous dire, comment concrètement… en tous les cas, ce qu’il faudrait toujours, c’est euh… et ça c’est là, on est sur un champ où l’idéologie règne en maître. On trouvera toujours quelque soit votre point de vue, même le plus extrême, vous arriverez toujours à trouver une étude scientifique pour documenter votre point de vue… c’est pour ça que vous arrivez toujours… Et après, pour essayer de dégager un consensus, eh bien, une étude n’est jamais suffisante… il faut croiser déjà sur un même champ, la pharmacologie, la neuroscience etc., il faut croiser les résultats et croiser les sciences et c’est par ce qu’on appelle la triangulation pour moi, un, que vous pourrez dégager entre guillemets, une certaine part de vérité scientifique et deuxièmement, la dimension collective, c’est à dire, en mettant autour de la table, plusieurs études. Et c’est un peu ce que fait l’INSERM avec des expertises collectives qui pour moi, dans le domaine, font référence, parce qu’il y a à la fois, la triangulation des données et aussi, de points de vue différents.
En fait, ce que nous disait Jean Pol Tassin sur la question, il différenciait deux types d’études ou de façons d’étudier : ou étudier la toxicité de la substance en tant que telle ou étudier les potentiels toxicomanogènes, ce qui poussait à arriver à des conclusions complètement différentes…
Alors là, j’en viens aux critères parce que je suis aussi pour une approche multi critères sur la dangerosité et on a fait de la toxicomanie une question quasiment que médicale alors que je pense que le fonctionnement de la toxicomanie, c’est quand même une question sociale selon moi.
Maintenant, de quelle façon les chercheurs rendent compte du lien de cause à effet en ce qui concerne le cannabis et les cannabinoïdes?
Oui alors là, c’est tout le débat que vous devez connaître aussi, la différence entre corrélation et causalité; donc, une corrélation n’est évidemment pas une causalité. Il y a par exemple des corrélations qui sont complètement au hasard, par exemple, je sais pas moi, la production d’ampoules et le nombre de toxicomanes, si il y a une corrélation ici, vous n’allez bien sûr pas en déduire une causalité. Il faut déjà qu’il y ait du sens avant de rapprocher des corrélations; une corrélation, c’est juste une liaison mathématique. Je vous dis, il faut qu’il y ait du sens et trop souvent les chercheurs ont tendance à chercher voilà la causalité… et comme maintenant, on a des ordinateurs à capacité infinie, on met tout ça dans un modèle, oui on trouve des corrélations… mais il faut déjà, je dirais émettre des hypothèses avant de chercher une causalité. Il ne faut pas croiser n’importe quoi… il y a des tas de débats comme ça… donc corrélation et causalité, alors comment on passe de la corrélation à la causalité, il faut déjà que ça ait un vrai sens et deuxièmement après je dirais un peu un faisceau, vous n’arriverez jamais à avoir une totale certitude, il faut raisonner par faisceau d’indicateurs; il y en a au moins deux, c’est quand vous avez deux phénomènes, c’est de prévoir ce qu’on appelle leur séquençage, c’est à dire la chronologie… prenons l’exemple sur lequel on a beaucoup buzzé : cannabis et échec scolaire. Il y a une corrélation, OK. Mais est-ce qu’il y a une causalité? Et dans quel sens est la causalité? Est-ce que l’échec scolaire amène à la consommation de cannabis? Ou est-ce que la consommation de cannabis mène à l’échec scolaire? Bah déjà, un petit indice dans le sens : c’est ce qu’on appelle la chronologie. La chronologie, c’est tout simplement : est-ce que l’échec scolaire arrive avant ou après la consommation de cannabis? Ça, ca pourra donner un indice. Il se trouve que ça se produit avant, alors voilà, on pourrait se dire comme indice qu’en tout cas, ce n’est pas le cannabis qui cause l’échec scolaire et il y a souvent le… en fait le plus souvent de toute façon, il va y avoir un facteur commun qui va être ceci ou déterminant. C’est peut être le cas a priori, enfin sur ce que je peux connaître de la littérature scientifique sur l’échec scolaire et consommation de cannabis; des facteurs communs. Et il y en a un troisième, c’est l’inconnu, pas dans les modèles, ça n’a pas été investi et il y en a un autre qui est extrêmement fort, une preuve d’évidence, c’est l’effet d’accumulation; si, en augmentant la dose, vous augmentez le phénomène, là c’est quand même une preuve assez forte d’une relation causale… c’était par exemple… ça s’applique sur cannabis et accident de la route… si en augmentant ma consommation de cannabis, j’augmente le nombre, la probabilité survenu d’un accident mortel, là, je pourrais dire qu’effectivement, c’est le cannabis qui en est la cause. C’est extrêmement bien documenté avec l’alcool.
Alors ensuite, est-ce qu’il y aurait des méthodes de recherche propres à des catégories scientifiques, c’est à dire par exemple, l’épidémiologie qui serait beaucoup plus présente chez des scientifiques plus proches de la psychologie?
Bah, c’est à dire que je dirais : limitons les résultats de chaque science à ce que ça peut faire… quand vous êtes pharmacologue, ça c’est bien… après que les pharmacologues se prononcent sur les politiques publiques, je veux dire, ils sortent de leur domaine. En fait, c’est ça le gros problème… pour la neuroscience, c’est pareil, si vous voulez… par exemple, en politique publique, vous serez plus intéressée par des questions plus sociales… vous vous demanderez par exemple que est le coup social du cannabis. Donc voilà, que chaque science finalement reste un petit peu, ne sorte pas trop de son domaine… On l’a bien vu dans l’enquête SAM, beaucoup ont dit des conneries et vraiment n’importe quoi sur cannabis et accidents de la route, à 20, 25%, c’étaient les toxicologues… après, il y a un autre problème, ce sont aussi les conflits d’intérêt… l’intérêt pour les toxicologues de dire qu’il faut faire des dépistages parce que c’est leur business. Mais mettons de côté le conflit d’intérêt. Voilà, un toxicologue, il voit du sang et des molécules dans le sang… mais je veux dire, sur un phénomène social comme celui de l’usage du cannabis… ça me paraît très limité.
Alors ensuite, comme on s’interroge sur la production de l’objectivité scientifique, on essaie de voir si les façons d’étudier influent vraiment les résultats et peuvent mener à des conclusions complètement différentes? Mais finalement, on en a déjà pas mal parlé, donc passons plutôt à la question des biais scientifiques?
En fait, les biais scientifiques, bon, je ne suis pas quand même omniscient… moi je suis de formation plutôt sciences sociales, démographe et sociologie, donc, je ne suis pas un spécialiste des neurosciences etc., mais pour moi ce qui est clair, c’est que, dans le champ des drogues, le problème, c’est pas tant les biais scientifiques, il y en a toujours plus ou moins, mais on progresse et puis la science, de toute façon, il faut du temps, énormément de temps… il y a plus vraiment de grandes découvertes à attendre de la science mais au contraire de la consolidation, celle des études… on a une première étude, il est consolidée par une deuxième… une troisième qui vient en contradiction… donc ça se passe comme ça, voilà… Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’il y a des biais idéologiques tellement prégnants qu’il me semble que les biais scientifiques finalement sont assez faibles…
Après, ce qu’on se disait surtout, c’était, comment tirer des conclusions sur un produit comme le cannabis où il y a des gens qui font des tests sur des produits, par exemple à 40% de THC, voir 50, et d’autres des tests sur des produits à 8% ou alors… bref, ce qui rend la recherche difficile…
Alors, oui, il y a tout ça… après, normalement, quand on regarde, enfin quand l’étude est bien faite, elle va prendre en compte ça. Elle va essayer d’estimer quelle est la quantité moyenne de résine de cannabis dans un joint… Alors, nous par exemple, on a estimé le taux moyen en prenant par exemple des échantillons auprès de consommateurs par l’intermédiaire des douanes. Et on estimé que c’était un taux plutôt constant et dans ce domaine aussi, l’idéologie prime… par exemple, une des choses que vous allez souvent entendre, c’est le fait que aujourd’hui, ce n’est pas du tout la même chose que ce que les parents fumaient, que les taux de THC ont explosé et parce que les joints sont 5 fois, 10 fois, 20 fois plus dosés… ce qui est complètement faux… on va vous dire que les produits fabriqués dans le nord de l’Europe sont plus concentrés etc… alors qu’en réalité, il n’y a pas d’études, personne n’a mesuré dans les années 70, le taux de THC… je vous met au défi de trouver quelqu’un qui connaît les taux de THC du cannabis des années 70… il n’y a aucune étude là dessus. En fait, en France, le taux moyen aujourd’hui est à hauteur de 8% un peu comme partout en Europe, sauf en Hollande où là effectivement c’est un peu plus fort… avec peut être sur les 10 dernières années, une évolution peut être un petit peu à la hausse, mais uniquement de l’ordre de quelques pourcents… peut être sur 10 ans, de 8% à 8,3% mais pas plus… alors c’est assez marginal… après il y a aujourd’hui, entre 2 et 5% de produits fortement dosés, qui correspondent aux fameux produits néerlandais, donc à hauteur de 15, 20%.
Après, quand on fait des études sociologiques qualitatives, on voit que les 2 ou 5% de produits très dosés, ils sont recherchés par des gros consommateurs réguliers plus âgés, entre guillemets, experts du cannabis qui recherchent des produits un peu particuliers comme un consommateur de vin qui commence à boire du vin de terroir et qui finit par des grand crus classés… voilà.
En plus, ce genre de produits plus dosés, là c’est une autre question…ça va peut être conduire à réduire la consommation etc.
Oui tout à fait.
Alors après, est-ce qu’on s’est posé la question sur l’alcool, c’est très drôle ça… en disant est-ce que l’alcoolisme à la bière est-il moins grave que l’alcoolisme au whisky? Jamais personne ne s’est posé la question… on est plutôt sur des unités de mesure, de grammes d’alcool consommés, enfin voilà quoi.
Alors, après on va revenir sur les questions d’idéologies. Mais pour l’instant, une question purement pratique, vu que c’est un produit illégal…
Oui alors ça c’est compliqué, mais ce n’est pas insurmontable puisqu’on arrive bien à le faire… oui le côté illicite… quand vous interrogez dans les enquêtes, une grande source d’information que sont ces enquêtes en face à face ou par rapport à la population générale… après quand vous interrogez les gens sur des comportements illicites, c’est un peu plus compliqué pour avoir des réponses fiables mais bon ça peut se faire… c’est pas insurmontable. Pour les produits, on a un dispositif qui s’appelle « train des synthèses », depuis 10 ans, qui collecte, qui permet de collecter directement auprès des usagers des drogues… et ça c’est interdit dans la loi, évidemment. Mais après, quand les pouvoirs publics, à la fin des années 90, s’inquiétaient de… principalement à l’époque, c’était une potentielle explosion des drogues de synthèse et principalement l’excatsy, eh bien les pouvoirs publics à ce moment là ont été pragmatiques, comme souvent les politiques et ils nous ont dit bah : « faîtes le ». Et on a juste eu à envoyer une information auprès des procureurs en leur disant : voilà, on va faire ça… si vous n’êtes pas d’accord, écrivez nous! Il y en a 3 ou 4 qui nous ont écrit mais dans l’ensemble, ça peut se faire…
D’accord et est-ce que vous récupérez des produits par l’intermédiaire des forces de l’ordre dans leurs saisies?
Alors, oui sauf que nous, ce qui nous intéressait c’était de collecter ce qui est vraiment consommé… parce que par définition, les saisies ne sont pas consommées. Et c’est un peu différent pour le cannabis mais c’est important pour les produits de comparer un produit qui va être saisi et un produit qui va être acheté par les consommateurs, par exemple, par rapport aux produits de coupe. Vous avez en fait le produit final… ce qu’on demande aux gens, en fait c’est un produit qu’ils sont entrain de consommer… ce qui va être une partie du produit global. En plus, on a besoin d’informations sur le contexte, par exemple : « À qui ils l’ont acheté? Où? Est-ce que la personne qui leur a vendu le produit est une personne à qui ils ont l’habitude d’acheter?
En fait, ce que vous dîtes, c’est que quand on saisit le produit, ça peut être en amont alors qu’il sera modifié avant la consommation finale…
Oui alors, c’est un peu moins vrai pour le cannabis mais par exemple quand vous comparez avec un produit comme la cocaïne, la cocaïne de rue et celle par exemple saisie dans un aéroport, la différence de puissance, de dosage, de pourcentage est sans commune mesure.
Oui, alors maintenant, on revient un peu sur la question des critères, on en a déjà parlé un petit peu… parce qu’on avait vu que l’AFFSAPS, elle classait ses substances selon une méthode basée sur le critère de potentiel d’abus d’une part et de valeur thérapeutique de l’autre… vous trouvez que ce sont des critères pertinents?
Oui, oui, oui… mais ça correspond aux métiers de l’AFFSAPS, qui s’occupe de médicaments… et c’est d’ailleurs toute l’ambigüité des drogues… en anglais par exemple drogues c’est « drugs » et c’est la même chose que médicament… donc là, on est sur quelque chose… est-ce que c’est un médicament ou pas un médicament? Et est-ce qu’il y a dépendance ou pas dépendance? Donc c’est un système arbitraire, réglementaire mais bon qui est… qui est je dirais moral aussi… parce qu’il y a du « non dit »… on est pas dans la science là… si on était dans la science, ça fait des années, depuis le départ que l’AFFSAPS aurait classé dans les stupéfiants l’alcool… nan parce que par rapport aux critères que vous m’avez énoncé, potentiel d’abus de l’alcool, il n’y a pas photo… c’est énorme d’autant plus que la valeur thérapeutique est quasi inexistante, donc euh… voilà l’alcool n’est pas classé… si bien qu’on est pas dans le domaine de la science.
Alors, ensuite, parlons de la convention de l’OMS, de 1971, qui prenait trois critères pour les dangers, à savoir, dépendance physique, dépendance psychique et tolérance, qu’en pensez-vous?
Bah, c’est assez réducteur, ça correspond à un modèle je dirais qui est celui, un peu, des opiacés, grosomodo les critères utilisés pour l’héroïne et la cocaïne… et ces critères de la dépendance, bon ils ne sont pas à jeter mais c’est assez limité… en tout les cas, pour moi, par rapport à ce que j’ai énoncé sur votre question qui était la question 3 sur une vision en terme de critères beaucoup plus large, notamment tout ce qui est les dommages sociaux au sens large, et puis cette différenciation entre impact individuel et impact collectif.
Alors, ensuite c’était notre question sur le rapport Roques, qu’en pensez-vous?
Oui alors, ce rapport va déjà un peu plus loin par rapport à ça parce qu’il introduit notamment la toxicité générale, la dangerosité sociale… donc ça permet d’aller plus loin… alors également pour moi, le meilleur travail, vraiment remarquable, c’est le rapport, alors je ne sais pas quelle est sa profession, mais le chercheur s’appelle David Nutt… c’est vraiment un travail remarquable… donc il est anglais et il était président britannique de leur observatoire des drogues et il est parti l’année dernière suite à des décisions politiques… bref. Dans ce rapport on va plus loin encore, c’est beaucoup plus systématique que le rapport Roques, donc il prend 20 drogues, il a établit 7 critères qu’il discute, et au regard de ces 7 critères, il classe sur un barème qui va de 0 à 100… et il ressort en tête, c’est ce qui l’a fait virer, l’alcool, en 2ème position, ça doit être l’héroïne, en 3ème, il doit y avoir sans doute, le tabac, la cocaïne, avec le crack plus proche de l’héroïne dans le classement, et puis le cannabis arrive évidemment bien bien après. Et ce qui est intéressant surtout, c’est qu’il y a ce tableau de synthèse ou l’on voit le score, je crois que le cannabis a un score de 20 quelque chose comme ça, alors que le plus haut c’est l’alcool qui est autour de 70 et ce qui est plus intéressant encore dans ce rapport, c’est le qualitatif, comment est composé le 70 et comment est composé le 20? Sur quels critères? Donc c’est un rapport extrêmement précis… un magnifique travail.
Justement, il y a un reportage qui est passé récemment sur France 2, vous l’avez peut être vu, un numéro d’un œil sur la planète, consacré au cannabis et ils parlaient de cette chronologie en fait des différents rapports, dont le rapport Nutt, qui finalement, est le plus récent?
Oui, oui c’est le plus récent.
Alors ensuite, donc, chronologiquement, on se demandait si, par rapport à la considérations des dangers du cannabis, y a t-il une sorte de parcours linéaire en se disant toujours que c’est de plus en plus dangereux avec une politique de plus en plus prohibitive ou est-ce qu’il y a eu des cycles avec des périodes, liées justement aussi à des idéologies politiques?
Alors, moi je pense qu’il y a un cycle médiatique c’est sûr, il y a un parcours médiatique, qui était plutôt sur la banalisation et actuellement plutôt par un retour… enfin, une certaine diabolisation du cannabis, en tout cas une image très négative du cannabis. Après, sur le discours scientifique, je dirais plutôt que comme c’est pas tellement abordé, il s’est construit progressivement, de façon naturelle, une façon de mieux concevoir la complexité du produit et de la question… voilà parce que le cannabis c’est très compliqué, ça dépend de l’individu, du contexte… par exemple le lien schizophrénie – cannabis, c’est tout à fait compliqué. Il n’y a pas de réponse simple. Donc on plus on va progresser… et c’est pour ça qu’il y a un danger, de toute façon, on a jamais vraiment tenu compte de la science mais… plus la science va élaborer de la complexité… alors que ce qu’il faut pour les gens sur le cannabis, c’est de la simplicité… Après, il faut bien comprendre que la prééminence du discours médical, elle a commencé autour des dix dernières années et aussi, on voit ces dix dernières années, un discours beaucoup plus prohibitif des pouvoirs publics avec en 2005, la campagne « le cannabis est une réalité », comme si avant ça n’existait pas, donc tout d’un coup c’est devenu une réalité et puis par dessus cela, sont venus d’autres problèmes comme la prise en compte du problème des accidents de la route et d’autres problèmes médicaux qui vont émerger bientôt, comme le risque de cancer du au fait que l’on consomme du cannabis essentiellement avec du tabac… ça, ça n’a pas encore vraiment émerger et ça va venir dans la période qui vient…donc cette prééminence médicale est quelque chose qui effraie beaucoup les gens, et on a l’impression pratiquement que l’on parle que des dangers et c’est vrai aussi que ça rencontre un écho médiatique assez énorme… et ça c’est un autre sujet.
Donc, vous nous dîtes que c’est plutôt médical l’approche au détriment du scientifique?
Bah médical, en tout cas, ce qui a émergé c’est qu’il y a une connaissance médicale qui s’intéresse à la prise en compte des dangers médicaux et physiologiques qui n’étaient pas étudiés avant, donc en fait, cela émerge…
Alors maintenant, on a une question un peu plus culturelle, pourquoi, comment vous expliqueriez cette immense diversité sur le cannabis dans le monde? Par des facteurs culturels ou autres?
Oui, c’est essentiellement culturel et puis aussi bien sûr politique, voilà, il y a des approches pragmatiques et des approches morales… la France actuellement, est plutôt côté moral… après à la fin des années 90, elle semblait se rapprocher d’approches plus pragmatiques, elle retourne aujourd’hui vers une position avant tout morale; et pour le coup, c’est très facilement compréhensible… quand le politique dit : « on est contre la drogue, on va éradiquer la drogue », qui va s’opposer à cette position?
Ce qui est intéressant, c’est de voir aussi qu’en France, on a une politique de prohibition extrêmement forte en ce qui concerne le cannabis et en même temps le pays où il y a le plus de consommateurs parmi les 12/25 ans…
Oui alors ça, c’est très documenté, il y a relativement peu d’influence entre les politiques publiques, en tout cas le cadre légal et le niveau de consommation…
Est-ce qu’il y aurait même peut être un rapport entre prohibition et consommation ou ça irait peut être un peu loin de penser cela?
Non, je pense qu’il n’y a pas de rapport, après dans l’initiation au cannabis, c’est sûr qu’il y a la dimension de l’interdit qui est très forte. Enfreindre l’interdit, c’est une des motivations de la première consommation. Après, tous les modèles coexistent. Par exemple, en Suède, c’est extrêmement prohibé avec des niveaux de consommation bas, il y a des pays avec des politiques laxistes et des taux de consommation moyens…voilà, donc on ne peut pas vraiment faire de corrélation ici…Après, ce qui est intéressant c’est qu’on ne se pose pas la question pour l’alcool, pour l’alcool, il n’y a absolument pas de politiques communes entre les pays donc pourquoi y aurait-il une harmonisation entre les politiques en ce qui concerne le cannabis… c’est n’est pas plus simple pour un produit légal que pour un produit illégal.
Alors maintenant, quelques questions un peu plus idéologiques : entre la recherche scientifique et les pouvoirs publics, est-ce que l’idéologie peut faire en sorte que ces derniers occultent complètement les données scientifiques?
Oui ça dépend… actuellement, on a un pouvoir qui instrumentalise les résultats de la recherche… il y a juste un exemple probant qui est… je reviens à ce qui me semble fondamental dans le lien entre science et décision publique, c’est ce que j’appelle l’expertise collective… un pouvoir publique qui veut se fonder sur la recherche, et bien, il commande une expertise collective et il en tire les conséquences… donc ça, c’est fait… enfin c’est ce qui s’est fait à la fin des années 90… là aujourd’hui, sur la question des sales de consommation, on a une ministre de la santé qui je pense avait cette approche là… elle a commandé une expertise collective à l’INSERM sur cette question… l’INSERM se prononce très favorablement ou tout du moins, en étant extrêmement rapide sur la volonté de faire une expérimentation qui dans certaines conditions a montré son efficacité et pourrait la montrer en France, dans certains espaces. Et puis voilà… maintenant, on s’assoit sur le rapport… voilà donc là pour le coup, c’est pas un phénomène en continu de la part des politiques, on a des phases de régression, de rémission.
Après parfois, il peut y avoir une traduction concrète des résultats, par exemple, ça avait été le cas sur une campagne cannabis, accident de la route qui expliquait bien qu’avec le cannabis, on multipliait par 2 le risque d’accident et avec alcool et cannabis, ce qui potentialise, on multipliait par 15 le risque… donc parfois, il y a une traduction des résultats.
C’est le problème avec les drogues illicites par rapport aux drogues légales… il y a une sorte de tautologie, si je l’interdit, c’est que c’est dangereux tout le temps… c’est ça le problème… donc à partir de ce moment là, on a plus du tout de langage nuancé alors que alcool, tabac, les campagnes vont essayer de jouer sur le… en mettant en avant les comportements excessifs. En 2002, si je me rappelle bien par exemple sur l’alcool, il y avait une campagne dont le slogan était « savoir plus, risquez moins ». Là c’était sous Jospin qui d’ailleurs lui même avait déclaré que « il était moins dangereux de fumer un joint chez soi que de conduire sous alcool », c’était pendant la campagne de 2002. D’ailleurs ça va être intéressant de voir ce qui va se passer dans la prochaine campagne, en 2007, on a très peu parlé de cannabis dans la campagne. Donc après les politiques font attention parce qu’ils savent que l’opinion publique est très conservatrice sur ces questions là parce qu’elle ne peut pas aborder la complexité du phénomène, donc… et puis parce qu’elle est abreuvée depuis des décennies sur : « la drogue, c’est très dangereux » et certains pense en parlant de cannabis à la mort par overdose, parce qu’ils vont penser à des seringues, bref à des choses qui n’ont rien à voir. Donc à partir de ce moment là, c’est très compliqué… informer le grand public de la complexité… moi de ce que j’ai vu à la télévision par exemple, la seule émission vraiment abordant la complexité c’est le reportage d’Arte… après ça fait quoi comme audience… c’est ridicule. Mais quand on voit des émissions comme complément d’enquête ou quand on voit les reportages dans les JT… par exemple, le complément d’enquête avait comme titre d’émission : « La France en overdose « donc vous voyez quoi…
Et après donc le public ou l’opinion publique sera donc plus sensible au discours politique plutôt que scientifique parce qu’ils ont un discours beaucoup plus simplificateur…
Oui exactement. Alors en plus il y a des grandes confusions, par exemple, entre la dépénalisation et la légalisation…
En tout cas, dans la sphère publique et les médias, on parle beaucoup de cannabis, on parle beaucoup de drogues en général… sans mauvais jeu de mot, la drogue fait un tabac dans les médias. Et puis dans le public, il y a également un autre phénomène par lequel le public parle de cannabis ce sont tout ce qui est les blogs, internet…
Finalement, on pourrait dire pour revenir à vos questions de classification que le statut du cannabis stupéfiant est avant tout lié à du culturel et à un contexte historique particulier… il y a un siècle, il y avait un établissement public français qui était la régie du kiff, donc du cannabis, on avait un protectorat au Maroc, donc voilà… j’ai encore dans mon bureau une affiche mise en vente aux enchères par les douanes de vente publique de kilos d’héroïne, dans les années 30… donc tout ça, c’est… l’histoire est extrêmement intéressante… on est sur cette position en ce qui concerne le cannabis depuis quelques dizaines d’années seulement… je veux dire la prohibition contre l’alcool a montré ses limites, ses échecs… donc voilà, il faut réfléchir de ce point de vue là… et puis il faut aussi éviter les solutions simplistes parce que penser que les trafics, si vous légalisez, ne vont pas se porter sur autre chose, voilà… la criminalité elle déteste le vide aussi. Donc la légalisation, il faut y réfléchir, c’est vrai que la prohibition montre ses limites. Après la dépénalisation, pour moi c’est une évidence qu’il faut la mettre en place…il n’y a rien qui justifie et je ne comprends pas que personne ait levé cette question éthique fondamentale… il n’y a rien qui justifie qu’on puisse condamné à un an de prison une personne parce qu’elle se fait du mal à elle même… ça je ne l’ai jamais compris… enfin je comprends pourquoi, il y a des mécanismes culturels, des mécanismes sociétaux qui font que tout ça se fait dans un contexte particulier, un contexte historique particulier, des postures morales etc…Je reviens sur les critères, du mal à autrui, que quelqu’un soit condamné pour l’usage du cannabis au volant, personne ne discute, comme pour l’alcool mais par contre et c’est une spécificité, on est quasiment le seul pays à faire ça… enfin philosophiquement, le fait qu’on incluse dans la loi qu’on peut condamner quelqu’un à un an de prison parce qu’il utilise un produit qui fait du mal à lui-même, ça me paraît assez monstrueux… si je vous le disais pour le suicide, ça vous choquerait. Voilà ça c’est l’enjeu de la dépénalisation…il faut différencier usage et trafic.
La dépénalisation avait d’ailleurs clairement été envisagée par le gouvernement Raffarin, il y avait un projet de loi qui voulait mettre en place des amendes mais supprimer dans la loi les peines de prison, pour l’usage de cannabis.
Très bien, merci beaucoup pour cette interview.