aa   HISTORIQUE DE LA CULTURE SOURDE

Toute personne sourde a très longtemps été isolée du reste de la communauté.
Il était donc impossible pour lui de communiquer avec un langage enrichi, il devait simplement user d’une gestuelle somme toute très basique.
En conséquence de quoi son esprit ne pouvait se structurer comme toute autre personne ayant un lien normal avec le monde environnant et pouvant questionner celui-ci. L’idée a alors été très fortement insérée dans les esprits, principalement au Moyen Age , qu’une personne sourde est « idiote » (reprise des termes de l’époque), dotée de capacités intellectuelles en dessous de la normale. Ceci s’inscrit dans la ligne directe de la pensée véhiculée à l’époque. Ainsi même Platon proclamait que toute personne n’étant pas en mesure de parler, ne pouvait pas penser. Autrement dit, langage (parlé) et intelligence auraientt un lien quelconque, ceci contribuant à rejeter complètement les sourds de notre société. Les sourds n’ont alors d’autres moyens que de se regrouper et vivre ensemble pour pouvoir espérer élaborer un semblant de LSF. Toutefois des personnes entendantes vont petit à petit au fil de l’histoire s’intéresser à ce monde si différent du leur.
 
Pourtant si l’on remonte le fil de l’histoire on s’aperçoit que le monde sourd existe depuis longtemps. Ainsi au 12ème siècle avant JC l’ancien testament avisait déjà de leur présence. Platon écrivait même à leur sujet, évoquant leur mode de communication par des gestes. Même si leur présence est reconnue, les sourds sont dans l’incapacité de parler et de recevoir une éducation (donc d’apprendre à lire et à écrire). Ils sont ainsi reconnus comme des personnes irresponsables, placés sous le contrôle de tuteurs, n’ayant aucun contrôle sur leurs biens propres. De même ils sont dans l’incapacité totale de se marier jusqu’au 12ème siècle. Il faudra attendre cette date pour que le pape autorise enfin leur mariage.
 
Au 16ème siècle, quelques sourds issus de famille riches peuvent espérer recevoir un début d’éducation. (Ex. en Espagne Pedro Ponce qui fait parler des sourds nobles).
aasEn 1620 Pablo Bonet rédige le premier livre dédié à l’éducation des sourds.
 Celui-ci contiendra entre autre un alphabet manuel.
Un peu partout en Europe on mène des recherches sur l’éducation des jeunes gens sourds, mais la France est en retard.
Fort heureusement le 18ème siècle va constituer un tournant majeur.
En 1779, Pierre Desloges rédige le premier livre écrit par un sourd « Observation d’un sourd-muet ».
 
En 1760 l’abbé de l’Epée fut l’un des premiers à s’intéresser durablement au monde sourd et à son éducation.xx
Il étudie plus particulièrement deux jumelles sourdes correspondant l’une avec l’autre, il existe donc bien une certaine forme, primaire certes, de langage des sourds. C’est grâce à lui que vont se regrouper pour la première fois les enfants sourds. A leur contact, il parvient à comprendre leur langage. Il leur enseignera donc via une méthode toute particulière de son invention : les signes méthodiques, mettant en valeur les ressources de la vision. Le français écrit sera ainsi largement préféré en comparaison à l’articulation. Rien encore à voir donc avec la LSF actuelle.
Mais le plus important demeure : l’abbé a compris quelle était l’importance de la communication gestuelle dans l’enseignement dispensé aux enfants sourds. Loin de faire de sa méthode un secret bien gardé, il forme aussi d’autres professeurs français mais aussi plus largement européens, pour les sourds. Il poussera son action jusqu’à aller plaider leur cause à la cour du roi et pourra par la suite créer l’école des sourds muets de Paris, devenant par la suite l’Institut Saint Jacques de Paris en 1797. (Cf. projet de Condorcet relatif à l’organisation générale de l’instruction publique).
Les principes chers à l’Abbé y seront effectivement appliqués. En parallèle des figures mythiques du monde sourd vont se développer comme celle de Ferdinand Berthier, figure de l’intellectuel sourd, mais aussi fervent défendeur des droits des sourds et de la reconnaissance de leur langue.
 
L’abbé Sicard prend sa suite en 1789, tente d’imposer un langage conventionné, il invente de ww nouveaux signes méthodiques…mais son langage est vite contesté voir abandonné. En effet, les sourds se retrouvent obligés de faire appel à la langue des signes naturelle pour expliquer la signification des nouveaux signes méthodiques. Même si son dévouement est clair, il ne comprend pas la réalité du monde sourd, tant psychologique que sociale. Berthier écrira ainsi à son propos : « Nous regrettons seulement qu'au lieu de reconnaître ses erreurs, il n'ait pas cru devoir avouer franchement son ignorance complète de la langue naturelle du sourd-muet. »
L’abbé a ainsi cherché à enseigner une « rééducation »de la parole au détriment des signes. Cette vision des choses va rapidement être reprise par la suite.

En 1789, à la révolution on comptabilise ainsi 3 écoles de sourds en France : Paris, Angers et Bordeaux.
En 1825, la méthode de l’Abbé de l’Epée engendre des problèmes pédagogiques. Elle est abandonnée au profit de la LSF (Langue des Signes Française).

Pendant le XIXème siècle
, les recherches scientifiques sont abondantes sur le sujet, des technologies nouvelles viennent aider à l’articulation.
Par la suite des méthodes plus récentes envisageront le geste comme un moyen favorisant la bonne compréhension d’un message oral ou l’émission de la voix. Mais attention il n’est pas reconnu comme moyen d’échange.
Ainsi entre 1827 et 1889, la rupture avec les principes de l’Abbé de l’Epée se consument peu à peu.
Certes au milieu du XIXème siècle, on compte plusieurs artistes écrivains voir poètes sourds.
Mais dans le même temps on essaye par tous les moyens de rendre le sourd entendant. Pour cela la parole articulée est plus abondamment utilisée au sein des programmes scolaires. Pire encore, certains médecins ne reculent pas devant l’impossible et pratiquent des trépanations en vue de dégager un passage pour le son dans le crâne. (Ex. du Dr Baudelocque).

En 1880 : congrès de Milan
L’utilisation du patois est interdite, lui est préférée la méthode orale pure (éducation de la parole et lecture labiale), s’en suit donc la suppression de la langue des signes de tout enseignement.
3 motifs principaux ont été invoqués pour justifier cette interdiction soudaine :
- la LSF n’est pas une vraie langue
- elle ne donne pas la possibilité de parler de Dieu
- elle gène une bonne respiration ce qui constitue un facteur au développement de la tuberculose.
 
Ainsi durant près de 100 ans les sourds ont été complètement marginalisés. Dans les écoles les moins strictes les enfants avaient le droit de la pratiquer dans les cours de récréation mais de tristes épisodes sont également survenus. Au court de l’une de nos interview, la présidente de la Cisic nous a ainsi rapporté que parfois l’on attachait les mains des sourds dans leur dos pour leur éviter toute communication. 100 années assez traumatisantes. Les sourds ont honte, se cachent, se sentent coupables. Les gestes sont dévalorisés, des idées fausses véhiculées, certains comportements caractériels voir psychologiques graves en ont résulté.
Même si les sourds tentent de réagir au début (congrès internationaux à Paris, journaux, associations, échanges internationaux…) cette réaction n’est qu’éphémère et finit par s’éteindre. En conséquences de quoi, en France dans les années 50 la majeure partie de la communauté sourde est sous éduquée, sous diplomée et se voit réservé les taches les plus ingrates.
 
Les années 1970-1980 et « le réveil sourd »

En 1971 est organisé à Paris le 6ème congrès de la Fédération Mondiale des Sourds. On prend alors conscience de la richesse à côté de laquelle nous passons. Les traductions simultanées peuvent se révéler particulièrement efficaces.
Ainsi en 1975 le premier journal télévisé pour les sourds est mis en place.
Ainsi en 1976, l’IVT (International Visual Theater) est créée par Jean Gremion (journaliste et metteur en scène) et Alfredo Corrado (artiste sourd américain).
Ensemble ils vont à travers le théâtre chercher à rétablir la langue des signes.
wwDe nombreuses manifestations vont voir le jour visant à promouvoir la LSF.
Des personnes de renom sourdes se feront connaître. Citons Emmanuelle Laborit (Les enfants du silence réalisé par Randa Haines). Plusieurs films prenant pour toile de fond le monde sourd verront aussi le jour.
En 1978 est créé l’ALSF (Académie Langue des Signes Française)
En 1982 est organisé à Toulouse le premier congrès national de l’éducation bilingue de l’enfant sourd. Dans le même temps « les mains qui parlent », dictionnaire de Poitiers passe sous presse.
Le 1er Février 1986, Paris voit s’organiser la première marche du Mouvement des Sourds.
En 1991, la loi Fabius est votée par l’Assemblée Nationale.
Une éducation bilingue est ainsi reconnue aux sourds.
 
Loi du 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

La LSF devient langue à part entière. Tout élève en émettant la demande doit pouvoir bénéficier d’un enseignement de la LSF.
Toutefois aujourd’hui les professeurs sourds ne sont pas encore reconnus officiellement par l’Education Nationale.