Analyse de l’entretien avec Pierre Chirac

Pierre Chirac entendu par la commission Mediator : évaluation et contrôle des médicamentsdu Sénat.

Pierre Chirac est le vice-président de la revue Prescrire. Il participe aux assises du médicament, concertation qui vise à « refonder la politique du médicament ». L’interview qu’il nous a accordée a duré à peu près une heure, heure au cours de laquelle nous avons pu aborder presque l’ensemble des points de notre controverse. Que ce soit la responsabilité comparée de Servier et d’autres acteurs, le fonctionnement de l’industrie du médicament, le système de pharmacovigilance, les perspectives de réforme de ce système, ou encore les revues médicales.

Dans l’ensemble, Pierre Chirac est le moins partial des acteurs que nous avons interviewé. Il ne s’est pas attardé sur un type d’acteurs beaucoup plus que sur un autre, et chaque fois que nous l’encouragions à donner des détails sur la responsabilité de tel acteur, il nous amenait vers un autre acteur dont il soulignait également la responsabilité. Si l’on compare cet entretien avec celui que nous avons eu avec Charles Joseph-Oudin, on voit qu’il y a une grande différence de neutralité. Mr Joseph-Oudin, avocat des victimes du Médiator, a parlé presque exclusivement de la responsabilité du laboratoire Servier (ce qui semble logique vu sa position). La position de Pierre Chirac à la tête de la revue Prescrire (revue immunisée selon lui aux pressions extérieures grâce à un financement complètement indépendant) conduit à penser qu’il pose un œil critique particulièrement intéressant sur le système de santé. Cela est corroboré par le ton qu’il avait pendant l’entretien, très posé et réfléchi ; il ne s’est pas laissé emporter par ce qu’il disait, en revanche on a pu sentir une dose de cynisme quand il a décrit certains des aspects qu’il jugeait les plus absurdes dans le système - comme la méthode des sous-groupes qui permet presque aux laboratoires de choisir le résultat d’expérience qu’ils veulent démontrer. Ses éclaircissements sur tous les points que nous avons demandé (sans jamais aucune réticence à développer), révèle une connaissance approfondie et à tous les niveaux du système de santé. Par exemple, lorsque nous avons abordé la question des médecins qui ont prescrit le Médiator, Pierre Chirac a pu nous détailler la façon dont un médecin en vient à prescrire un médicament : l’influence importante des visiteurs médicaux, l’absence de formation des médecins aux techniques de marketing (ce dont ils auraient pourtant besoin pour faire les bons choix), le rôle trop limité des pharmaciens qui ont pourtant une bien meilleur connaissance des médicaments. Le seul domaine où il nous a confessé son ignorance est celui de la politique ; et il nous a effectivement donné peu de détails concrets ici, hormis que les notes adressées aux ministres n’arrivent pas toujours jusqu’à eux.

Toutes ces qualités, qui font de Pierre Chirac un interlocuteur riche d’informations, ne doivent pas faire oublier les défauts de neutralité que nous avons relevés a posteriori. D’abord, il présente Prescrire comme une sorte de chevalier blanc qui a vu 13 ans avant tout le monde le danger du Médiator, et qui n’a pas hésité à alerter immédiatement l’opinion publique. Mais nous avons aussi eu des échos de lecteurs de la revue Prescrire (des médecins), qui jugent que Prescrire déconseille un nombre incroyable de médicaments : selon eux, dès que le moindre doute est soulevé, Prescrire prévient ses lecteurs de ne pas utiliser le médicament. Sous ce nouvel éclairage, il devient logique que Prescrire ait tiré la sonnette d’alarme aussi tôt, et il paraît tout aussi logique que peu de médecins se soient réellement inquiétés au point d’arrêter de prescrire le Médiator. Nous ne sommes pas là pour prendre parti pour l’un ou l’autre de ses avis, mais c’est un premier point qui relativise la neutralité de Pierre Chirac.
Deuxièmement, Pierre Chirac parle finalement très peu de la responsabilité des laboratoires. Quand on recoupe ce qu’il dit dans notre entretien, sa vision du système semble être la suivante : les laboratoires sont des organismes qui défendent leurs propres intérêts, on ne peut rien y faire. A côté de ça, c’est aux politiques, aux instances de régulation, à ceux qui fixent les règles, d’encadrer les laboratoires. Ce point de vue est à comparer avec celui d’autres acteurs (l’avocat des victimes par exemple) qui place avant toute autre responsabilité celle du laboratoire Servier, puisqu’ils ont selon eux sciemment essayé de contourner le système en camouflant les propriétés dangereuses de leurs médicaments. Notons que Pierre Chirac a le même point de vue contestable sur la question des lobbies, sur laquelle il ne s’attarde pas, comme s’il n’y avait pas lieu de remettre leur existence en question.
Enfin, il nous a semblé que pour quelqu’un qui de son propre aveu méconnaît le monde de la politique, Pierre Chirac a beaucoup parlé de la responsabilité des hommes politiques, notamment des ministres de la santé. Il est revenu plusieurs fois sur ce point, en regrettant que les hommes politiques confondent l’argent des firmes avec l’argent de la Sécurité Sociale, et qu’ils ferment si facilement les yeux sur les dysfonctionnements du système. Ce dernier défaut de neutralité peut être imputé à une longue expérience du système, donc à une certaine lassitude. Il ne faut pas y voir seulement la volonté de rejeter la faute sur un acteur concret, mais sans doute aussi l’écho d’une réalité. Si Pierre Chirac a légèrement insisté sur le problème des politiques et des organisations gouvernementales, c’est qu’il a le sentiment, après des années à étudier le système de santé, qu’une partie des déficiences vient de là.