Interview avec Philippe Even

Comment avez-vous été transporté au cœur de cette controverse ?

J’ai été chercheur en physique, en biochimie et finalement en médecine. J’ai eu la chance d’être nommé professeur à seulement 32 ans. J’ai plus tard été élu doyen de la faculté Necker et ceci jusqu’en 2000. En 1980, j’ai été nommé membre de l’AMM et j’ai ainsi pu découvrir le monde du médicament. Jusqu’alors, j’étais un médecin naïf, ignorant de cet autre monde, mais depuis ma participation à cet organisme, j’ai découvert l’infiltration de l’industrie pharmaceutique dans les autorités qui la contrôlent….

Anecdote

Si vous voulez tout savoir, tous les étudiants de ma génération utilisaient des amphétamines pour rester éveillés. On avait d’ailleurs remarqué qu’elles provoquaient la perte d’appétit. C’est ainsi qu’en Suisse est né le premier médicament type Mediator, en1968.

Qu’est ce que le monde de l’industrie pharmaceutique ?

En fait, un brevet de médicament dure arbitrairement 20 ans. Seulement, il faut environ 12 ans pour qu’un médicament entre sur le marché. Il y a donc 8 ans de latence Durant lesquelles les firmes peuvent se faire copier leur médicament. Afin d’échapper à cette concurrence, elles se doivent donc d’inventer sans cesse de nouveau médicaments pour remplacer ceux qui arrivent en expiration de brevet. Ce sont peu ou prou les mêmes molécules (un peu plus ou un peu moins efficaces). Il y a donc une prolifération de médicaments. C’est un peu dans cet esprit qu’est né le Mediator, pour copier un médicament qui existait déjà avant (coupe faim en Suisse, interdit ensuite). Mais étant donné qu’il s’agissait d’Amphétamine, Servier decida de cacher son nom sous la formule Mediator. L’industrie pharmaceutique: un lobby?

1. Un lobby sur l’état (aux US comme en France)
Les industries pharmaceutiques sont partout. Ce sont les plus gros financeurs des campagnes électorales américaines, plus de 600 lobbyistes parcourent les couloirs du Sénat, de la maison blanche etc... Mais ce sont aussi ceux qui guérissent les gens car la recherché étatique ne trouve rien: ils ont donc un pouvoir considérable finalement indispensable. Le monde est dépendant d’eux. (Mais nous ne sommes dépendants que des gros laboratoires internationaux, car les français comme Servier ou Sanofi ne se contentent en faite, que de copier les médicaments d’autres laboratoires.)
2. Sur les médecins
Les médecins pilonnés par les visiteurs médicaux, ont prescrit le Mediator sans avoir véritablement conscience de ses effets. Etant professeur de médicine, je sais mieux que quiconque comment sont formés les médecins, et je sais notamment qu’ils ne sont pas sensibilisés au monde de l’industrie pharmaceutique. C’est quand même impressionnant de voir que les médecins, dotés du pouvoir d’avoir des médicaments, ne se sont même pas demandés d’où ils venaient.

Que pensez-vous de la stratégie de Servier?

85% du chiffre d’affaire de Servier se fait dans le tiers monde ! Ils ont réussi à vendre un coupe-faim en Afrique, ce qui souligne la grandeur de la manipulation. En faite, avoir l’autorisation en France permet de le vendre partout, l’autorisation du Mediator par le système Français a ouvert les portes d’autres marchés à Servier. Mais il faut tout de même noter qu’à aucun moment Servier ne pensait que le Mediator déclencherait des conséquences si graves… du moins au début. Durant les années 80, on note rapidement l’augmentation d’obésité ; Servier se lance ainsi dans le développement du Pondéral et de l’Isoméride. Ces derniers sont vendus explicitement comme coupe faim et amphétamine. Servier s’associe alors à Wyett pour vendre ses deux médicaments sur le territoire américain. Sauf, que peut de temps après, il y a un procès contre ce médicament (En 1981, les anglais et français découvrent la dangerosité du médicament.). En conséquence, Wyett est contraint de verser 10 milliards de Dollars et s’écroule ; Servier, lui, n’a rien à payer. Servier prend tout de même peur, et organise des recherches. Il ordonne que le directeur de recherche soit un des employés de Servier. Ce dernier dévoile que le Mediator causerait de l’hypertension pulmonaire considérable...pourtant il ne sera pas enlevé du marché! Pourquoi ? Deux possibilités
- Servier paie l’agence du médicament
- C’est un vieux médicament assez utilisé, il n’inquiète pas, le dossier traine (c’est ce que je pense)

Quel défaut y a-t-il eu dans la chaine de vigilance ? 3 défauts principaux

1. L’autorisation de mise sur le marché
L’affssaps compare les médicaments à un verre d’eau, et ceci est la base de tous les problèmes. Cette comparaison à un simple placébo détermine la mise sur le marché du médicament : s’il a un effet plus positif que le placébo, même minime, il est autorisé. L’Afssaps est séparée du comité de transparence qui juge la hauteur de remboursement. Pour étudier cela, le comité compare la moitié des molécules à une autre molécule. Ce sont des essais cliniques de non infériorité. Si l’efficacité est équivalente ou meilleure elle rentre. Je pense clairement qu’elle devrait être strictement supérieure pour rentrer. Aujourd’hui, les décisions d’interdiction de médicaments proviennent de l’Union Européenne. Mais l’affaire du Mediator a aussi souligné un problème de droit car malgré l’interdiction espagnole et italienne, il n’a pas été interdit en France ; les décisions devraient s’appliquer pour toute l’Europe.
2. Malgré les preuves, la lenteur administrative ne permet pas de faire avancer le dossier
Inquiète des suspicions autour du Mediator, l’Affssaps lance des enquêtes, et un membre démontre qu’on a 23 fois plus de chance d’avoir des valvuloplasties avec le médicament. Mais ceci ne suffit pas car les commissions de l’Afssaps sont des monades, des chambres sans aucun contact entre elles, les dossiers n’avancent donc jamais.
Années 2000 : profusion des cas et création d’agences toujours plus inutiles
Pour résoudre le problème d’un trop grand nombre de fonctionnaires, l’état doit faire appelle à des agences indépendantes qui sont en partie financées par les industries. Une agence devient permanente si le nombre de ses employés est élevé. Ainsi, les travailleurs de l’Affsaps sont passés de 200 à 1500. Ceci est pareil pour l’agence européenne qui est passée de 15 à 750.
Le problème est que ces experts sont parfaitement incompétents, sans expérience, la plupart n’ont jamais travaillé dans ce domaine.

Quels sont vos liens avec les autres acteurs ?

Frachon a fait le travail de la pharmacovigilance toute seule. Elle a réussit seule a faire interdire le médicament en 2010. Et ceci malgré les menaces des industries. J’ai moi même essayé de créer le scandale dans mon livre, mais j’ai été pris de court par le député Gerard Bapt, qui s’est s’occupé du contrôle de l’Affsaps en déclenchant une série de conférences de presse. Quand un scandale apparait dans un milieu comme celui ci, tout le monde sait qu’il est peu ou prou responsable.

L’industrie pharmaceutique a-t-elle pris conscience après le Mediator ?

Double prise de conscience :
L’industrie pharma a détruit son image
Elle a aussi compris que fabriquer des « me too » ne permettait pas de conquérir de nouveaux marchés
Simultanément, les responsables des pays ont compris qu’ils devaient avoir le monopole de l’innovation, et notamment dans le médicament. L’industrie veut maintenant collaborer avec la recherche publique. Désormais, la nouvelle philosophie est en faite d’associer recherche et industrie. En contrepartie, il faudra pouvoir vendre les médicaments plus chers.
· N’avez-vous pas peur d’une infiltration de l’industrie dans la recherche s’il y a un rapprochement entre les deux ?
Les créatifs sont les marginaux. Les élites sont des ingénieurs mais ne sont jamais capables de poser une question. C’est finalement assez improbable, car la majorité des chercheurs ne trouvent rien, ils s’appliquent tout simplement. Aujourd’hui, prenons conscience qu’on a 10 ans de retard, la recherche doit se faire en coopération avec l’industrie car c’est la seule façon de créer et de produire. On n’a pas eu de politique de recherche depuis trop longtemps. Mais Pécresse a réussi a faire bouger pas mal les choses, bien qu’elle ne comprenne pas grands choses aux labos. A ce propos, vous pouvez remarquer que les US dépensent plus dans la santé (18%) que la France (11%) !!! Mais je suis assez optimiste, je pense que les négociations avec l’industrie seront transparentes.

Comment Refaire le système de pharmacovigilance

Pour changer le système de pharmacovigilance, un des moyens c’est le changement des agences :
1. HAS
2. AFSSAPS
Leurs missions quasi identiques, elles rentrent ainsi en rivalités, et se nourrissent de mensonges. Ces dernières sont trop imbriquées l’une dans l’autre, et s’opposent sur les mêmes choses. La vraie autorisation, je pense que c’est le remboursement ! Je souhaite une ARM (autorisation de remboursement) au niveau européen, qui serait alliée à l’AMM ; Je souhaite un regroupement des commissions en une seule organisation.
3. Oui mais comment faire pour les médicaments non remboursés ? « C’est là le problème… pas de réponse »
Au sein de l’Afssaps il y a deux sous agences : une qui s’occupe de l’AMM et l’autre de la pharmacovigilance. Mais pour être efficace dans son contrôle, il faut connaitre l’historique du médicament. C’est pour cela que les déclarations devraient être recueillies sur une base de données informatiques, disponibles tout le temps. Et ainsi, les alertes récurrentes, dont la probabilité semble trop forte, doivent permettre de déclencher des enquêtes. Le problème c’est qu’à l’Afssaps, ils n’ont pas d’informatique, tous les crédits ont été faits pour recruter du personnel.
4. Pensez-vous à une nouvelle formation d’experts pour finaliser la refonte ?
Les experts sont effectivement, pour la plupart, incompétents et sponsorisés par l’industrie. La mission d’évaluation de l’expert est de la plus haute importance et pourtant les experts ne parviennent pas à faire cela. En tout, 3500 experts sont employés pour s’en occuper. Le problème est que l’expert doit qualifier le dossier et non l’inverse. On propose, Bernard Debré et moi-même, de remplacer les 3500 experts par 40 experts de très haut niveau, pour une période courte avec une garantie de retour à leur emploi (ils peuvent ainsi garder contact avec le terrain).
· Comment sont prises les décisions ?
Je souhaite une prise de décisions signées et nominales, sans oublié la nécessité de consulter les industries, les médecins généralistes, les associations de malades au préalable. Aujourd’hui, les 35 membres font un vote anonyme, sans responsabilité : il n’y a pas vraiment d’action. Un vote non anonyme, nominatif, permettrait une prise de responsabilité, une conscience de l’action. En faite, l’expert a deux missions : il doit être le juge et la partie en même temps. Il faut être allié aux industries pour comprendre, et produire, mais ce n’est pas pour autant laisser le contrôle à ces industries.
Il ne faut pas oublier que Servier est la 10e fortune de France en faisant que des me too. On peut donc se permettre de les taxer (sans pour autant l’étrangler car il faut aider les grandes découvertes.)

Et que pensez-vous de la revue Prescrire ?

Prescrire a été l’Etat !!! C’est lui qui a fait tout le travail de pharmacovigilance. Les médecins ne sont absolument pas formés au domaine du médicament, ils ne peuvent donc pas juger Prescrire.