InterviewS avec des laboratoires pharmaceutiques


Dr Jouaret




Interview avec le Dr Jouaret
du laboratoire Merck

Votre avis général sur le Mediator ?

Cette affaire nous concerne tous car nous sommes tous citoyens. Il est vrai qu’elle a beaucoup affecté l’industrie pharmaceutique mais elle ne doit pas laisser penser que les pratiques de Servier sont généralisables à l’ensemble de la profession. Cette affaire donne une impression de la manipulation par les laboratoires pharmaceutiques mais elle est très éloignée de la réalité. Il faut savoir que lorsque Sevier agit de la sorte, c’est une exception.

Une affaire trop médiatisée ?

Cette affaire n’est pas aussi insignifiante que certains peuvent le dire (cf. B. Kouchner). Derrière il y a des patients et il ne faut pas le négliger. Ces effets indésirables sont l’effet en trop et on doit tout faire pour réduire l’exposition des patients à ces risques.
Dans cette optique, elle n’est pas trop médiatisée mais mal médiatisée. De plus, en instaurant cette importante défiance vis-à-vis du monde du médicament, cela a surement poussé des patients à suspendre leur traitement en raison de cette haute suspicion.

Que pensez vous de la presse médicale ?

Notamment de Prescrire : La France est un pays démocratique donc c’est très bien que Prescrire existe et ait l’audience qu’il a. les médecins doivent pouvoir disposer d’informations et d’un canal presse fiable. Il est donc très utile d’avoir cette revue. Le problème réside dans le fait que les informations publiées ne sont pas toujours vraies : c’est une petite structure et elle a beaucoup d’informations à traiter et à vérifier. De fait, on peut craindre une mauvaise information, peu objective et loin d’être « la Bible ».
Pour les autres revues médicales, il est vrai qu’elles sont financièrement dépendantes des annonces des laboratoires. De fait, il ne faut pas être trop « naïfs » sur le caractère objectif desdites revues.

Comment expliquer que l’industrie pharmaceutique soit absente de tout média, alors qu’elle est un acteur primordial de l’actuel débat ?

Ce n’est pas une volonté de ne pas s’exprimer. Le problème est que la voix de l’industrie pharmaceutique a perdu toute crédibilité. La méfiance est telle que même dans le cadre officiel des Assises du Médicament, le LEEM a peu la parole et est sans cesse contredit, tout comme dans les émissions où il est invité.
Coté Servier, ce déni est maladroit et même malsain car cela donne l’impression de travailler dans une association de malfaiteurs. Et d’autant plus qu’il faudra beaucoup de temps pour recréer cette confiance alors que l’industrie pharmaceutique évolue dans un milieu institutionnel très encadré.

Selon vous une réforme des institutions est elle nécessaire ?

La réforme sera forcément utile puisque le système a été pris en défaut. Mais un changement drastique n’est pas forcément nécessaire. Il faut plutôt rechercher une amélioration continue. Aussi, il y a des améliorations à apporter mais pas pour tout.
Aujourd'hui, la réforme est justifiée pour la prise de décisions et d’actions mais pas pour l’identification des effets indésirables. En effet, le système possède une bonne capacité à traiter les signaux : en France, le nombre de notifications est largement supérieur à celui que l’on peut relever dans les autres pays européens. Ce n’est donc pas la priorité de réforme. Les laboratoires ont la meilleure connaissance des produits et ce dans l’intérêt de toutes les parties.

Dans cette optique, comment envisagez vous la gestion des conflits d’intérêt, au centre de cette affaire ?

Rien d’autre n’est envisageable qu’une transparence plus poussée et plus systématique. Les laboratoires ont besoin d’experts pour faire progresser la recherche et sont en étroite collaboration avec les universités : aujourd'hui, 80 projets cliniques en France sont en relation avec des établissements publics pour bénéficier de la connaissance de spécialistes sur certaines pathologies.
Si l’on imagine la solution proposée par le rapport Debré-Even, elle se heurte à des limites physiques. En effet, sur certaines pathologies, il est facile de constituer de grosses équipes et cette idée est réalisable. Cependant, dans le cas de pathologies peu connues et peu couvertes, il devient impossible de « réserver » une équipe de spécialistes aux autorités de santé car les laboratoires ne pourraient plus faire appel à personne, alors que ce sont eux qui font avancer la recherche. La solution réside donc dans la création d’un système solide fondé sur la déontologie et la transparence.

Une réforme européenne ?

En pratique, ce mouvement est déjà amorcé : de plus en plus d’AMM sont délivrées au niveau européen. Cela dit, le décalage potentiel qui peut excité entre le niveau national et européen peut être bénéfique car certaines décisions plus drastiques peuvent être prises, plus dans l’intérêt du patient. Les décisions locales doivent être alignées sur les décisions européennes mais ces agences conservent un degré de liberté, ce degré de liberté pouvant notamment servir à l’ajustement entre pays.
Toujours dans les faits, il y a toujours une remontée des informations vers les institutions européennes, les agences entretiennent des relations et profitent du partage d’informations. La mise en commun de ces informations est, de toute façon, indispensable et doit à tout prix progresser pour un partage toujours plus grand.

Et la formation des médecins ?

Oui pour une formation pharmacologique ! Les médecins méconnaissent les produits. Mais avec 60000 médecins généralistes en France, cela risque d’être difficile à mettre en place.
En un sens, les visiteurs médicaux contribuent à la connaissance des médicaments et orienter le médecin vers le bon usage du médicament. Ceci dit, ce n’est pas leur rôle et ils n’ont ni la formation ni le temps pour mener à bien cette tâche. Le laboratoire a remarque que lorsqu’étaient suspendues les visites médicales, le niveau de compétence des médecins diminuait. Cette remarque est construite sur des observations de pharmacovigilance : par exemple, pour la molécule de metphromine (qui traite le Diabète II), il y a peu d’effets indésirables mais ceux-ci peuvent être graves. Quand les génériques arrivent sur le marché, le laboratoire cesse les visites médicales (pour une question de rendement : les visites coutent et ce sera finalement le générique qui sera prescrit) et on observe des signaux de recrudescence des effets indésirables. Lors d’une reprise de ces visites, les signaux diminuent. Ceci prouve que les médecins ne sont pas du tout formés et que les visiteurs médicaux ont un rôle à jouer dans cette nécessaire formation.





Interview avec le Dr Olivier Ertzbichoff
du laboratoire Bayer

Que pensez-vous de l’affaire du Mediator ?

Cette histoire est globalement mauvaise pour l’industrie pharmaceutique et a entrainé une réaction des autorités assez contraire à un modèle de rigueur.
A la question de savoir si cela a été trop médiatisé, le Dr Erztbichoff répond que l’on est en train d’entrer dans une société « à l’américaine », une société de plaideurs qui mènent à de plus en plus de procès, pour tout et n’importe quoi. Cependant, cela a été médiatisé comme il faut et parce que cela le nécessitait.
Il considère que les autorités sanitaires ont été mauvaises dans cette histoire car elles sont restées sur la défensives, quand Xavier Bertrand a réussi un très bon coup politique au sens où il a immédiatement mandaté l’IGAS, qui dépend de lui et ainsi, ne l’accuserait pas de quoique ce soit. Elles se sont d’autant plus décrédibilisées avec la publication de la liste des 77 médicaments dangereux, où tous les niveaux de dangerosité sont présents, aussi la liste n’a que peu de cohérence et de pertinence.
Durant toute la période de vie du Mediator, les institutions ont pourtant plus ou moins mené à bien la tâche qui leur incombait. Le vrai problème réside dans les pouvoirs publics qui ont mis excessivement longtemps avant de réagir justement parce que c’était Servier, groupe franco-français. A titre d’exemple, lors de la remise du prix Galien (prix décerné pour les grandes nouveautés médicamenteuses), Servier était présent, ainsi que le ministre de la Santé. Le Dr Erztbichoff parle d’ « une véritable cours » autour de M.Servier, patron du 1er laboratoire indépendant français.

Pensez vous qu’il faille réformer les institutions françaises ?

« On peut toujours faire mieux ». cependant, le Dr Erztbichoff doute qu’une réforme ait des effets réels et efficaces. Pour lui, cela marcherait bien mieux au niveau de l’Europe et nos institutions françaises ne servent finalement pas à grand-chose.
En effet, nous sommes dans un espace européen avec des instances dirigées au niveau européen. Tout doit être fait au niveau européen quelque soit le produit. Il faut que ce soit l’Europe qui décide du retrait d’un médicament… ce n’est pas normal que le Mediator est d’abord été retiré en Espagne, en Italie, au Portugal et seulement maintenant en France.
Même si ce sont des institutions froides qui pourraient être accusées d’un manque de représentativité, elles ont pour avantage de ne plus favorisé certaines firmes pour des raisons industrialo-locales.

Comment l’industrie pharmaceutique compte t elle faire entendre ses voix dans le débat actuel ?

La voie normale de représentation et de porte parole de l’industrie pharmaceutique est le LEEM. Cependant, si l’on n’entend pas la voix du LEEM dans les journaux, c’est surtout le résultat d’un choix éditorial, où l’on préfère les gros titres controversés.
Cela dit, Ertzbichoff reconnait que la communication du LEEM est très mauvaise et l’explique par le fait que c’est un organe multipartite qui doit, de fait, tenir compte de l’avis de tous.
De plus, si l’on entend peu l’industrie pharmaceutique, c’est qu’ils n’ont pas un droit de parole direct aux patients : « On est pied et poings liés ». il est interdit à l’industrie pharmaceutique de communiquer sur leurs médicaments et les produits en développement vers les patients.
Mais vous communiquez bien aux médecins, à travers les visiteurs médicaux !
C’est un auditoire très restreint et l’industrie ne bénéficie par ce biais que d’un auditoire très faible. Il y a environ 150000 médecins en France pour 63m de Français…

Que pensez-vous des propositions de réforme du rapport Even Debré ? Les pensez-vous réalistes ?

« Even-Debré n’est qu’un torchon qu’il faut oublier, c’est tout et n’importe quoi ». De plus, ces deux acteurs se sont rachetés une morale il y a peu mais ont également profité du système : le Dr Debré doit être le patron qui touche le plus d’argent à l’hôpital Cochin et le Pr Even a longtemps été patron de la pneumologie et a beaucoup travaillé avec les laboratoires.
On ne peut pas se passer des experts ayant des liens avec les laboratoires car ce sont les laboratoires qui font avancer la recherche. On ne peut pas avoir des experts qui ne font rien, sinon ce ne sont plus des experts.
Pour la gestion des conflits d’intérêt, il considère normal et nécessaire une transparence totale des experts : déclaration systématique des liens d’intérêts, des sommes reçues… et quand le débat porte sur un médicament sur lequel un expert à travailler, il ne prend pas part au débat.

Bayer est un laboratoire allemand à l’origine, avez-vous une idée de la façon dont cette histoire française a été perçue à l’étranger ?

Le médiator est et reste une affaire franco-française. De toute façon, c’est toujours la même chose : un laboratoire va trop loin, les autorités mettent trop de temps à réagir.

Votre avis sur Prescrire et Irène Frachon, acteurs que l’on entend particulièrement ?

Frachon a écrit un bouquin. C’est une universitaire qui a trouvé qu’elle n’arrivait pas à faire sortir les données par la voie normale donc elle a écrit un bouquin.
Pour Prescrire, tout le monde est méchant dans l’industrie pharmaceutique et ils pensent être « la voix divine ». pourtant, il faut bien reconnaitre les avancées thérapeutiques qu’apportent l’industrie pharmaceutique et une augmentation de l’espérance de vie de 10% chaque année en France n’est pas négligeable du tout.
Il est vrai que depuis les antibiotiques qui soignent vraiment les gens, la médecine n’a pas fait de progrès gigantesques. Cela se trouve plutôt sous la forme de petits pas. Mais beaucoup de petits pas font un progrès significatif. Sur la question des me too, Ertzbichoff reconnait qu’il y en a et qu’il y en aura toujours mais il pense qu’ils peuvent apporte quelque chose. Si des produits sont arrivés 2e ou 3e dans différents traitements, ils n’apportent pas de grande nouveauté mais vont par exemple faciliter la prise du produit par le patient et la dimension humaine du médicament est à prendre en compte. Ceci dit, il est évident qu’il existe des me too qui ne servent à rien.


Dr Ertzbichoff