Compte-rendu de l’entretien téléphonique avec Christophe Vignix
23 février 2010



M.H. : Vous travaillez dans les dérivés de crédit. Y-a-t-il selon vous une responsabilité des modèles mathématiques dans les crises ?

C.V. : Le problème ne vient pas seulement les modèles mathématiques, mais aussi du surendettement. Mais peut être que les mathématiciens ont contribué à laisser les gens dans une sorte d’illusion.

M.H. : Cela a contribué à la sous estimation du risque ?

C.V. : Il n’y avait plus de réalité concrète, plus que des données filtrées, alors que les données factuelles n’étaient plus analysées, beaucoup moins par exemple que la corrélation entre les différents crédits.
Le problème, c’est que le modèle a ses entrées et ses sorties, et si des choses ne sont pas prises en compte par le modèle, il a forcément une réalité biaisée.

M.H. : Il faudrait des modèles plus efficients mathématiquement ou les comportements des acteurs sont ils à changer ?

C.V : Le problème c’est que le terme de modèle veut à la fois tout et rien dire.

M.H. : Oui, mais le mouvement brownien, la loi gaussienne sont des outils de base du modèle brownien. Est-ce que vous les utilisez dans votre travail ?

C.V. : Nous travaillons sur des produits illiquides que l’on doit assurer avec des CDS, les plus pertinents possibles, pour perdre le moins d’argent possible. Nous avons aussi quelques traders qui font de l’argent sur les dérivés de crédit. Donc je n’utilise que peu les modèles dans ma pratique. Mais avant la crise, le marché du crédit avait gonflé, et les modèles mathématiques avaient en partie participé à l’illusion, car les produits financiers relatifs au crédit sont devenus de plus en plus compliqués. Donc la complexification permet de faire de l’argent, mais n’arrange pas le fait que les crédits reposent sur des gens qui payent ou qui ne payent pas.

M : Le problème serait d’après vous plus la déconnexion avec la réalité des pratiques ?

C.V. : Il y a eu des CDO de CDO, même des CDO au cube… Or, sur les CDO, pendant la crise, tout le monde utilisait plus ou moins les mêmes modèles. Mais il y a surtout un problème global systémique, bien que le fait qu’il y ait un gros modèle sur lequel travaillent des polytechniciens contribue à l’illusion, car ils sont très intelligents et nous ont assuré qu’il n’y a pas de problème. De plus, toutes les agences de notation, tout le monde utilisait les mêmes modèles, donc il n’y avait pas de regard critique. Mais ce n’est pas ce qui provoque une crise, cela participe seulement à l’illusion.