Les interviews des acteurs

Au cours de nos enquêtes, nous avons eu l’opportunité de rencontrer différentes personnalités afin d’enrichir notre réflexion sur la controverse sur les statistiques ethniques. Ces rencontres ont été possibles car les personnes ont accepté de nous rencontrer.

Richard Descoings, directeur de SciencesPo.

Nous avons rencontré Richard Descoings le 11 mars 2010 à Sciences Po. Initiateur du projet CEP, il a mené une réflexion sur le lien qui existe entre diversité(s) dans la société et diversité(s) dans le système éducatif supérieur. Il nous a proposé une réflexion philosophique, sociologique et historique de la controverse en insistant sur deux points. D'une part, l'instauration des statistiques ethniques présente de nombreux enjeux mais elle comporte également de nombreux risques et contraintes.

Marie Mercat-Bruns, Professeur de droit comparatif du travail

Nous avons interviewé Mme Mercat-Bruns pour mieux comprendre les enjeux que posent les statistiques ethniques dans le domaine du droit. En tant que franco-américaine, Mme Mercat-Bruns nous a surtout offert un regard extérieur sur le débat en France. Partant d'une remarque d'un de ses collègues américain sur la question de l'ethnie, elle nous a confié son étonnement : "Je ne comprends pas comment en France vous pouvez interdire quelque chose qui n'existe pas". Ainsi, elle a pointé le doigt sur l'ambiguïté et la particularité de la situation française. Selon elle, les Etats-Unis réfléchissent davantage en terme d'intégration des différences, ils ne cherchent pas à les exclure de la sphère publique. À cet égard, le CV anonyme, censé protéger les personnes susceptibles de souffrir de discrimination, nie la différence tandis que l'employeur devrait avoir intérêt à embaucher des personnes issues d'horizons divers.

Eric Fassin, sociologue, chercheur et américaniste

Nous avons rencontré Eric Fassin lors d’un séminaire organisé à Sciences Po par Marie Mercat-Bruns le 17 avril 2010. Au cours de ce séminaire, Eric Fassin a cherché à replacer la controverse sur les statistiques ethniques dans son contexte historique. Ainsi, il considère que cette controverse est ancienne car elle faisait déjà débat dans les années 1990. Néanmoins, le sujet n’était pas le même qu’aujourd’hui ; le sujet portait sur l’immigration et la situation des enfants français issus de l’immigration. Depuis les années 2000, et particulièrement depuis 2005, le sujet s’est politisé et s'est érigé au rang de véritable affaire publique, se propageant dans plusieurs domaines: éducation, logement, etc.. Eric Fassin considère que les statistiques ethniques sont avant tout raciales et que la France, à cause de son histoire et de son héritage républicain, mène volontairement une politique " color-blind ". Il est en faveur des statistiques ethniques car elles permettront de rendre compte de la réalité sociale, économique et politique de la société française. Enfin, à travers la catégorisation raciale, l’enjeu selon lui, est de " racialiser " la société ; chaque individu sera catégorisé et de là, émergera également une catégorie " blanc ". Ceux qui échappaient à la stigmatisation deviendront eux-mêmes une catégorie identifiée.

François Héran, INED, Président du COMEDD

Pour François Héran la controverse repose principalement sur deux facteurs essentiels : d'une part la méconnaissance du fonctionnement des instituts de statistiques nationaux par les différentes parties prenantes, et d'autre part le manque de précision autour de certaines notions comme l’ethnie ou encore l’usage du mot fichier (de gestion ou d’étude ?). Selon lui, le statisticien cherche à refléter la réalité et il s’agit pour lui de trouver les bonnes méthodes à appliquer dans les bonnes situations. La controverse qui s'est formée autour des catégories a selon lui moins d'importance que celle que les médias ont bien voulu lui apporter. Pour le chercheur, il s’agit de manipuler plusieurs variables qui organisent les données et de trouver celles qui révèlent un phénomène pertinent concernant l’objet d’étude. À travers le rapport qu’il a dirigé au sein du COMEDD, il a tenté de clarifier la compréhension du problème. Conçu comme une véritable boîte à outil, le rapport a pour vocation de servir de base de travail pour les prochaines étapes dans le processus de réflexion sur l’usage ou non de telles statistiques.