Statut juridique des cellules souche du cordon ombilical en France

Deux lois fondatrices

En France, les produits du corps humain font l'objet d'un dispositif juridique important, essentiellement issu de deux lois du 29 juillet 1994, la loi n° 94-653 relative au respect du corps humain et la loi n° 94-654 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

Pas d'encadrement juridique jusqu'en 1998

A cette époque, le prélèvement de sang du cordon n'a pas été pris en compte. Selon le rapport parlementaire sur l'application de la loi, le prélèvement du sang du cordon est une des situations non prévues par la loi. Le rapport constate ainsi que les nouveaux types de prélèvement en vue de greffes de cellules souches hématopoïétiques (2.1.5.) et, en particulier, « les prélèvements opérés dans le sang placentaire, au moment de la naissance de l'enfant ... échappent, de facto, à l'encadrement juridique instauré par la loi». Ce constat est unanime.

Une norme désormais explicite pour les applications thérapeutiques

Depuis, des normes ont été posées qui visent explicitement le sang du cordon. Il s'agit de l'arrêté du 16 décembre 1998 , portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives au prélèvement, au transport, à la transformation, y compris la conservation, des cellules souches hématopoïétiques issues du corps humain et des cellules mononucléées sanguines utilisées à des fins thérapeutiques.

Le texte est très clair, il se dit s'appliquer à toutes les cellules souches hématopoïétiques issues du corps humain quelle que soit leur origine et aux cellules mononucléées d'origine sanguine, et quel que soit le statut juridique du produit cellulaire final. En outre, le texte encadre explicitement le prélèvement, la conservation et la transformation des cellules souches issues du sang ombilical.

Mais ces règles spéciales concernent le prélèvement et la transformation à des fins thérapeutiques . En cas de prélèvement et d'utilisation à des fins scientifiques, ou même industrielles, quelle réglementation appliquer?

Quelle catégorie juridique pour les cellules souches du cordon  hors applications thérapeutiques?

Faut-il donc appliquer les règles relatives au prélèvement et à la conservation de tissus et cellules , ou au prélèvement de sang , ou celles relatives aux organes ? Ou encore celles relatives aux résidus opératoires ?

Les banques de sang placentaire sont placées sous la double responsabilité de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes. Mais il ne semble pas que l'on puisse assimiler le sang de cordon au sang en général ni aux tissus et cellules. Selon le rapport Mattei , le placenta « n'est pas un tissu entrant dans le cadre de la transplantation et de la greffe ».

En revanche, si cette assimilation n'est pas possible en l'état actuel du droit positif, de nombreuses voix se font entendre en faveur de l'assimilation du sang du cordon aux organes ou aux cellules .

Ainsi l'établissement français des greffes souhaite l'unification du régime des cellules souches et leur soumission au régime des organes. Plusieurs personnalités du monde scientifique, entendues à l'occasion de la révision des lois de bioéthique, ont exprimé le souhait que le régime des cellules souches soit unifié et assimilé à celui des organes, celui des tissus et cellules ou encore celui de la moelle osseuse.

A défaut d'appliquer le régime du sang ou celui des tissus et cellules, on peut penser à appliquer celui des déchets opératoires, c'est-à-dire, aux termes de la loi française, des « tissus, cellules et produits humains prélevés à l'occasion d'une intervention médicale et le placenta ». En effet, si, selon le rapport Claeys et Huriet, « Les cœurs greffés « en domino » sont, pour l'heure, assimilés aux résidus opératoires », ne doit-il pas en être de même pour le sang de cordon?

La question a des conséquences pratiques importantes, car les déchets opératoires ne sont soumis qu'aux dispositions concernant l'interdiction de la publicité, la gratuité, l'anonymat, les règles de sécurité sanitaires relatives au dépistage des maladies transmissibles .

En particulier, le recueil des déchets opératoires échappe à l'exigence de recueillir le consentement de la personne.

Aucune autorisation n'est requise pour effectuer le prélèvement des déchets opératoires, prélèvement qui n'est soumis qu'à des règles de sécurité sanitaire (les mêmes que pour le prélèvement sur une personne décédée).

En ce qui concerne la conservation , si le prélèvement est fait en vue d'une utilisation thérapeutique , le tissu doit être adressé à une banque de tissus elle-même autorisée . Mais si le prélèvement est fait à des fins non thérapeutiques , il semble que la conservation, la transformation et l'utilisation ne soient soumises à aucune autorisation .

Lorsque la loi traite la question du prélèvement du sang du cordon (en cas de prélèvement à des fins thérapeutiques), le régime de ce dernier se rapproche sous certains aspects du régime général des tissus, cellules et produits du corps humain. Ainsi, la loi exige le recueil du consentement de la mère pour prélever le sang du cordon à des fins thérapeutiques, ce qui rapproche le régime du sang du cordon de celui des tissus, cellules et produits du corps humain , car le recueil des déchets opératoires n'exige pas le recueil du consentement.

Mais sous d'autres aspects, le régime ainsi défini par la loi du sang du cordon se rapproche de celui des déchets opératoires. Certaines dispositions sont incompatibles avec le régime des tissus, cellules et produits, sans que ces dispositions ne soient présentées comme des dérogations au régime général, ce qui indiquerait donc plutôt que ce régime général n'est pas celui du sang du cordon.

Ainsi, le prélèvement du sang de cordon est le prélèvement du sang de l'enfant , qui est par définition un mineur. Or, tout prélèvement est interdit sur un mineur , sauf le prélèvement de moelle osseuse au bénéfice de son frère ou de sa sœur. Si le prélèvement du sang du cordon était un prélèvement classique de tissus, cellules et produits, la possibilité de l'effectuer devrait être présentée comme une dérogation à l'interdiction posée de prélever sur un mineur (ce que fait l'article L. 1231-3 qui prévoit la possibilité de prélever de la moelle osseuse au bénéfice d'un frère ou d'une sœur). Or ce n'est pas le cas.

Lorsque la loi traite du prélèvement du sang du cordon, le régime prévu est donc hybride entre celui du prélèvement de tissus, cellules et produits et celui des déchets opératoires.

Il est en effet logique de ne pas assimiler totalement le prélèvement du sang du cordon à un prélèvement sur personne vivante , car, lorsque le sang est prélevé, le cordon est détaché de l'enfant .

On ne peut donc, en l'état du droit, conclure en la matière, pour rattacher le sang du cordon au régime des tissus, cellules et produits ou à celui de déchets opératoires.

Source : « Les cellules souches du cordon ombilical,

Aspects scientifiques, juridiques et éthiques  »

Aude BERTRAND-MIRKOVIC, Docteur en droit privé

Université Paris II – Panthéon-Assas (France)

juin-juillet 2002