Fiches acteurs

Franck Faucheux

Franck Faucheux est un ingénieur architecte actuellement chargé de mission de préfiguration pour l’Institut pour la Ville Durable depuis 2014.

Il a été l’initiateur de la démarche EcoQuartier en France.  Il a été responsable de son pilotage 2008 à 2014,  et a pris part aux sessions d’appels à projet de 2009 et 2011. Il est aussi animateur du Club National EcoQuartier du Ministère de l’Egalité des Territoires et du Logement, club créé pour faciliter la gestion des dossiers lors des appels à projets.

M. Faucheux a dû assurer la médiation entre les ministères du logement et de l’écologie. Cette tâche a été difficile et a nécessité la mise en place des conférences de Grenelle où des engagements ont été décidés. Il a travaillé en collaboration avec Jean-Louis Borloo, alors ministre en charge de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, puis ministre de l’Ecologie dès 2007, autour des questions liées à l’habitat urbain durable. Il a lancé les réflexions pour une proposition d’expérimentation de quartiers durables. Or à cette époque, tout était à construire car le concept de ‘quartier durable’ n’avait aucune définition.

M. Faucheux et les équipes ministérielles on observé des exemples déjà existants, en cours, comme le quartier de Bonne. L’idée leur est ensuite venue de lancer un concours sanctionné par une triple expertise. La raison d’être d’un label est qu’il incite l’usage de techniques qui sont à notre disposition et dont on peut faire un usage combiné. C’est en fait cette combinaison qui est certifiée, qui sert de garantie. Cela permet aux quartiers d’être plus attractifs et ainsi plus vendeurs. La labellisation garantit qu’il y a eu une vraie réflexion politique est technique en amont.

La problématique à laquelle M. Faucheux a été confronté est qu’il fallait que les décisions débouchent sur une politique publique que toutes les villes doivent pouvoir s’approprier, quelle que soit leur taille. L’idée était de faire une passerelle qui soit à la fois dépolitisée, accessible, compréhensible. Il souligne le besoin d’un changement de comportement dans la société, avec plus d’innovations nécessaires, qui doivent naître de discussions avec les différents maires.

Son point de vue s’éloigne de celui de la chercheuse Rebecca Pinheiro Croisel dans le sens où M. Faucheux s’est rendu compte qu’il est difficile de combiner logements sociaux et écologiques car les logements écologiques ont un coût plus élevé, surtout à cause des équipements censés améliorer les performances thermiques des logements. Par exemple, les maisons à écologiques peuvent coûter jusqu’à 20 000 euros de plus que les classiques: l’isolation thermique des logements écologiques coûte cher car l’épaisseur des matériaux est plus importante et un chauffe-eau solaire coûte trois fois plus cher qu’un basique.


Une solution proposée par M. Faucheux est d’essayer de baisser les coûts en équipant les habitations par lots au lieu d’équiper les logements individuellement (surtout pour le chauffage solaire par exemple); idem pour les emplacements de stationnement: il revient moins cher de les construire en commun.

La Maison du Quartier

Nous avons pu recueillir le témoignage d’une personne en lien avec la Maison du Quartier de l’écoquartier de Dunkerque. La Maison concerne réalité les deux quartiers Grand Large et Neptune.

Le but initial de l’équipe municipale qui a débuté le projet en 1991 était de créer un quartier innovant avec une architecture atypique comprenant des habitations aux toits pentus de style nordique, qui soit aussi garant d’une certaine mixité sociale en proposant des appartements aussi bien que des maisons individuelles.

La Maison du Quartier a été créée pour répondre à deux objectifs: favoriser la cohésion sociale et faire en sorte que les habitants prennent en main leur quartier. Le deuxième objectif est particulièrement crucial car le devenir de l’écoquartier dépend des initiatives et de l’enthousiasme de ses habitants.

D’après les observations de la Maison, on distingue deux types d’habitants dans l’écoquartier. D’un côté il y a ceux qui ont investi dans un logement en écoquartier en connaissance de cause et appliquent les règles, et de l’autres ceux qui ignorent qu’il s’agit d’un écoquartier, et qu’il faut par conséquent former aux bonnes pratiques. Notre contact blâme les bailleurs qui sont prêts à tout pour vendre les appartements, même à dissimuler le fait qu’il s’agit d’un écoquartier et que par conséquent, des contraintes liées au mode de vie s’appliquent.

Il n’est pas rare de voir des amoncellements de déchets à côté des poubelles destinées au tri, certains habitants ne sachant comment s’y prendre. Concernant la place de la voiture dans l’écoquartier, on constate que dans la pratique, cette thématique pose problème. Par exemple, la limitation de vitesse à 30 k/h n’est pas observée il arrive que des places réservées aux handicapées soient occupées par facilité, ce qui créé des tensions. Le fait que l’écoquartier de Dunkerque ne fonctionne pas comme il est censé le faire fait parfois regretter leur choix à des propriétaires qui ont payé une petite fortune pour s’y installer.

Cela dit, la Maison du Quartier félicite la mise en place par la municipalité en 2015 d’initiatives locales visant à encourage la discussion entre les habitants, les architectes et les urbanistes au cours du développement du quartier.

Actuellement, des parties de l’écoquartier ne sont pas encore achevées. Le changement de municipalité qui s’est opéré en 2014 a donné lieu à une révision des plans initiaux, et pour le moment la suite des projets demeure suspendue, notamment à cause de la crise qui complique la vente des appartements.

Michel Delebarre

Michel Delebarre est un homme politique qui a occupé diverses fonctions ministérielles sous la présidence de François Mitterrand. Il est actuellement Sénateur du Nord depuis septembre 2011, mais surtout, il a été le maire de Dunkerque pendant 25 ans, de 1989 à 2014.

C’est pendant qu’il était maire que s’est articulé un projet d’écoquartier à Dunkerque, l’écoquartier du Grand Large, indépendant du label de l’Etat. D’après M. Delebarre, le but originel était de construire un quartier agréable à vivre pour donner un nouveau souffle à une partie de la ville qui n’était en fait qu’une ancienne friche industrielle.

M. Delebarre et son équipe se souciaient peu que le quartier Grand Large soit approuvé par le label de l’Etat. L’essentiel était de garder une certaine liberté dans la philosophie de vie du quartier, de ne pas avoir à s’aligner sur une grille avec des critères précis. Cependant, l’expertise de professionnels du bâtiment n’a pas été négligée, de même que les normes en vigueur.


M. Delebarre pense que le quartier Grand Large peut inspirer d’autres villes à oser se lancer dans la conception d’un quartier durable à leur manière, sans pour autant s’obliger à respecter une grille stricte, et d’aviser éventuellement par la suite si la labellisation peut être un plus.

Nicolas Michelin

A la tête de l’Agence Nicolas Michelin et Associés (ANMA), Nicolas Michelin est un architecte urbaniste de renom dont les travaux mêlant urbanisme et souci de l’écologie ont marqué plusieurs grandes agglomérations françaises telles que Nantes, Bordeaux, Metz et Dunkerque.

Les plans de l’équipe de Nicolas Michelin avaient été sélectionnée lors d’un concours d’architecture visant à désigner la future équipe en charge du projet Grand Large de Dunkerque. Pour la réalisation de cet écoquartier, il a travaillé en étroite collaboration avec Michel Delebarre, alors maire de Dunkerque (jusqu’en 2014), un promoteur, et un aménageur en charge de la construction du terrain. En tant qu’architecte urbaniste, il était en charge de la cohérence de la globalité du projet.

En général, M. Michelin est plutôt contre les concours de promotion-conception car ceux-ci forcent en réalité les architectes à fournir un travail de façade pour que le projet soit séduisant sur le papier, mais en fait il n’est pas réellement bien pensé et sa qualité en pâtit plus qu’autre chose.

Il a accepté de travailler sur le projet bien qu’il ne soit pas particulièrement en faveur de la démarche de construire des écoquartiers s’il n’y a pas de but réel derrière, une démarche qu’il juge comme étant une sorte d’esbroufe pour faire de la communication et attirer l’intérêt du public. Il est d’autant plus critique envers la labellisation des écoquartiers car selon lui, la grille de pratiques et la politique de rendement qui les accompagnent résultent inexorablement en une standarsisation de ces quartiers.

Un écoquartier doit au contraire être unique en son genre selon M. Michelin. Il doit être fait sur mesure à partir du contexte qui lui est propre et de l’histoire du site et ainsi donner l’impression de ne pas avoir été implanté de manière aléatoire mais au contraire d’avoir toujours été là. Ce n’est pas la cas de nombreux écoquartiers labellisés qui pour M. Michelin ont été conçus à l’envers en commençant par une grille qui ne favorise pas l’intégration des éléments spécifiques au lieu dans le projet.

La volonté de vouloir tout uniformiser tend selon lui à forcer les choses contre toute logique. Par exemple, on souhaite que les écoquartiers s’alignent sur une même réglementation thermique, mais en pratique cela est difficilement faisable étant donné que dans certains espaces géographiques comme dans le sud du pays, il s’agit de rafraîchir l’air ambiant, alors que dans d’autres comme le Midi, le but est de capter la chaleur.

L’écoquartier idéal est donc celui qui se fond dans son décor et utilise les ressources déjà à disposition, ce qui inclut les axes de communication déjà existants. Le but est de détruire un minimum et d’optimiser en transformant ce qui est existant par des touches subtiles. Sur ce souci, son avis son avis rejoint celui de l’architecte consultante Raphaële Héliot.


Concernant les réalités économiques qui sous-tendent la fabrication des écoquartiers, M. Michelin déplore les pratiques des promoteurs, lesquels ont tendance à être en conflit avec les architectes lorsqu’ils tentent modifier les plans établis de la construction dans l’optique de rendre les prix des logements plus attractifs.

Raphaële Héliot

Raphaële Héliot est une architecte consultante. Depuis 2006, elle est administratrice du réseau Vivacités Ile-deFrance qui regroupe des acteurs se rejoignant autour d’une charte régionale pour promouvoir l’éducation à l’environnement urbain sur le territoire francilien.

Mme. Héliot met en avant le fait qu’aujourd’hui, on remarque une certaine aspiration à une société du partage, société dont nous avons des moyens techniques suffisamment avancés pour la concevoir. Les écoquartiers peuvent être les ambassadeurs de cette nouvelle cohésion sociale voulue. Pour être effective, cette dimension collective doit cependant exister bien en amont des projets. Elle suppose que les acteurs habituels tels que les services publics et les professionnels du bâtiment de l’urbanisme revoient leur manière de penser la ville ensemble.

A propos de l’identité d’un écoquartier, l’avis de Mme Héliot rejoint celui de l’architecte urbaniste en charge de la conception de l’écoquartier Grand Large de Dunkerque, Nicolas Michelin: un écoquariter n’est pas un modèle à reproduire, il doit se décliner différemment selon les singularités que présente l’espace d’origine tels que le climat, l’hydrologie, les matériaux locaux, les savoir-faire, et les vents dominants.

Pour qu’elle soit réellement pérenne, la mise en place d’une ville durable doit en effet s’articuler naturellement autour de problématiques à la fois locales et globales. Selon Mme Héliot, beaucoup trop de quartiers et de villes se targuent injustement de la mention ‘durable’. Le fait que les logements d’un quartier soient équipés d’un chauffe-eau solaire n’en fait pas un quartier durable pour autant. Il faut pour cela que le quartier en question limite sa pression sur les milieux naturels (ressources du sol, eau, air, matières, déchets, etc) et que son impact sur l’écosystème soit minimisé.

Le modèle de la vile durable tel qu’il est pensé actuellement n’est également pas monolithique dans la mesure où les enjeux, les pressions, les ‘militances’, les conflits d’acteurs entrainent une diversité d’acceptions, de positionnements, d’expériences et de pratiques. Le débat d’idées entre les différents acteurs impliqués dans la construction d’un quartier durable (dont les futurs habitants) est essentiel afin que le quartier ne serve pas simplement de vitrine comme c’est trop souvent le cas, mais puisse vraiment réaliser des performances énergétiques qui ont un impact positif sur leur environnement.

Raphaële Héliot pense qu’il est bon de s’inspirer de certaines grilles d’écoquartiers que l’on trouve chez certains de nos voisins européens, comme à Vorarlberg en Autriche, où des subventions sont accordées aux écoquartiers selon les efforts fournis, ce qui encourage une amélioration constante mesures et limite l’uniformisation.


Ouvrage: “Ville durable et éco-quartiers”, publié aux éditions le Passager Clandestin en août 2010.

Rebecca Pinheiro-Croisel

Rebecca Pinheiro Croisel est une spécialiste en urbanisme durable. Son travail de recherche concerne principalement la mise en place et la gestion opérationnelle et politique de projets de villes durables innovantes. Elle a fait parti du comité scientifique du label EcoQuartier en 2008.

Pour sa thèse de doctorat en Science des Organisation soutenue en 2013 aux Mines Paristech, Mlle. Pinheiro Croisel s’est concentrée sur la genèse des projets urbains durables, en particulier les ruptures et discontinuités qui ponctuent le processus de création collective.

Dans une partie de la thèse où elle se livre à une analyse de la démarche EcoQuartier, elle met en avant le fait que les grilles d’évaluation des EcoQuartiers du label de l’Etat ont servi d’inspiration à des démarches indépendantes de création de quartiers durables sur le territoire français. Des maires se sont en effet inspiré des grilles existantes en ajoutant leurs propres instruments juridiques et réglementaires pour leurs propres initiatives.

Mlle. Pinheiro Croisel met également l’accent sur l’importance pour le fonctionnement d’un EcoQuartier que ses habitants puissent se l’approprier, car le succès d’un d’un tel quartier sur la durée est intimement lié à une dynamique collective. Elle insiste sur le fait que le label est à envisager comme un support pour le développement de l’action collective.

Lors de notre entretien avec Mlle. Pinheiro Croisel, celle-ci a attiré notre attention sur le fait que beaucoup de labels concurrents existent et qu’une comparaison de leurs différents critères est primordiale si l’on souhaite faire ressortir la raison d’être d’un label d’Etat. Elle a suggéré la piste de l’écoquartier Grand Large de Dunkerque car c’est justement un projet de ville durable qui a été mené indépendamment de la grille dévaluation du label de l’Etat.

Elle dénonce la logique marchande des écoquartiers encouragée par les grandes entreprise. Elle déplore que ces entreprises soient intéressées par des profits immédiats et non par les problématiques écologiques en priorité. On pense souvent que construire durable est synonyme de cherté, or c’est le contraire: les constructions écologiques sont justement moins coûteuses car plus minimalistes et moins lourdes techniquement. Le label de l’Etat a justement pour vocation de décourager ces mauvaises intentions en imposant des critères de construction spécifiques.


Thèse: Innovation et éco-conception à l’échelle urbaine: émergence et modèles de pilotage pour un aménagement durable, 2013.

Vincent Renauld

Vincent Renauld est un ingénieur, Docteur en aménagement et urbanisme diplômé de l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon. Il fait partie de l’équipe de recherche ITUS (Ingénieries, Techniques, Urbanisations, Société) du Laboratoire EVS (Environnement Ville Société) au sein du CNRS. Ses recherches concernent principalement les conditions de fabrication et d’usage des nouveaux objets techniques dans l’aménagement urbain et l’habitat contemporain, notamment dans les écoquartiers.

Il a identifié 3 grandes phases du développement des écoquartiers: une phase militante dans les années 70-80, une phase expérimentale qui a eu lieu dans les années 90, et enfin la phase actuelle entamée dans les années 2000, celle de la généralisation des écoquartiers avec une production de masse.

Selon lui,  la question sur la durabilité des écoquartiers n’est selon lui pas nouvelle, et s’articule autour d’un débat qui trouve ses racine au 19e siècle, lorsqu’on a réalisé qu’une réorganisation de la vie sociale devait se faire avant tout par la réorganisation de la ville et de ses espaces. On peut se demander ce qui au final ressort des écoquartiers et ce qui fait que leur démarche est innovante: la conception, la technique ou les usages qu’en font les habitants? M. Renauld note un décalage critique entre ces trois axes qui nuit au bon fonctionnement des écoquartiers, surtout entre la technique et les usages.

Pour sa thèse, Fabrication et usage des écoquartiers français, M. Renauld a étudié trois écoquartiers de près: celui de Bonne à Grenoble, celui de Ginko à Bordeaux et celui de Bottière-Chénaie à Nantes. Selon lui, leur création doit passer par une intégration des futurs usages des habitants ainsi que des règlementations en vigueur, en amont lors de la phase de conception technique, ce qui résulte en une reconfiguration interne des métiers techniques. Cela se traduit ensuite sur le terrain en des conséquences sociologiques.

M. Renauld met en avant le fait que les habitants des écoquartiers ne sont pas nécessairement récalcitrants face aux pratiques qu’impliquent leur type de logement, beaucoup tentent de les respecter, mais le problème émane plutôt de la maintenance de ces dispositifs lorsqu’ils viennent à dysfonctionner (exemple: lorsqu’il y a des difficulté de réparation pour des systèmes peu répandus). Les habitants ne sont pas ceux qui sont à blâmer finalement.

Lors de ses recherches sur le terrain, il a aussi relevé des points positifs, comme le système destiné à limiter la consommation d’eau, un système qui fonctionne bien car il s’oublie à l’usage.

M. Renauld tient tout de même à rester vigilant à propos de la concertation qui, selon lui, peut avoir des effets pervers, comme la fonctionnalisation des espaces: il ne faut pas designer l’espace selon les exigences de quelques habitants, l’écoquartier doit avant tout être un espace de partage.

On peut considérer M. Renauld comme un septique des écoquartiers, qui les voit comme une mode qui a des chances d’être dépassée d’ici 20 ans. Il les envisage comme une nécessité d’innovation constante propre à notre modèle économique, mais qui n’apporte finalement rien de révolutionnaire en matière d’aménagement.


Thèse: Fabrication et usage des écoquartiers français, 2012