En l'absence d'un légataire...

Google a mis en place l’Inactive Account Manager, mais a malheureusement peu communiqué sur le sujet, à tel point que Julie, au même titre que beaucoup d’autres, n’était pas au courant des possibilités légales de transmission offertes par Google.

Pourtant, je sais que Julie conservait dans ses mails et sur son Drive des documents importants. Selon l’Assembly Bill 961: Privacy expectation after life”, aucun accès aux compte d’une personne décédée n’est permis, à moins que la personne n’ai consenti de son vivant à transmettre ses données et à autoriser l’accès à un tiers. Cette loi a été soutenue par de grands acteurs du web, à l’instar de Facebook, Yahoo!, Aol, et un lobby représentant Google, Microsoft et Apple. Ceci va dans le sens d’un refus du droit des familles à accéder aux données personnelles d’un défunt, notamment dans le but de protéger les données personnelles et confidentielles de leurs utilisateurs.

Nous ignorons donc beaucoup de notre avenir post-mortem sur ce type de serveurs, et des procès mettent en lumière les complications auxquelles nous pouvons être confrontés dans ce genre de situation. Regardons par exemple le cas de l’écrivaine iranienne Marsha Merhan : le père de cette jeune écrivaine morte brutalement a tenté à quatre reprises de joindre Google pour accéder au Chromebook de sa fille et à son Drive.

Sans réponse de la part de ce géant du web, le père de Marsha Mehran, Abbas Mehran, a décidé de poursuivre Google en justice à la Cour de Santa Clara County afin de les obliger à lui autoriser l’accès au compte Google Drive de sa fille. Abbas Mehran n’a pas osé aller jusqu’à demander l’accès à la messagerie en ligne de sa fille, devinant par avance l’issue du procès. Le père a finalement réussi à obtenir un CD où Google a gravé les données du compte Google Drive de Marsha. En raison de la res judicata, qui rend impossible l’appel en court d’un dossier déjà traité en justice, le père ne récuperera donc jamais les e-mails de Marsha. Pourtant, ses correspondances et ses traces font partie intégrante de la vie numérique de Marsha, et peuvent être un moyen de la remémorer. Comme l’expliquait Daniel Bougnoux:

“Il est certain que nos traces sont une partie importante de notre corps. Un écrivain peut dire de son roman “ceci est mon corps” mais de toute façon, dans une famille où s’arrête le corps ? On est très investi les uns par les autres, donc les liens charnels, les liens très affectifs sont des prolongements vibrants de chaque existence dans l’existence de l’autre. On a du mal à dire l’enveloppe des frontières de l’individu. Le numérique augmente ce réseau de relations frémissantes, charnelles, vivantes entre l’individu ponctuel tel qu’on pourrait l’imaginer et puis toute cette sphère intime par lequel il est relié aux autres, et qui le font vivre, puisque l’individu sans ses attaches ne pourrait pas vivre.”