Selon la Commission CIPPIC (Canadian Internet Policy and Public Interest Clinic), pouvoir être remémoré et regretté par ses amis de manière posthume est "une part importante de l’expérience Facebook”.
Dans les conditions d’utilisation du réseau social, il est possible de rendre un profil “immortel” : pour cela, il faut se rendre dans la section “Qu'arrivera-t-il à mon compte en cas de décès”, qui est une partie un peu souterraine des paramètres de sécurité Facebook. Etant donné qu’il n’y a aucune politique d’inactivité pour supprimer ou désactiver un compte, il revient à un utilisateur de faire la demande de mémorialisation d’un profil car cette manoeuvre ne viendra pas du réseau social.
Avant 2007, Facebook autorisait une mémorialisation pour une période de 30 jours (à partir de l’envoi du certificat de décès), avant que le compte ne soit supprimé. Cette possibilité était apparue à la suite de la mort dans un accident de moto du meilleur ami de Max Kelly, le chef de la sécurité de Facebook. Mais c’est à la suite d’une fusillade dans un établissement scolaire dans l’Etat de Virginie en 2007, où des jeunes étudiants et adolescents ont perdu la vie ou ont vu leurs camarades mourir sous leurs yeux, que Facebook a franchi une nouvelle étape en autorisant aujourd’hui un délai permanent de mémorialisation.
Ce changement de politique est survenu suite à une demande consensuelle des étudiants survivants et des familles des défunts à Facebook : les profils des étudiants décédés étaient devenus des mémoriaux à part entière, et il était important pour les survivants de pouvoir continuer à s’y rendre et à honorer la mémoire de leurs camarades, sans limite de temps. Ainsi, la mémorialisation du profil devint un jalon de l’immortalisation numérique.
Dans son ouvrage Bereavement Care de 2009, Amanda Aikten [Myles Les usages d'un groupe Facebook en situation de deuil: une étude de cas 2012] décrit la commémoration sur Internet comme permettant la collecte, la préservation et la modification permanente des données sur le défunt afin qu’elles ne soient jamais perdues : c’est l’objet technique, ici la plateforme, qui permet cette commémoration collective en ligne, mais une dimension sociale liée aux besoins culturels du deuil lui est attribuée.
En effet, dans un monde où les familles sont plus éparpillées, et où les valeurs traditionnelles de rassemblement se perdent, Internet peut se présenter comme un retour à ces valeurs collectives. Comme Daniel Bougnoux nous l’expliquait, l’endeuillé n’est pas seul dans sa souffrance grâce à Internet :
“Curieusement le numérique est un élargissement de la famille : ça crée un effet de proximité avec des gens fort éloignés; assez paradoxal à dire ou à vivre mais c’est un acquis positif et incontestable de ces nouvelles technologies.”
Vous décidez donc d’immortaliser le profil de Julie; vous lui octroyez ainsi une sorte de statut d’entre-deux, défini par Patrick Baudry dans son article de 2001 “la mémoire des morts”, il vous permet de la faire revivre de temps à autres. Cet “entre-deux” (entre le réel et le virtuel, entre la vie et la mort) qu’offre l’immortalisation d’un profil Facebook donne à la défunte un statut “d’inabsente : on ne se remémore plus un souvenir dans le cadre du deuil, de l’absence et de la disparition. Dans le deuil on se rappelle pour mieux oublier, on associe la disparition à nos souvenirs. Avec le statut d’inabsent donné au défunt, on risque de perdre cette association du souvenir à la disparition en rendant la défunte immortelle virtuellement. Il est possible de chambouler l’accès au deuil et l’acceptation de la disparition qu’entraîne un décès en faisant ce genre de manipulation d’immortalisation sur Facebook.”