Nous vous révélons maintenant les opportunités offertes quant au désir des hommes d’accéder à l’immortalité. Firanza Gamba, dans son article “Vaincre la mort : reproduction et immortalité à l’ère du numérique” met en avant ce désir présent chez tous les hommes d’atteindre une forme d’immortalité. Ce serait une tendance de la société, à chaque époque.
Mais est-elle possible aujourd’hui? Marius Ursache, un ingénieur roumain vivant aux Etats-Unis souhaite offrir une forme d’immortalité aux internautes. En effet, à la suite de la mort de sa grand-mère, il a l’idée de lancer en 2014 une start-up dont l’objectif est de participer à l’invention de l’immortalité virtuelle.
Eterni.me a un slogan simple: « Become virtually immortal ». Comment ça marche? Vous vous inscrivez en ligne et Eterni.me vous propose de créer votre avatar. Une fois votre avatar créé il va chercher à en apprendre davantage sur vous et petit à petit il va se connecter sur vos différents comptes pour agglomérer de plus en plus d’informations, à partir de toutes les données personnelles numériques. Vous pouvez ensuite discuter avec lui (grâce à des enregistrements audio où il a copié votre voix) et lui apprendre à devenir vous, pour que vos proches puissent discuter avec lui une fois que vous serez mort. Ainsi vous pourrez continuer à exister en ligne et vos descendants pourront savoir qui vous étiez en discutant avec votre avatar. C’est mieux qu’un album photo non?
Nuançons toutefois le propos, car si la communication du site a été conséquente au moment du lancement, sa situation actuelle est peu connue. Plus de 30 000 personnes auraient signés et certaines auraient déjà un avatar à éduquer, mais ce ne serait pas le cas de tous. Ainsi le succès est difficilement mesurable. Il faut noter par ailleurs que le service de l’entreprise a été largement inspirée de l’épisode 1 “Be Right Back” (2013) de la saison 2 de la série Black Mirror réalisée par Charlie Brooker. Mais comme l’épilogue de l’épisode le souligne, l’identité numérique post-mortem d’un individu peut-elle entièrement reproduire l’identité de l’être cher disparu? L’appel manqué de Julie peut signifier qu’elle était membre de cette start-up et qu’un avatar de Julie est disposé à discuter avec vous. Mais vous-même, seriez-vous prêt à l’entendre?
Précisons enfin qu’au-delà de vouloir tisser des liens entre les vivants et la réalité virtuelle d’un être mort, Marius Ursache travaille à développer l’intelligence artificielle. En effet, en conglomérant des milliers de réactions, des milliers de sentiments exprimés face à telle ou telle situation, l’objectif serait de créer une Intelligence Artificielle capable de réagir avec la même sensibilité et la même rationalité qu’un être humain. Sans nous exprimer plus sur ce qui relèverait davantage du transhumanisme, nous préférons souligner en quoi l’immortalité numérique est un mirage qu’il est dangereux de croire.
La survie de nos données en ligne après notre mort ouvre ainsi un large potentiel de réflexion sur les enjeux d’une éternité virtuelle. Celle-ci fait rêver de nombreuses personnes qui veulent laisser une image impérissable d’eux. De très nombreuses start-ups ont compris les opportunités offertes par cette niche et entrepris de permettre aux internautes de préparer en amont de leur mort leur éternité virtuelle. En outre, nous avons remarqué que bien souvent les entreprises naissent d’une initiative d’un individu qui a lui-même été confronté personnellement à la mort d’un proche, et à des problèmes vis-à-vis de l’accès ou de la gestion des données personnelles post-mortem (Planned Departure et Eterni.me, entre autres.) Ainsi, la Start-up israélienne SafeBeyond a été lancée en 2015 par Moran Zur après la mort de son père.
On peut distinguer différents types d’entreprises du e-death business en fonction des services qu’elles offrent:
- Améliorer l’expérience du deuil (Digital Legacys qui dote les tombes d’un QR a été créée par Rick et Lorie Miller aux États-Unis)
- Permettre au futur défunt de préparer par avance des messages qui seront envoyés post-mortem (If I die)
- Offrir une éternité virtuelle (Eterni.me)
- Permettre au futur mort d’optimiser la gestion de ses données post-mortem (Safebeyond)
- Optimiser la gestion des données et mettre en relation avec des spécialistes juridiques (Planned Departure, Testamento)
If I die est une application lancée par Era Alfonta (start up Willook) en 2012. Liée à Facebook, elle permet de pré-enregistrer des messages qui s’enverront selon un calendrier précis une fois notre mort annoncée à Facebook par la délivrance de notre certificat de décès. Face à cette grande diversité d’offre, le philosophe Daniel Bougnoux nous met néanmoins en garde contre la croyance en une immortalité virtuelle offerte à chacun, et cela à partir d’un argument très pragmatique qui est celui du nombre de données présentes sur Internet. D’après lui, tout comme certains auteurs des siècles précédents ont été oubliés et d’autres non, de même, une potentielle immortalité virtuelle dépend des autres et non de nous. En 2013 une étude énonce que 90% des datas ont moins de deux ans. Comme Daniel Bougnoux nous l’a dit, notre « bruit » ne se fera pas entendre dans la masse, conserver en ligne n’a pas de sens si nos données sont noyées dans un flot d’informations. Ainsi Internet n’est un vecteur de visibilité que si les autres vous mettent en avant, vous regardent, en bref, tout dépend de l’algorithme.
Dès lors, au lieu de rêver d’immortalité virtuelle, il est plus prudent de chercher à transmettre ce qui doit être transmis.