L’application d’une taxe Tobin aurait des conséquences qui sont controversées. De l’analyse de ces conséquences dépendent les caractéristiques de cette taxe. Les points faisant objet de contentieux se sont multipliés et diversifiés au fil du temps. Voici un état des lieux des différentes modalités de mise en place sur lesquelles les scientifiques ne parviennent pas à s’accorder.
L’un des enjeux de la controverse est de déterminer quel taux sera le plus efficace pour contrer les spéculateurs, sans entraver les transactions financières. Certains affirment qu’un trop faible taux serait inefficace pour empêcher la spéculation. D’autres insistent sur le fait qu’un taux trop élevé pénaliserait les économies, sans pour autant diminuer la spéculation et ses effets nocifs.
Actuellement, 2 visions, apparemment inconciliables, s’opposent. Si l'on considère que la taxe risque d'entraver l'efficacité des marchés et ainsi d'accroître leur volatilité, un taux de taxation faible à modéré est nécessaire. A l'inverse, si l'on adopte une vision purement spéculative des marchés, un taux de taxation élevé est jugé optimal pour réduire la spéculation.
De plus, une taxe sur les transactions financières réduirait inexorablement le volume de ces transactions, et donc la base taxable. Olivier Damette a mené en 2008 une étude conjointe avec Francis Bismans, montrant que près de deux tiers du marché des changes mondial disparaîtraient si une taxe doublant les coûts actuels était appliquée. Ainsi, il ne serait pas possible de récolter des recettes importantes durablement si le taux de taxation défini s'avérait trop élevé.
En fait, c’est justement parce qu'elle impacterait le volume des échanges que la taxe pourrait entraver le fonctionnement du marché et accroître la volatilité. Le lien entre volume des échanges et volatilité des taux de change peut être tantôt positif, tantôt négatif, donnant alternativement raison aux partisans et aux opposants de la taxe. En effet, le marché est composé de traders que l’on qualifie de stabilisateurs, et de traders qui au contraire sont déstabilisateurs (en leur sein une part de spéculateurs) qui créent la volatilité.
Dans un régime dit normal, où le volume du marché des changes est important, les deux types de traders coexistent, et une mise en place de la taxe rendrait la part des stabilisateurs plus conséquente que celles des autres traders. L’effet de structure l’emporte sur l’effet liquidité (correspond à la baisse du volume total induite par la taxation). Dans ce cas, le volume est suffisant pour permettre au marché de fonctionner de manière efficace. Une taxe peut permettre de réduire la volatilité du marché des changes puisqu'elle diminue le nombre de traders déstabilisateurs tout en préservant une quantité suffisante de traders stabilisateurs nécessaire au partage du risque.
À l'opposé, lorsqu'on se trouve dans un régime de bas volume de transactions, où le marché risque d'être asséché, il est nécessaire que le taux de taxation soit plus faible. En effet, dans ce cas, la contraction du volume peut être telle que l'effet liquidité l'emporte sur l'effet de structure : la taxe conduit à accroître la réduction du volume de transactions de telle manière qu'il n'existe plus suffisamment d'agents pour partager les risques, et la volatilité est alors susceptible de s'accroître.
Ainsi, une baisse du volume des échanges accroît la volatilité lorsque le marché n'est pas suffisamment liquide mais la réduit lorsqu'il l'est suffisamment. Certains travaux empiriques ont montré que des corrélations positives entre le volume et la volatilité sont généralement associées aux périodes de calme du marché des changes alors que les corrélations négatives sont plutôt constatées dans les périodes de turbulence.
Au final, il semble que lever des recettes stables tout en réduisant la volatilité, un taux de taxation ajustable, dans la lignée de la taxe à double niveau de Spahn (le premier niveau est un faible taux applicable aux transactions financières tant que celles-ci restent dans les limites d'une moyenne convenue, le deuxième niveau est un taux élevé qui s'applique automatiquement en cas d'instabilité financière) devrait être appliqué.
Alors que la taxe Tobin avait fait l’objet de violents débats dans la société civile, il semble aujourd’hui que seule la sphère académique s’empare de ce sujet. De plus, si la Taxe Tobin est à l’origine du débat sur les « taxes globales » (système de taxation coopératif à l’échelle mondiale), induit par la mondialisation croissante, elle semble aujourd’hui en retrait : ce n’est plus qu’une taxe parmi d’autres, le terme de taxe Tobin recouvrant d’ailleurs des propositions bien diverses.
À la lumière de l’interview avec Jean Luc Matt, on peut dire que le débat enflammé autour de la taxe Tobin s’est quelque peu calmé. En fait, il s’est tellement éloigné des conceptions de James Tobin, et les objectifs sont maintenant tellement plus modestes, que parvenir à un accord est devenu beaucoup plus facile.
Si le principal enjeu politique est de réguler et de contrôler les relations entre États, cette taxe pourrait également permettre de créer une manne financière importante (chiffrée à plusieurs milliards de dollars, même si encore une fois le chiffre reste controversé), que l’on pourrait par exemple utiliser pour aider les pays en « développement ». Evidemment, la réallocation de cette ressource financière dégagée par la taxe fait largement débat.
En effet, comment le Royaume Uni par exemple, dont la sphère financière est très active est très développée, pourrait accepter de laisser à un autre organisme le soin de gérer et d’utiliser la manne financière dégagée par la taxe, quand bien même une taxe diminuerait considérablement les échanges financiers sur la place boursière londonienne ? Il semble légitime que le Royaume-Uni réclame l’argent qui lui reviendrait de droit.
Enfin, même si tous les pays parviennent à un accord, si tous acceptent de laisser l’argent à un autre organisme, la question est de savoir qui sera à même de gérer ce fond et quelle serait la légitimité de cet organisme. Il serait très difficile à mettre en place car il nécessite un large consensus et oblige les transactions de gré à gré à passer par cet organisme central. De même, il faut dresser une classification standard des transactions financières. Tout cela souligne combien la coordination et la coopération sont des éléments importants dans la mise en place de cette taxe.
Les acteurs importants de la controverses peuvent être regroupés dans plusieurs types de catégories (les partis politiques, les organisations, les économistes...). Bien que les acteurs aient des caractéristiques communes, Chacun possède bien sa propre spécificité et donc sa pertinence.
Dans l’éditorial intitulé Désarmer les marchés du Monde diplomatique de 1997, Ignacio Ramonet appelle à la création d’une organisation non gouvernementale, « l’Association pour une Taxe Tobin d’Aide aux Citoyens » ayant pour objectif de combattre les méfaits de la mondialisation financière et notamment son rôle déstabilisateur. L’association est créée effectivement en Juillet 1998 et se dote dès ses débuts d’un « conseil scientifique » rassemblant des acteurs du monde académique, de la sphère économique ou des écrivains et penseurs militants d’ATTAC. L’Association participe à la demande de Jacques Chirac au rapport Landeau intitulé Les nouvelles contributions financières internationales. Dans les conclusions de ce rapport il est suggéré de mettre en place une taxe sur les transactions financières. Sont également présentes des propositions de mesure à mettre en place pour parvenir progressivement à une taxe Tobin. Ce rapport débouche uniquement sur la mise en place d’une « taxe de solidarité sur les billets d’avion » finançant le combat contre le SIDA aujourd’hui appliquée par 25 pays. Aujourd’hui, si les activités d’ATTAC se sont diversifiées, l’association continue de se battre pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières visant à financer l’aide pour le tiers monde et prône une stratégie d’entrainement : si un pays applique la taxe, de plus en plus de pays vont appliquer une telle taxe.
La campagne taxe Robin des bois a été lancée en février 2010 en Angleterre. Ce mouvement est soutenu par certaines associations militant pour une taxe Tobin comme ATTAC ou Oxfam. Le but de ce mouvement est de sensibiliser les citoyens à la nécessité d’une taxe sur les transactions financières et de sa redistribution. Cela passe notamment par la circulation de pétitions. Ce mouvement s’inscrit dans une démarche pédagogique et à destination du grand public. En Avril 2011, dans le cadre de cette campagne plus de 1000 économistes ont exhorté les chefs de gouvernements à mettre en place une taxe sur les transactions financières.
Oxfam international réunit 15 organisations dans 15 pays différents pour lutter contre la pauvreté. Oxfam a été créée en 1942 en Angleterre et lutte depuis contre les injustices en étant présente dans plus de 90 pays via Oxfam international. Oxfam France a été créée en 1988 et rejoint le mouvement Oxfam international en 2006. Cette association fait partie de celles qui ont lancé la campagne Robin des Bois.
Paris Europlace est une association à but non lucratif représentant un certain nombre d’acteurs divers de la place financière de Paris (PME, banques, …). L’Association a publié a communiqué de presse en Janvier 2012 pour se prononcer à l’encontre d’une taxe sur les transactions financières qui « ne serait pas au moins européenne ». L’Association tient la position que la si la place financière de Londres n’est pas incluse dans le projet de taxe sur les transactions financières, cette dernière pénalisera durablement l’économie française. Ensuite, elle chiffre le projet de la commission européenne comme pouvant faire perdre jusqu’à deux points de croissance au pays. Pour combattre contre les attitudes spéculatives, l’association prône des méthodes différentes comme l’action sur le crédit aux entreprises.
Le communiqué de presse de Paris Europlace
En France, les partis politiques principaux se prononcent généralement en faveur d’une taxe Tobin. Le débat réside plus dans les modalités de cette taxe Tobin (sur quelles transactions l’appliquer). Les aspects techniques de la taxe sont laissés de côté (quel taux, etc). A noter cependant que certains partis de droite ont fait évoluer leur position récemment suite à la crise de 2008. Nicolas Sarkozy s’était prononcé en 1999 à l’encontre d’une telle taxe avant d’annoncer la mise en place d’une taxe sur les transactions financières début 2012.
La commission européenne (organe de production des propositions de directives et de règlement au sein de l’UE) est en train d’étudier un projet de taxe commun sur les transactions financières. La commission a publié une proposition en septembre 2011. Dans cette proposition, la commission européenne liste l’ensemble des possibilités qui s’offrent aux pays comme par exemple ne rien faire, appliquer une taxe sur les transactions de change ou appliquer une taxe sur les produits financiers dérivés. Le projet retenu par la commission européenne est une taxe à 0,1% sur les échanges d’actions et d’obligation et de 0,01% sur les contrats dérivés. L’un des objectifs de la mise en place d’une telle taxe serait de combler les déficits publics accumulés pendant la crise en faisant contribuer le secteur financier. L’institution estime que la taxe devrait concerner environ 85% des transactions financières.
Le communiqué de presse de la Commission Européenne
Le FMI est une institution née de la seconde guerre mondiale chargée d’aider les pays en difficultés économiques. Son action dans la crise grecque a été mise au premier plan et cet organe a joué un rôle prépondérant dans les crises d’Amérique Latine au début des années 1990. Cette intervention du FMI a été abondamment critiquée, ses détracteurs lui reprochant d’enfoncer encore plus les pays concernés dans le déclin. A cet égard, le FMI a une place centrale dans notre controverse et y joue un double rôle entre le domaine politique et le domaine scientifique. En effet, l’institution publie des rapports sur la question de la taxation des transactions financières et serait aussi susceptible d’être l’organisme qui collecterait le produit de cette taxe pour le redistribuer.
Rapport d'un économiste du FMI
Il est le père de l’idée d’une taxe sur les transactions de change. En 1972, il propose la mise en place d’une taxe sur les transactions de changes suite à la fin de l’étalon or. Son idée est très critiquée par de nombreux économistes. Elle sera reprise régulièrement les années suivantes par ATTAC notamment. Juste avant sa mort au début des années 2000 James Tobin se détache de l’utilisation qui est faite de son idée puisque pour lui la manne dégagée par la taxe Tobin ne peut être réallouée à une autre utilisation.
Paul Bernd Spahn est un économiste Allemand qui proposa dans plusieurs articles une taxe Tobin à deux niveaux. Un premier niveau de taxation faible est appliqué en temps normal et permet de freiner un peu la spéculation. Le second niveau de taxation, plus élevé est appliqué dans le cas d’une attaque spéculative et permet de redonner de l’autonomie aux politiques monétaires des États. C’est dans cette version que la taxe Tobin est aujourd’hui principalement étudiée.
Dans un article de Juin 2011, Stephan Schulmeister étudie les façons d’implanter une taxe Tobin et ses conséquences sur l’économie. Selon lui une taxe faible (0,05%) sur les transactions financières n’affecterait que de manière marginale les actions destinées à conserver un actif. En revanche, elle augmenterait le coût des transactions non liées à la sphère réelle et réduirait les comportements spéculatifs. Il y a deux méthodes pour mettre en place cette taxe une méthode centralisée (taxe perçue par un organisme central) et une méthode décentralisée (taxe perçue par les établissements financiers). La première nécessite une construction institutionnelle complexe mais serait plus efficace à terme que la seconde. C’est pourquoi il préconise aux pays précurseurs d’opérer de manière décentralisée puis de converger vers un système centralisé. Il propose pour l’UE une technique de redistribution. 1/3 de la taxe va au pays émetteur, 1/3 au pays récepteur, 1/3 aux institutions supranationales.
L'article de Stephan Schulmeister
Ces deux économistes ont étudié la taxe sur les transactions financières dans un papier de Mai 2001. Ils parviennent à la conclusion qu’une taxe Tobin aurait probablement un impact négatif sur la volatilité et la liquidité des marchés financiers menant à une réduction de leur efficacité. Pour eux si les investisseurs ne peuvent plus échanger au taux qu’ils souhaitent, la demande la chuter. Ensuite il a été démontré que plus de taxe augmentait la volatilité des marchés donc selon eux la taxe Tobin aurait un effet inverse à celui souhaité. En étudiant de manière théorique un certain nombre de portefeuilles ils en ont conclu qu’une taxe Tobin détournerait des fonds autrefois investit dans des actions et des obligations vers des produits dérivés. C’est pour cela qu’ils suggèrent de se tourner vers d’autres mesures pour limiter la volatilité des marchés financiers.
L'article de Karl Habermeier & Andrei Kirilenko
Afin de proposer aux utilisateurs du site une analyse pertinente de la controverse, nous avons pris le temps de rencontrer plusieurs personnes. Celles ci n'étaient pas nécessairement des acteurs au coeur de la controverse, mais des personnes qui nous ont guidés, et aiguillés pour la construction de notre problématique.
Philippe Martin est économiste et professeur de macro-économie à l’université Paris 1 et à Sciences Po aujourd’hui. Ses travaux portent sur des questions d’économie internationale et sur la notion de géographie économique.
Ce rendez-vous a eu lieu au 28 rue des Saint pères, à son bureau, le jeudi 21 janvier 2012.
Philippe Martin est plutôt pour l’instauration d’une taxe sur les transactions financières avec la condition que son application soit coordonnée, qu’elle concerne une majorité des pays européens et que l’objectif de son application soit clairement définie.
M. Martin était notre premier entretien, et même s’il n’est pas chercheur spécialisé sur la Taxe Tobin, il nous a aidé à clarifier l’idée que nous nous faisions de la taxe Tobin. Dès le départ, il nous a conseiller d’étudier la Taxe Tobin comme étant toute taxe sur les transactions financières. Il nous a introduit des définitions de base et les expériences de la taxe (taxe Stamp Duty). Il nous a expliqué économiquement les arguments pour et contre (selon lui).
« En France ceux qui sont contre c’est le sont parce que ce n’est pas possible. Car il y a deux manières d’être contre : ce n’est pas souhaitable ou ce n’est pas possible »
« Je ne pense pas que la Taxe Tobin va annuler les bulles spéculatives, car il y a des bulles spéculatives sur les biens immobiliers alors que ce marché est énormément taxé. »
« À la limite, le marché des actions n’est pas à l’origine de la crise, donc si le problème est le risque financier, il faut taxer les banques. Donc faisons une Taxe Tobin sur les banques et leur endettement à court terme, c’est eux qu’il faut taxer. C’est ce qu’il aurait fallu faire avant la crise. Mais de nouveaux problèmes sont apparus, auxquels il faut apporter de nouvelles solutions. »
Philippe Martin nous a donné plusieurs informations pour guider nos recherches. Il nous a conseillé la lecture du rapport du FMI, la recherche d’information du côté étatsuniens (les chercheurs français n’ont pas réalisé de travaux pertinents sur le sujet).
Maître de Conférence à l’Université Paris XII, auteur d’une thèse intitulée « Essais sur la taxation des transactions de change » (étude des effets d’une taxe sur la réduction du volume des marchés).
Ce rendez-vous a eu lieu le jeudi 14 février 2012.
Favorable à la mise en place d’une taxe sur le marché des changes, actuellement inexistante, afin de permettre la stabilisation des taux de change. Caractéristiques de cette taxe : taux variable, adaptable grâce à une prise d’information de court terme aux volumes échangés. Taxe efficace uniquement dans en dehors des régimes extrêmes, c'est-à-dire peu ou très volumineux.
Pas de participation active, position intermédiaire, de compromis et qui se veut neutre et objective. Proposition d’un instrument nouveau.Publication de « Les conditions d’efficacité d’une taxe sur les transactions financières » dans Le Monde, le 18 août 2011.
« Une taxe Tobin ne serait efficace que durant les régimes intermédiaires, car elle réduirait le volume des transactions sur les marchés et par conséquent la volatilité des taux de change. »
Intérêt du point de vue strictement scientifique et présentation d’une solution éloignée de celle du corps politique.
M. Jean Luc Matt administrateur au département « Analyse des lois de finances : recettes, équilibre, lois de règlement, conjoncture économique – Finances des Communautés européennes », à l’Assemblée Nationale.
Ce rendez-vous a eu lieu au Palais Bourbon, le mercredi 7 mars 2012.
L’avis de M. Matt sur l’état de la controverse est assez clair. Selon lui, il n’y en a plus, du moins en France, car le 1er aout une taxe de type Tobin entrera en vigueur dans notre pays, mettant fin à la plupart des discussions sur la Taxe Tobin.
M. Matt est un administrateur de l’Assemblée Nationale, et il doit donc être neutre, et ne peut en aucun cas nous faire part de sa position personnelle sur le sujet.
« Il y a un consensus et très peu de débat. M. Emmanuelli (député socialiste des Landes, Ndlr.) a même dit que le PS garderait la taxe si la gauche passait en mai. Il y a eu très peu de débat car c’est un jeu politique pour compenser la TVA sociale, et la gauche ne pouvait pas refuser la taxe de type Tobin, considérant qu’ils avaient été d’accord dans le passé. »
« Le produit de la taxe est censé faire contribuer le secteur financier qui est vu comme ayant contribué à la crise des dettes souveraines. Il s’agit de faire un retour sur le secteur responsable de la crise. Actuellement, le gouvernement, quel qu’il soit, ne peut pas se passer d’un milliard de dollars que rapporterait la taxe. »
Cet entretien est l’un des moments clé de notre travail, il nous a permis d’observer l’utilisation de l’économie par les politiques et la réappropriation de concepts scientifiques par des hommes de pouvoir. Notre controverse n’est pas achevée après l’entretien mais elle a été réorientée et complexifiée.
Cet entretien a permis de donner une perspective très intéressante à notre controverse. L’enchevêtrement du politique et de l’économique remodèle sans cesse la controverse et lui donne tout sa complexité. Alors que nous partions plutôt sur une controverse axée sur le taux acceptable pour la mise en place de la taxe, nous sortons de l’entretien avec une controverse orientée sur le remodelage de la controverse par les différents acteurs faute de consensus scientifique.
Arnaud de Bresson est délégué général de Paris Europlace. Paris Europlace représente l’ensemble des acteurs de la place financière de Paris que ce soit des PME ou des banques. L’Association permet de rassembles ces acteurs divers et de mieux coordonner leurs actions.
Ce rendez-vous a eu lieu à Paris dans le premier arrondissement, le 2 avril 2012.
Paris Europlace par la voie d’un communiqué de presse s’est prononcé à l’encontre d’une taxe sur les transactions financières qui ne serait pas « au moins européenne ». L’association juge que la mise en place d’une telle taxe affaiblirait durablement l’économie française. Les régulations financières déjà mises en place sont suffisamment élevée pour le moment. Selon lui une telle taxe pénaliserait non seulement les actions spéculatives mais aussi les autres interventions sur les marchés financiers qui peuvent être bénéfiques pour l’économie française. Sans nier l’impact négatif de la spéculation, M. De Bresson juge qu’une telle action serait probablement inefficace si elle n’incluait pas la place financière de Londres voire les États Unis. Enfin, M. de Bresson reconnait que le monde de la finance est probablement victime d’une sorte de diabolisation notamment par les médias étant considérés comme les responsables de la crise actuelle. Cette diabolisation lui semble peu justifiée car la finance française est parmi les plus vertueuses au monde.
L’Association étudie les propositions qui sont faites non seulement à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle européenne ce qui l’amène à se positionner dans la controverse. A titre d’exemple, paris Europlace estime qu’en l’état actuel d’avancement du projet européen de taxation des transactions financières, celui-ci engendrerait deux points de croissance en moins pour l’économie française.
Paris Europlace par sa composition composite est très intéressante à étudier car cela permet de voir que des acteurs divers peuvent se cacher derrière une position peu favorable à une taxe sur les transactions financières. Si la position d’Arnaud de Bresson n’est pas de s’opposer frontalement à toute taxe sur les transactions financières, on sent bien qu’il préférerait d’autres méthodes pour lutter contre la spéculation et pour favoriser la reprise économique.
Jacques Cossart se définit lui-même comme « économiste de terrain ». Il a en effet participé à des programmes économiques locaux en Afrique de l’Ouest dans les années 1970-1980. Il a notamment contribué au lancement de la riziculture en Côte d’Ivoire. Il est membre du Conseil Scientifique d’ATTAC depuis sa création et en est le secrétaire général depuis 2003. Il a aussi travaillé à la Banque Mondiale et à l’agence française de développement.
Ce rendez-vous a eu lieu à Bagnolet, le 4 avril 2012.
En tant que membre d’ATTAC, Jacques Cossart est bien évidemment favorable à l’instauration d’une Taxe sur les transactions financières. Il insiste sur le fait que on ne peut pas espérer instaurer la taxe du jour au lendemain dans l’ensemble des pays du monde. Il suggère que la mise en place d’une telle taxe dans un pays va engendrer un effet d’entrainement qui va conduire d’autres pays à la mettre en place pour qu’elle soit in fine appliquée partout. Il s’est aussi déclaré satisfait de l’instauration d’une taxe sur les transactions financières en France bien que cette initiative ne doive pas en rester là.
Outre son engagement au Conseil Scientifique d’ATTAC, Jacques Cossart a aussi participé à la commission Landeau qui a produit un rapport sur
« les nouvelles contributions financières internationales ». Les conclusions de ce travail suggéraient un ensemble de mesures pour mieux réguler la finance dont une taxe sur les transactions financières.
« Ayant vu que les transactions de change n’étaient pas pour rien dans cette affaire là (La crise asiatique de la fin des années 1990), on s’est dit il faut mettre en place quelque chose pour décourager cela et pourquoi ne pas reprendre ce que disait James Tobin 20ans plus tôt. »
« On voit bien que la crise actuelle est le résultat de l’absence ou de la suppression des régulations. »
« La principale cause de cette crise (celle de 2008) est selon nous une explosion des inégalités tout azimut. »
L’entretien de Jacques Cossart nous a permis de bien pouvoir comprendre le contexte de la création d’ATTAC, association qui occupe une place centrale dans notre controverse. Son point de vue sur les évolutions actuelles de la taxe a été très enrichissant.
Aux origines de l’idée de taxer les transactions financières, il y a la proposition d’un économiste américain, James Tobin, qui en 1972 fait une proposition innovante…
Cette nouvelle donne économique mondiale intéresse l’économiste keynésien James Tobin, professeur à l’université de Yale. Dans un contexte idéologique où la pensée économique dominante, d’influence monétariste, privilégie la flexibilité des changes et s’oppose à toute réglementation publique, Tobin prononce un discours à Princeton en 1972. Il y présente un projet tout à fait novateur : il souhaite la mise en place d’une « taxe uniforme internationalement acceptée, par exemple de 1%, sur toutes les conversions au comptant d’une monnaie dans une autre ». Cette proposition tombe « comme une pierre dans un puits profond » à en croire Tobin lui-même ; elle demeure ignorée par la communauté scientifique, à l’instar de Milton Friedman, convaincu des vertus du nouveau système de changes.
Précisons les contours de l’idée originelle, telle qu’exprimée par James Tobin : une telle taxe a tout d’abord vocation à s’appliquer uniquement au marché des changes, c'est-à-dire à l’endroit où s’échangent les différentes devises. Le projet consiste donc à prélever 1% de la valeur de chaque transaction effectuée sur ce marché et ce, grâce à un consensus international qui permet l’adoption de la taxe par l’ensemble des États. Le caractère mondial du prélèvement évite le déplacement des opérations de change d’une place financière à l’autre.
Ces précisions sont nécessaires, car les traits initiaux de la Taxe Tobin diffèrent profondément de ceux des projets évoqués et institués par la suite. Par exemple, l’assiette de la proposition de Tobin se constitue de l’ensemble des transactions de change et non pas des transactions financières de manière générale.
En bon économiste keynésien, James Tobin souhaite en premier lieu donner davantage d’autonomie aux politiques monétaires des États. Son idée est de renchérir les transactions de change, afin d’en dissuader la multiplication. Il s’agit donc de diminuer le volume de ces opérations, ce qui équivaut à réduire la mobilité internationale des capitaux. Comme l’enseigne le triangle d’incompatibilité de Mundell-Fleming, il est impossible de maintenir une politique monétaire indépendante dans un régime de changes flottants où les capitaux sont parfaitement mobiles, c'est-à-dire en économie ouverte.
L’objectif de ce gain d’autonomie est d’acquérir des marges de manœuvre à l’échelle nationale en cas de relance économique par une politique monétaire expansionniste. Une telle démarche se traduit par la baisse du taux d’intérêt directeur par la banque centrale, ce qui fait augmenter la demande de monnaie. Par suite la consommation et l’investissement augmentent à leur tour, qui sont les moteurs de la croissance dans le modèle keynésien.
Les prolongements de son projet se sont précisés dans les décennies suivantes, en particulier devant le constat de montée de la spéculation et de l’instabilité du marché des changes. Le but d’origine de Tobin s’est mué en volonté d’évincer les agents déstabilisateurs du marché ainsi que les transactions de court terme, découragés par une taxe qui pèserait sur eux systématiquement. Ainsi, il souhaite limiter les comportements spéculatifs pour que les taux de change reflètent de façon plus réaliste les fondamentaux de l’économie.
James Tobin résume donc ainsi son ambition :
il s’agit de « jeter du sable dans les rouages des marchés monétaires internationaux ».
Il a été initialement supposé que la taxe Tobin nécessitait une mise en œuvre multilatérale, car un pays agissant seul aurait du mal à la mettre en œuvre. Beaucoup d’économistes et de politiques ont donc fait valoir qu'il serait mieux de la mettre en œuvre à travers une institution internationale. Les Nations Unies sont vite apparues comme une solution au problème de la taxe Tobin. Cependant, il y a eu aussi des initiatives nationales de mise en place de la taxe
(en plus des nombreux pays qui ont le contrôle des changes).
La plupart des applications effectives de la taxe Tobin, que ce soit sous la forme d'une taxe particulière sur les transactions de devises , ou de façon plus générale taxe sur les transactions financières, ont eu lieu au niveau national.
En 1984, la Suède instaure une taxe de 0,5 % sur les transactions financières sur son marché d’action.
Ce taux fut doublé en 1986, puis la taxe étendue au marché des obligations. Mais l'expérience est un échec : les revenus ainsi générés s'avèrent décevants car la taxe provoque une fuite des capitaux hors du pays, vers les Bourses de Londres et New York ou des placements offshore.
L'expérience est abandonnée en 1990.
La Stamp Duty Reserve (SDRT), impôt et droit de timbre, est un exemple d’impôt sur les transactions financières. Le droit de timbre a été présenté comme un droit ad valorem de taxe sur les achats d'actions en 1808, précédant de plus de 150 ans, la taxe Tobin sur les transactions monétaires.
Les variations des taux de droits de timbre en 1974, 1984 et 1986 fournissent aux chercheurs des « expériences naturelles », leur permettant de mesurer l'impact de ces taxes sur le volume des transactions du marché, la volatilité, les rendements, et les valorisations des sociétés britanniques cotées à la Bourse de Londres . Jackson (1985), en utilisant les données trimestrielles du Royaume-Uni, a constaté que la réduction de 1% dans le droit de timbre en Avril 1984 a provoqué une augmentation de 70% du chiffre d'affaires spectaculaire. Saporta et Kan (1997) ont constaté que les annonces de hausses de taux d'imposition ont été suivies par des investissements négatifs.
Le code des impôts du Royaume-Uni prévoit des exemptions de la stamp duty pour tous les intermédiaires financiers, y compris les teneurs de marché et les banques d'investissement c’est ainsi que plus de 70% du volume total de la bourse du Royaume-Uni est restée exonéré, contrairement à la perception commune de cette taxe comme une « taxe sur les transactions bancaires » ou une « taxe sur la spéculation ». D'autre part, 40% des revenus proviennent de droits de timbre des résidents étrangers, parce que la taxe est « à la charge si la transaction a lieu au Royaume-Uni ou à l'étranger, et si l'une des parties réside dans le Royaume-Uni ou non.
ATTAC (Association pour une Taxe Tobin d'Aide aux Citoyens) est une association crée en 1998 en France et a pour but initial de défendre l'introduction d'une taxe sur les transactions de capitaux afin de réduire la spéculation.
Elle est fondée après la parution de l'éditorial d'Ignacio Ramonet (décembre 1997, le monde diplomatique) qui critique la prééminence que possède la finance sur la vie politique, économique et sociale dans le monde. En cela, elle se place au devant de la scène des acteurs importants de la controverse sur la Taxe Tobin. ATTAC est aujourd'hui présente dans plusieurs dizaines de pays.
La même année que la création d'ATTAC, Lionel Jospin et Gerhard Schröder appellent au débat européen sur la taxe. Mais Dominique Strauss Kahn est contre la taxe prônée par Lionel Jospin. Enfin, les États Unis sont hostiles à la taxe.
L'Assemblée nationale adopte le 19 novembre 2001 le principe d'une taxation des transactions sur le marché des devises, mais pose la condition que celle-ci n'entrera en vigueur que si une mesure identique est adoptée par les autres pays de l'Union européenne.
Les dirigistes dans l'âme, ceux qui regrettent l'époque des tickets de rationnement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), ont une nouvelle idée : introduire celui-ci au niveau international. Mais, comme l'écrit La Rochefoucauld, « c'est une grande folie que de vouloir être sage tout seul », et le groupe DL votera contre cette taxe, non par désir de protéger les spéculateurs, comme feint de le croire M. Brard, mais parce qu'il la juge inappropriée, inapplicable et inopérante.
Inappropriée, car elle repose sur l'idée fausse que tous les malheurs du monde proviennent de la spéculation monétaire et financière internationale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Inapplicable, pour un tas de raisons techniques qui font qu'il est souvent difficile, par exemple, de distinguer un transfert d'argent d'un dépôt opéré dans le cadre d'une restructuration ou d'un contrat ultérieur. Inefficace, enfin, car ses promoteurs proposent, les uns un taux zéro qui la rend purement théorique, les autres un taux de 0,05 % qui est soit excessif, soit insuffisant. Pour couronner le tout, certains des amendements renvoient à un décret, ce qui frise l'inconstitutionnalité!
L'amendement de la commission, je le rappelle, propose un dispositif coordonné au niveau européen, mais je suis naturellement conscient du fait qu'une coordination plus large encore serait plus efficace, et je ne saurais donc trop encourager le Gouvernement français à jouer un rôle moteur dans ce domaine. En attendant, il a paru à la commission que le territoire de l'Union européenne était l'échelon économiquement pertinent.
La proposition de M. Lefort recueille, je le crois, l'assentiment de principe de la commission, mais la traduire par un sous-amendement risquerait d'affaiblir le dispositif, dans la mesure où le Conseil constitutionnel pourrait considérer qu'il crée une charge publique, d'une part, et qu'il méconnaît le principe selon lequel l'affectation des recettes est de l'initiative du Gouvernement, d'autre part. Je souhaite donc que le sous-amendement soit retiré, afin que nous n'ayons pas à repousser une proposition avec laquelle nous ne sommes pas en désaccord.
Le 9 novembre 2011, la Commission propose une directive établissant une taxe sur les transactions financières qui devrait être prélevée sur toutes les transactions entre établissements financiers lorsqu'au moins une des parties à la transaction est située dans l'Union.
Le projet de directive européenneL'échange d'actions et d'obligations serait taxé à un taux de 0,1 % et les contrats dérivés à un taux de 0,01 % (taxe qui prendrait effet à compter du 1er janvier 2014). Le 9 novembre 2011, elle présente une proposition de règlement détaillé faisant de la taxe sur les transactions financières une nouvelle ressource propre pour les futurs budgets de l'Union Européenne, ainsi que d'autres propositions clarifiant l'interaction éventuelle entre la directive TTF et les dispositions relatives aux ressources propres.
Projet de règlement européen