JM_Costes.jpg

 

Jean-Michel COSTES, sociologue et démographe de formation, est expert des questions de toxicomanie. Il a fondé l'Observatoire Français des Drogues et de la Toxicomanie en 1993, et a dirigé celui-ci jusqu'en avril 2011.

 

 

L'interview de Jean-Michel Costes a été réalisée en face-à-face le 11 avril 2011.

 

 

Les principaux enseignements par rapport à notre controverse :

 

Des clivages à remettre en cause

La notion "drogue douce/drogue dure" ne veut rien dire, selon Jean-Michel Costes. Il n’y a pas  de drogues douces ou de drogues dures, mais des usages doux et des usages durs de certains produits. Pour lui, notre sujet ne devrait pas être titré « le cannabis est-il dangereux? » mais « l’usage du cannabis est-il dangereux? ».

 

Comment considérer la dangerosité ? Quels axes ? Quels critères ?

Il y a deux façons de saisir la dangerosité : soit la dangerosité individuelle, soit la dangerosité collective c'est-à-dire l’impact pour la société. Il faut donc deux axes dans les critères de dangerosité : pour l’individu d’une part et pour la société d’autre part.

En terme de critères pour évaluer la dangerosité, Jean-Michel Costes considère qu’il faut prendre en compte toute la palette de critères. Donc, les axes dangerosité pour soi, dangerosité pour autrui. Puis pour la santé, les critères seront la mortalité, la part attribuable à une substance dans la mortalité (très bien documenté pour le tabac et l’alcool, mais manque de recul pour le cannabis). Dans la santé, également la santé mentale, où l’on retrouve la controverse sur le lien cannabis et schizophrénie où l’on trouve des études plus ou moins contradictoires avec des inteprétations différentes selon les scientifiques, mais avec néanmoins un relatif consensus sur le fait que le cannabis peut renforcer une fragilité pré existante, de même que les gens souffrant de schizophrénie auront une plus grande appétence à consommer du cannabis. Ensuite, dans les critères, vient le potentiel de dépendance, qui aura également des conséquences sur l’insertion sociale de l’individu. En allant loin dans les critères, et dans l’axe collectif, Mr. Costes explique qu’on pourrait même avoir aussi le critère écologique qui pourrait contribuer à évaluer la dangerosité.

Il faut donc selon Jean Michel Costes adopter une approche multi critères englobant une palette très large, bien plus élargie que celle utilisée par plusieurs chercheurs.

Sur une échelle de 1 à 10 qui demeure très réductrice, J.M. Costes mettrait clairement à 10 des produits comme l’alcool, l’héroïne et la cocaïne crack, un cran en dessous des produits comme la cocaïne snifée, l’ecstasy et le tabac. Et puis un cran en dessous, autour de 4,5 le cannabis.

 

Plusieurs types d’études pour évaluer les dangers

Jean-Michel Costes différencie plusieurs types d’études. Concernant les études expérimentales, essentiellement faites sur des modèles animaux (la grande spécialité du professeur Costentin), celles-ci seraient peu pertinentes pour apprécier la dangerosité d’une substance à cause de l’obstacle de l’extrapolation à l’Homme. La plupart du temps, les doses administrées à des souris, par exemple, correspondraient à des doses monstrueuses chez l’Homme. Comment transposer des doses de cannabis administrées à une souris en nombre de joints chez l’Homme… une question terriblement compliquée qui empêche de tirer des conclusions fiables en terme de dépendance. On peut seulement conclure que tel produit rend plus dépendant qu’un autre et même cela peut arriver à de mauvaises conclusions. Mr. Costes cite ici une étude qui avait conclut que les souris étaient plus dépendantes au sucre qu’à la cocaïne : faudrait-il alors conclure que le sucre est plus dangereux que la cocaïne ? Voilà la limite de telles études.

 

Des problèmes ou des biais liés à la question de l’extrapolation

Jean Michel Costes prend ici l’enquête SAM (Stupéfiants et Accidents Mortels) pour illustrer son propos. On a fait dans cette enquête des recherches expérimentales sur l’Homme (limitées, comparées à celles réalisées sur des animaux, pour des raisons éthiques). L’étude a consisté à mettre des fumeurs de cannabis dans des simulateurs de conduite. Il s’agit ainsi de faire une étude avec un design classique en double aveugle : deux groupes, un sous l'influence du cannabis et l’autre non. On constate alors que le cannabis perturbe un certain nombre de fonctions motrices, importantes pour la conduite automobile. On pourrait ainsi conclure : le cannabis est mauvais pour la conduite automobile. Or, c’est une erreur selon Jean-Michel Costes. Ce n’est pas forcément le cas et c’est ce qu’on dit en science : c’est une condition nécessaire mais pas forcément suffisante. D’autres études ont montré que si vous mettez ces conducteurs sous influence dans la vraie vie, l’ivresse cannabique légère dont le consommateur est conscient va faire en sorte qu’il va réduire sa vitesse. Sachant que la vitesse est le premier facteur d’accidentologie, cela va faire en sorte qu’il aura peut être moins d’accidents, donc l’expérience n’était pas suffisante. On comprend donc bien le danger de l’interprétation et l’extrapolation de différentes études pour faire des conclusions trop rapides.

Il a donc fallu faire une étude épidémiologique plus poussée pour compléter l’enquête SAM, en comparant des conducteurs sous influence et des conducteurs qui ne le sont pas. On a trouvé qu’il existait un risque. Un risque individuel qui expliquait qu’un conducteur sous influence multipliait par 2 son risque d’accident (un risque assez faible en épidémiologie qui correspond pour la sécurité routière au risque du téléphone portable au volant comparé à un risque de 8 pour l’alcool et de 14, 15 pour la consommation conjointe alcool + cannabis). Ensuite, en terme de risques collectifs (la fraction attribuable au cannabis au décès sur la route), on arrivait à 2%.

 

L’idéologie demeure fondamentale même en science

Jean Michel Costes explique après ces différents exemples et développements que quel que soit votre point de vue, même le plus extrême, vous arriverez toujours à trouver une étude scientifique pour documenter votre point de vue.

 

Une vérité ou une objectivité scientifique difficilement atteignable mais relativement possible par la triangulation des données et l’approche collective

C’est pour ça qu’une étude n’est jamais suffisante; il faut croiser pharmacologie, neuroscience, sociologie etc. C’est par la triangulation en croisant les sciences et en croisant les résultats que l’on peut dégager une certaine part de vérité scientifique. Il faut également la dimension collective, en mettant autour de la table, différentes études. C’est ce que fait l’INSERM dans ses expertises collectives qui selon Mr Costes, font référence parce qu’il y a à la fois, triangulation des données mais également de points de vue différents. Il faut définitivement une approche multi critères (par exemple la toxicomanie est une question que médicale alors qu’on gagnerait à la traiter également comme une question sociale).

 

La complexité de la construction du lien de causes à effets

Jean-Michel Costes nous parle ici du débat entre corrélation et causalité. Une corrélation n’est évidemment pas une causalité ; les corrélations peuvent être complètement au hasard. Avant de chercher une causalité, il faut impérativement émettre des hypothèses (problèmes de certains chercheurs qui trouvent des corrélations et en déduisent des causalités). Ensuite, Jean-Michel Costes explique qu’il ne sera jamais possible d’avoir une totale certitude. Il faut, selon lui, raisonner par faisceau d’indicateurs ; il y en a plusieurs. Premièrement, le séquençage ou la chronologie (par exemple sur le cas cannabis et échec scolaire, il y a corrélation mais il en aucuns cas causalité ; en regardant la chronologie, on s’est aperçu que la consommation de cannabis intervenait après l’échec scolaire ; il n’y a donc pas causalité). Deuxième facteur, l’effet d’accumulation ; si en augmentant la dose, j’augmente le phénomène, alors c’est une preuve assez forte de causalité (exemple de l’alcool et les accidents de la route).

 

Des biais idéologiques plus prégnants que les biais scientifiques

Selon Mr. Costes, il y a toujours des biais scientifiques en science et on progresse par la consolidation d’études : une première qui sera consolidée par une deuxième, puis contredite par une troisième etc. Sur la question du cannabis, les biais idéologiques sont tellement forts que les biais scientifiques sont assez faibles et minorés.

 

Des lieux communs remis en cause

Selon J.M. Costes, tous ceux qui disent que le cannabis d’aujourd’hui est plus dosé que celui d’hier, des années 70, se trompent; il n’existe aucune étude qui mesurait les taux de THC du cannabis des années 70. De plus, personne ne se pose la question pour l’alcool de savoir si, par exemple, l’alcoolisme à la bière est plus grave que l’alcoolisme au whisky.

 

Certains rapports fiables sont effectués dans une approche multi critères

Il s’agit d’un récent rapport, remarquable selon Mr. Costes, le rapport Nutt, effectué en 2009 par le chercheur britannique David Nutt. Il prend 20 drogues, établit 7 critères qu’il discute et au regard de ces 7 critères, il classe  sur un barème de 0 à 100. Il y ressort en tête l’alcool, en 2ème position l’héroïne, en 3ème, le tabac, la cocaïne et puis le cannabis arrive bien évidemment après. L’alcool est à 70 alors que le cannabis est à 20. Ce qui rend le travail encore plus intéressant, c’est le qualitatif qui détaille comment son composés ces scores, ici de 70 et de 20.

 

Une prééminence du discours médical sur la question du cannabis

J.M. Costes nous a parlé d’une forme de prééminence dans la science du discours médical sur la question du cannabis depuis un peu plus d’une dizaine d’années avec également un discours des pouvoirs publics beaucoup plus prohibitif depuis 2005.

 

La question du statut d’un stupéfiant

En terme de classification, le statut du cannabis stupéfiant est selon, Mr. Costes, est avant tout lié à un contexte culturel et à un contexte historique particulier.



Login