Ce sont les acteurs qui produisent des biocarburants au niveau français et européen. Ils se divisent en deux catégories : les producteurs agricoles qui produisent les matières premières végétales, et les producteurs industriels qui transforment ces matières premières en biocarburants.
Les producteurs agricoles en France pour le bioéthanol sont principalement les filières céréales et betterave. Ils sont regroupés dans des associations qui défendent leurs intérêts, pour les filières céréales il s'agit de l'Association Générale des Producteurs de Blé (AGPB), pour la filière betterave de la Confédération Générale des Planteurs de Betterave (CGB) et pour la filière maïs Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM). Le biodiesel provient, lui, des productions agricoles en huiles végétales, colza et tournesol en particulier. Proléa est la plate-forme représentant et défendant les intérêts des producteurs d'huiles et protéines végétales en France. Des organismes, tels que FranceAgriMer, organisent les échanges entre les filières agricoles et l'Etat.
Les producteurs industriels contractualisent en avance la production de matière première avec les producteurs agricoles et la transforment en biocarburant. Les betteraves et céréales sont transformées en bioéthanol. Le groupe sucrier Tereos est un des principaux producteurs de bioéthanol français, il s'est spécialisé dans la transformation des céréales, betterave et canne en une gamme complète de sucres, y compris de bioéthanol. Le groupe Total a également investi dans la production d'ETBE (ethyl tertio butyl ether), produit issu de la synthèse de l'éthanol avec une base pétriolière. Pour ce faire il s'est associé, entre autres, avec l'AGPB et la CGB, et depuis 2007 commercialise du superéthanol dans certaines de ses stations-service. L'Union européenne (cf. UE) est le quatrième producteur mondial de bioéthanol. Mais du fait de la forte dieselisation du parc automobile, l'Union européenne est le premier producteur mondial de biodiesel. L'European Biodiesel Board (EBB) regroupe les principaux producteurs de biodiesel européens, et vise à promouvoir l'utilisation de biodiesel en Union européenne. Total s'implique également dans la filière biodiesel, en transformant l'huile végétale en EMHV (Ester Méthylique d'Huiles Végétales), mélangé dans le gazole il est compatible avec tous les moteurs diesels.
Ces acteurs sont au cœur de notre controverse, car leurs intérêts sont immédiatement liés à la production des biocarburants. Les producteurs de biocarburants visent à promouvoir leur utilisation, auprès du gouvernement (cf. Gouvernement) et de l'Union européenne (cf. UE) qui subventionnent cette production, ainsi qu'auprès de l'opinion publique pour créer une demande. Ici aussi il convient de distinguer les intérêts des producteurs agricoles et ceux des industriels. Pour les producteurs agricoles, les biocarburants ne constituent qu'un des débouchés possible de leur production (le bioéthanol représente le débouché de 15% de la betterave sucrière française). Leur remise en cause ne met donc pas en danger leur filière dans la globalité. Par contre les entreprises industrielles ont basé souvent une grande partie de leurs activités sur la production de ces nouveaux carburants, ils concernent directement leurs intérêts vitaux.
La position qu'ils défendent est la suivante : les biocarburants ont un bilan environnemental bien meilleur que les carburants fossiles, ils permettent donc de lutter efficacement contre le réchauffement climatique et de permettre la transition énergétique de l'après-pétrole. Ils s'appuient et défendent des ACV qui présentent un bilan très positif pour les biocarburants, en France il s'agit surtout de l'étude de l'ADEME d'avril 2010 (cf. ADEME).
Nicolas Rialland, responsable bioéthanol au sein de la CGB, défend l'indépendance de l'étude de l'ADEME, qui pourrait être remis en cause du fait des intérêts immenses qu'ont les producteurs dans ces études. « C'est une structuration tout à fait sérieuse, celle d'un organisme tiers sous le contrôle d'un comité technique et scientifique qui rassemble : les instituts techniques qui fournissent les données de production, l'INRA, l'IFP, la Cirad, représentant la communauté scientifique qu'on ne peut pas taxer de partialité, ainsi que les associations écologiques RAC-France et France Nature Environnement. Nous n'avons même pas été associés.»
Les producteurs de biocarburants s'estiment aussi lésés par rapport aux producteurs de carburants fossiles. « Je ne suis pas certain qu'on ait eu la même rigueur et le même degré d'approfondissement pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre pour les carburants d'origine fossile ». D'après l'European Biodiesel Board, les estimations en gaz à effet de serre des carburants fossiles seraient sous-évaluées, et donc, étant donné que l'ACV est comparative, les émissions des biocarburants seraient surévaluées. Le référentiel fossile n'est pas aussi solide que l'analyse du biocarburant, ce qui fausse les résultats issus de la comparaison.
Sur les changements d'affectation des sols directs (cf. CASD), les producteurs estiment que cela ne concerne pas les terres en Union européenne dans la mesure où l'on n'y coupe par exemple pas de forêts pour y cultiver les plantes servant à la production des biocarburants. Ainsi la rétention de carbone dans les sols n'est pas modifiée.
Pour Nicolas Rialland, la question des changements d'affectation des sols indirects (cf. CASI) est complexe et à prendre en compte avec précaution, en se gardant des clichés. Si elle n'est pas traitée dans le rapport de l'ADEME c'est parce que cela n'était pas dans la commande. Au moment de la publication, l'ADEME a jugé nécessaire de l'inclure mais sans statuer en considérant que ces changements pourraient avoir un impact, positif ou négatif, tout en appelant à des études sur le sujet. De même l'Union européenne dans son rapport de décembre 2010 ne statue pas et propose quatre solutions, tout en reconnaissant la complexité du sujet. Ainsi il n'est pas prouvé que ces changements ont un impact réel sur le bilan des biocarburants, même si, au cas où cet impact existerait, il serait très significatif.
D'autre part Nicolas Rialland cherche à nuancer les clichés. Par exemple il est faux de penser que si l'on produit du bioéthanol à partir de la betterave il va falloir cultiver de la betterave sur d'autres terres. En effet grâce à l'amélioration du matériel végétal mis à disposition des agriculteurs (et non des engrais) le rendement progresse constamment et on peut produire plus de betteraves sur moins de terres, ce qui les libère pour l'alimentaire.
Ensuite concernant la déforestation, il illustre son propos avec le cas du Brésil. La déforestation n'y est pas due aux biocarburants, mais bien à d'autres facteurs comme la recherche de bois précieux, et de pâturages pour les troupeaux. Mais une fois la déforestation faite, il estime qu'on peut produire des biocarburants dessus pour utiliser toutes les terres disponibles. En Asie, la déforestation pour produire de l'huile de palme ne concerne que peu les biocarburants car seulement 2% de la production mondiale d'huile de palme est utilisée pour les produire.
En ce qui concerne les coproduits, Nicolas Rialland défend la méthode par allocation énergétique (cf Coproduits). C'est une méthode relativement simple d'autant plus que le point d'entrée dans l'ACV est l'énergie. Il n'est donc pas choquant que la clef de répartition soit énergétique. Pour lui la méthode par substitution est très complexe et presque impossible à appliquer car on aboutit à ce qu'on appelle des boucles. En substituant tous les produits on peut revenir au produit de départ, ce qui fait que tous les calculs sont faussés. Il faut savoir faire preuve de pragmatisme et accepter de ne pas appliquer cette méthode complexe, bien qu'elle serait la plus rigoureuse.
Les producteurs de biocarburants sont généralement plutôt hostiles à la deuxième génération de biocarburants, car elle nécessite beaucoup de développement et d'investissement dans les infrastructures. La deuxième génération n'est pas encore une réalité industrielle et elle sera beaucoup moins économique que la première car les procédés sont beaucoup plus complexes. En plus, ces biocarburants sont produits à partir de biomasse non alimentaire qui n'est pas disponibles en quantités illimitées.
De même pour la troisième génération de biocarburants, à base d'algues, ils questionnent le coût des procédés : purification des huiles, extraction ; ainsi que la disponibilité de la matière première. Comment cultiver des algues à grande échelle ?
En savoir plus
Sites internet :
AGPB :http://www.agpb.com/lagpb/missions
CGB :http://www.cgb-france.fr/spip.php?rubrique7
AGPM :http://www.agpm.com/pages/index.php
Proléa :http://www.prolea.com/index.php?id=1279
FranceAgriMer : http://www.franceagrimer.fr/fam/Etablissement/Qui-sommes-nous
Tereos :http://www.tereos.com/fr-fr/groupe/profil/presentation.html
Total :http://www.agriculture.total.fr/agri/agrisite.nsf/VS_OPM/6B4508254C89481D412570EB003856AA?OpenDocument
European Biodiesel Board : http://www.ebb-eu.org/
Entretien:
Nicolas Rialland, responsable biéthanol de la CGB.