Jean-Philippe Bouchaud



Physicien, professeur à l’école Polytechnique, il est aussi fondateur et président de la société hedge fund Capital Fund Management. Pionnier de l’écono-physique, il critique à la fois le dogme d'efficience du marché utilisé dans les modèles économiques (et plus particulièrement le "risque nul" qui résulterait des options de couverture) mais aussi la modélisation gaussienne des mouvements financiers sous-estimant les risques.

Pour dépasser les hypothèses mathématiques fortes qui sont utilisées actuellement dans la plupart des outils financiers, il prône l’irruption de méthodologie s’inspirant de la physique statistique avec une analyse plus profonde des données empiriques.
Il s’inspire pour son activité financière à la fois des multi fractales de Mandelbrot mais a également conçu des algorithmes propres à l’aide des données ultra-haute fréquence afin de repérer les opérations profitables sur le marché.

Il nous est apparu rapidement que Jean-Philippe Bouchaud était un acteur majeur de la controverse sur l’utilisation du modèle brownien en finance car il était présent à un moment où la controverse s’est matérialisée:
• lors d’un débat qu’il avait eu avec Nicole El Karoui en 1993 dans le cadre d’une présentation de l’utilisation possible de la physique statistique en finance
• il a été également l’auteur d’un article paru dans Le Monde en 1995, intitulé : « Les marché ‘dérivés’ : pour une pédagogie du risque. » qui a suscité un grand remous dans le milieu des mathématiques financières.

Se fonder sur les données empiriques

Partant du constat de l’intérêt croissant des Etats dans le contrôle des risques financiers, dû aux nombreuses crises et au même titre que les risques industriels ou sanitaires, JP Bouchaud explique que l’avantage que détient le monde financier pour prévenir les risques et en tout cas mieux les appréhender est la quantité immense de données empiriques désormais accessibles car stockables grâce aux nouvelles technologies.
C’est pour cela que, selon lui, les physiciens, qui ont plus l’habitude de regarder les chiffres et de s’adapter, devraient s’intéresser au domaine financier afin de construire des outils statistiques (sorte de « grille de lecture » pour « approcher le réel par approximations successives » (Théorie des risques financiers, CEA, 1997) qui prennent plus en compte les caractéristiques des marchés financiers et notamment les « événements rares ». Les parallèles avec la physique devraient aussi permettre, selon lui, de modéliser, au sein d’un même modèle, des situations d’équilibre, et des situations de crise, en s’inspirant par exemple des modélisations de la propagation des fissures dans un matériau.

Pour étudier des données sur le marché les plus précises possibles, Jean-Philippe Bouchaud utilise des statistiques de ultra-haute fréquence qui permettent d’observer les transactions qui se réalisent, ordre par ordre. Grâce à cette technique, il a observé que beaucoup de transactions ne répondent pas un changement d’information (contrairement à ce que sous-tend l’hypothèse de l’efficience des marchés et que chaque transaction affecte le prix, certes de façon faible, mais avec des possibilités de rétroaction donc avec un risque d’aboutir à terme à un krach.
Au travers d’études empiriques sur trois cours différents, Jean-Philippe Bouchaud et Marc Potters ont montré dans leur ouvrage « Théorie des risques financiers » qu’il y avait un écart entre les prix prévus par la formule de Black et Scholes et le prix réel du marché.

Pour Jean-Philippe Bouchaud, le modèle brownien a été adopté et conservé malgré l’irréalisme de ces hypothèses en grande partie car il permet l’utilisation d’un « formalisme différentiel simple » car la dérivée seconde est non fluctuante mais les résultats sont invalidés lorsqu’on s’éloigne des hypothèses.

Description du modèle alternatif

• Observation du marché…
Une partie du modèle alternatif de Jean-Philippe Bouchaud ne s’inspire pas des multi fractale de B. Mandelbrot mais sur l’idée ancienne de miser sur le « retour d’une action à sa valeur moyenne ». Il utilise cependant des modèles mathématiques plus complexes pour déterminer les situations profitables sur le marché grâce à un algorithme élaboré pour calculer le centre de gravité d’une option et celui du marché. Si le cours se modifie, cela signifie qu’il y a une transaction.

• … et utilisation des multi fractales
Tout d’abord, Jean-Philippe Bouchaud réemploie la théorisation des différentes échelles de temps sur le marché réalisée par Benoit Mandelbrot. Ensuite, l’un des concepts fondamentaux de sa méthode est qu’il vaut mieux minimiser la VaR (Value-at-Risk), c’est-à-dire insister sur les queues de distribution (source du risque financier réel selon J-P Bouchaud pour essayer de minimiser la probabilité de krach) plutôt que sur le cœur des distributions qui constituerait un « bruit de fond ».
Pour cela, il utilise les lois de Lévy, exploitées par Mandelbrot (et caractérisées par des queues plus épaisses pour des phénomènes plus variables) mais en les modifiant avec une nouvelle technique dans la constitution de portefeuille : le tail chiseling (ou coupage de queue). Il suppose alors que les queues de distribution suivent une loi d’échelle et il est donc possible de trouver une solution à la minimisation de la VaR et de minimiser la probabilité que les actifs d’un portefeuille chutent tous en même temps. Il tire de cela une « frontière d’efficience généralisée » qui assure une « performance maximale pour un niveau de protection donné contre les krachs ».
Il dit utiliser alors une loi de Lévy tronquée qui réunit les deux grandes familles de description auparavant proposées, la gaussienne et les lois de Lévy, et qui a pour avantage de décrire une loi de distribution qui décroit comme une loi de puissance avant d’être tronquée exponentiellement. De plus, il fonde l’utilisation de cette loi sur la robustesse du modèle : certaines variables de la courbe étant égales à celle atteintes sur le marché.

Critiques de l'efficience des marchés

Information complète
Pour JP Bouchaud, la croyance de l'économie néoclassique selon laquelle les agents sont parfaitement rationnels et permettent la mise en place d'un prix de marché, n'est pas réaliste. Selon cette théorie des marchés efficients, les prix sont globalement stables, et ne changent pas sauf en raison d'une information nouvelle de grande importance.
Dans ce modèle, le marché à toujours raison, c'est une sorte de « démiurge », que l'on ne peut pas battre, et cela aboutit donc à la croyance rassurante que le prix du marché est juste, et que l'on peut donc se fonder sur lui pour mener, par exemple une stratégie industrielle.

Rationalité des agents
Seulement, pour JP Bouchaud, « la théorie des agents rationnels engendre des comportements irrationnels par le biais d'une dérésponsabilisation individuelle : les autres seront rationnels à ma place ». En effet, des comportements mimétiques peuvent apparaître, puisque justement la théorie des marchés efficients incite au conformisme : le prix du marché représente la « meilleure prédiction des prix du futur », les actifs des banques sont valorisés au prix du marché, or il existe des seuils de déclenchement des ordres de vente, qui sont justement lié à ce prix du marché.
Mécaniquement, une baisse entraîne donc une vente supplémentaire, donc de nouveau une baisse. C'est ce que JP Bouchaud appelle les boucles de rétroaction. Or une première baisse accidentelle, qui n'est donc pas fondée sur une information dont l'incidence est avérée comme le prévoit la théorie, peut entraîner, par ce mécanisme, une baisse réelle.