Nicole El Karoui est professeur à l'université Pierre et Marie Curie et à l'École polytechnique. Elle est considérée comme une des instigatrices du développement des mathématiques financières depuis la fin des années 1980. Auteur de nombreuses publications, elle est de plus responsable du master de probabilités et finance à l’université Pierre et Marie Curie, formation en mathématiques financières, en partenariat avec l'École polytechnique, qui forme environ 90 élèves par an. Elle est chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur depuis 2006. Pour Nicole El Karoui, il n’existe pas de modèle universel. En effet, elle constate que l’on n’utilise pas les mêmes outils selon la branche de la finance dans laquelle on travaille.
Nicole El Karoui distingue deux milieux différents : le monde des produits dérivés et celui de la gestion de portefeuille, le modèle utilisé n’ayant pas le même impact selon elle dans chacun d’eux. Elle affirme que dans le cadre des produits dérivés, chaque « modèle » est en permanence réajusté grâce aux informations, aux paramètres fournis par le marché. On se fonde donc plus selon elle sur la façon dont le marché anticipe l’avenir que sur un modèle. Elle admet qu’un fond brownien persiste, mais les réajustements étant permanents, l’impact des prix de produits dérivés déjà existants est beaucoup plus importants, ces prix étant fixés par l’offre et la demande. Le contre-exemple des produits nouveaux, où il est nécessaire d’appliquer une formule, est minoritaire et n’influe que peu.
Dans le marché des produits dérivés, les profils de risque étant réévalués au moins quotidiennement, elle considère que le risque est plutôt bien géré à court terme, en reconnaissant toutefois que des corrections sont bien sûr faites à la marge, dans les limites des hypothèses du modèle. En effet, ces modèles supposent des hypothèses sur la volatilité, la liquidité, sur les caractéristiques du marché en général, qui correspondent à des périodes stables, sans crise. Mais c’est pour elle le propre d’une crise que les hypothèses soient bouleversées.
Les instruments développés plus haut permettent donc de s’affranchir de la « tendance », soit la variation du prix du sous-jacent, en suivant le marché et s’adaptant au jour le jour ; or, elle décrit le risque majeur comme le fait que d’oublier complètement la tendance générale et de progresser vers une crise sans s’en rendre compte.
Nicole El Karoui estime au contraire que l’importance de la modélisation est plus prégnante quand on fait de la gestion de portefeuille, car il est indispensable de savoir qu’il existe des grandes fluctuations qui détruisent la tendance.
Malgré les imperfections admises du modèle brownien, elle critique cependant les modèles alternatifs proposés. En effet, le problème de l’utilisation de modèles fractals ou fondés sur des statistiques historiques, dans les produits dérivés, est que ces modèles demandent énormément de données. Or, elle constate que l’on travaille au jour le jour et que l’on se heurte à des limites techniques, comme souvent dans l’évaluation des risques. Ces contraintes techniques sont entre autres la complexité, le temps de calcul, en particulier en période de crise ou de bulle spéculative pendant lesquelles l’activité financière est décuplée. Par ailleurs, elle s’interroge sur la question de l’efficience des outils statistiques en finance et sur la signification des données passées pour prévoir le futur. Cela ne résout pas à son avis le problème posé par les hypothèses de stationnarité et l’indépendance des variables aléatoires.
Nicole El Karoui explique donc l’implantation de la formule de Black Scholes par sa simplicité et sa clarté « on a des paramètres simples à ajuster, on peut donc bien observer ce qui fait varier quoi, comment évoluent les tendances… » (Interview du 23 février 210). Mais elle souligne aussi sa robustesse et affirme que la plupart du temps, la formule donne des résultats justes, sinon elle ne serait pas appliquée. Et pour les cas extrêmes, les stress scenarii peuvent prendre le relais. Les risques étant de mieux en mieux évalués, le problème persistant est selon elle qu’il en découle une prise de risque de plus en plus importante, et un véritable business du risque, qui passe pas la construction de produits toujours plus compliqués, sans véritable finalité financière, autre que la spéculation.
Pour conclure, elle souligne donc le fait que changer de conception impliquerait des bouleversements majeurs, dont le coût est aujourd’hui rédhibitoire, car au final, les crises ne représentent pas forcément des pertes, au vu des bulles spéculatives qui les ont précédées.