La digue-route et son utilité
publique par projet de loi - 1930
1930 est une date intéressante de la controverse car il s’agit d’une opportunité de résolution de la question de l’ensablement qui échoue et entraîne un ralentissement important de la controverse pendant une trentaine d’années.
En effet, la construction de la digue route avait marqué la naissance de la question de l’ensablement du Mont. Entreprise en 1879 par la Compagnie des Polders de l’Ouest, elle est à l’époque fortement plébiscitée localement, d’une part par les exploitants agricoles de la baie, à cause des nouvelles surfaces agricoles qu’elle créera, et d’autre part par les Montois, désireux d’être reliés à la terre. Pour les acteurs locaux, la priorité était de pouvoir circuler vers le continent, ainsi que la protection des polders. L’amassement des sédiments était perçu comme un phénomène très positif et il était formellement interdit d’enlever vase et sédiments, ou de détruire les herbus, sous peine d’amende. La digue route était donc un symbole de liberté et de sécurité et avait avant tout une dimension économique et sociale (favoriser les pèlerinages, la circulation des bateaux dans le lit du Couesnon, protection des polders contre les inondations).
Néanmoins, la digue route constitue un facteur supplémentaire de dessèchement pour la baie, ce qui soulève des oppositions de nombreux hommes de lettres attachés à l’esthétique et la dimension culturelle du Mont Saint-Michel. L’architecte Édouard Corroyer prendra position pour la destruction de la digue route, ainsi que Victor Hugo: « Le Mont-Saint-Michel apparaît (...) comme une chose sublime, une pyramide merveilleuse » (1865), « il faut que le Mont-Saint-Michel reste une île » (1884). Seule une minorité d’acteurs locaux, regroupés au sein d’associations telles que le Touring Club de France, l’association des Amis du mont Saint-Michel (créée en 1911) tiennent un discours en faveur de la préservation de l’insularité du Mont.
La lutte entre une vision esthétique et culturelle du site, et une vision économique et sociale, semble prendre fin en 1930, lorsque le discours associatif en faveur de la préservation du Mont obtient un accès au pouvoir central. Poincaré soutenait la mise en agenda du projet de destruction de cette digue route : « Je sais que votre pensée est de faire en sorte que cette île reste une île (…) pour accomplir cette œuvre, que vous avez raison de considérer d’intérêt national, vous pouvez entièrement compter sur le concours du gouvernement et sur le mien », déclare-t-il lors d’une allocution à l’Association des Amis du Mont Saint-Michel.
Néanmoins, sa maladie a empêché le projet de loi déclarant la destruction de la digue route d’utilité publique (loi du 21 janvier 1930) d’aboutir. Au niveau local, le débat concernant la digue route est dominé par les enjeux socio-économiques. Ce débat est relayé au niveau national entre le Ministère de l’Équipement et le Ministère des Beaux-Arts, mais ce dernier est plus faible structurellement et financièrement. Ainsi, aucune personne de pouvoir au niveau national n’a soutenu un discours qui aurait permis de faire pencher la balance en faveur de la préservation des dimensions esthétiques et culturelles du site jusqu’aux années 1960.