Entretien avec Gilles Moindrot (secrétaire général du SNUipp).
(Syndicat National Unitaire des instituteurs et professeurs des écoles
et PEGC)
M: Quel a été votre
parcours professionnel jusqu'à aujourd'hui?
GM: Je suis
professeur des écoles depuis le début des années 1980, d'ailleurs j'ai toujours
ma classe de cours moyen, mais actuellement on me remplace. En 1995 on a créé
le syndicat, et progressivement j'ai grimpé dans la hiérarchie, pour devenir
secrétaire général en 2004.
M: Quel est le but, le
fond de pensée du syndicat?
GM: C'est avant
tout un syndicat classique chargé d'assurer l'organisation et l'attribution des
affectations, des promotions ou autre tâches administratives. Ensuite on
s'intéresse beaucoup au métier d'enseignant pour le faire évoluer, notre but
étant de faire évoluer l'école. On veut permettre à plus d'élèves de réussir en
améliorant les programmes ou en donnant plus de formation aux profs.
M: À votre avis pourquoi
est-ce que le débat sur les méthodes de lecture a ressurgi en 2005?
GM: En réalité
cela fait longtemps qu'il n'y a plus de débat autour de ces questions, les
programmes du premier degré ont été retravaillés en 2002, on a opté pour une
méthode mixte, et depuis l'équilibre s'est maintenu. Mais au cours des
dernières années, l'école a cristallisé beaucoup de tensions dans l'opinion
publique, les relations parents/profs se sont dégradées, les parents,
influencés par les médias, ont commencé à croire à tort que la méthode globale
était responsable de l'échec de leurs enfants. Ceci traduit clairement des
idées préconçues et fausses, car la méthode globale n'a jamais été appliquée
réellement.
Alors le ministre, qui voulait faire parler de lui, a joué
sur ces tensions. Il a laissé croire que l'école de Papa était plus efficace,
et ça a bien sûr dressé les parents contre les profs.
M: Quel rôle a joué le
syndicat dans la controverse? Quelle position avez-vous défendu?
GM: Le syndicat
n'a même pas été consulté dans cette affaire. Pour ce qui est de notre
position, nous sommes restés attachés au programme de 2002, qui recommande une
méthode de lecture mixte. Nous pensons qu'il n'y a pas de controverse
scientifique sur ce sujet, et la plupart des profs sont d'accord pour dire
qu'aucune des deux méthodes n'est meilleure que l'autre. Notre rôle a donc
surtout été de rétablir la vérité sur ce sujet et d'apaiser les tensions
parents/profs. Nous avons fait circuler un certain nombre de pétitions contre
la circulaire De Robien et sorti plusieurs publications à l'intention des
parents d'élèves, pour donner plus d'informations et d'explications sur les
différentes méthodes. Plusieurs éditeurs ont sorti des livres sur le sujet.
M: Pensez-vous
personnellement qu'une des deux méthodes est meilleure que l'autre?
GM: Non. Je pense
que ce débat est purement idéologique, basé sur des idées fausses, et qu'il
résulte simplement de la volonté du ministre de se faire voir.
M: On entend souvent
dire que de plus en plus d'enfants arrivent en sixième sans savoir lire et
écrire, qu'en pensez-vous?
GM: Aujourd'hui
aucun élément ne laisse croire que les élèves maîtrisent moins bien la lecture
et l'écriture. Les seules statistiques dont nous disposons pour évaluer ces
évolutions sont celles effectuées lors de la journée nationale d'appel à la
défense, or ces statistiques montrent que le taux d'illettrisme va décroissant.
Le niveau global a donc progressé. Mais il reste toujours 15% d'enfants en
difficulté, c'est ça le grand défi de l'école, arriver à réduire ces 15%.
M: A votre avis quelles
sont les causes de ces difficultés?
GM: Les causes
sont extrêmement variées, elles peuvent être intellectuelles, sociales,
culturelles, tout dépend de l'encadrement que reçoit l'enfant à la maison,
certains enfants font même des blocages affectifs. Je pense qu'il faut travailler
sur le sens de la lecture, lui donner une importance sociale, montrer son
utilité aux yeux des enfants.
M: Peut-on dire qu'une
des deux méthodes serait plus efficace pour traiter la dyslexie?
GM: Encore une
fois peu d'études systématiques ont été faites à ce sujet, le traitement de la dyslexie
passe aujourd'hui beaucoup par l'orthophonie et la rééducation, mais je ne
pense pas que la méthode de lecture adoptée change grand-chose. Il faut
maintenir une méthode mixte, faire des efforts des la maternelle en donnant
toujours un sens à la lecture.
M: A
propos de la circulaire De Robien, que contenait-elle et qu'en avez-vous pensé?
GM: Une
circulaire est un document qui apporte des indications, des précisions sur un
texte législatif. Celle-ci n'a fait que fragiliser l'école et encourager des
lobbys comme SOS éducation, qui est pour la méthode Boscher, une méthode
purement syllabique qui date de 1905. Après la circulaire on a modifié les
programmes, mais les méthodes de lecture n'ont pas été remises en cause, la
méthode purement syllabique a même été déconseillée. Cela prouve
l'artificialité de cette circulaire et du débat tout entier.
M: Que pensez-vous de la
position des parents d'élèves dans ce débat?
GM: Au final la FCPE, le principal représentant des
parents d'élèves, s'est rallié à nous pour dire que ce débat était monté de
toute part. En fait tout le monde s'est progressivement détaché du ministre qui
a provoqué un tollé dans la communauté éducative. Les inspecteurs de
l'éducation nationale s'en sont progressivement démarqués, même les
scientifiques que De Robien a invoqué pour appuyer ses idées se sont éloignés
de lui.
Il faut dire que De Robien s'est vraiment mal comporté
pendant cette controverse. Il a menacé certains profs de sanctions, Roland Goigoux
a été interdit d'enseigner et de participer à des conférences pédagogiques. Aujourd'hui
Xavier Darcos et Nicolas Sarkozy se sont clairement démarqués de la position de
l'ancien ministre.
M: Que pensez-vous donc
du rôle du politique dans un débat comme celui-ci?
GM: Le politique
doit contribuer à l'élaboration des programmes, donner les compétences à
travailler et les objectifs à atteindre. Mais il ne peut pas trancher en faveur
d'une méthode ou d'une autre, cela relève de la communauté scientifique (profs
et chercheurs).
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