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Interview with Amy Dahan (French)

Q : Est-ce que vous avez croisé, dans le cadre de vos recherches sur le réchauffement climatique, la controverse  au sujet des ouragans ou l’influence du réchauffement climatique sur les ouragans ?

R : Non, pas vraiment. Je suis un peu au courant, mais je n’ai pas suivi une littérature sur cette controverse, pour être claire. Simplement, la seule chose que je peux dire, c’est que je suis allée en octobre dernier au grand colloque du World Climate Research Program, une grande conférence scientifique. Tous les gens du GIEC sont dedans, enfin tout ceux du groupe 1 bien sûr, c’est à dire des climatologues, les Allemands, les Américains, les Français, etc, il y avait 2000 personnes. Il n’y avait pas eu une conférence aussi importante depuis pratiquement 10 ans. Justement avant c’était un peu le GIEC qui coordonnait ça. Il y a eu un désir des climatologues de faire une grande conférence. Je pense que ce n’est pas indépendant de ce qui s’est passé après Copenhague, des attaques qui ont été faites contre le GIEC, etc. Et donc les climatologues ont un petit peu eu envie de se retrouver, non pas en condition de stricte d’expertise, mais en condition d’une conférence scientifique classique. Et là, il y a eu beaucoup de choses sur les évènements extrêmes. C’était une conférence notamment sur l’orientation pour les années à venir de la recherche sur le système climatique. Et donc, quelle importance va t’on attribuer à cette question des évènements extrêmes, comment est ce qu’on va l’appréhender, qu’est ce qu’on peut attendre des recherches à ce sujet, etc. Voilà, ça c’était un des points, mais il n’y avait pas que cela, il y avait aussi les questions classiques. Et j’ai perçu (on est en train d’y travailler avec Hélène Guillemot qui est venu avec moi à Denver, et qui est donc cette personne qui a eu sa thèse en 2007 et qui travaille maintenant au Centre) qu’il y avait des points de vues assez différents sur la question. C’est quelque chose sur lequel j’ai un peu commencé à travailler, mais je ne peux pas dire que c’est quelque chose que j’ai suivi. Il y a plusieurs sujets autour de la question des ouragans : qu’est ce qu’on va pouvoir prévoir ; quand quelque chose a eu lieu, est ce qu’on peut l’attribuer au changement climatique ou pas ; mais aussi sur les assurances. On a pu tout à fait voir que les entreprises d’assurance, par exemple Munich Re, qui est une des plus grandes compagnies d’assurance mondiale, s’intéressent beaucoup à ça. Et pouvoir intégrer dans des protocoles et éventuellement sans doute des polices, des contrats, des clauses d’exclusion et de protection, etc, des désastres, des catastrophes, des risques liés au changement climatique et qu’ils pourraient eux s’en prémunir dans le futur.

Q : Et est ce que après avoir pris quelques notes à la dernière réunion à Denver vous avez pu voir des sortes de tendances par rapport à la perception des évènements extrêmes ? Par rapport au rôle du changement climatique, y a-t-il des tendances, des gens plus enclins à y voir un fort impact du changement climatique ou non ?

R : Depuis un certain nombre d’année j’ai constaté qu’avant quand on parlait des évènements extrêmes, en particulier les pays en développement qui au départ dans les années 90 étaient extrêmement sceptiques sur le changement climatique, un cauchemar qui avait été fabriqué par le Nord pour un peu contraindre leur développement. Et à partir de 2001-2002, leur position évolue pas mal,  puisque en faisant monter la problématique de l’adaptation dans le processus des négociations, au contraire ils commencent à dire qu’ils pourraient être les premières victimes. A la fois la montée des eaux, les sécheresses, etc, mais aussi les cyclones, les évènements extrêmes. Et en particulier c’est vrai que dans les rapports du GIEC on indique bien que ce sont les zones tropicales qui sont les plus affectées par les variations, et puis éventuellement les cyclones, les ouragans c’est là qu’ils sont particulièrement dévastateurs. Donc c’est à partir de ce moment là que les pays en voie de développement, en particulier les pays les moins avancés, ou la coalition des PMA ont commencé à intervenir dans ce cadre là. Or, les scientifiques étaient d’habitude extrêmement prudents et qui disaient toujours ‘tel événement précis, on ne peux pas l’attribuer’, (je ne dis pas que maintenant les évènements peuvent être attribués de manière officielle) mais c’est quelque chose qui a évolué : on peut marquer cette évolution. Et d’autre part, à Denver, pour revenir à cette conférence, on sait maintenant que par exemple le Hadley Center, qui est le grand laboratoire de météo-climato anglais, un des lieux les plus avancés de la recherche internationale sur le sujet (ils ont évidemment des modèles pour le GIEC qui sont extrêmement puissants, par rapport à par exemple au laboratoire de Météo France de recherche sur le climat, le CNRM, le directeur du CNRM le disait en novembre, ils ont à peu près 50 fois les moyens que nous avons ! Enfin, ce n’est pas 50 fois plus d’argent, mais 10 fois plus d’argent, 10 fois plus de chercheurs, 10 fois etc. Donc ils peuvent faire à peu près 50 fois plus de recherches en terme de volume, de lancement de programme, c’est énorme ! Et bien, à Denver, ils avaient beaucoup de grands scientifiques du Hadley Center qui sont maintenant complètement dans des programmes sur les évènements extrêmes, pour essayer d’attribuer… Ils ont ce qu’on appelle un programme de recherche sur les attributions, et donc ils faisaient pleins d’exposés sur la vague de chaleur en Russie l’été 2010, sur la vague de froid en Ecosse en hiver 2011, sur ce qu’il s’était passé au Sahel… enfin, des tas de choses diverses dont l’actualité et les médias ont parlé… Donc, là ils ont des méthodes de statistiques, pour essayer de savoir si ça sort du signal de variation naturel, si on peut l’attribuer à ça. Ils essayent de comparer ce qu’il se serait passé si il n’y avait pas eu de changement climatique (…) Et il y a un certain nombre d’autres climatologues avec qui j’ai pu m’entretenir par ailleurs, soit à Denver même, d’autres que les conférenciers, soit ailleurs, et qui étaient un peu réservé, qui pensaient que ce n’était pas vraiment cela qu’il fallait faire. Est-ce que les résultats étaient parfaitement fiables, ils n’en étaient pas sûrs…

Q : Donc depuis 2002, il y a une espèce de logique d’attribution qui a été développée, notamment aux Etats Unis si j’ai bien compris, mais qui n’est pas concrètement suivie par l’ensemble des chercheurs dans le domaine.

R : Non. (…) Je crois que que c’est les Etats Unis qui ont été les premiers à lancer toute cette affaire, mais l’Angleterre suit énormément, avec ce qui s’appelle les ‘services climatiques’ : ce n’est pas l’attribution, mais c’est essayer de prévoir les évènements extrêmes suffisamment tôt pour pouvoir alerter les populations à temps, prendre des mesures de précaution, etc. Et ça, c’est énorme comme direction de la recherche en climatologie parce que c’est quelque chose qui implique un raccourcissement des échelles, d’abord un downscaling pour les échelles spatiales (on va régionaliser les modèles, une tendance qui existait déjà), et je crois qu’elles se confirment avec cette demande des services climatiques qui sont régionalisés, et d’autre part aussi un raccourcissement des échelles de temps. C’est-à-dire qu’on s’intéressera moins à ce qui va se passer dans 100 ans, ou même 30 ou 50 ans, et il y a le problème de la prévision nationale qui devient alors du jour.

Q : Vous parliez de ce downscaling autant dans le temps que dans l’espace, pensez-vous qu’il s’agit d’une bonne orientation de recherche ? Que sur le long terme, c’est comme ça qu’on devrait s’attarder sur la recherche de l’influence du changement climatique sur les évènements extrêmes ?

R : En tout cas j’ai constaté qu’il y a vraiment deux points de vue parmi les climatologues : par exemple Susan Solomon, (elle est principalement chimiste de l’atmoshère) qui était la présidente du groupe 1 jusqu’à très récemment et qui était une des conférencières de Denver, et le président actuel dont j’ai oublié le nom, un Suisse, qui était à côté d’elle, la session où ils intervenaient c’était sur l’importance des questions du long terme et lié à l’importance du gaz à effet de serre, aux différents gaz… Cela ne permettait pas d’élaborer les politiques de réponse relativement fines et differenciées entre les différents gaz avec cet équivalent carbone, alors que si on avait au moins deux paniers (les gaz à courte durée de vie dans l’atmosphère et ceux à longue durée de vie comme le carbone), ça permettrait peut-être d’avoir des réponses de réduction plus efficaces tout de suite à court terme, que la décarbonisation totale de l’économie. On sent bien l’idée que si on se met à faire que des évènements extrêmes et des courtes échelles, enfin, des échelles plus petites, tant spatiales que temporelles, on perd de vue les enjeux majeurs de la question du changement climatique et de son atténuation. Ce problème n’est pas indépendant de la grande détention à propos de la grande dichotomie entre réduction et adaptation. On a beau dire réduction et adaptation doivent aller de pair, de fait il y a des tensions, et dans les priorités de recherche, quand on met l’accent sur les ouragans et les évènements extrêmes, ceux qui se préoccupent beaucoup de l’atténuation trouvent qu’on met trop l’accent sur la question de l’adaptation.