Interview Coe-RExecode
Amandine Brun-Schamme
& Gilles Koleda,
rédacteurs du rapport Coe-Rexecode
sur le temps de travail
PAR MATHILDE MURACCIOLE & ADRIAN DEBOUTIERE
Amandine Brun-Schamme
Gilles Koleda
Pouvez-vous nous parlez de votre parcours d'économistes ? Comment en êtes-vous venus à publier cette étude sur le temps de travail ?
C'est d'abord une question statistique. La durée du travail est une notion vaste et complexe, et il existe plusieurs définitions du temps de travail. Vous avez des durées individuelles, des durées collectives, affichées dans une entreprise par exemple. La durée individuelle, c'est la durée effectuée par un salarié. Et dans celle-ci, différentes définitions sont encore à distinguer : la durée médiane, la durée habituelle (d'une semaine habituelle sans évènements particuliers) et la durée effective, qui prend en compte les vacances, les arrêts maladies, etc. Un premier travail a été de redéfinir, préciser cette notion de durée du travail. Les sources aussi sont importantes : auprès de qui mène-t-on l'enquête ? Le travail visait d'abord à faire le point sur cette notion et sa définition.
Nous sommes des économistes, et la durée du travail est un des éléments importants de mesure de la conjoncture économique : vous avez le taux d'emploi et la durée de travail, éléments primordiaux comme source de croissance. On s'y intéresse depuis longtemps, et nous étions étonnés de voir dans un certain nombre de publications qu'en France on travaillait plus qu'ailleurs. Nous avons donc tenté de trouvez une bonne mesure.
y a-t-il des normes de définition dans ces études, les analystes sont-ils contraints de choisir une définition ?
Oui, il y a des normes, définies par l'Organisme International du Travail, et la définition de la durée effective du travail en fait partie. La durée effective est mesurée en France par l'enquête Emploi, autre nom de l'enquête d'Eurostat, enquête européenne qui mesure dans les pays européens la durée effective du travail des salariés. C'est un questionnaire géré par les différents pays dont les données sont renvoyées à Eurostat pour les traiter ; elle interroge les salariés sur leur durée habituelle et leur durée effective sur une semaine de référence. Ce sont des enquêtes en continu, sur un échantillon de personnes tirées au sort. Personnes qui sont en emploi, interrogées sur le travail effectif lors des 52 semaines. On fait une moyenne des 52 semaines qui donne la durée effective annuelle de travail. La meilleure mesure reste en effet l'année, puisque si on prend le mois, le mois d'Août par exemple, période de vacances, va fausser le résultat. La meilleure mesure reste l'année pour prendre en compte l'ensemble des aléas (maladie, grève).
Une constatation toute bête : ces chiffres d'Eurostat sont publiés par l'INSEE et la DARES pour la France. Quand j'ai consulté les chiffres d'Eurostat, je me suis aperçue qu'en prenant le nombre d'heures hebdomadaires effectives, et en le multipliant par 52, on obtenait des chiffres très élevés, qui ne correspondent absolument pas aux chiffres de l'INSEE. J'ai envoyé un mail à Eurostat, pour signaler cette surestimation. Eurostat a répondu qu'il s'agissait d'une différence de méthode : ils ont enlevé de l'échantillon sur lequel se fait l'estimation les personnes absentes toute la semaine de la semaine de référence. Il y a donc une surestimation de la durée du travail. Ils ont proposé de renvoyer les chiffres avec ces personnes intégrées dans l'échantillon. Et cela correspondait tout a fait aux chiffres de l'INSEE.
et vous avez demandé à ce que cette nouvelle mesure soit faite pour tous les pays ?
oui? pour tous les pays d'Europe. On a demandé aussi, ce que seul l'enquête emploi permet, de distinguer le temps de travail des salariés à temps plein et à temps partiel. Nous avons distingué quatre catégories : salarié, non salarié, salarié à temps plein, à temps partiel. Quand on parle de la durée du travail, ce sont les salariés à temps plein qui sont concernés, cette distinction est importante.
et cette étude que vous avez commandé est inédite, elle n'avait jamais été menée auparavant.
tout à fait.
quelle est la différence entre un organisme comme Eurostat et le votre ?
Eurostat est un organisme européen de statistique. Nous sommes un organisme de conjoncture, de participation au débat public. On veut mettre en avant l'idée qu'en France la durée du travail des salariés à temps plein est inférieure à celles d'Europe.
mais nous n'avons pas de contact privilégié avec Eurostat.
et ce sont donc ces chiffres qui vous ont permis de dresser le bilan sur la durée de travail en France ?
ces chiffres sont les premiers qui permettent des comparaisons. Les anciens chiffres d'Eurostat ne permettaient pas la comparaison.
par rapport aux comparaisons, notamment pour les 35H, on a vu l'importance de mettre en place un contrefactuel comme modèle de référence. Avez vous eu des difficultés à comparer des modèles européens ? Puisque les conjonctures économiques sont différentes ?
comment comparer avec l'Allemagne, alors que d'autres enjeux sont à prendre en compte? Est-ce seulement la politique de l'emploi qui donne les chiffres observés ?
vous posez deux questions, il y a au moins deux éléments de réponse. La première chose, c'est que vous chercher un contrefactuel. La deuxième : sommes-nous comparable avec l'Allemagne au niveau de la durée du travail. En fait, on ne peut même pas comparer avec la France. On vous a caché quelque chose, nous avons publié ces données entre 2000 et 2010, puisque les lois portant sur la réduction du temps de travail date de 2000. Néanmoins, il y a une rupture de série en 2003.
qui est dûe en fait à un changement de méthode en 2003 de l'enquête de l'INSEE, qui portait avant sur une semaine au mois de mars, et ils faisaient des traitements statistiques pour avoir des données équivalentes sur une année. Depuis 2003, l'enquête est réalisée en continu sur toutes les semaines de l'année. Il n'y a plus une seule semaine que l'on extrapole ensuite, ce qui augmente la qualité des statistiques. Le problème, c'est que les données de la durée effective du travail selon cette méthode ne sont disponibles qu'à partir de 2003. D'où les réactions que nous avons suscitées « il y a eu un changement de méthode, on ne peut pas comparer «.
d'autant plus que c'est surtout entre 1999 et 2002 que l'on a envie de savoir ce qu'il s'est passé.
et ils ne sont pas revenus à postériori sur cette période pour recalculer les chiffres selon la nouvelle méthode ?
l'Insee ne l'a pas fait.
et ça a été le problème.
l'INSEE nous a dit : « on est d'accord avec les chiffres de 2010 mais pas avec ceux de 2000, à cause du changement de méthode. « Nous, on ne dit pas, mais on pense très fort, que l'INSEE, au lieu de souligner la rupture, ferait mieux de retravailler les chiffres avant la rupture, pour rétablir la véritable histoire entre 1999 et 2003, y compris pour des gens comme vous qui veulent s'intéresser au problème. Maintenant, qu'est ce qui dans la chute que l'on constate en 2002/ 2003 est dû au changement de méthode, ou en France, à la réduction du temps de travail, la question est ouverte, nous sommes en train de faire des estimations sur cette question, mais nous sommes économistes, pas statisticiens, tant que les instituts statistiques ne le font pas, pas de réponse.
Et par rapport à la comparaison entre les pays ?
sur la comparaison entre pays, il y a plusieurs choses. D'abord, si vous prenez une année, par exemple l'année 2010, avec des pays très comparables comme l'Allemagne, la France est très en retrait. Comment l'expliquer ? En Allemagne, un certain nombre de réformes sur le marché du travail ont été entreprises au cours des années 2000, lorsqu'en France on a eu ce choc des 35H. Nous sommes prêt à reconnaître qu'il n'explique pas la totalité des choses, mais il a néanmoins abouti à ce que la durée du travail soit plus faible qu'ailleurs. Ne pas le reconnaître, serait considérer que la mesure a échoué.
oui, la réduction de la durée légale influe sur la réduction de la durée effective.
bien entendu.
et c'est une mesure qui est propre à la France.
on a agit en France sur la durée légale du travail. En Allemagne ils ont un système de durées conventionnelles, qui sont bien supérieures aux nôtres. En Allemagne, la durée du travail n'est pas un instrument de politique économique. ça n'a été le cas qu'en France, où cet instrument a été utilisé, ça ne s'est vu nulle part ailleurs.
sinon, ce sont des systèmes de négociations ?
soit des négociations, soit des tendances structurelles, où pour augmenter le taux d'emploi, c'est à dire la participation des gens au marché du travail, on va notamment développer le temps partiel. Forcément, comme la durée en temps partiel va être inférieure à la durée en temps plein, cela peut faire mécaniquement baisser la durée effective du travail pour l'ensemble des salariés.
est-ce que l'utilisation du temps partiel peut être interprétée comme une baisse de la durée effective du temps de travail ?
tout à fait, nous c'est ce que l'on dit dans notre rapport. L'Allemagne a fait une réduction du temps de travail par le recours au temps partiel, qui a été efficace puisque cela a permis de doper le taux d'emploi et de faire baisser le chômage. En France, on a fait ça de manière réglementaire, et on a échoué. Ce sont deux modalités du partage du travail, et il faut reconnaître que l'une a été plus efficace que l'autre.
Puisqu'on dit toujours qu'un emploi à temps partiel c'est l'équivalent de deux emplois à temps plein,il y a eu une augmentation relative de l'emploi en Allemagne, ce qui a contribué à augmenter leur taux d'emploi sur la période. Alors qu'en France aussi, cette baisse de la durée du travail devait contribuer à donner du travail à ceux qui n'en avaient pas, dans le sens ou si on travaillait moins, il y avait un besoin de création d'emplois supplémentaire. Or cela n'est pas visible sur le taux d'emploi.
et dans vos chiffres qui vous permettent de comparer les temps de travail, le temps partiel est pris en compte en Allemagne ?
on a dans les tableaux en annexe : la durée effective des salariés à temps plein, à temps partiel, et sur l'ensemble des salariés.
par souci pédagogique, on a vraiment isolé le salarié à temps plein pour faire des classements ensuite. Pour ne pas mélanger, au sens où dans ce cas là, on ne parle plus de la durée du travail, mais de la façon dont est structuré le marché du travail. Il y a deux choses qui peuvent faire que la durée du travail baisse : soit comme en France, on baisse la durée légale, soit on augmente la proportion de gens à temps partiel. L'exemple de l'Allemagne et la France montre bien qu'en termes économiques les conséquences pour l'emploi et la croissance n'ont rien à voir.
il y a aussi une autre source dont on n'a pas parlé et qui est régulièrement cité, c'est les comptes nationaux, publiés par l'OCDE, qui publient une durée du travail des travailleurs, et des salariés. Mais il n'y a pas de différence faite entre temps plein et temps partiel. Or sur ces chiffres, la France a une durée de travail des salariés supérieure à l'Allemagne, c'est pour ça que ce sont ces chiffres qui sont constamment cités pour dire que les 35 heures ne sont pas un problème. L'OCDE le précise elle même sur son cite : les données sont comparables en tendances mais pas en niveau. Puisque les chiffres publiés par l'OCDE sont issus de la comptabilité nationale des pays qui ont des méthodes propres non comparables.
si on veut avoir une étude scientifique et statistique, on ne peut pas utiliser les résultats des comptes nationaux.
Et par rapport à un autre critère, selon vous, les 35 heures auraient plombé la force démographique du pays ?
non, ce n'est pas ce que l'on dit, bien au contraire. La causalité n'est pas la bonne. Nous avons un appui, en France, une démographie importante. Le nombre de personnes qui seraient en mesure de travailler croit plus vite qu'en Allemagne, cela devrait être une force de travail supplémentaire, qui devrait aussi donner de la production supplémentaire. Si jamais elle est véritablement employée. Et la, alors que la démographie donnait plus de bras, la réduction du temps de travail, en baissant la durée de travail, va en sens contraire. On n'a pas utilisé pleinement cette force que nous donnait la démographie.
et l'emploi, c'est le produit des personnes en âge de travailler multiplié par le taux d'emploi. En Allemagne, les personnes en âge de travailler baissent, or la politique qu'ils ont choisie consiste à recourir au temps partiel, ce qui a boosté leur taux d'emploi. Donc malgré une démographie déclinante, ils ont réussi à augmenter leur emploi. En France, on a une population en âge de travailler qui a augmenté, un taux d'emploi qui en dépit des 35h est resté stable, donc la hausse de l'emploi vient plutôt d'une démographie qui est favorable, plutôt que de la réforme des 35H.
d'où la réponse : certains disent que l'emploi a augmenté, donc que les 35 heures ont créé de l'emploi. Non, c'est la démographie qui a créé de l'emploi. Si on avait eu une augmentation du taux d'emploi, on aurait eu beaucoup plus d'emploi.
donc c'est la démographie qui permet de compenser la réforme des 35 heures ?
bien sûr.
le taux d'emploi, c'est la capacité de mettre en emploi les populations en âge de travailler.
on a une arrivée sur le marché du travail de jeunes quand l'Allemagne a de moins en moins de personnes.
je ne sais pas si cela relève de votre domaine, mais l'année dernière, Coe Rexecode a sorti un rapport sur l'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne, qui se basait sur les divergences dans l'évolution du coût du travail.
vous avez le rédacteur en face de vous !
oui, c'est une des controverses célèbres du sujet. Si je peux vous faire une frise chronologique, on a remis ce rapport au ministère de l'industrie en janvier 2011, et Amandine a commencé a travailler en mars 2011, tout s'enchaine. Alors pourquoi on a choisit de faire travailler Amandine sur la durée du travail ? Parce que le cout horaire du travail, il ne vous aura pas échappé que c'est la masse salariale, divisée par la durée du travail. Comme il y a aussi une incertitude statistique sur l'évolution de celle ci, on se disait « est ce que c'est parce qu'on mesure bien le dénominateur ? " le numérateur, la masse salariale, ne pose pas de problème. Mais pour le dénominateur, il y avait ambiguïté, d'où le travail d'Amandine. Vous avez raison de parler de ça, puisque les travaux s'enchaînaient logiquement. Que disions nous dans ce rapport ? Une fois de plus, avant d'être une controverse économique, voir politique, c'était aussi une controverse statistique, un peu idiote d'ailleurs. Car elle n'avait pas lieu d'être, elle a été instrumentalisée sans qu'il n'y en ai une. Vous avez plusieurs mesures du coût du travail, de la même manière qu'il y a plusieurs mesures de la durée du travail. L'une de celles ci c'est une fois de plus une enquête européenne, l'enquête ECMOS, Enquête sur le Cout de la Main d'œuvre et des Salaires, qui est une enquête quadriennale, donc la dernière livraison de cette enquête a eu lieu en décembre 2010. Comme on réalisait un rapport sur les divergences de compétitivité entre la France et l'Allemagne, dans les années 2000, l'une des explications qui nous paraissaient importantes était que les 35 heures avaient engendré un choc de coût : Si vous diminuez la durée du travail de 10%, vous augmentez mécaniquement le coût horaire de 10%, à moins que vous n'ayez un effort de productivité important. Ce choc de coût a eu un effet sur ce qu'on appelle la compétitivité-prix des entreprises : si ça vous coûte plus cher de produire, vous êtes obligés d'augmenter vos prix et vous risquez de perdre des parts de marché. Et on a vu les parts de marché de la France décliner. Mais plus encore, qu'ont fait les industriels français ? ils ont essayé de comprimer leurs marges, pour essayer de maintenir leur prix aux niveaux qu'ils avaient avant le choc de coût. Mais comprimer leurs marges les a empêchés d'avoir des capacités pour la recherche et développement, investir, se porter vers l'export… Et ce qui au départ était un choc de coût, de prix, est devenu un choc sur la compétitivité hors prix : on est devenu moins bon que les autres sur tout ce qui est recherche, innovations ; et donc on est rentré dans un cercle vicieux qui s'auto-entretient en terme de divergences de compétitivité.
A l'appui de cela, on présentait la divergence en matière de coût horaire, en s'appuyant sur l'enquête ECMOS. Malheureusement, l'INSEE et Eurostat se sont trompés sur cette enquête, ils étaient en retard et ils ont rendu des chiffres faux. Le coût du travail sur l'industrie manufacturière était de 38 euros au lieu de 33. Comme nous travaillions aussi avec les comptes nationaux , nous nous sommes rendus compte qu'il y avait un problème. Cela illustrait complètement ce que l'on voulait montrer, mais presque trop. On a donc cité ce chiffre en illustrant bien que l'on n'y croyait pas, qu'il n'était pas cohérent. On a averti l'INSEE qui s'est aperçu de son erreur et a publié de nouveaux chiffres. On a rendu le rapport le 21 janvier, et le 22 janvier les chiffres faux de l'INSEE ont été rectifiés. Ce rapport était un choc, dont on sent les tremblements aujourd'hui, avec la compétitivité présente dans le débat électoral. Car nous avons montré : qui dit chute de la compétitivité dit chute de la production, désindustrialisation, chute de l'emploi. A coté, on a l'exemple de l'Allemagne qui réussit à réduire son chômage, s'appuie sur une industrie forte et des exportations. Ce rapport a marqué, et il y avait deux diagnostics qui se sont opposés : certains ont dit « Rexecode en fait trop sur les coûts « alors que dans le rapport on présentait les coûts comme l'élément de choc du début, mais ce que l'on voulait mettre en avant c'était le cercle vicieux, élément nouveaux à partir de 2000. Certains économistes, commentateurs, journalistes, qui n'étaient pas d'accord d'un point de vue politique ou économique avec ces divergences de compétitivité, ont utilisé le fait que l'une des statistiques que nous présentions toujours avec les réserves. En disant : « il y a un chiffre faux, le rapport est nul, n'en parlons plus « ; ce qui nous a paru exagéré. Alors vous avez des journalistes plus honnêtes que d'autres, on a reçu des lettres d'excuses de Alternatives Économiques disant : « on s'est trompé, on n'avait pas vu que vous le présentiez comme ca, acceptez nos plus plates excuses, etc". Vous savez comment ça marche les journalistes, ça déverse un torrent d'idioties, et quand ils se trompent, il est rare qu'ils déversent un torrent d'excuse. Peu importe, au bout d'un an tout le monde a reconnu qu'il y avait un problème de compétitivité. Lors de la Conférence Nationale de l'Industrie, six mois plus tard, un consensus a émergé pour finalement dire la même chose que ce que l'on disait en janvier ; et la suite, vous la connaissez, c'est la tentative de la TVA sociale, que l'on aurait pu avoir 6 mois plus tôt, alors que nous, nous pensons que c'est trop tard, parce que il y a eu du temps perdu sur une controverse statistique idiote. Les journaux on tenté de rendre la chose binaire : Rexecode contre l'INSEE. Nous, on parlait avec les gens de l'INSEE, on travaille avec eux.
c'est vrai qu'en lisant la presse on a cette impression de conflit entre les deux...
oui complètement, mais on ne remet pas en cause l'INSEE, on travaille grâce à leurs données. On souhaite par rapport au temps de travail qu'ils publient les chiffres entre 1999 et 2003 pour lever le mystère sur cette affaire. On peut polémiquer sur les 35h, mais qu'on le fasse avec des données qui soient justes.
par rapport à l'objectivité de la recherche, vous avez fait un gros travail de définition pour éviter les conclusions biaisées… est-ce qu'on remarque vraiment des « tendances « ou des « influences « dans ces études ?
on parle de science économique ; c'est une science sociale et humaine. Il y a une différence avec des sciences plus dures, c'est qu'on ne fait pas table rase du passé lorsqu'il y a un nouveau consensus. Quand on croyait que la terre était plate, ceux qui disait le contraire étaient des fous. Puis quand le consensus s'est fait sur la terre est ronde, on ne le remet plus en cause : la science dure passe à un moment à une nouvelle vérité. En économie il n'y a pas de nouvelle vérité. Il y a encore des gens qui sont des économistes marxistes, de même qu'il y a encore des économistes keynésiens, monétaristes. Et puis la science avance, et on continue à utiliser les théories passées. Donc justement parce que c'est une science humaine et qu'il n'y a pas l'objectivité d'une science dure, on ne peut pas annuler les autres croyances, il y a une coexistence des croyances. Chacun a son logiciel d'interprétation, c'est donc complètement normal qu'il puisse y avoir coexistence de plusieurs avis sur une question, parce que tout le monde n'a pas la même interprétation. Si vous êtes keynésien, quand vous voyez l'augmentation des dépenses publiques, vous dites « ça va relancer l'économie «, et si vous êtes ricardien, vous pensez «les gens vont épargner plus, donc ça va faire baisser la croissance «. Comment les réconcilier ? A part grâce aux mesures statistiques, il n'y a pas grand chose ; après, c'est la temporalité qui permet de statuer. Comment on définit une science chez Popper ? Par la possibilité de réfutation. En économie, cette possibilité de réfutation définitive n'existe pas.
c'est vrai que c'est un problème, parce qu'au regard des chiffres, on se demandait comment, pour le même fait observable, il pouvait y avoir autant de divergences sur le diagnostic.
il y a même parfois des divergences sur les mêmes chiffres !
vous l'avez même dit dans la façon dont vous avez utilisé un terme très économique : est ce qu'on peut construire un contrefactuel ? Construire un contrefactuel : c'est comme ça que l'on fait un test en économie. On essaye de trouver un expérience naturelle. Effet de l'arrivée d'immigrer sur le taux d'emploi ? On prend Miami, où il y a eu un exode dans les années 80, et des villes de la même taille où il n'y a pas eu cet exode. Dans d'autres sciences, vous avez deux tubes à essai, et vous êtes sûr du résultat. En économie, c'est humain, on peut pas isoler des chômeurs et les étudier. On ne peut pas être sûr des résultats, d'où les différentes interprétations.
par rapport à l'objectivité, ici dans le cas des 35h, le débat est empreint d'un discours politique... est-ce qu'il n'y a pas un acharnement dans la promotion de la mesure ? Quelle est la place pour l'objectivité dans le travail d'économistes, pour pallier les influences économiques politiques ?
l'objectivité va s'imposer dans le temps. Sur la compétitivité par exemple, ça fait de nombreuses années que Coe Rexecode travaille sur la compétitivité, on entend « mais non, c'est le pétrole ! « « Mais non ! C'est la recherche et développement ! « Mais on finit par arriver à imposer quelque chose parce qu'on est au bout de la piste : c'est tellement visible qu'on a 75 milliards de déficit commercial que l'on ne peut plus dire que ce n'est pas un problème. Donc quand des gens diront « non il n'y a pas de problème de compétitivité en France « on commencera à ricaner. C'est ça qui devient de l'objectivité. Sur la durée du travail, on a la même chose, immédiatement vous avez des politiques qui réagissent. On est dans une période de débat démocratique, donc les gens vont s'en emparer : vous avez Copé qui dit « c'est bien ce que je dit, il faut mettre fin aux 35heures ! «, puis Moscovici, alors qu'on vient de publier le rapport à 9h, qui dit à 9h10 « il y a un problème de méthodologie ! «. Comme s'il l'avait lu !
Dans cette maison Rexecode, on essaye d'avoir la plus grande objectivité, on est des économistes, des scientifiques, on a tous les deux fait des thèses d'économie. On n'a pas cherché à prouvé que, on a trouvé que. En ce qui concerne les discussions sur l'interprétation, bien sûr, puisqu'on compare 6 pays européens, on peut peut-être encore creuser, mais on est prêt à débattre, il y a peut-être des revenus plus faibles et plus de précarité en Allemagne, on peut élargir le spectre. Mais dans ce type d'études, on essaye d'être le plus scientifique possible. De même, pour la compétitivité, on a essayé de fermer toutes les portes avant de dire : il nous semble que malgré tout, même si ca doit choquer, et si on nous traite une fois de plus de monomaniaque, que c'est quand même la dérive des coûts en France par rapport à l'Allemagne qui est l'élément déclencheur de la divergence de compétitivité dans la décennie 2000. C'est le temps qui dira qui a raison. Il y a beaucoup d'écrits en économie, que ce soit dans des revues scientifiques ou dans la presse quotidienne qui seront oubliés, et d'autres non.
c'est vrai que c'est assez différent des controverses purement scientifiques, où lorsque la preuve est apportée, on s'arrête la. Vous êtes en train de nous dire que la controverse ne sera résolue que par l'évolution des faits ?
nous pensions que nous avions apporté la preuve
mais vous avez été critiqué par d'autres économistes sur cette preuve. La résolution de la controverse ne pourra jamais se faire sur des arguments et des preuves si on fait du relativisme sous prétexte que c'est une science humaine ?
la critique s'est faite sur l'interprétation. On a observé que l'emploi a quand même augmenté en France plus qu'en Allemagne. Nous pensons que cela est dû à une dynamique démographique qu'à une réelle augmentation du taux d'emploi qui, à notre sens, montre vraiment la progression que peuvent avoir des politiques d'emploi sur la capacité à mettre des gens au travail, et c'est là où on a été très attaqué au niveau journalistique, sur les chiffres en tant que tel. L'OFCE nous a attaqué sur la rupture en 2003, mais pas sur les chiffres de 2010, l'INSEE a confirmé aussi les résultats de 2010. Après on peut toujours reculer le doute en disant que tel chiffre n'est pas assez précis, mais il faut bien partir de quelque chose, parce qu'on aura jamais de mesure exacte. On sait que des petits aléas peuvent exister, maintenant, passer de 39 a 35h, ça fait une baisse de 10% de la durée du travail, ce serait quand même bizarre de voir que le travail serait resté stable.
l'objectif était quand même de partager.
oui, c'était dans l'objectif de partager, mais que cette baisse de 10% ne se voit pas sur la durée de travail individuelle des personnes… on voit quand même que les entreprises sont passées aux 35 heures, que la fonction publique aussi… c'est peut être un manque de cohérence, si on passe de 39 a 35, cela doit avoir des répercussions.
si on regarde les résultats des comptes nationaux de 2000 à 2003, la durée du travail est presque stable. Alors il ne s'est rien passé ? Étonnant.
le recours aux heures supplémentaires peut-il permettre d'expliquer l'écart ?
on a regardé si les heures supplémentaires expliquaient l'écart entre la France et l'Allemagne, mais le nombre d'heures supplémentaires est à peu près le même. Il y a aussi des différences au niveau des arrêts maladies, alors c'est pas que les français sont plus malades que les allemands, mais c'est à mettre en lien avec la politique de Schröder pendant les 10 dernières années en Allemagne, ils ont mené une politique de l'emploi, une politique de protection sociale : on comptait 12 et 13 jours en moyenne d'absence par salarié au début des années 2000, vous êtes a 7 maintenant.
trouvez-vous que les réappropriations de vous études sont fidèles ?
il y a deux aspects, c'est aussi une partie notre travail, de défendre, d'expliquer de justifier nos études. Notre ambition est d'apporter de l'objectivité au débat. Après, y a t il une bonne appropriation de nos études ? On ne peut que se féliciter qu'une partie de nos conclusions soient dans le programme de candidats ou essayent d'être mis en application. Donc c'est sur ce genre de chose que l'on peut dire que l'on a réussi.
à ce propos, quels sont les liens qu'entretiennent les acteurs économiques et d'autres acteurs comme les politiciens ou les partis ?
c'est vrai qu'on a un peu peur de tomber dans un débat binaire, parce que dans ce qu'on lit on vous assimile tout de suite au patronat, voir à l'UMP.
oui, alors selon La Tribune d'hier, il paraît qu'on tourne pour hollande maintenant. Effectivement nous , on essaye d'être le plus loin possible du débat politique.
on est des scientifiques, on n'est pas arrivé ici avec une carte d'adhérent UMP pour être embauchés.
d'un autre coté, avant de s'appeler économie, la science s'appelait économie politique, donc la politique n'est jamais très loin : quand on sort quelque chose sur la durée effective du temps de travail en Europe, les gens peuvent le lire comme une contribution intérieure à la France. Il y a des conséquences politiques importantes, sur la mesure des 35 h par exemple. Donc oui, mais ce n'est pas à nous de le gérer. Car c'est aussi un succès pour nous si les politiques s'emparent de ce que l'on fait. Quand on dit à la fin du rapport sur la compétitivité que deux préconisations nous semblent importantes : débattre dans les entreprises sur le triptyque travail/emploi/salaire, à travers les accords compétitivité/emplois, et qu'un an après ça commence à être un débat entre partenaires sociaux, on n'a pas servi a rien. Quand on dit qu'il faut faire de la recherche pour améliorer la compétitivité, mais qu'à court terme pour ne pas que l'industrie disparaissent complètement, il faut redonner un bol d'air à l'industrie en baissant les charges, on n'est pas mécontent de voir un an plus tard un exercice de TVA sociale mis en place. Mais ce n'est pas nous qui faisons les lois. On participe à améliorer la vision des constats pour un consensus qui est important pour que des décisions importantes pour l'économie soit prises ; on sert aussi à débloquer le débat économique pour permettre l'action des politiques.
et par rapport à ces relations, y a t il des influences sur vos sujets d'études, recevez-vous des commandes, ou est ce l'inverse, vos influencez les politiques par vos résultats ?
alors il faut que l'on vous explique comment fonctionne Rexecode. Rexecode fonctionne uniquement grâce aux cotisations de ses adhérents, c'est une association ; on a 3000 euros par an cotisés par 70 entreprises. Dans la participation au débat public, on a des grandes fédérations qui donne chacun 100 000 euros, fédération telles que le MEDEF, les constructeurs automobiles, les médicamenteux, France télécom. Qui nous permettent de couvrir l'ensemble du spectre économique. Et nos premiers clients sont nos adhérents. Mais comme notre expertise est reconnue, il arrive que l'administration fasse également appel a nous, cela a été le cas pour le rapport sur la compétitivité France Allemagne, que nous a demandé le ministère de l'industrie, avec un appel d'offre. Mais ce n'est pas habituel, ici cela s'inscrivait dans notre objectif de convaincre qu'il faut améliorer la compétitivité française. Michel Didier, que vous avez rencontré en arrivant, est le président de Coe Rexecode, et était pendant très longtemps membre du conseil économique social et environnemental, il est membre du conseil économique de l'administration, il a fréquenté les lieux de décisions économique en tant qu'expert qualifié, cela permet de propulser les travaux, là il y a une interface de communication.
sur vos critiques de l'once et ces chiffres manquant de 2003, y a-t-il des projets de nouvelles études, pour régler le problème ?
nous allons rencontrer les gens de l'OFCE, afin de discuter à propos de ce problème et publier une nouvelle étude. Quand a l'INSEE, on ne peut que crier très fort mettez vous au travail et sortez nous ces chiffres.
Nous, on n'a pas la possibilité de le faire, ce n'est pas notre travail, il faut des statisticiens.