Interview d'Éric Heyer
de l'Ofce

PAR MATHILDE VERDEIL & ADRIAN DEBOUTIERE
Éric Heyer
Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est que l'économie n'est pas une science, or trop souvent on la prend comme une science ; c'est une science sociale, pas une science exacte. On ne peut pas prendre une petite souris comme dans un laboratoire et si on fait ca il va se passer ca etc. Si on part de ce principe là forcément on peut avoir différentes évaluations, et en économie on part très souvent d'un coirpus théorique, d'hypothèse, et du coup quand on fait ces simulations on est influencé par ces hypothèses c'est ça et quand on fait des sciences économiques on est influencé par ces hypothèses, on doit donc les préciser. Cela dit on utilise de plus en plus des données qui sont les mêmes pour tout le monde, on utilise des méthodologies qui sont à peu près identiques et donc on arrive à retrouver des résultats qui sont à peu près identiques ; les seules différences c'est sur les hypothèses de départ, quand les travaux sont bien faits. Ensuite après il y a de l'idéologie : certains ne sont complètement honnêtes n'utilisent pas les mêmes données que tout le monde ou n'utilisent pas les mêmes technologies que tout le monde, ici des différences peuvent apparaître, mais entre deux chercheurs en économie « honnetes », si il y a des différences c'est parce que les hypothèses sont différentes ce n'est donc pas une question de définition, on part de définitions différentes et on trouve des résultats différents ? si mais dans ce cas là c'est parce qu'on a pris des définitions qui nous intéressent, si on prenait vraiment les définitions il y aurait beaucoup moins de divergences. Et vous voyez que quand coe-rexecode veut montrer –oui car coe-rexecode veut montrer, il faut se souvenir qu'en 1981 Raymond Barre qui était premier ministre a décidé de créer 3 instituts de conjectures : il en a créé un proche des syndicats,: l'Ires, un proche du patronat, ip-rexeode, qui est devenu coe-rexecode ; et un neutre, l'ofce. Il n'y aurait que l'université qui serait indépendante, donc il inscrit l'ofce dans l'université, donc nous dépendons de sciences po ; nous ne sommes payés ni par les syndicats ni par le patronat. Quand vous travaillez chez coe-rexecode, vous avez un catéchisme du patronat à ressortir ; c'est normal vous êtes payés par eux ; donc il faut mettre en avant un peu les idées du patronat ; or les idées du patronat c'est forcément on paye trop de charges et on travaille pas assez. Ils sont obligés de faire ce genre de discours. Quand on est chez l'ires c'est l'idée inverse : les salaires ne sont pas assez élevés, les conditions de travail sont dures, faire des études qui le prouvent. C'est donc important de savoir qui fait le discours. Sur le plan du travail coe-rexecode ce ne sont pas eux qui inventent les données, mais ils vont prendre les données qui vont dans le discours "en France on est le pays où on travaille le moins »; en l'occurrence ce sont les données qui ne concernent que le temps plein. Et effectivement si on considère les salariés à temps plein, un salarié à temps plein en France travaille moins qu'ailleurs ; mais il ne faut pas en déduire pour autant qu'en France on travaille mois qu'ailleurs, mais sur le temps partiel non seulement on travaille plus qu'ailleurs (22h en France vs 19h en Allemagne), mais en plus on a moins recours au temps partiel qu'ailleurs (17% en France vs 35% en Allemagne) ; donc quand on fait la moyenne de tout ça finalement on travaille plus en France qu'en Allemagne. il me semble que dans le rapport que vous avez rédigé, vous dites que c'est indéterminé au total ? effectivement c'est indeterminé mais ca dépend de quelles données on prend, patronat ou employés ? oui, et donc au final en moyenne on travaille légèrement plus en France qu'en Allemagne. Mathilde n'est pas convaincue bon okay on va dire que c'est identique. En tous cas on ne peut pas dire qu'on travaille moins est-ce que de prendre pour les données fournie par les patrons uniquement les entreprises de plus de 10 salariés et du secteur privé et semi-privé ca n'induit pas un biais ? oui on ne peut comparer que ce qui est comparable ; après il est difficile de dire qui mesure le mieux la durée du temps de travail, patronat ou salarié ; Certes les heures supplémentaires étant ouvertes à la baisse de cotisation (loi TEPA), les employeurs ont tendance à répondre avoir facilement les chiffres en tête car ils les ont calculé pour avoir les baisses de charges, alors qu'avant il était pénible pour les employeurs de répondre donc ils mettaient sur les questionnaires simplement la durée légale. Mais pour les salariés c'est toujours aussi difficile, sauf quand ils pointent : depuis le départ de chez eux, incluant les pauses ? Donc en conséquence ce qui est important ce n'est pas le niveau mais les évolutions ; si on a un biais mais que c'est toujours le même biais, l'évolution est toujours intéressante. Par ailleurs ce biais est-il le même en France et en Allemagne ? On n'en sait rien, donc seules les variations sont significatives et vous au niveau des variations vous avez trouvé que ca augmentait plus vite en France ? oui que ca baissait plus vite en Allemagne, entre 2000 et 2002 en prenant en compte les ruptures de série ? oui, du fait que cette rupture ne peut pas être expliquée par la baisse du temps de travail, alors le temps de travail a plus baissé en Allemagne qu'en France et ce n'est pas contradictoire avec une politique dont le but était de mettre une durée légale du travail ? non ce n'est pas contradictoire : tous les pays ont essayé de baisser la durée légale du travail, mais seule la France l'a fait par la durée légale ; les autres ont essayé d'inciter à recourir au temps partiel, ce qui est aussi une baisse du temps de travail, sauf qu'on ne dit pas « allez on va baisser le temps de travail pour tout le monde », mais de fait on baisse le temps de travail dans le pays. Et en 2008-2009 pendant la crise l'Allemagne a baissé son temps de travail drastiquement, en incitant a chômage partiel, sans dire qu'on met en avant une politique de réduction du temps de travail, sans dire que c'est la solution au chômage. Du coup on se dit quelle idée saugrenue qu'ont les français de le faire. Mais tous les pays le font. Et il est normal que le progrès technique étant présent, on fasse travailler un peu plus les machines et un peu moins les hommes ; et cette tendance est séculaire, dans tous les pays développés ; il n'y a pas d'exception française, c'est juste le seul pays à l'avoir fait par la durée légale. Il y a des avantages et des inconvénients : l'avantage c'est que tout le monde participe à l'effort, alors qu'avec le temps partiel on créé une dualité sur le marché du travail avec des gens qui ont la chance d'être à la durée légale et qui travaillent beaucoup, et d'autres qui n'ont droit qu'à un mi-temps ; c'est le cas aux Pays-bas en 50-50, et généralement ce sont les femmes qui sont à temps partiel et les hommes à temps complet. Il y a énormément de temps partiel subi où des femmes aimeraient travailler plus pour pouvoir gagner plus d'indépendance. Et en plus on a une grosse différence de temps entre temps partiel et temps complet alors qu'en France cette différence est relativement minime, 23h vs 35h, dans les autres 19hvs 42h. L'inconvénient de la version française c'est l'universalité de la mesure (pour toutes les entreprises dans tous les secteurs), peut-être vaut-il mieux une mesure plus souple à temps partiel dans laquelle on incite par des subventions. En fait les 35h ca a été bien pour les grosses entreprises et dans l'industrie ; et inversement pour les petites entreprises et dans les services ce n'est pas commode et dans l'hôpital également et dans l'hôpital n'en parlons pas, effectivement. Et donc c'est plus intéressant de se demander si on a utilisé la meilleure modalité pour réduire le temps de travail, plutôt que de se demander pourquoi on a réduit le temps de travail en France. et ça c'est la question principale qui se pose actuellement non, même coe-rexecode se pose cette question non, coe-rexecode titre : « les français travaillent moins qu'ailleurs » mais ils admettent quand même qu'en Allemagne aussi il y a eu une politique de partage du travail. il faut distinguer dans le rapport ce qui est mis en avant et ce qu'il y a dans le rapport. Ce qu'il y a dans le rapport c'est assez complet, et on peut d'ailleurs à peu près tout recalculer, d'ailleurs nous notre contre-rapport, c'était : on utilise exactement les information du rapport mais on en tire d'autres conclusions. Ce qui veut dire que globalement, il sont d'accord, mais ils ne peuvent pas le dire, et ce qu'ils mettent en avant ce sont les inconvénients du système ca c'est intéressant aussi pour notre controverse : cette mise en avant est dûe à ce qu'il y a derrière. oui, aux financements. Eux leurs deux axes, leurs deux catéchismes c'est : 1) la France a perdu en compétitivité, et elle a perdu en compétitivité depuis qu'on est passé aux 35h, donc il fait à tout prix réaugmenter la durée du travail mais sans payer plus. (d'ailleurs ce que le Medef aimerait que coe-rexecode dise c'est : il faut supprimer la durée légale)et 2) il y a trop de charges. Le travail de coe rexecode, c'est donc de donner des billes au patronat ; ou les politiques le reprennent : en 2007 Sarkozy a dit : il y a eu une évaluation du meilleur centre de recherche en économie qui a dit ça, c'est pas moi qui ai dit, ce qui perlet de mettre du poids dans le discours des politiques c'est comme la tva sociale ca vient un peu des conclusion de coe rexecode au niveau de la productivité effectivement la tva sociale est dans la continuité du discours de coe rexecode qui dit qu'on a un problème de compétitivité du travail donc il faut baisser le charges ; or la tva sociale c'est transférer des charges sur un impôt qui sera aussi payé par les étrangers, d'où un gros gain de compétitivité et vous ce rapport de coe-rexecode vous l'avez repris, comme celui sur la durée du travail ? moins parce que là ils sont allés moins loin que sur la réduction du temps de travail. Le rapport sur la durée du travail était hallucinant puisqu'en lisant le rapport on pouvait tirer exactement les conclusions inverses. Cad que le travail était globalement bien fait, mais le résumé du départ et ce qu'en ont retenu du coup les journalistes, était complètement en contradiction avec ce qui était dans le rapport : c'était un joli travail mais qui peut se retourner complètement contre eux, et nous on s'est amusé à faire ca, cad qu'on a repris exactement tous leurs tableaux et on a abouti aux résultats inverses. et justement à propos d'une de ces données, vous dites que la création du travail a été deux fois plus rapide en France qu'en Allemagne ce n'est pas nous, c'est dans le rapport oui mais eux disent que cette création d'emplois est due à la démographie de la France et que le taux d'emploi lui n'a pas augmenté d'accord, on peut très bien dire : les 35h n'ont pas été suffisantes pour faire baisser le chômage comme on l'aurait espéré ; mais dire que c'est une catastrophe parce qu'on a créé moins d'emplois en France, ce n'est pas vrai. Si on prend le rapport coe-rexecode, au cours de la période il y a eu plus de croissance en France qu'en Allemagne, il y a eu plus de créations d'emplois, et il y a eu plus de pouvoir d'achat distribué. Dire que la France a décroché c'est faux car on a plus de croissance que nos partenaires, et ce n'est pas un peu plus de croissance mais beaucoup plus de croissance. On ne peut donc pas dire que les 35h ont mis en péril l'économie française. en fait eux leur argument c'est que la France s'est accrochée aux 35h grâce à sa démographie d'accord, mais eux auraient dû mettre en exergue une autre causalité qui est : on va expliquer la croissance française, et voilà ce qui se serait passé si on n'était pas passé aux 35h. or ce n'est pas du tout ca qui s'est passé, ils disent simplement qu'on travaille moins en France qu'ailleurs. D'ailleurs en 97 quand cette loi est proposée, les économistes se divisaient entre ceux qui disaient que ca allait être la carastrophe et d'autres qui disaient que ca allait être le paradis, que ça allait permettre de résoudre le chômage. Finalement il y a un bilan officiel aux 35h, qui a été fait par le ministère du travail (dares) et l'insee, signé par le ministre du travail de l'époque, qui est qui en 2003… ? François fillon. Que dit ce rapport : +350 000 emplois. Donc ni le 2millions d'emplois qui devait permettre de résorber le chômage, ni la destruction de 500 000 emplois des libéraux. Parler d'une catastrophe, comme François Fillon plus tard n'a donc aucun sens. Le wild sur une question plus générale, comment évaluer si une politique de partage du travail fonctionne ? c'est la question très compliquée de l'évaluation des politiques publiques. Notre problème en France c'est qu'on ne les évalue pas, quand on compare avec les Etats-Uni où dans le budget d'une loi il y a une ligne pour les évaluations expost, alors que nous on fait des évaluations ex-ante. Si des chercheurs veulent le faire ils peuvent mais ils n'ont pas de financement du gouvernement, ni l'accès aux données. Comment la DARES et l'INSEE ont fait pour trouver leur chiffre de 350 000 ? Ils regroupent les entreprises aux caractéristiques identiques et comparent ceux qui ont signé l'accord 35h et ceux qui n'ont pas signé. le fameux contrefactuel exactement. Bien évidemment restent des incertitudes, car on essaie de faire des groupes les plus homogènes possibles mais en fait peut-être il y avait des différences, etc. Ce qui est amusant pour nous c'est qu'on avait fait des évaluations ex-ante, et on avait dit 420 000 c'était le rapport « 35heures : réduction réduite » ? c'est ça. Pour nous le résultat de 350 000 n'est donc pas une surprise et justement dans la conclusion de ce rapport vous dites que l'effet des 35 heures dépend uniquement du fait de si l'économie est près du plein emploi ou pas, pouvez vous m'expliquer ça ? quand l'économie n'est pas au plein emploi ca peut permettre de faire travailler des gens ; quand on est au plein emploi partager le travail ne sert à rien. et vous pensez qu'en 97 c'était un bon timing pour les 35h ? oui en 97 on était très loin du plein emploi, du chômage structurel qui est autour de 6,5% donc tant qu'on est pas à 6,5% de chômage il ne faut pas supprimer les 35heures ? en 2007 le taux de chômage était à 7,1% donc là la question d'augmenter le temps de travail avait un sens, peut-être en incitant en travailler plus. Car les 35heures ne consistent pas à empêcher les gens de travailler, elles découragent simplement les heures supplémentaire, donc inciter à faire des heures sup était une question posée ; car en se rapprochant du taux de chômage structurel des tensions apparaissent et une des solutions c'est faire travailler plus longtemps les salariés. Ainsi augmenter le temps de travail doit se faire quand le chômage chute mais en temps de crise il faut éviter de le faire ; et les allemands l'ont bien compris, car pendant la crise le gouvernement allemand a décidé de baisser le temps de travail, alors que nous on a décidé de faire faire des heures sup. vous avez justement travaillé sur la défiscalisation des heures supplémentaires, est-ce que ce n'est pas ça plutôt que les 35h qui a encouragé la création d'emploi la destruction d'emplois ! Il y a deux effets de sens inverse : si on incite à faire des heures sup, le salarié ne paye pas d'impôts dessus donc on pourrait penser que cela donne du pouvoir d'achat aux entreprises et cela baisse le coût des entreprises ; c'est très bien effet si le marché du travail est tendu et que la demande augmente; en temps de crise si un patron voit que faire travailler deux personnes coûte plus que de faire travailler une personne à 40 heures, il n'embauche pas. donc pendant une période prospère la défiscalisation des heures sup avait un sens ? et on aurait dû l'arrêter pendant la crise ? tout à fait on aurait dû la mettre entre parenthèses, au deuxième semestre 2008 quand on était sûrs d'être en période de crise. Une politique économique n'a pas le même impact quel que soit la conjecture. Cette politique a aggravé le chômage : 1% d'augmentation des heures sup détruit 6500 emplois. A court terme il y a donc concurrence entre durée du travail et emploi. En période de plein emploi cette tension est moins vraie, mais en tant de crise c'est 4 milliards de coût pour l'Etat qui auraient pu être mis dans une autre politique économique. En effet : il peut paraître injuste que avec deux salariés identiques, l'un a la chance d'être employé et en plus peut faire des heures sup gratuites, qu'il n'a pas à déclarer ! Alors que si l'on doit aider quelqu'un ce devrait être plutôt celui qui est au chômage. Il y aurait donc eu d'autres façons plus efficaces de redistribuer cet argent.




Le bilan économique
de la réforme des 35 heures ?