Interview Michel Husson (Ires),
auteur du rapport « Réduction du temps de travail
et emploi : une nouvelle évaluation »,
Revue de l'Ires, 2002.

PAR ADRIAN DEBOUTIERE & ALEXANDRE HAACK
Michel Husson
Vous êtes arrivé à l'Ires en 1990, vous avez donc suivi de près l'élaboration de la loi. Etiez vous dès le départ confiant dans ses répercussions sur l'emploi ? Dans l'administration, à la direction de la prévision, j'étais en contact avec ceux qui établissaient des modèles et simulations en cas de baisse du temps de travail. Il en résultait que bien accompagnée, une telle mesure de réduction du temps de travail (RTT) pouvait être largement bénéfique pour l'emploi. Croyez vous dans la théorie du partage de la masse de travail ? Oui, il y a des arguments factuels irréfutables : si l'on prends la période 17-2001, il y a eu une marche d'escalier considérable dans l'emploi. Je n'aime pas qu'on qualifie cette vision de malthusienne. A un certain moment, à moyen terme, vous avez une telle quantité de travail. Pour la répartir, soit il faut réduire le temps de travail uniformément, soit introduire le temps partiel. Tous les pays ont pratiqué un partage du temps de travail, preuve de la validité de la théorie, le plus souvent en effet via la popularisation du temps de travail. Ces emplois n'ont pas été uniquement dus aux gains de productivité ? Il y a une grande contradiction dans le discours de Coe-Rexecode sous jacent dans cet argument. On ne peut dire que les 35 heures ont détruit des emplois et en même temps attribuer aux 35 heures une certaine hausse secondaire de l'emploi. La hausse de la productivité est une conséquence directe de la baisse du temps de travail. Selon vous, pourquoi la droite critique t elle donc les 35 heures ? Ce qui dérange le patronat c'est sans aucun doute l'intervention de l'état dans le domaine de l'entreprise. La RTT aurait pu t elle être négociée au sein des conventions collectives, par branche, comme ce fut le cas en Allemagne ? Il y a eu des négociations, mais la structure syndicale n'est pas la même en France. Le manque d'un interlocuteur unique fait que la RTT devait, pour être effective, avoir une valeur législative. Que dites vous de l'argument de Coe Rexecode que les créations d'emploi seraient une conséquence de la dynamique démographique française ? Dans la même mesure, la telle marche d'escalier, incontestable, ne pourrait être expliquée de cette manière. La nouvelle méthode du calcul du temps de travail de ce même institut vous paraît elle pertinente ? Comme l'a souligné l'OFCE, les résultats ainsi calculés sont biaisés à cause d'une discontinuité statistique en 2003. La méthode est surement valable, mais il faut refaire les calculs. Quelle modalité d'évaluation vous apparaît comme la plus représentative de la RTT ? L'emploi, la croissance ? L'emploi, car c'était l'objectif principal de la mesure. Cette évaluation peut se faire en établissant une équa tion d'emploi qui fonctionne empiriquement, puis en bloquant le paramètre temps de travail à 3 heures, voir ce qui aurait du se passer sans la RTT. Il en résulte que sans la RTT l'emploi aurait été bien moins dynamique, environ 500 000 emplois n'auraient pas été créés. L'étude Coe-Rexecode sur la compétitivité, qui a baissé en France depuis les années 2000, rend responsable les 35h d'une telle dégradation. Qu'en pensez vous ? La compétitivité est bien entendu déterminée par le cout du travail, mais aussi d'autres facteurs jouent, comme l'investissement, le progrès technique… Lorsque l'on compare le cout du travail en France ou en Allemagne, on n'observe pas de divergence depuis les années 2000. La part des salaires dans la valeur ajouté n'a pas bougé. Compte tenu des allégements fiscaux, de la hausse de la productivité, la hausse du cout horaire fut nulle. Aucun indicateur ne montre une hausse du cout de travail. La France ne dérape pas, au contraire même. La baisse de l'investissement serait elle donc une des sources de la perte de compétitivité ? A contrario des détracteurs des 35 heures, vous estimez que cette baisse de l'investissement n'est pas du à la hausse des couts mais plutôt à la hausse des dividende sur les profits. En effet, les profits furent stables, mais la hausse des dividendes est incontestable durant cette période. Il en ressort de une baisse de l'investissement qui met en péril la compétitivité du pays. Concernant le coût de la mesure, est il justifié ? On parle de 10 milliards d'euro par ans. Il y a un coût, certes, mais le problème réside plutôt dans la distribution des subventions. Pour protéger l'emploi, il aurait été plus efficace de cibler les allégements fiscaux sur les entreprises en position concurrentielles à l'international. Or pour une grande part des entreprises ce n'est pas le cas. Il est malheureusement pratiquement impossible de mieux le cibler.




Le bilan économique
de la réforme des 35 heures ?