Changer les règles du jeu

Représentations et Définitions du jeu vidéo



Tomb Raider

Tomb Raider

GTA

GTA

SimCity

SimCity

Call of Duty

Call of Duty

Resident Evil 5

Resident Evil 4

Civilization

Civilization

On dit souvent que les jeux vidéo sont violents, machistes, addictifs... mais qu'en est-il vraiment ? Explorez les jeux présentés ci-dessus pour le découvrir.



Règles du jeu



Le jeu vidéo est conservateur

Le jeu vidéo est masculin

Le jeu vidéo est violent

Le joueur est un jeune blanc

La presse est une voie de communication et marketing

Le jeu n’influence pas les joueurs


Les règles du jeu vidéo qui ressortent de l’analyse des discours sur les polémiques qui traversent le médium ont trois caractéristiques. Tout d’abord, elles sont implicites : elles s’expriment à travers des tribunes dans la presse généraliste, à travers des études sociologiques, mais également à travers les pratiques et les représentations qui ont cours dans le milieu. Par exemple, un jeu non-violent avec une et non pas un protagoniste est considéré comme peu vendable.

Malgré cela, elles sont fortement normatives - et c’est là leur principale caractéristique. Elles dessinent les contours de ce que doit être un “bon” jeu vidéo, c’est-à-dire un jeu vidéo qui plaît aux joueurs, un jeu vidéo qui se vend. C’est donc des règles qui définissent le médium, ses utilisateurs, et qui instituent une sorte de plan stratégique pour l’industrie : si l’on veut produire de “bons” jeux, il faut suivre les règles. Il faut cependant noter que ces règles, si elles semblent donc être appropriées et réinvesties par les créateurs de jeux, sont avant tout un travail de définition du jeu engagé sous l’angle de la négativité et de la restriction. Le jeu n’est que pour une certaine cible assez uniforme, dont les goûts et les aspirations sont limitées. C’est la figure du joueur que l’on appelle communément le gamer. Le jeu doit répondre aux attaques externes en prouvant son absence de nocivité. En bref, le jeu est violent, intolérant et masculin, mais ne venez pas critiquer - c’est comme ça que ça marche.

Enfin, ces règles participent à la définition du jeu vidéo tout en le remettant en cause. Parce qu’elles dessinent un jeu vidéo inacceptable socialement et qui le coupe d’une large part de la société. Parce qu’également, une partie de ces règles est dictée et investie par des acteurs extérieurs au monde du jeu vidéo : journalistes généralistes, psychologues, hommes politiques. Le jeu vidéo se présente ainsi comme un média dominé, et avec lui les acteurs du médium, créateurs de jeux et joueurs.

Le jeu vidéo sous les feux des projecteurs...

Le jeu vidéo est un objet par essence médiatique. Parce qu’il est un bien culturel de masse, parce qu’il est indissociable de la culture internet et qu’il se joue en ligne. Par conséquent, il aura vocation a être discuté sur la scène publique, via les médias grand public. Ces médias obéissent cependant à leurs logiques propres, leurs temporalités, leurs intérêts, leurs relations d’acteurs. Ce phénomène est étudié par Olivier Mauco dans son article sur “La médiatisation des problématiques de la violence et de l’addiction au jeu vidéo” (2008). Les règles internes qui régissent le fonctionnement des médias et du journalisme grand public ont, dit-il, contribué à renforcer artificiellement le lien fait entre addiction et jeu vidéo au cours des années 2000. L’absence de ponts entre journalisme spécialisé en jeu vidéo et journalisme grand public a mis les journalistes grand public face à un problème pour accéder à des sources fiables. La recherche de contradicteurs systématiques a conduit les journalistes à instituer en experts du jeu vidéo des personnes qui ne l’étaient pas. Ces personnes se sont vues grâce à leur invitation par un premier média dotées d’une réputation de spécialiste vidéoludique qui s’est renforcée à chaque nouvelle invitation par un nouveau média.

Ces “experts” du jeu vidéo, ajoute-t-il, ont de plus participé à “pathologiser” la pratique du jeu, et à accréditer une lecture du médium sous l’angle d’une forme d’hégémonie du risque. Le jeu vidéo n’est discuté que sous l’angle de la remise en cause de ce qu’il transmet, voire sous l’angle de sa remise en cause pure et simple.

La scène médiatique a en fait joué un double rôle dans la constitution des polémiques sur le jeu vidéo. Car en plus de participer activement à la mise en cause du jeu vidéo, ces médias ont joué le rôle de caisses de résonance qui ont influencé mais aussi occulté les autres scènes où ces polémiques pouvaient être discutées.

… et une communauté qui reste en coulisse ?

Qui sont ces acteurs occultés ? On n'entend sur la scène médiatique, ni les créateurs de jeux, ni les joueurs. Cependant, le travail de construction de ces controverses par les acteurs médiatiques a été également un travail de catégorisation du milieu du jeu vidéo. Une performation du social a eu lieu, les acteurs occultés ont pu être amenés à se saisir des catégories créées par les acteurs “médiatiques” du jeu vidéo, et à les faire leurs. C’est ce dont se désolent nombre d’acteurs qui jouent le rôle de “passeurs” entre les acteurs occultés et les acteurs “médiatiques”.

Nicolas Charciarek, par exemple, longtemps connu dans la presse spécialisée du jeu vidéo sous le pseudonyme Dinowan, signe ainsi en octobre 2015 l’article “Etre un joueur : le rapport aux ‘autres’” sur le site extralife.fr, dans lequel il s’exprime ainsi :

“C’est là la plus grande erreur que commettent encore les médias généralistes, employer l’expression vide de sens de communauté des gamers, expression également revendiquée par les joueurs eux-mêmes. Une communauté floue, qui voudrait réunir des pratiques diverses et met dans le même sac le joueur lambda et l’addict aux MOBA. A-t-on déjà eu l’idée de parler de communauté des gens qui vont au cinéma ?”

L’ensemble des acteurs du jeu vidéo semblerait ainsi s’accorder sur une identité particulière du joueur de jeu vidéo. Cette identité est cependant définie sur un mode négatif : le gamer utilise un média que l’on remet en cause, en raison de son inacceptabilité sociale. Le gamer est pensé par métonymie par rapport au jeu vidéo. Il est l’utilisateur d’un média repoussé, il se vit lui-même comme repoussé dans l’altérité et le rejet. C’est ce que met en avant Nicolas Charciarek dans la suite de son article (ibid.) :

“On en vient à cet étrange constat : certains joueurs semblent souffrir d’un profond syndrome de persécution et d’un véritable complexe d’infériorité qui les poussent à rester sur la défensive et à constamment chercher à se justifier, quitte à farouchement défendre une identité qui s’ancre dans l’opposition aux autres, ceux qui ne peuvent pas les comprendre et les menacent. “

Le gamer en vient aussi à revendiquer parfois, ce sexisme ou cette violence qui est mise en cause dans les jeux vidéo. Dans son étude-manifeste “Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier” (2013), la blogueuse Mar_Lard s’attaque ainsi violemment aux relents machistes et intolérants de certains membres du “monde du jeu vidéo”, mais aussi et surtout à l’inaction et à l’acceptation passive de la majorité silencieuse, comme si c’était l’ordre des choses dans le milieu.

En fait, ces polémiques dessinent ce que nous pourrions appeler les règles du jeu du jeu vidéo. Ces règles implicites, mais reconnues par la plupart, proviennent de la remise en cause du contenu des jeux, mais elles dépassent les seuls jeux pour définir également les joueurs, les producteurs, les journalistes.

A la rencontre des acteurs du jeu vidéo

Les règles implicites que nous avons dégagées permettent de saisir des lignes de forces qui travaillent le monde du jeu vidéo. Elles sont une conséquence des polémiques qui remettent en cause le contenu des jeux. En remettant en cause le contenu des jeux, elles ont accompli également un travail de définition du monde du jeu vidéo et des acteurs qui y évoluent. Elles ont longtemps structuré et structurent encore le milieu. Certains les acceptent comme un fait établi, voire même les revendiquent. Ces règles sont pour d’autres acteurs médiatiques des points de critiques dont ils se saisissent pour remettre en cause les pratiques de la “communauté des gamers” voire l’existence même d’une communauté. Néanmoins, même dans ce cas, nous n’avons pas accès aux acteurs occultés, éloignés de la sphère médiatique, même si nous en avons un éclairage particulier.

Pour mieux comprendre la manière dont peuvent vivre le jeu vidéo et son environnement tout en baignant dans ces polémiques, il a donc fallu que nous allions au-delà de ce voile de polémiques de départ, à la rencontre des acteurs qui représentent l’ensemble du secteur du jeu vidéo. Des journalistes, des chercheurs, mais aussi des game designers, des dirigeants de studios de développement, des enseignants, et des joueurs. Nous avons voulu couvrir l’ensemble des métiers du jeu vidéo, afin d’en avoir la vision la plus complète qu’il nous était possible d’obtenir. Vingt personnes ont répondu positivement à nos sollicitations.

Il est cependant à noter qu’aucun représentant des grands éditeurs mondiaux de jeu vidéo n’a accepté que nous rendions publics les échanges que nous avons eu avec eux. De plus, nous avons remarqué que la probabilité qu’une femme refuse un entretien était plus élevée que pour les hommes. Bien que nous ne puissions tirer une conclusion scientifique d’un si petit corpus, ces faits ont été également spontanément évoqués lors de nos entretiens. Ils avaient ainsi une pertinence pour le sujet et nous avons pu les prendre en compte lors de la rédaction de nos compte-rendus.

Nous avons voulu savoir comment l’ensemble de ces acteurs se positionnent face à ces polémiques, quelles sont leurs réponses et leurs ambitions. La réalité qui en est ressortie est bien différente de celle que les polémiques avaient esquissée. L’engagement des acteurs également. C’est ainsi que nous sommes partis à la rencontre des acteurs qui voulaient - peut-être ? - changer les règles du jeu.

Jeux d'acteurs

Découvrez les acteurs du jeu vidéo en France, leurs engagements, et les problèmes qu'ils portent.


Oskar Guilbert

PDG de Dontnod

Bertrand Brocard

ex-PDG de Cobrasoft

Arnaud de Bock

Game designer chez Out of the Bit

FibreTigre

Game designer indépendant

Maxence Voleau

Game designer chez Amplitude

Anthony Jauneaud

Narrative designer freelance

Alexandre Vaugoux

Co-fondateur de l’association Gamelier

Antoine Herren

Organisateur d’événements

Laurent Checola

Ex-journaliste et gestionnaire de projets

Simon Bachelier

Commissaire d’exposition indépendant

Stéphane Natkin

Professeur et directeur de l’ENJMIN

Eric Leguay

Consultant numérique et enseignant

Olivier Séguret

Journaliste freelance

Erwan Higuinen

Journaliste aux Inrocks

Martin Lefebvre

Rédacteur en chef de Merlanfrit

Laurent Trémel

Chercheur socio-critique

Fanny Lignon

Sociologue des représentations de genre

Marion Coville

Doctorante en scénographie

Catherine Coutelle

Députée socialiste

Mathieu Triclot

Philosophe des sciences et techniques

Grands éditeurs, scène indépendante, scène alternative

On distingue usuellement les grands éditeurs de jeux vidéo, qui possèdent leurs propres studios de développement, des développeurs indépendants. Cette indépendance capitalistique se doublerait d’une indépendance de ton, et d’une créativité exacerbée. Mais aujourd’hui, alors que des studios indépendants réussissent à obtenir des succès commerciaux comparables à ceux des grands éditeurs, une nouvelle distinction commence à se faire jour au sein des indépendants, entre les indépendants commerciaux, et les alternatifs.

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : Oskar Guilbert, Arnaud de Bock, FibreTigre, Maxence Voleau, Alexandre Vaugoux, Antoine Herren, Laurent Checola, Simon Bachelier, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Olivier Séguret, Erwan Higuinen, Martin Lefebvre, Laurent Trémel, Fanny Lignon, Marion Coville, Mathieu Triclot.

Retour à la liste.

Le processus créatif : comment se crée un jeu

Créer un jeu vidéo peut demander à plusieurs centaines de personnes de collaborer entre elles pendant des mois. Dans cette organisation complexe, le game designer est au sommet de la hiérarchie. Il est en effet le créateur et le garant des mécaniques de jeu, du squelette qui va procurer du fun au joueur. Mais comment continuer à défendre un parti-pris fort lorsque la création d’un jeu dépend de la collaboration de tant de personnes ?

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : Bertrand Brocard, Arnaud de Bock, FibreTigre, Maxence Voleau, Alexandre Vaugoux, Laurent Checola, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Olivier Séguret, Martin Lefebvre, Laurent Trémel, Fanny Lignon, Mathieu Triclot.

Retour à la liste.

Le soutien des institutions à l’industrie du jeu vidéo

La France et l’Union Européenne ont fait le choix d’un soutien économique au secteur du jeu vidéo. Les subventions qu’elles octroient sont aujourd’hui indispensables à la survie du secteur. La France a également été pionnière dans la formation au jeu vidéo, en créant une des premières grandes écoles publiques pour former à ces métiers. Devenus indispensables, ces dispositifs de soutien font débat : à qui et pourquoi donner des subventions ? Comment enseigner le jeu vidéo ?

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : Oskar Guilbert, Bertrand Brocard, FibreTigre, Maxence Voleau, Antoine Herren, Simon Bachelier, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Fanny Lignon, Catherine Coutelle.

Retour à la liste.

La presse et les jeux vidéo en France

Les acteurs interviewés sont unanimes : le traitement journalistique du jeu vidéo en France pose problème, que ce soit dans la presse spécialisée dans le jeu vidéo, ou la presse généraliste, entre relations incestueuses avec les éditeurs de jeu vidéo et combat pour la reconnaissance du jeu vidéo comme un médium culturel légitime.

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : FibreTigre, Alexandre Vaugoux, Antoine Herren, Laurent Checola, Simon Bachelier, Eric Leguay, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Olivier Séguret, Erwan Higuinen, Martin Lefebvre, Laurent Trémel, Fanny Lignon, Marion Coville.

Retour à la liste.

Partager le jeu vidéo : festivals, expositions, game jams

Lieux de rencontre des professionnels entre eux, et avec le grand public, les festivals, salons, expositions, game jams, révèlent les rapports de force et la structuration des acteurs entre eux dans le monde du jeu vidéo.

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : Oskar Guilbert, Bertrand Brocard, Arnaud de Bock, FibreTigre, Maxence Voleau, Alexandre Vaugoux, Antoine Herren, Simon Bachelier, Eric Leguay, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Erwan Higuinen, Mathieu Triclot, Marion Coville, Catherine Coutelle.

Retour à la liste.

La constitution du jeu vidéo comme objet scientifique

Les acteurs issus du monde de la recherche vidéoludique permettent de mieux comprendre comment l’on aborde l’objet jeu vidéo de manière scientifique, mais ils posent également deux questions : comment l’université française accueille-t-elle en son sein un objet a priori illégitime, issu de la subculture ? et comment crée-t-on un champ de recherche nouveau dans un contexte de restriction budgétaire ?

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : FibreTigre, Maxence Voleau, Alexandre Vaugoux, Eric Leguay, Mathieu Triclot, Laurent Trémel, Fanny Lignon, Marion Coville.

Retour à la liste.

Joueurs vs. “gamers”

Deux représentations du joueur-type de jeu vidéo semblent s’opposer de nos jours. D’un côté, la figure du “gamer”, de l’adolescent mâle joueur compulsif, risquant la désociabilisation. De l’autre, celle du joueur de masse : 60% de la population française joue régulièrement aux jeux vidéo, l’âge moyen dépassant la trentaine. Ces deux représentations s’excluent-elles l’une l’autre ?

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : Oskar Guilbert, Bertrand Brocard, Arnaud de Bock, FibreTigre, Maxence Voleau, Alexandre Vaugoux, Antoine Herren, Simon Bachelier, Eric Leguay, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Olivier Séguret, Erwan Higuinen, Martin Lefebvre, Laurent Trémel, Mathieu Triclot, Fanny Lignon, Marion Coville, Catherine Coutelle.

Retour à la liste.

Le jeu vidéo, un objet culturel légitime ?

Au cours des années 2000, le jeu vidéo a souffert à de multiples reprises de son manque de reconnaissance sociale et culturelle. On questionnait son utilité, voire on sous-entendait sa nocivité, et on niait sa valeur culturelle. En réaction, des processus de légitimation se sont mis en place pour tenter de promouvoir la spécificité du jeu vidéo comme médium culturel.

En savoir plus

Liste des acteurs interrogés qui se sont exprimés sur la question : Bertrand Brocard, Arnaud de Bock, Maxence Voleau, Antoine Herren, Laurent Checola, Simon Bachelier, Eric Leguay, Stéphane Natkin, Eric Leguay, Olivier Séguret, Erwan Higuinen, Martin Lefebvre, Laurent Trémel, Mathieu Triclot, Marion Coville.

Retour à la liste.

Les nouvelles règles du jeu

Les nouvelles règles du jeu que nous avons pu reconstituer en rencontrant les acteurs du jeu vidéo sont bien différentes des premières. Elles sont foisonnantes ; elles sont plus complexes, descriptives d’une situation et non pas normatives. Elles sont en fait à l’image du monde du jeu vidéo, du jeu vidéo en France en 2016. Ce sont cependant bien des règles, parce que, sauf exception, l’ensemble des acteurs que nous avons interrogés s’accordent sur l’ensemble des points qu’elles décrivent. La seule question qui reste encore ouverte est celle de la légitimation culturelle, ce qui est représentatif de la situation du jeu vidéo de nos jours.

Ce qu’il ressort de ces règles, c’est que le jeu vidéo est un média jeune. Parce qu’il a été créé il y a à peine plus de 50 ans, mais surtout parce que le gros de la structuration du milieu du jeu vidéo en France s’est accomplie en à peine 15 ans et n’est pas encore achevé. Parce que la légitimation culturelle du médium s’est accomplie à marche forcée sans réellement réfléchir sur ce qu’est le jeu vidéo. Parce que la prise de conscience de la part de chacun des acteurs du secteur que ce travail d’affermissement économique de l’industrie, de structuration institutionnelle et de création de lieux d’échanges avait pour conséquence la construction d’une définition de ce qu’est aujourd’hui le jeu vidéo est extrêmement récente. L’enjeu de chacun des acteurs est ainsi désormais principalement un enjeu de définition. La question à laquelle tous tentent par leurs actions et leurs interactions, de manière performative, de répondre est donc : Qu’est-ce que le jeu vidéo en 2016 ?

Ce n’est pas le cliché du jeu pour gamer - cliché qui a pu avoir une part de réalité - tout le monde en convient. Ce n’est pas le jeu violent, masculin, intolérant, produit selon les règles que nous avions identifiées comme point de départ de notre enquête. Ce cliché fait figure de repoussoir et est rapidement rejeté dans l’irréalité ou la marginalité par la plupart des acteurs. “Gamer ? Ça ne veut plus rien dire aujourd’hui.” Voilà en substance la réponse la plus courante qui nous a été faite. Il est en effet un mode de représentation du jeu vidéo imposé de l’extérieur, qui rappelle historiquement une époque où le jeu vidéo était un produit illégitime de la subculture, défini de manière seulement négative, sur le mode de l’associabilité, de l’immaturité et de la pathologie. Seules les personnes qui par réaction avaient fait de cet objet rejeté un marqueur d’identité défendent encore cette représentation, et entrent aujourd’hui dans un processus de repli identitaire, parfois violent mais minoritaire. Ceci peut expliquer en partie la crise que traverse actuellement la presse spécialisée dans le jeu vidéo, dans la mesure où elle s’adressait principalement à cette cible, et que celle-ci se marginalise peu à peu, alors même que dans le même temps, la pratique du jeu vidéo se massifie.

Le repoussoir étant posé, quelles sont aujourd’hui les définitions positives du jeu vidéo qui sont en train d’être construites par les acteurs du jeu vidéo ? Quelles sont les typologies d’actions que nous avons pu faire émerger ? Quelles sont les stratégies de légitimation que développent les acteurs pour structurer le milieu dans lequel ils évoluent ? Nous avons pu en déceler deux formes principales - outre la stratégie de repli que nous avons évoquée ci-dessus. Ces deux formes dessinent deux processus de définition-légitimation du jeu vidéo : une définition allant dans le sens de la fermeture de ce qu’est le jeu vidéo, et une définition plus ouverte, moins compréhensive.

Une définition “fermée”...

Dans cette démarche, le processus de définition vient principalement de l’établissement de structures institutionnelles venant acter des pratiques établies et stabilisées. Cette stratégie de définition va être développée principalement par les grands éditeurs du jeu vidéo, dont les enjeux économiques et industriels imposent une forme de stabilité : dans les modes de financement, dans le système de régulation et les structures d’encadrement institutionnelles, comme les syndicats et les écoles publiques, et dans les lieux de rencontres à la fois professionnels et grand public.

Pour les modes de financement, ces grands éditeurs essayent en interne de mettre en place des procédures les plus standardisées possibles, afin de minimiser la prise de risque, de maximiser le rythme de sorties de jeux par an, et d’être le plus crédible possible auprès des investisseurs dans un secteur créatif où l’incertitude est grande et où il n’y a pas de recette toute faite pour créer un jeu. Les grands éditeurs ont également les moyens de faire valoir leur poids économique auprès de l’Etat français et de l’Union Européenne afin de faire en sorte que la législation leur soit le plus favorable, avec des systèmes de subventions et une régulation la plus faible possible. Ils font en sorte également de créer des salons grand public dont l’enjeu marketing sera extrêmement fort, comme la Paris Games Week. Les événements médiatiques comme les concours d’e-sport entrent dans la même logique, dans la mesure où ils promeuvent des jeux grand public, et sont sponsorisés, voire organisés par les grands éditeurs. Ils font également en sorte d’être le plus présent possible sur les médias spécialisés dans le jeu vidéo avec de la publicité, et ayant compris que ces médias spécialisés dépendaient presque exclusivement de leurs investissements pour vivre, ils font pression plus ou moins explicitement sur eux pour avoir une couverture médiatique toujours favorable.

Toutes ces pratiques ont pour conséquence de standardiser le jeu vidéo : les jeux vidéos produits ont toujours un caractère normé, même quand ils tentent d’innover, les régulations et soutiens institutionnels sont stabilisés et les couvertures médiatiques contrôlées. Le jeu vidéo, dans ce processus de légitimation, se définit bien peu à peu de manière fermée, dans le sens où ses contours sont de plus en plus nets.

…ou une définition “ouverte” pour le jeu vidéo ?

A l’inverse, les acteurs prônant une définition ouverte du jeu vidéo veulent promouvoir au plus haut point la créativité et l’ouverture des possibles pour le médium. Ce sont les acteurs du jeu indépendant qui veulent faire du “nouveau” tout en restant dans un cadre commercial, ou bien les acteurs du jeu alternatif qui entendent renouveler de fond en comble le jeu vidéo, en sortant de l’ensemble des cadres établis : mécaniques de jeu, discours et scénario, système économique et support habituels de jeu. Ces acteurs se refusent à limiter le médium : il doit être toujours renouvelé et toujours surprenant.

Cela ne veut pas dire qu’ils se refusent à toute forme de stabilisation et de structuration. Le coeur de la démarche consiste à proposer une structuration du milieu du jeu vidéo dont l’enjeu premier n’est pas la survie du système économique de création de jeux des grands éditeurs, mais dont l’ambition est de promouvoir les jeux créés et leurs créateurs dans leur diversité. La différence est importante : dans le premier cas, la définition du jeu vidéo est “fermée” parce qu’elle découle d’une structure économique préexistante. Dans le second, elle est “ouverte” parce que ce sont les créations vidéoludiques elles-mêmes qui définissent le secteur du jeu vidéo.

C’est pourquoi la majorité des éléments qui structurent le milieu du jeu alternatif et du jeu indépendant sont des événements, des forums, qui de plus mettent en avant soit la création de jeux, soit leurs pratiques : game jams, festivals, installations vidéoludiques, ateliers de jeux, débats… A la fois en raison de la fragilité économique du secteur et de la démarche générale, qui vise à promouvoir un foisonnement créatif d’initiatives, ces événements sont en général peu structurés, peu médiatisés, et peinent à se fédérer, surtout en France.

Deux définitions antagonistes ?

Bien qu’ils semblent s’exclure, ces deux processus de définition du jeu vidéo pourraient en fait dépendre l’un de l’autre. En effet, l’industrie du jeu vidéo a besoin aujourd’hui que des acteurs indépendants prennent des risques et inventent de nouveaux concepts afin de se renouveler. Le fonctionnement économique du média en cycles rapides de 5 à 10 ans l’oblige en effet à se remettre constamment en question. La définition “fermée” du jeu vidéo ne peut donc l’être complètement, au risque de faire mourir le jeu vidéo.

Par ailleurs, il se pourrait que la définition “ouverte” du jeu vidéo ne soit en fait qu’une première étape pour les créateurs de jeu vidéo qui souhaitent commercialiser leurs jeux. Une fois le succès commercial atteint en effet, les créateurs indépendants qui pérennisent leurs activités sont amenés à les structurer afin de se garantir une forme de stabilité. C’est ainsi que la scène du jeu indépendant commercial s’est construite en moins de 10 ans, en suivant un processus différent des grands éditeurs et en développant un vocabulaire propre, parce que leur histoire n’est pas la même, mais avec finalement des logiques similaires. Des outils de financement comme l’early access et les soldes de Steam deviennent la norme ; l’autopromotion permanente remplace les investissements médias dans la presse des grands éditeurs ; la créativité foisonnante est parfois oubliée au profit d’une tendance à “cloner” les grands succès ; un nouveau terme apparaît, presque ironique pour définir ces productions : ce sont des III, les AAA du jeu vidéo indépendant.

Une deuxième définition “fermée” du jeu vidéo, celle de la scène indépendante commerciale, apparaît ainsi aux côtés de la première, de celle des grands éditeurs. Et c’est un peu plus loin de la scène indépendante, que l’on considérait pourtant comme le renouveau du jeu vidéo en 2008, qu’est en train d’émerger cette nouvelle scène, que nous avons appelé scène du jeu alternatif, mais dont l’appellation elle-même n’est pas encore fixée.



Qu’est-ce que le jeu vidéo en 2016 en France ? C’est un média culturel et artistique de masse, à la diversité foisonnante, qui touche l’ensemble de la société sous des formes multiples. C’est une vision hégémonique, dictée par les grands studios, qui structure les représentations autour du jeu vidéo, au point que certains joueurs de jeu vidéo, ne s’y reconnaissant pas, ne se considèrent pas eux-mêmes comme joueurs alors qu’il ne quittent leur jeu sur smartphone que pour lancer un nouveau jeu sur Facebook. C’est aussi une scène indépendante aux mille visages, allant du jeu opportuniste commercial ou de la grosse production à plusieurs millions d’euros, au jeu alternatif dialoguant avec les arts numériques et les installations d’art contemporain. C’est un média jeune, fragile, qui connaît un double processus concomitant de légitimation culturelle et de définition de ce qu’il est. C’est un média dont les règles sont toujours ouvertes et s’écrivent malgré tout en permanence, même dans l’industrie la plus mainstream, à travers les pratiques des acteurs du jeu vidéo, les lieux de rencontre, mais aussi et surtout, la création de nouveaux jeux vidéo.

Nouveaux jeux

Life is Strange

Life is Strange

Spec Ops The Line

Spec Ops The Line

Johann Sebastian Joust

Johann Sebastian Joust

GTA

GTA

Eugenics

Eugenics

The Witness

The Witness