Perspectives

La controverse que nous avons étudiée sur l’extraction de l’uranium et ses conséquences sanitaires est une controverse complexe, animée par de nombreuses problématiques : juridiques, scientifiques, économiques, géopolitiques… qui se font écho.

Procédons désormais à un exercice de prospective, et posons-nous la question de savoir quelles pourraient être les évolutions de la controverse désormais. Quelles hypothèses pour les perspectives de résolution ?

Avant la catastrophe de Fukushima, de nombreux acteurs déclaraient la résolution de la controverse plus générale du nucléaire se résoudrait par l’accident. Nous sommes aujourd’hui à un moment de basculement de la controverse plus générale sur le nucléaire, qui aura un écho sur l’industrie de l’extraction à plus long terme, à un moment où des pays comme l’Allemagne annoncent leur intention de se dénucléariser. Si l’on met en parallèle cette possible décision avec l’exemple plus ancien de l’Italie, on peut avancer que la dénucléarisation de l’Allemagne n’aurait pour effet que de reporter les achats sur le producteur nucléaire français. Il semble peu probable que l’industrie de l’extraction française soit impactée dans les années à venir par Fukushima, si ce n’est par la hausse de la demande en uranium par les pays en voix de dénucléarisation.

Au Niger et au Gabon, le débat entre Areva et les acteurs ONG et associatifs semble figé dû à l’instabilité du pays. Depuis les événements nigériens de la fin 2010 (notamment l’enlèvement de sept collaborateurs d’Areva), les ONG françaises n’ont plus accès aux mines. Par conséquent, le suivi des Observatoires de la Santé n’a pas pu être assuré. L’instabilité du pays dessert les mineurs nigériens en rendant difficile tout projet de suivi. Cependant, l’instabilité nigérienne commence à être utilisée dans les discours des associatifs comme un argument en faveur de la construction de la figure du coupable idéal : Areva. Ainsi, l’instabilité locale est mise sur le compte de l’influence de l’industriel sur les populations locales. Areva est érigé en agent perturbateur de l’économie locale, destructeur du nomadisme, de l’économie pastorale et touristique. La crispation de la controverse sur l’enjeu géopolitique donne ainsi lieu à la réactivation sur le plan médiatique.

Si la controverse de l’extraction de l’uranium semble figée au niveau géopolitique, elle semble néanmoins être réactivée par ses sous-controverses juridique, scientifique et médiatique :

Sur le plan médiatique, la controverse de l’extraction de l’uranium a bénéficié d’une exposition accrue depuis la première diffusion du documentaire d’Hennequin en 2010. Le journaliste s’étonne lui-même de la « vie » qu’a connu son film par la suite, diffusé dans les meetings et les forums écologistes en France et à l’étranger. L’attention du public et l’intérêt des associations environnementales s’étaient jusqu’alors fixé sur les centrales, et les déchets radioactifs, négligeant l’extraction. Ce sursaut d’intérêt pour l’amont de l’industrie nucléaire pourrait être le signe de la reconnaissance progressive de l’enjeu de l’extraction comme pivot de l’argumentation générale sur la sortie du nucléaire. De plus, ce documentaire à permis de réhabiliter (dans une certaine mesure) Sherpa comme l’expert juridique de référence dans la controverse de l’extraction. (La crédibilité de Sherpa, l’acteur principal en matière juridique, est également largement remise en cause depuis la polémique du financement de Sherpa par Areva début 2010).

La sous controverse scientifique sur les doses de référence n’a pas un effet spectaculaire sur la controverse, mais un effet latent. Comme on l’a vu, la tendance et à l’abaissement des doses de référence de l’exposition en matière de radioprotection, ce qui conduit à des dispositifs sécuritaires plus exigeants. Cette tendance à la baisse pourrait également être le signe annonciateur d’une prochaine percée de la recherche sur le controverse des faibles doses et du système de la relation linéaire sans seuil (RLSS)
Elle est en tout cas, d’ores et déjà, le signe d’un basculement de l’expertise scientifique industrielle à l’expertise scientifique institutionnelle (en particulier de l’IRSN) et associative (en particulier de la Criirad).

Du point de vue des positionnements des acteurs, la controverse semble figée au niveau d’une opposition antinomique entre un discours homogène : celui de l’unique industriel ; et un discours hétérogène : celui de la multitude d’acteurs associatifs éclatée par des intérêts différents et un positionnement également différent sur la controverse plus générale du nucléaire (pour ou contre). On peut avancer qu’une mobilisation associative homogène sur le sujet des conditions d’extractions pourrait permettre de débloquer le débat entre acteurs associatifs et industriels. Cette homogénéité pourrait être accomplie de façon ponctuelle, par exemple lors de procès. Elle permettrait de faire émerger une population de victimes plus consistante afin de peser dans la balance des négociations sur les indemnisations.

Pour l’instant, les indemnités distribuées par Areva aux victimes de l’extraction le sont « gracieusement ». Elles sont le fruit des accords passés à titre privé entre Sherpa et Areva, mais la responsabilité d’Areva n’a pas été reconnue juridiquement. Nous étudions cette controverse à un moment de basculement intéressant, car suite aux accords, Sherpa avait annoncé que si Areva ne respectait pas ses engagements (ce qui est le cas du point de vue de l’association), Sherpa se lancerait dans un procès qui viserait à établir la responsabilité directe d’Areva dans la contamination des victimes des sites miniers. Si la responsabilité d’Areva était établie juridiquement, ce serait une première mondiale, qui aurait des conséquences importantes sur toute l’industrie (jurisprudence, indemnisations à grande échelle, nouvelles mesures de sécurité, nouveaux contrôles, quotas…). Le prochain moment de « décision » pourrait donc passer par une instance délibérative : des parlementaires s’immiscent et font une loi. Ce scénario reste probable car on a vu le même mouvement pour les vétérans français des essais nucléaires qui avaient alors bénéficié d’une loi d’indemnisation.