La controverse des machines à voter

M Guglielmi

 

 

                                                                                                                                                                                             

                                                       « Disons que c’est une façon d’être citoyen dans l’exercice de ma profession et de ma vocation. »

 

M. Guglielmi est universitaire légiste à l'universite Panthéon-Assas (Paris II). Intéressé par les questions technologiques (membre de l’Unité Régionale de Formation à l’Information Scientifique et Technique), il a pris position contre les machines à voter (sur son site internet), en particulier sur l'aspect légal. Il a en particulier réagi au communiqué de presse publié par le Conseil Constitutionnel, en contestant sa méthode et son raisonnement juridique.

 M Guglielmi a écrit trois articles sur le sujet et une brève (cf. les résumés ci-dessous). Nous avons eu quelques échanges de mails avec lui.

 

 

 

 ~ Article du 29 mars 2007, « Au feu les pompiers (constitutionnels) ! A propos du vote électronique ».

 

 

 

     Cet article est une réaction au communiqué de presse du Conseil Constitutionnel.

 

    Pour M. Guglielmi, l’affirmation du CC selon laquelle le CC s’est déjà exprimé sur la conformité des machines à voter est « une approximation » ou « une tentative de couper court à un soupçon grandissant sur la transparence et la sincérité des votes ». Le CC ne serait exprimé qu’indirectement, lors d’analyse de conformité de l’article 57-1, lors de modifications de l’élection du Président de la République.

 

     M. Guglielmi affirme que le communiqué de presse n’a aucune valeur juridique ; il remet en cause le raisonnement juridique effectué par le CC (qu’il qualifie de « hardie »).

 

« En conséquence, l’utilisation des machines à voter pourrait, sans aucun abus du droit de recours, être juridiquement contestée devant les juridictions françaises. »

 

     M. Guglielmi estime que le plus grave est que le CC se soit laisser « abuser au plan technique », les machines à voter actuelle n’ayant rien à voir avec les machines de 1969.

 

     M. Guglielmi estime que la position du CC « pourrait bien être qualifié[e] par certains de tentative de désinformation par usage d’un argument d’autorité »

 

M. Guglielmi prend position plus généralement, lors d'une réponse à une réaction sur son article :

 

 

« Un mouvement citoyen de grande ampleur pourrait être lancé au moment du vote. Tous les électeurs qui sont obligés à utiliser les ordinateurs de vote dans leur bureau peuvent saisir le président du bureau de vote d’une réclamation. Il en est de même des électeurs qui voteront de manière classique s’ils estiment que leur voix ne doit pas être mélangée, dans les comptages ultérieurs, avec des voix obtenues par un autre procédé, électronique et vulnérable. Ces réclamations sont la première étape d’un recours devant le juge électoral. Si elles sont nombreuses, elles prouveront ipso facto le doute qui pèse sur l’exactitude des opérations électorales. Ce doute disqualifie l’expression de la volonté démocratique. »

 

 

 

 

 

 ~ Article daté du 20 mai 2007 (mais avait été publié avant le 29 mars), « Machines à voter, vote électronique : vers des recours pour perte de confiance et rupture d’égalité ? »

 

     M Guglielmi rappelle le statu juridique des machines de vote.

 

     M Guglielmi explicite les facteurs d’inquiétudes (ce qu’il s’est passé en Floride, les déclarations « d’experts » selon lesquelles il n’est pas possible de vérifier le logiciel, que des fraudes sont possibles…)

 

     M Guglielmi rappelle que le phénomène de vote électronique ne se limite pas à la France. Il donne de nombreux liens vers des sites d’experts, de médias rapportant des preuves de falsifications, des abandons d’utilisations de machines par les pays…

 

« Sans aucun doute les ordinateurs de vote font peser sur les scrutins un soupçon d’obscurité et de fraude qui constitue une menace pour la légitimité de l’expression de la volonté démocratique. »

 

M. Guglielmi propose deux façons « de réagir » :

 

                                                  -en rapportant toutes les irrégularités

 

                                                  -en utilisant un formulaire proposé par N. Barcet (betapolitique)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 ~ Article du 20 avril 2007« Violer une disposition législative du Code électoral n’est pas une atteinte grave au droit de suffrage (TA Versailles ord. référé 17 avril 2007 - Machines à voter) »

 

Cet article est une réaction au jugement du tribunal administratif de Versailles.

 

« Le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rendu en ce sens une décision, rapportée par betapolitique. La circonstance que les machines à voter ne satisfassent point à l’article L57-1 du code électoral "ne permet pas, à elle seule, de caractériser une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue l’exercice du droit de suffrage", dit l’ordonnance de référé en date du 17 avril.

Donc l’organisation des élections en violation des dispositions législatives n’a pas de caractère de gravité.

Affirmation étonnante si l’on se souvient que le juge électoral a reconnu il y a dix ans et plus que le simple fait que l’urne ne soit pas transparente compromettait l’ensemble du scrutin...

Etant donné l’originalité de sa formulation, proche du paradoxe (certains diraient du sophisme), un tel jugement mérite certainement qu’il en soit interjeté appel. Le Conseil d’Etat se prononcerait ainsi dans les 48 heures avec toute l’autorité qui est la sienne. »

 

Si la décision du juge des référés peut être comprise, M. Guglielmi estime important que le Conseil d’Etat s’exprime.

 

M. Guglielmi effectue un raisonnement juridique tendant à montrer le caractère de gravité de l’introduction des machines de vote, en rappelant la jurisprudence (le juge a par exemple déjà considéré que le fait qu’une urne ne soit pas transparente est une atteinte grave aux libertés fondamentales)

 

 


 

 

 

 ~ Brève du 10 avril 2007, « Un vote électronique crédible serait possible »

 

M Guglielmi relate l’actualité américaine quant à la proposition de lois pour réglementer l’usage des machines à voter. Il renvoie vers différent sites proposant des solutions.

 

 

 

 

 

Echanges que nous avons eu avec M. Guglielmi

 

 Question par Lucas C. le 14 avril 2007

« [...]Votre article m’a intéressé, car jusqu’à présent seuls les informaticiens pouvaient prétendre au rôle "d’expert" dans cette controverse. Mais il semble y avoir aussi d’intéressantes chose à dire du côté du droit. Dès lors je souhaiterais vous poser la question suivante. Vous considérez vous comme un "expert" dans cette controverse technique ? Quels éléments votre statut de professeur de droit peut-il apporter à la controverse ? Militez-vous au contraire en tant que simple citoyen ?

 

Ma seconde question porte sur le vote en Floride en 2000. vous écrivez "Bien évidemment, on pense aux USA et à l’élection de Bush Jr en Floride. 18 000 bulletins avaient disparu, le candidat en tête n’avait que 369 voix d’avance, et les machines à voter ne prévoyaient pas de trace papier"

 

J’ai fait une recherche sur le sujet et dans tous les documents trouvés, il est précisé que les machines à voter électroniques ont été introduites APRES ce vote litigieux, justement pour résoudre les problèmes du recomptage. Je souhaitais avoir votre avis à ce sujet.[...] »

 

  Réponse de M Guglielmi :

 

« [...]Avant toutes choses, vous avez raison, il y a un lapsus calami (et calamiteux !). Ce n’est pas Bush Jr mais Buchanan (je n’ai pas écrit 2000, heureusement).

 

Me considère-je comme un expert ? oui, si c’est de la « technique » juridique et de l’histoire des systèmes juridiques et non de l’informatique (sur ce dernier point, pour des raisons circonstancielles, je suis seulement un ancien et bon connaisseur, ayant appris à programmer en APL en 1980 sur des « mini-ordinateurs » et co-fondé une formation d’ingénieur-technicien en informatique en 1988). On a dû me considérer comme tel pour m’inclure il y a cinq ans dans la commission de réflexion du Forum des droits sur l’Internet qui a formulé la recommandation sur le vote électronique...

 

Mon statut de professeur des Facultés de droit est lié à l’idée que je m’en fais (et qui mériterait un article en soi) dont le trait essentiel est l’indépendance de la pensée, raisonnablement fondée sur des résultats de recherche scientifique. Comme le droit public touche évidemment à l’organisation de la Cité, je considère comme faisant partie de ma fonction d’alerter tous les publics (juristes et non juristes) des inconvénients, des imperfections ou des oublis de l’Histoire et des principes fondateurs de la démocratie, avec pour but de toujours l’améliorer. Disons que c’est une façon d’être citoyen dans l’exercice de ma profession et de ma vocation. En revanche, je ne ferai jamais état du contenu de mes choix politiques en tant que citoyen.

 

Il me semble par ailleurs que la critique des affirmations péremptoires et des arguments d’autorité est nécessaire au débat démocratique et aussi à la confiance que nous devons porter à nos institutions. Un professeur de droit public, pleinement protégé par son statut d’indépendance constitutionnelle et qui en fait usage sans être influencé par un cumul (fonctions administratives qui peuvent lui être confiées par ailleurs ou profession d’avocat), est à mon avis le mieux placé pour rappeler quelques évidences et quelques bons principes que la société s’est donnés, lorsque la précipitation risque d’anéantir la réflexion et lorsque l’usage du pouvoir enfreint les garanties du droit. »

 

 

Réponses aux questions posées par Thomas M. (19 juin 2007) :

 


 

D'après vous, les déclarations du Conseil Constitutionnel du types de celles faites sur les machines de vote (lors des bilans de l'élection présidentielle
et dans les discours de M. Debré), sont-elles ordinaires (tant sur la forme que sur le fond) ?

 

Ces déclarations sont ordinaires dans la mesure où il entre tout à fait 
dans la mission du CC de faire le bilan des questions de régularité des
élections dont il proclame les résultats (et de communiquer à ce
propos). La forme correspond au style de chaque président.
On peut
toutefois se demander quelle est la compétence du Conseil pour apprécier
la psychologie comportementale des électeurs, mais c'est une question
qui entrerait dans un débat de fond...

 

 

Comment considérer les propositions du CC (je pense à la suggestion faite de retirer les machines pour le second tour, à la proposition de "relier les
machines en grappes", à l'affirmation du principe juridique de "une machine=un urne=un isoloir"...) ? Quel est le caractère juridique de telles déclarations ?

Il s'agit d'une interprétation des textes par le Conseil en tant que
"surveillant" de la régularité des élections. Ce faisant, il à tendance
à dire ce qui lui paraît opportun, au vu des textes, pour lever tout
doute juridique ultérieur sur la régularité des opérations. Ce sont des
"conseils". Mais il ne produit pas de normes dans cette activité et les
autorités administratives organisatrices de l'élection n'ont pas
d'obligation juridique de se conformer à cette interprétation.

Est-il habituel que le CC mette en lumière des jugements de première instance,
tels les contentieux liés aux machines de vote devant les tribunaux
administratifs (http://www.conseil-constitutionnel.fr/dossier/presidentielles/2007/documents/mav/index.htm ) ?


Ce n'est pas habituel, mais ce n'est pas anormal que le CC le fasse dans
un dossier documentaire, étant donné que le contentieux électoral est
partagé avec le juge administratif, que la question est nouvelle et
qu'elle n'a pas donné lieu à beaucoup de décisions juridictionnelles.


Pensez-vous que les décisions de ces tribunaux sont justifiées en terme de
raisonnement juridique ?

Ce sont des décisions de justice et elles sont motivées. Donc leur
raisonnement juridique est justifié. En revanche ces décisions de
première instance n'ont pas valeur de jurisprudence car la juridiction
suprême de l'ordre ne les a ni confirmées ni infirmées. Leur
raisonnement pourrait en effet être désavoué par le juge "supérieur"
dans l'exercice d'une voie de recours.

Pour relier les deux dernières questions, je trouve tout de même
pernicieux que le CC mette en ligne seulement ces décisions alors que
celles de Courdimanche condamnent les requérants à payer 800 euros à
titre de frais non compris dans les dépens, ce qui me paraît tout à fait
inéquitable et d'une dissuasion contraire à l'esprit même du contentieux
électoral (il ne s'agit pas de raisonnement juridique mais du coeur même
de l'acte de juger).