Interview téléphonique de Roland Goigoux

Roland Goigoux est professeur des universités IUFM d’Auvergne. Il est formateur des inspecteurs, des cadres de l’Education Nationale depuis 10ans. Il dirige un laboratoire qui étudie les pratiques des enseignants.

 

Quelle place avez-vous jouer dans cette controverse sur les méthodes de lecture ?

J’étais dans la controverse : je me demande si c’est parce que j’ai été évincé de mon poste de formateur que la controverse et l’emballement médiatique ont débuté. Il faut commencer par souligner l’importance des heurts en banlieue. Un raccourci est rapidement fait par tout le monde : des voiture brûlent parce que des jeunes sont mal éduqués et c’est en fait la faute des méthodes globales. Le bouc émissaire idéal est donc l’école. Je fais parti de ceux qui veulent diminuer cette incrimination de l’école.Sur l’embrasement des banlieues, Sarkozy et De Villepin se sont exprimés mais pas le ministre de l’éducation. La base de cette controverse est donc que Gilles De Robien a voulu reprendre le contrôle. 

En 2006, qu’en est-il des méthodes d’apprentissage de la lecture dans les écoles ?

En 2002, le livre des programmes de l’école est réédité (éditions Jacob). Jack Lang déclare déjà à l’époque que la méthode globale ne devrait pas être enseigné. Donc Gilles De Robien reprend ce que Jack Lang avait déjà écrit. Jack Lang s’est d’ailleurs quelque peu moqué de Gilles De Robien à ce sujet. Il n’y a donc pas de controverse sur la méthode globale ! La controverse a grossi parce que De Robien a durcit sa position en passant à l’autre extrême : tout ce qui n’est pas syllabique n’est pas bien. En effet, au bout d’un moment, Gilles De Robien a voulu imposer à tous les enseignants la méthode syllabique : or aujourd'hui, seuls 1 à 2% des enseignants l’utilisent. J’ai alors personnellement réagi car Gilles De Robien montrait vraiment une méconnaissance de l’école et un mépris total des enseignants. Et c’est parce que je n’étais pas ‘bien pensant’ que j’ai été écarté de mon poste.

Vous semblez différencier plusieurs phases dans la controverse ?

En effet, la controverse est clairement partie de positions idéologiques mais s’est développée avec d’autres facettes :

Il y a d’abord eu une facette idéologique sur la pédagogie:
De Robien dit non aux pédagogies post-68, il ne faut pas selon lui utiliser une pédagogie qui parie sur l’intelligence enfantine. Selon le ministre de l’Education, un enfant a besoin d’appliquer les règles, donc on a mis en avant une conception « transmissive » de la pédagogie : il faut des règles pour les enfants. Le « tâtonnement » doit être exclu dans l’enseignement de la lecture. 

Ensuite, on s’est servit des erreurs commises par les pédagogues dans les dernières années; mais les inspecteurs les avaient déjà listés. Donc je ne conteste pas qu’il y avait des erreurs mais pour moi, les programmes de 2002 avaient déjà améliorés les choses. Donc il fallait simplement continuer l’amélioration qui avait été amorcée. J’avais ainsi une position critique mais encore trop nuancée pour le ministre.

Ensuite, la controverse s’est servit de la science : Gilles de Robien avait besoin de fondements.
Au début, il a eu de son côté des gens qui n’avaient pas bien compris : ces chercheurs pensaient que Gilles De Robien voulait mettre en avant le déchiffrage. Mais quand ces chercheurs (notamment Ramus) ont réalisé que De Robien voulait imposer la méthode syllabique, ils ont écrit publiquement qu’on ne pouvait pas faire dire n’importe quoi aux recherches. Donc les recherches scientifiques ne disent pas que la méthode syllabique est meilleure ! Aux Etats-Unis, les méthodes semi-globales ont été étudiées et il a été établi qu’elles étaient supérieures.
Donc les arguments de Gilles De Robien se sont écroulés peu à peu. En Octobre 2006, il a alors convoqué des scientifiques notamment Franck Ramus : Ramus a affirmé qu’il y avait 2 travaux sérieux en France et que l’un d’entre eux est celui de Goigoux. Gilles De Robien est alors en mauvaise posture.
Nicolas Sarkozy a même critiqué Gilles De Robien : dans une émission sur France Inter le ministre de l’Education avait expliqué aux instituteurs comment ils devaient travailler. Sarkozy a dit alors que Gilles De Robien était trop dirigiste. Nicolas Sarkozy défend les enseignants, il est pour la liberté pédagogique. Pour lui, il faut une politique libérale dans l’éducation : évaluer les résultats des élèves.


Qu’en est-il de la vérité sur les problèmes actuels des enfants ? Est-ce qu’aujourd'hui les enfants savent moins bien lire, sont moins bons en orthographe… ?

Sur l’orthographe, selon une étude de personnes très progressistes, le fait de consacrer moins de temps à cet enseignement a eu pour conséquence une baisse de niveau. Pour la lecture : aucune étude ne montre de baisse de niveau. La France a un niveau moyen dans ce domaine par rapport à d’autres pays mais il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Je pense personnellement qu’on peut faire mieux  car aujourd'hui  5% des enfants en 6ème ne savent pas lire et 10% en 6ème lisent très mal. Ces chiffres sont les mêmes qu’il y a 20 ans : il n’y a pas de dégradation ! Gilles De Robien a en fait 20 ans de retard : son point de repère sont les instructions de 1930! Ce qui a fait cette controverse, c’est qu’au lieu de vouloir faire des réglages, De Robien a voulu faire quelque chose de brutal.

Que pensez-vous du rôle joué par les journalistes et les autres personnalités politiques dans cette controverse ?

Dans l’histoire, les journalistes sont très ignorants : pour eux il y a seulement une opposition entre syllabiques et globales et les méthodes mixtes ne sont pas importantes.
D’autre part, avec Fayol (professeur de psychologie), j’avais voulu entrer dans le détail des méthodes pour dépasser l’opposition caricaturale des méthodes. Nous voulions jouer sur les paramètres, c'est-à-dire sur les phonèmes, les graphèmes… Nous avions donc proposé une grande étude à Ségolène Royal quand elle était au ministère pour étudier les méthodes effectives des enseignants. Elle a refusé. C’est comme si, moins on en savait sur le sujet et mieux c’est ! 

Pouvez-vous nous parler de la méthode intégrative, que vous défendez ?

L’idée de la méthode intégrative, c’est qu’on ne peut pas compter seulement sur l’enseignement du déchiffrage. Il faut simultanément le déchiffrage, l’encodage, les sons, la compréhension syntaxe-phrase, la compréhension du texte, le travail ‘culturel’ c'est-à-dire donner des références simples aux enfants. Il est nécessaire de faire tout ça en même temps ! Et cela n’est rien d’autre que ce qu’il y a d’écrit dans les programmes. J’estime donc toujours être resté loyal envers la loi mais pas envers le ministre, qui lui n’était plus respectueux de la loi. J’avais contribué à écrire les programmes et je dirige aujourd'hui un laboratoire que analyse beaucoup les travaux des enseignants. Il y a un vrai problème de dosage entre le scientifique et la pédagogique notamment dans les méthodes d’apprentissage de la lecture : je suis à l’interface, je suis donc très concerné par tout ça.

Y a t il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?

Sans composante idéologique, ce débat est dur à comprendre.
Je voudrais aussi ajouter que les gens défendant la méthode syllabique le font de bonne foi parce que des maître continuent parfois à certains endroits comme dans les années 80. La famille est alors inquiète pour de bonnes raisons. Et quand, le ministre affirme « la méthode syllabique est la bonne méthode », au moins, il rassure ces familles ! Mais il ne faut pas être dans le tout ou rien. Il faudrait nuancer toutes ces positions pour ne pas attiser les craintes de tous les camps.

 

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