Interview Mme Deschamps (orthophoniste).

Quel a été votre parcours professionnel ?

J’ai fait l’école d’orthophonie après le bac et depuis j’exerce depuis 22 ans.

Quelle est votre opinion en tant qu’orthophoniste sur le sujet du débat sur les méthodes de lecture ?

Selon moi, je pense que c’est du foin pour rien. La méthode globale est très peu enseignée comme telle : je n’ai jamais vu d’enfant qui apprenait avec cette méthode, ils sont forcés de repasser par les sons tôt ou tard. Donc j’ai vu des méthodes qui commençaient par le global mais qui finissaient par arriver tôt ou tard à la syllabe et aux sons. C’est une question de personne : ce que l’enseignant sait faire ou  ne sait pas faire. Et c’est aussi une question d’enfant. Certains enfants sont prêts à apprendre à lire et d’autres qui le sont pas pour d’autres raisons.

Comment se passe l’apprentissage de la lecture des enfants ?

Nous, enfin la plupart des orthophonistes, nous nous basons sur des théories de chercheurs. Je me base pour ma part sur une théorie à deux voies, mêle le global et l’analytique :

    1. L’adressage : enfant a un mot de façon global dans la tête (maman) ; mot qui a une résonance affective, et que tous les enfants peuvent lire.

    2.  Voie des sons : mot qu’on a jamais vu auparavant : on utilise la voie des sons ; puis progressivement l’enfant le mémorisera et n’aura plus besoin de passer par la voie des sons.

 Donc l’enseignement doit travailler les deux.

Mais faut-il ensuite s’adapter à chaque enfant ?

L’apprentissage de la lecture est avant tout une rencontre de personnes : l’enfant et l’adulte. On a plusieurs méthodes : méthodes syllabiques quand on commence par les syllabes, méthodes phonologiques ou analytiques quand on commence par les sons. Si les enfants ont tout ce qu’il faut pour apprendre à lire, peu importe quelle méthode utilisera l’enseignant pour apprendre à lire, l’enfant apprendra à lire. Il y aura un problème quand l’enseignant ne possède pas vraiment bien ses bases théoriques ou pédagogiques ou quand l’enfant a un contexte particulier. Donc bien sûr que les enseignants doivent s’adapter à l’enfant car tous les enfants n’ont pas les  mêmes chances : on revient au thème de l’égalité à l’école. Je trouve qu’on est de moins en moins dans des conditions égalitaires : les facteurs sociaux, psychologiques et médicaux doivent être pris en considération. On en arrive alors à la dyslexie : chez un enfant dyslexique, on sait maintenant par imagerie médicale qu’on voit des différences dans le traitement des sons. Ces enfants là auront plus de mal et apprendront à lire moins vite. Donc il faudra s’adapter : d’où l’intérêt de la pédagogie différenciée. J’admire les enseignants qui sont au milieu de tout ça. 

De Robien s’appuie sur le constat de l’augmentation des cas de dyslexie pour justifier sa circulaire, qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas d’accord pour deux raisons : j’estime que quand les politiques ont lancé cette controverse, c’est bien, ça occupe les gens et donc pendant ce temps on peut faire autre chose. Il me semble qu’on dépiste de mieux en mieux les troubles de la dyslexie donc on en trouve davantage. De plus, l'évolution de la vie sociale peut amener les enfants à être mal dans l’apprentissage sans être dyslexique : qu’est-ce qu’on fait pour ces enfants là ?
De plus, aujourd'hui, les parents ne sont pas toujours disponibles pour aider les enfants : les mères travaillent, il y a beaucoup de trajets en voiture car on habite en dehors des villes… Donc les enfants ont moins de temps pour travailler et ils sont moins accompagnés par les parents, l’école doit donc s’adapter à ça. 

Est-ce que la méthode semi-globale peut déclencher la dyslexie ?

C’est un faux problème, il y a toujours un ensemble de facteurs qui déclenche quelque chose.

Il existe 3 types de dyslexie :

- la dyslexie phonologique
- la dyslexie de surface (visuel)
- la dyslexie mixte

C’est le développement neurologique, la construction du cerveau qui est en cause. Je ne pense pas qu’une méthode en elle-même provoque une dyslexie. Il peut y avoir cependant un malmenage pédagogique, mais ce n’est pas de la faute de la méthode mais de la personne.

Que pensez vous du raccourci qui consiste à dire que le mauvais apprentissage de la lecture est la cause direct de l’échec scolaire en 6ème ?

Je pense qu’on évacue tous les facteurs environnementaux et sociaux.

Que pensez-vous du rôle des enseignants dans tout ça ?

Ils sont énervés par ce type de controverse : ils ont un savoir faire, ils ont un ensemble d’enfants qui leur sont passés entre les mains… C’est bien de travailler en se questionnant sur ce qu’on fait bien mais bon… Sur  Gilles De Robien : c’est facile de pointer et de dire ‘c’est la faute à’. Je ne crois pas au facteur unique.

En tant que parent, que pouvez-vous nous dire ?

J’ai été attentive à l’apprentissage de la lecture de mes deux enfants. Les deux ont appris à lire avec une méthode semi-globale mais pas la même.

L'une des méthodes fonctionnait avec l’environnement : il y avait des étiquettes avec des mots comme 'chaise', 'table'… Mais cet enfant était prêt à apprendre à lire, donc il aurait appris avec n’importe quelle méthode.

Donc c’est toujours une histoire de rencontre entre l’enfant et l’enseignant. Il est à noter quand même, qu’une méthode ne doit pas faire intervenir les sons trop tard. Le facteur qui ne trompe pas pour un orthophoniste pour savoir si un enfant apprend bien à lire : quand il bute sur les sons du ‘c’ et les sons du ‘g’ c’est sur qu’il y a un problème.A propos de Gillles De Robien : c’est un peu facile pour un ministre de toucher les thèmes qui opposent parents et enseignants, qui réactivent des antagonismes entre les deux. Il y a aujourd'hui une perte de confiance des parents dans les enseignants. Or pour moi, il faudrait un vrai partenariat entre les enseignants et les parents.

Etes-vous d’accord avec le chiffre avançant 10% de dyslexie ?

Pour moi, seulement 5 à 8% le sont vraiment. Il faut distinguer les faux des vrais dyslexiques.

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