Le projet

Grand Large

Le Projet Grand Large à Dunkerque est un exemple d’écoquartier français pertinent pour notre étude car il montre que le concept de la durabilité n’est pas encore stabilisé à l’échelle de la ville et du quartier. La définition même du quartier Grand Large évolue dans le temps et en fonction des différents acteurs impliqués. Ecoquartier à ses débuts, il est considéré pour certains comme une résidence normale, ou pour d’autres comme un quartier de logements sociaux.

De plus, le Projet Grand Large diffère également de la définition du quartier durable proposée par le label EcoQuartier du Ministère du Logement et de l’Habitat Durable, notamment parce qu’il n’a jamais obtenu le label (volontairement ou non). C’est donc grâce à l’ensemble de ces éléments que nous montrerons en quoi s’affrontent diverses définitions concurrentes de la durabilité à travers le projet Grand Large à Dunkerque.

Les acteurs interviewés

Michel Delebarre

Michel Delebarre a été Maire de Dunkerque de 1989 à 2014. C’est lui qui est à l’initiative du projet d’écoquartier Grand Large. Son objectif était de rénover les anciennes friches industrielles de la ville de Dunkerque. Très impliqué dans la conception de ce projet, il prononcera en décembre 2004 devant les acteurs qui participent de la conception du Grand Large, un discours dans lequel il délivre sa vision du quartier idéal. Discours qui sera repris pour lancer le grand concours d’architectes-urbanistes pour le projet. Michel Delebarre se souciait assez peu de la labellisation EcoQuartier, car il n’en voyait pas l’utilité. Le changement de mairie en 2014 et le remplacement de Michel Delebarre par Patrice Vergriete aura de nombreuses conséquences sur l’avenir du Grand Large.

Madame X

Responsable de la Maison du Quartier Grand Large à Dunkerque, elle a souhaité resté anonyme. La maison du quartier a deux objectifs: elle doit favoriser le lien et la cohésion sociale au sein du quartier et vise à rendre les habitants maîtres de leur environnement.

Nicolas Michelin

Nicolas Michelin est architecte-urbaniste. Il dirige l’agence ANMA, Agence Nicolas Michelin et Associés. C’est un acteur engagé contre la labellisation qui s’exprime au cours d’exposition sur la construction de la ville durable, notamment lors d’une exposition en Mai à la Manne, dans le 10ème arrondissement de Paris. Pour l’exposition intitulée “Pour une nouvelle conception de la ville durable”, Nicolas Michelin prend la parole en publiant également un manifeste signé par 100 autres acteurs.

Franck Faucheux

Franck Faucheux, ingénieur-architecte à l’ANRU, Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, membre de la mission de préfiguration de l’Institut pour la Ville Durable. De 2005 à 2008, il est en charge du programme d’expérimentation des Villas Urbaines Durables, dans le cadre duquel il s’implique lors de la construction du quartier Saint Jean du Jardin à Châlons-sur-Saône, ultérieurement labellisé EcoQuartier. Dans le même temps, il commence à s’intéresser à des des initiatives du Nord de l’Europe, les “éco-neighborhoods”. Franck Faucheux sera le pilote de la démarche nationale EcoQuartier, de 2008 à 2014.

Rebecca Pinheiro-Croisel

Rebecca Pinheiro-Croisel est ingénieur-urbaniste et ancienne chercheuse aux Mines Paris-Tech, elle est l’auteure de la thèse “”Innovation et éco-conception à l’échelle urbaine : émergence et modèle de pilotage pour un aménagement durable” publiée en 2013 sous la direction de Franck Aggeri. A travers cette thèse, elle cherche à caractériser les nouveaux instruments et éléments de langages mobilisés dans le cadre de projets urbains innovants, et notamment les écoquartiers. Elle montre également comment le label, véritable outil d’éco-conception, dote les acteurs d’une véritable méthodologie dans la conception d’un écoquartier.

Note avant lecture  

Nous avons choisi d’étudier plus spécifiquement le cas de Dunkerque, parce qu’il s’agit du premier quartier non labellisé dont nous avons entendu parler lors de notre entretien avec Rebecca Pinheiro-Croisel. Cet écoquartier impliquait également des acteurs reconnus pour leur engagement contre le label. Par exemple Nicolas Michelin, architecte-urbaniste du projet Grand Large à Dunkerque. Quant à Michel Delebarre, ancien maire de Dunkerque et initiateur du projet Grand Large, il évoque la non-obtention du label selon ces termes, il “n’y voyai[t] pas d’intérêt”. Dans le même temps, d’autres acteurs comme Frank Fauckeux, porteur du concours national EcoQuartier, sont positionnés d’une manière plus critique envers ce quartier. Franck Faucheux explique que le quartier aurait pu bénéficier de l’expertise permise par le label, ce qui n’a pas été le cas et a par la suite pu être dommageable pour le quartier: “aujourd’hui on se dit, que s’ils avaient déposé un dossier écoquartier on les aurait mis en alerte sur certains points”. Ainsi, le choix d’étudier le projet Grand Large à Dunkerque s’est fait naturellement et s’est imposé au fil de nos entretiens et de nos recherches que nous avons orientées en conséquence.

Il convient donc de s’intéresser à la démarche de construction du projet Grand Large à Dunkerque, afin de comprendre en quoi ce projet, construit dans le but de réaliser un écoquartier, est aujourd’hui dans une situation ambivalente où la réussite du projet est questionnée. Nous aborderons la question de la labellisation du quartier plus en détail, ainsi que la réalité du quartier aujourd’hui, que nous avons visité en avril.

Genèse du Projet Grand Large 

Les origines du projet Grand Large remontent aux années 80, lorsque la crise des chantiers navals touche Dunkerque et aboutit à la fermeture de la Normed (le chantier naval).

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La Normed dans les années 70 (source: http://randovelonature.canalblog.com)

Ainsi, toute la partie Nord, de la ville, très proche du centre ville de Dunkerque, devient une zone délaissée de 150 hectares de docks, môles et bassins à entièrement dépolluer. En 1988, un syndicat mixte associant la ville, le port et la communauté urbaine de Dunkerque est créé pour ré-investir ces friches industrielles.[1] “Ces friches industrielles deviennent alors une opportunité foncière pour un centre ville jusqu’alors limité dans son extension, peu attractif”. En 1989 est élu Michel Delebarre comme maire de Dunkerque. L’équipe municipale décide alors de prendre en charge le projet et de l’intégrer dans un projet global d’agglomération[2]. L’ensemble de la zone est regroupée sous le terme “projet Neptune”.

Le Projet Neptune débute officiellement en 1991. Le master plan (c’est-à-dire la vision d’ensemble future du projet d’un point de vue architectural) du projet est dessiné par l’architecte Richard Rogers. Il visait à « reconquérir » la ville au travers d’un ensemble de projets urbains cohérents entre eux et vis-à-vis du territoire. Ce master plan déterminait des transformations majeures sur les anciens terrains du port maritime. Ainsi, la zone à revitaliser, correspondant à des friches industrielles, a été divisée en deux parties : la partie nord a été destinée à recevoir des équipements publics et du tertiaire (fonds d’art contemporain FRAC, bowling, piscine, auberge de jeunesse et hôtels) et a fait l’objet d’une ZAC (Zone d’Aménagement Concertée) en 1995. La ZAC est une procédure d’urbanisme opérationnel, qui permet à une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation, de réaliser ou de faire réaliser l’aménagement et l’équipement de terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés[3]. La partie sud a également fait l’objet d’une ZAC, créée en 2002, mais à but résidentiel. C’est bien cette dernière qui nous intéresse, car c’est ici que la mairie décide de construire ce qui a pour but de devenir un écoquartier, le quartier “Grand Large”.

Ainsi, le quartier Grand Large avait pour objectif d’accompagner la mutation urbaine du centre de l’agglomération. D’après l’étude réalisée par l’AUCAME, la construction de ce quartier durable devait répondre au plan stratégique de l’Agenda 21, adoptée par le Sommet de la Terre à Rio en 1992[4]. Le quartier devait reposer à la fois sur des aspects sociaux (mixité et diversité), environnementaux (gestion des eaux de pluies, énergie renouvelable) et économiques (flexibilité des produits et phasage opérationnel).

Également, la même étude révèle que la municipalité souhaitait mettre en pratique les engagements pris lors de la signature de la charte d’Aalborg[5], signée en 1994 lors de la conférence européenne sur les villes durables. Cette charte prône une densité et une mixité des fonctions urbaines au service du développement durable.

Notre entretien avec Michel Delebarre valide cette vision. Il explique: “on a pris en compte toutes les législations qui existaient au-niveau des normes des bâtiments, et on a décidé de faire des logements sociaux”.  

Il ajoute: “Dés les origines, on était décidés à aller vers un écoquartier”. “C’était un quartier qui avait pour but d’être un modèle, d’être une identification pour les quartiers voisins qui pourraient s’en inspirer”.

Ainsi, les caractéristiques premières du projet semblent bien correspondre à des attentes et ambitions portée par les écoquartiers en France: respecter des principes de mixité sociale, favoriser une gestion vertueuse des ressources environnementales, instaurer une diversité fonctionnelle du quartier, expérimenter à l’échelle d’un quartier.

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Le processus collectif et novateur de la création du quartier Grand Large

Comme précisé juste au-dessus, la volonté de créer un écoquartier à l’emplacement des anciennes friches industrielles remonte à la genèse du projet. Cependant, la détermination des grandes lignes, principes et objectifs du projet s’est faite selon une dynamique particulière, analysée par Rebecca Pinheiro-Croisel dans sa thèse. Ainsi, aucune forme de labellisation ou grille préexistante n’a été utilisée pour fixer les orientations du projet. Il y a eu une dynamique novatrice dans les interactions entre les différents acteurs (aménageur, Communauté Urbaine de Dunkerque, promoteurs immobiliers et bailleurs sociaux) pour définir les grands principes et objectifs du projet Grand Large, et à travers lui une vision d’un quartier durable.  

En effet, chacun des acteurs de la chaîne de construction ont endossé le rôle de concepteur pour penser l’écoquartier et le définir. Cette partie montre également l’importance du maire Michel Delebarre dont l’engagement au sein du projet a été déterminant pour son orientation et la façon dont il a été construit (entretiens avec Nicolas Michelin, Madame X de la maison du quartier de Grand Large, Rebecca Pinheiro-Croisel). Cette partie s’appuie en grande partie sur la thèse de Rebecca Pinheiro-Croisel, “Innovation et éco-conception à l’échelle urbaine : émergence et modèle de pilotage pour un aménagement durable” publiée aux Mines Paris Tech en 2013.

        L’importance de la figure du Maire dans les pratiques de construction des écoquartiers"

Ainsi, après la création d’une Zone d’Aménagement Concertée en 2002, en décembre 2004, le maire de Dunkerque Michel Delebarre donne une conférence devant le parterre d’acteurs réunis pour la construction du quartier Grand Large.  Il décrit la vision du “quartier idéal” qu’il (et à travers lui certainement un collectif d’acteurs l’ayant conseillé) souhaite réaliser à Grand Large. Le briefing du projet du quartier Grand Large est ainsi constitué des douze pages de l’interview du maire du Dunkerque. Il ne nous a pas été possible de mettre la main sur ce document, seule la thèse de Rebecca Pinheiro-Croisel analyse et résume ce document.

Dans ce discours, Michel Delebarre évoque les orientations à éviter pour ce nouveau quartier:  « L’étalement urbain, les centralités concentrées (centres déconnectés de l’ensemble de la ville), un quartier touristique (ou industriel) déconnecté de l’urbain, l’excentrique (« confetti » agaçant dans une ville), le quartier figé tel une photographie du centre-ville. » Il évoque également précisément une vision détaillée du quartier :  “lutte contre la hausse des factures énergétiques », accroissement de l’attractivité du quartier afin d’éviter « l’exode urbain » par la présence d’espaces privatifs et partagés, commerces, bassin d’emplois et équipements publics.”

En résumé, Michel Delebarre veut faire de ce quartier Grand Large, « un morceau exemplaire en tant que partie d’une ville durable ». 

Lors de notre entretien avec Michel Delebarre, il nous a également livré la vision qu’il avait du quartier à l’époque :

“Le nouveau projet avait pour but de conserver un patrimoine industriel avec certains bâtiments comme la Maison de Syndicats, qui deviendra la Maison du Quartier. Le quartier Grand Large avait pour ambition d’être un écoquartier, notamment parce qu’il voulait mettre en place certains systèmes innovants comme la collecte de déchets propre à un écoquartier. Il s’agissait d’un quartier très connecté au centre ville avec une hiérarchisation des transports qui donnait la priorité aux mobilités douces.

De même, Rebecca Pinheiro-Croisel évoque les autres acteurs du projet : les promoteurs immobiliers, les bailleurs sociaux, l’aménageur et la Communauté Urbaine de Dunkerque, ont également occupé le rôle du concepteur. Ce sont eux qui ont démarré les premières esquisses conceptuelles du quartier, à partir du brief donné par le maire.

Cette réflexion, explique Rebecca Pinheiro-Croisel, est née d’un besoin de définir ce que pouvait être l’écoquartier et à travers lui le concept de durabilité et comment ils pouvaient appréhender cet objet à partir de leurs professions respectives. 

D’après les propos de la Communauté Urbaine de Dunkerque, le but du projet était de se donner “un temps d’exploration”, afin de ne pas figer à travers une grille d’objectifs le contenu ou la forme urbaine du projet. Les questions s’articulaient notamment autour du bilan financier, des retours sur investissement, du marketing, de l’immobilier, des coûts de maintenance, du prix de la construction, du prix de vente...etc.

Petit à petit ces moments de réflexion permettent également de discuter de l’usage qui sera fait du quartier par les futurs habitants : « Nous pouvons prévoir des entrées dans les bâtiments ainsi que des espaces publics plus adaptés aux personnes âgées que ceux que nous voyons d’habitude dans les villes. » « Le vert doit être très présent dans l’espace public pour enrichir le cadre de vie. Ça sera une bonne réponse aux attentes des habitants et leur souhait d’habiter dans un village plutôt que dans la ville, leur désir d’avoir une maison avec un jardin. » « Il faudrait que les gens aient le sentiment d’habiter dans un quartier ordinaire de la ville, vert, fonctionnel, à taille humaine.»

A cette étape du projet, il n’est cependant pas encore possible de repérer une éventuelle implication de riverains dans le processus de définition du quartier Grand large.  

En somme, le processus d’élaboration du projet Grand Large à Dunkerque s’est fait à travers une dynamique dans laquelle les acteurs se sont fortement mobilisés et ont participé collectivement à la définition du quartier. Les interactions qu’ils ont eu entre eux a favorisé des échanges de rôles. Le maire, l’aménageur, la Communauté Urbaine de Dunkerque, endossant tous le rôle de concepteur. Il est intéressant de constater qu’ils ne se sont donc appuyés sur aucune grille préexistante, ce sont au contraire leurs réflexions qui ont conduit à la naissance du quartier Grand Large.

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Mise en place et construction du projet Grand Large

La construction du projet du quartier Grand Large débute réellement en 2008. Cette fois, la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD) à l’origine du Projet Grand Large a cherché à associer le secteur privé. La CUD a alors lancé un concours et demandé à des groupements de promoteurs de faire des propositions en évaluant la charge foncière, les coûts de construction et la rentabilité des investissements. Le groupe Nexity a été retenu pour travailler sur les choix d’aménagement. Ils ont ensuite organisé un concours pour faire appel à un architecte urbaniste qui devra faire un plan d’ensemble du quartier, et effectuer la première réalisation en tant qu’architecte. C’est l’agence ANMAA de Nicolas Michelin qui a été retenue. Lors de notre entretien avec Nicolas Michelin, celui-ci a pointé l’importance du triangle d’acteurs Maire-Aménageur-Urbaniste. L’architecte urbaniste est en charge de la cohérence d’ensemble du projet, le maire est très important car c’est lui qui possède l’idée de départ et en est l’initiateur, et l’aménageur est celui qui construit le terrain. Les trois acteurs travaillent main dans la main, et sont indispensables les uns par rapport aux autres.

        Les différents acteurs de la construction.

Rebecca Pinheiro-Croisel souligne que Nicolas Michelin, “grâce aux interactions dynamiques avec les acteurs, qui l’ont invité à une redéfinition de son rôle ainsi qu’à son implication dans l’action collective, a incarné une identité professionnelle autre que la sienne propre : il est devenu un concepteur légitime.” 

Ainsi, lors de notre entretien, Nicolas Michelin souligne certaines consignes et critères préalablement fixés par le processus itératif analysé par Rebecca Pinheiro-Croisel:

  • Il y a un coté social, de la mixité, des logements sociaux et des logements en accession;
  • Une mixité de fonction, avec des commerces, des habitations, etc
  • Un coté circulation, transport, minimiser l’impact de la voiture, des rues piétonnes, des bus et des parkings en petit nombre,
  • Il faut s’arranger pour que les bâtiments soient vertueux, basse consommation, que le réseau de chaleur, le chauffage de tout ses bâtiments soient vertueux
  • Faire en sorte que la nature en ville soit présente”

Ces objectifs semblent correspondre peu ou prou aux objectifs mis en place par le concours national EcoQuartier. En comparant ces objectifs avec la première grille d’évaluation des EcoQuartiers (qui date de 2009), on s’aperçoit que les différents piliers prônés par cette grille sont intégrés dans les objectifs du quartier. Cependant, dans les objectifs donnés à l’architecte urbaniste, aucune mention n’est faite d’objectifs de gouvernance et d’implication des habitants dans les décisions relatives à la construction du quartier.  

La construction durable formalisée par la grille EcoQuartier

Or, Michel Delebarre insiste sur la dimension collective de construction du quartier. “On a fait en sorte que les habitants puissent intervenir.”

Il ajoute: Il y avait déjà un certain nombre d’habitants déjà sur le site, et ils ont participé aux décisions. La maison de quartier a été l’instrument les associant. Il y avait des réunions pour discuter et débattre. Il y avait des gens qui habitaient déjà autour du quartier. [...] C’est un projet qui a suscité l’adhésion. Le président de la maison de quartier était un homme qui avait un certain charisme, ça a aidé à susciter l’adhésion.” Il met donc en avant une certaine idée de la gouvernance et de construction du projet, basé sur l’adhésion des usagers et leur implication dans le processus de construction. Le chercheur Vincent Renauld valide cette volonté d’impliquer les habitants dans le processus de construction et qualifie ce système de gouvernance d’“innovant”. 

Nous sommes donc confrontés à des données contradictoires: entre documents qui ne mentionnent pas l’implication des usagers et des acteurs stipulant leur implication.

Ainsi, l’entretien que nous avons eu avec Nicolas Michelin relativise ces deux visions antagonistes de construction du quartier Grand Large:

Est-ce qu’il y eu de la gouvernance, des processus de co-construction avec les habitants? “Il y en a pas, il n’y a pas d’habitants. En principe dans les écoquartiers, il y a de la co-construction etc, mais dans la réalité, on leur demande ce qu’il se passe ici. “ dit-il en pointant du doigt un tout petit cercle sur le projet tout entier.

Pourtant le bureau S3D [aménageur] stipule bien dans ses documents qu’il y a eu des processus de co-décision et de co-construction: “Oui oui, il y en a eu un petit peu j’exagère”.

Quelles implications des habitants dans la construction des écoquartiers?

Le site de l’ANMA relate les différentes innovations et techniques mises en place pour ce quartier. La friche industrielle a du être traitée et les terres polluées confinées. Un parc urbain a été créé, des techniques alternatives pour la gestion de l’eau ont été mises en places, ainsi que des systèmes d’éclairage basse consommation. Il y a eu 900 logements créés, favorisant les économies d’énergie, dont 40% de logements sociaux et 10% de logements pour les primo accédants. Une maison du quartier, installée dès les débuts de la construction au sein de de l’ancienne maison des syndicats, est chargée de faire le lien entre les habitants, et les constructeurs. Enfin, les voies piétonnières ont été privilégiées pour favoriser les déplacements doux : vélo, marche à pied. Les voies sont étroites et limitées à 30 km/h. Ainsi, l’environnement  et la mixité sociale sont deux axes majeurs dans la construction du quartier.

Prenons un cas particulier d’innovation technique, emblématique du quartier grand large: Les maisons à gâbles.

 

Bâtiments de la face Nord du quartier conçus par Nicolas Michelin /

 Crédits Photos : A. Trouillet

L’architecture flamande des premiers bâtiments du quartier Grand Large à Dunkerque a été imaginée par Nicolas Michelin. En effet, les bâtiments sont en forme de gâble. Dunkerque est une région de culture flamande, proche de la Flandre. Rebecca Pinheiro-Croisel explique dans sa thèse que les différents acteurs du projet se sont immédiatement identifiés à cette architecture qui leur rappelait un héritage culturel fort. Cependant, il est intéressant de constater que Nicolas Michelin n’avait pas volontairement conçu ces bâtiments pour faire appel à une culture flamande. “Nous n’y avions pas pensé du tout”, explique t-il. En fait l’architecture s’est adaptée à la technologie. Le but était d’offrir aux habitants de ces bâtiments une ventilation naturelle. En effet, on constate que la forme du bâtiment se réduit au niveau de la toiture. Cette courbe arrondie permet de favoriser la distribution de la chaleur profitant ainsi des vents très forts de la région dunkerquoise. Il a ainsi imaginé de placer des roues en haut des immeubles avec une fonction d’aspiration de l’air des logements, ce qui permet d’innover par rapport à une ventilation classique.

Ainsi selon Rebecca Pinheiro-Croisel “Il a adapté la forme de son bâtiment à la solution technologique et écologique de la ventilation naturelle (plus tard ventilation naturelle hybride) qu’il préconisait. L’air chaud qui remonte doit se répandre idéalement de manière équilibrée dans une maison afin qu’elle soit chauffée intégralement.”

Finalement,  la solution écologique de ventilation naturelle proposée par Nicolas Michelin n’a pas été agréee, justement à cause de son caractère novateur, qui ne rentrait pas dans les critères à remplir pour être autorisé.

“C’est le Centre scientifique et technique du bâtiment [CSTB] qui n’a pas autorisé l’installation de la solution technologique de ventilation hybride car elle n’avait pas encore d’avis technique stabilisé en France.”

“C’était vraiment le symbole de l’écoquartier, on avait même pas besoin d’électricité pour se ventiler. On a eu beaucoup de mal à obtenir les autorisations. [...] Ca n’a jamais été fait, et on a mis du VMC”. (Ventilation Mécanique Contrôlée par opposition à la Ventilation Naturelle, est destiné à permettre le renouvellement de l’air à l’intérieur des pièces)

L’expérimentation, une pratique fondamentale mais problématique dans la construction de la durabilité.

Il déclare d’ailleurs “L’architecture en forme de gâble s’est imposée et est devenue un symbole du quartier Grand Large, et même un outil de communication.” 

La presse valorise cette image des gâbles flamands comme symbole de l’écoquartier Grand Large et même du caractère novateur des écoquartiers. (par exemple, un article du Monde publié le 25 juin 2010, évoque une “architecture loufoque”.

http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/06/25/architecture-loufoque-et-urbanisme-vert-pour-incarner-le-renouveau-de-dunkerque_1378613_3244.html)

Un refus du Label EcoQuartier ?

La question du refus du label sur le projet Grand Large à Dunkerque est très complexe et les positions des différents acteurs divergent considérablement sur ce point. Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver des preuves explicites que la Communauté Urbaine de Dunkerque ait demandé le label.

Quand on a interrogé Michel Delebarre sur le sujet, il explique que ça ne lui apportait rien de plus, et qu’il pouvait très bien s’en passer.

Son point de vue est clair, il n’y avait pas besoin du label pour construire un écoquartier: “On avait nos expertises, on savait ce qu’on voulait faire”, “On n’était pas suspendus à cette grille [d’évaluation des projets EcoQuartier]”. 

Selon lui, l’expertise était déjà présente au sein des différentes équipes de constructeurs qui travaillaient sur le projet. Dans le même temps, les normes et réglementations ont été prises en compte de manière indépendante. Ils n’avaient donc pas besoin d’une expertise externe, qui elle était comprise dans le label EcoQuartier.

Les informations les plus précises qu’il nous a donné sur les liens entre le label EcoQuartier et l’écoquartier de Dunkerque étaient: « Nous on voulait faire un quartier, qui semblait pour nous avoir les références d’un écoquartier . Si après l’Etat ne le reconnaissait pas c’était son affaire. » 

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Il y a donc une évidente volonté de sa part de se distinguer de l’initiative gouvernementale. Les raisons de son détachement vis à vis du label gouvernemental peuvent être multiples. Si pour lui, c’est parce que ce quartier n’avait pas besoin de l’expertise du label, ce positionnement pourrait également être lié au fait que le label EcoQuartier a pu être demandé, mais qu’il n’a pas été obtenu.

Le potentiel refus du label pourrait également s’expliquer par les positions des acteurs impliqués dans le projet, et notamment celle de Nicolas Michelin, l’architecte-urbaniste du projet Grand Large qui milite contre toute forme de labellisation. Il explique :

“Moi je suis un militant opposé à la labellisation. Dans une certification, vous avez une grille, vous devez cocher, et ensuite vous avez le label. Cette grille a tendance à uniformiser les choses. Or, pour moi un écoquartier c’est un quartier qui est complètement fait sur mesure, il est fait en fonction du site. Un quartier réussi, c’est un quartier dans lequel on se balade et on a l’impression qu’il a toujours été la.”

A l’inverse, pour Franck Faucheux, ils auraient eu besoin du label et d’une expertise EcoQuartier. Pour lui, le quartier a été directement “tagué avec une mauvaise image”, en commençant par construire les logements sociaux. Il critique également le fait que le projet n’est pas connecté au centre ville, ce que nous a confirmé la responsable de la maison du quartier sur place. Il n’y a qu’un bus qui part de la gare, et il ne s’arrête pas jusqu’au quartier Grand Large. En effet, même pour nous, depuis la gare, le moyen le plus simple pour se rendre au quartier grand large a été de marcher (une trentaine de minutes).

Frank Faucheux évoque aussi le FRAC, le Fonds Régional d’Art Contemporain, un centre culturel d’importance régionale, mais étant donné qu’il est très mal desservi, il n’est pas connecté au reste de la ville. Comme le dit Franck Faucheux, "un FRAC ça n'anime pas un quartier, en plus il est loin". Il explique également que la végétalisation est mal adaptée au climat : “De grands arbres ont été plantés, mais ils poussent mal en raison d’une très grande prise au vent.” Pour lui il ne s’agit pas d’un écoquartier. Enfin, Frank Faucheux avance l’idée que la ville et Nicolas Michelin (l’architecte urbaniste du projet) ont refusé l’expertise gouvernementale car il n’y avait aucune subvention à la clé.

Le FRAC de Dunkerque / Crédit Photo : Julie GinestyIMG_3051.JPG

Enfin, notre entretien avec Madame X, de la maison du quartier révèle que “à cause de la crise, on a eu des difficultés à vendre les logements d’où les friches que vous voyez”. 

Elle précise que “c’est vraiment compliqué pour la municipalité de s’emparer du quartier pour le moment. Du coup le label EcoQuartier est passé aux oubliettes.” 

Ainsi, d’après elle, il y avait une volonté de labelliser le projet, mais les difficultés auxquelles le quartier a été confronté ont empêché de continuer dans cette voie.

Qu’est-ce que le label EcoQuartier de l’Etat?

Le quartier Grand large: crise économique et changement de mairie

Depuis 2014, le nouveau Maire de Dunkerque est Patrice Vergriete, issu d’une liste indépendante et qui a remplacé Michel Delebarre (PS) après 25 ans comme maire de Dunkerque. Selon la responsable de la maison du quartier, le changement de municipalité a eu un impact considérable sur l’évolution du projet Grand Large. La nouvelle mairie a décidé de finir de construire ce qui avait déjà été engagé et signé, mais d’arrêter le reste du chantier. La responsable de la maison du quartier explique qu’il existe de grandes difficultés à vendre les logements, et ce depuis la crise économique de 2007. D’après elle: “à cause de la crise, on a eu des difficultés à vendre les logements d’où les friches que vous voyez”. (Voir photo ci-dessous)

Anciennes friches et espaces délaissés / Crédits Photo : Julie GinestyIMG_3049.JPG

 En effet, nous avons pu constater lors de la visite du quartier qu’il restait beaucoup de friches et d’espaces délaissés qui côtoient les habitations flambant neuves. Elle poursuit en ajoutant qu’il est difficile pour la nouvelle municipalité de s’emparer du quartier, et que l’objectif initial d’en faire un EcoQuartier (labellisé) a été pour le moment totalement oublié.

Le changement de maire a également été significatif, puisqu’il a littéralement poussé l’architecte-urbaniste Nicolas Michelin, en dehors du projet. Il raconte lors de notre entretien:

“Moi je me suis fait débarqué avec le nouveau Maire, il y a un nouveau maire qui est arrivé avec les nouvelles élections, il a arrêté le Grand Large, je lui ai écris et il ne m’a jamais reçu”.

Il ajoute: “C’est des choses qui arrivent dans le métier d’urbaniste”; “C’était pas très correct de sa part parce que le Grand Large c’était une opération phare de Dunkerque, une image à Dunkerque, qui n’est pas du tout finie”

Il ajoute qu’il n’a fait que la moitié des bâtiments en forme de gâble, il devait en avoir de l’autre côté du quartier, près de la façade sud. Il explique que la nouvelle municipalité a tout arrêté car les logements se vendaient mal.

“Moi j’y ai plus mis les pied depuis les dernières élections, je n’ai aucune information. [...] C’était violent, vous savez qu’un architecte les soirées d’élections, surtout municipales, il est rivé à son poste [de télévision].”

Sans l’architecte pilote pour soutenir le projet, il apparait que l’avenir du quartier durable est compromis. En effet, on s’est rendus compte que “l’écoquartier” présente nombre de contradictions qui questionnent son caractère durable.

Comme l’a dit Franck Faucheux plus haut, et comme le confirme Madame X, d’après eux, le quartier Grand Large n’est pas un écoquartier.

Cependant, au moment où la nouvelle mairie décide de mettre officiellement un cran d’arrêt au projet d’écoquartier Grand Large, elle a mis en place les Fabriques d’Initiatives Locales (FIL). Cette initiative correspond à des concertations construites autour de différentes questions. D’après Madame X, elles ont été mises en place en juin 2015 et les réunions ont réellement commencé en septembre dernier. Ces réunions ont pour but avoué de permettre à chacun “de s’exprimer sur les enjeux et de s’impliquer pour son quartier sur les projets qui lui tiennent à coeur”.  Selon Yves Colaert, président de ce comité et premier habitant du quartier “Quarante-cinq foyers y adhèrent” explique t-il dans un article de la Voix du Nord. (http://www.lavoixdunord.fr/region/dunkerque-le-quartier-du-grand-large-face-a-ses-realites-ia17b47588n2874237) 

Ainsi, ce comité citoyen a pour but de décider quelles orientations et quel avenir les habitants souhaitent pour leur quartier. Il est intéressant de noter que la décision de stopper l’écoquartier va de paire, pour la nouvelle mairie, avec un processus de concertation qui correspond aux préceptes des écoquartiers: l’implication des habitants dans le processus de décision et de construction de leur quartier.

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Les transports et la connectivité du quartier Grand Large

L’un des objectifs du projet Grand Large était de privilégier les mobilités douces au sein du quartier. Il fallait minimiser l’impact de la voiture via des parkings en petit nombre, favoriser les rues piétonnes, et les bus. A ce titre, on a pu constaté que les voies étaient étroites et limitaient la vitesse de circulation à 30 km/H.

Madame X: “Le quartier est créé pour ça, les rues sont étroites, les zones de rencontre (vélo, voiture, piéton), c’est limité à 30  et ça les gens comprennent pas, c’est même pas qu’ils ne le respectent pas c’est qu’ils ne connaissent pas le panneau.”

Or, on a pu constaté en visitant le quartier et en interrogeant Madame X que les mobilités douces ne fonctionnaient pas et que les voitures étaient très présentes dans le quartier.

Crédit Photo : Julie GinestyIMG_3021 (1).JPG

Si une voiture de parking par foyer était prévue à l’origine beaucoup de foyers en ont deux (voire trois), d’où découle un manque de places de parking. Certaines places sont accessibles en sus entre 10 et 54 euros par mois en fonction de l’emplacement.

Madame X: “les jeunes ne peuvent pas se garer en bas de chez eux et du coup il y a des places handicapées qui sont prises et ça crée des tensions.”

En fait, de notre point de vue, la forte présence des voitures au sein du quartier répond au fait que Grand large est mal desservi par les transports en commun. Mécaniquement, il est logique de penser que cela oblige les habitants à utiliser leurs voitures pour se rendre au travail ou au centre ville, n’ayant aucun autre moyen de transport alternatif à leur disposition. Madame X révèle que les bus ne peuvent pas passer au sein du quartier car les rues sont trop étroites. Pour venir jusqu’au quartier Grand Large, il n’y a qu’un bus qui ne passe “peut-être même pas toutes les heures”, selon Madame X. En fait elle explique que le réseau de transport à Dunkerque est en train d’être repensé par la nouvelle municipalité. Actuellement, on ne peut pas aller d’un point à un autre de Dunkerque sans être obligé de passer par la gare ou par le centre ville.

 

A l’origine du projet, il y avait une navette gratuite qui faisait les allers-retours entre le quartier et le centre ville. Mais elle s’est arrêtée en raison de son coût, apparemment trop important, nous explique Madame X. La nouvelle mairie cherche à repenser ce réseau de transports en commun et à le rendre gratuit. Affaire à suivre. Peut-être que cela permettrait à terme de réduire l’utilisation de la voiture au sein du quartier Grand Large.

Le partage de l’espace au Grand Large: un objectif atteint ?

L’un des objectifs initiaux du Quartier Grand Large était selon Nicolas Michelin de “faire en sorte que la nature en ville soit présente et de créer des espaces verts communs”. 

En rencontrant Madame X, elle nous explique que le partage des espaces verts reste difficile à mettre en place chez les habitants. Selon Nicolas Michelin, il s’agit d’une caractéristique très “française”. Il explique que si la mise en commun de l’espace est une question culturelle. Elle est notamment beaucoup plus facile à mettre en place dans les pays nordiques, comme en Finlande, en Norvège ou en Allemagne. Il explique alors que pour lui les écoquartiers s’adressent à une nouvelle génération d’habitants, plus jeunes et plus aptes à investir et partager ces espaces verts communs.

Dans le quartier Grand Large, le parc urbain commun s’organise autour des maisons individuelles groupées aux formes contemporaines et compactes et des immeubles collectifs en forme de gâble. C’est précisément ce parc urbain commun qui pose problème selon Madame X, car certains propriétaires n’acceptent pas que les habitants qui ne font pas partie de la résidence rentrent dans leur espace. Selon Madame X, ce sont les habitants-propriétaires qui font la police concernant le partage de cet espace commun.

“Dans les espaces communs et il y en a même qui font la police. Ils pensent que ceux qui ne font pas partie de leur résidence n’ont pas le droit de rentrer”.

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Espace commun / Crédits Photo : Julie Ginesty

De plus, la Maison du Quartier souhaiterai installer un jardin partagé. Mais cela pose un problème par rapport à la pollution des sols. Le seul moyen de faire fonctionner le potager est de faire une plantation hors sol. Mais cela coûte cher. C’est ce qu’explique Nicolas Michelin :

“Sur un sol pollué comme cela, pour cultiver, il faut soit avoir beaucoup d’argent, et alors vous creusez comme ça sur deux - trois mètres, vous mettez ça dans une décharge controllée, et vous en avez pour deux-trois millions. Soit on confine, puis on met de la terre végétale dessus. En fait, si on commence à creuser, vous allez vous retrouver avec des carottes polluées, et donc on préfère interdire de planter sauf dans des bacs, c’est un principe de précaution qui extrêmement important dans le métier d’urbaniste.”

La dépollution des sols coûte donc beaucoup d’argent selon Nicolas Michelin, et de plus la majorité des habitants selon Madame X se sentent peu concernés par la dimension environnementale du quartier.

Le projet de jardin partager souffre de cela selon Madame X:

“La on a lancé un projet pour faire des jardins partager mais personne ne s’en empare.”

Ainsi, la mise en commun des espaces verts pose des problèmes tant au niveau culturel que de faisabilité environnementale.

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

La vie du quartier : une réussite ?

Le quartier souffre d’un phénomène d’enclavement et les commerces se font attendre : on a pu se rendre compte qu’il n’y avait qu’une seule boulangerie et un cabinet médical sur l’ensemble du quartier. Madame X raconte que la boulangerie a d’ailleurs connu récemment un changement de propriétaire, précisément parce que cela ne marchait pas. Qui plus est, la collecte de déchets ne fonctionne pas encore très bien : “le tri des poubelles c’est compliqué pour les gens, c’est-à-dire que c’est pas super bien fait ou alors c’est posé à coté”. Egalement, beaucoup de nouveaux arrivants viennent s’installer dans les logements sociaux sans même faire attention au fait qu’il s’agit d’un habitat écologique (selon Madame X).

        Habiter un EcoQuartier, les problématiques

“Il y a des habitants qui ont acheté pour ça quand même, parce que ça allait être un écoquartier et qui sont très déçus”. “Et d’autres qui arrivent parce qu’ils ont changé d’appartement et ils savent même pas ce que c’est un écoquartier.”

On se rend alors compte qu’il y a une dichotomie entre certains habitants, pionniers, militants et fortement engagés dans le projet, et d’autres habitants qui ne se sentent pas ou peu concernés. Par ailleurs, il est intéressant de noter que c’est parmi ces habitants, propriétaires et fortement engagés dans le projet écoquartier, qu’on retrouve les habitants qui ne veulent pas partager les jardins de leur résidence.

Qui plus est, l’architecture des maisons pose problème aux habitants. En effet, les maisons situées derrière la façade nord sont des maisons très lumineuses avec des grandes baies vitrées. A notre arrivée dans le quartier nous nous sommes étonnées du fait que l’ensemble de ces baies vitrées étaient fermées.

Exemple de baies vitrées fermées / Crédits Photo : Julie GinestyIMG_3035.JPG

Lorsque nous en avons parlé avec Madame X, elle nous expliqua que beaucoup de personnes ont du mal à s’adapter à ces logements. L’architecture est faite de telle façon qu’elle ne laisse que peu de place à l’intimité. Il s’agit d’une architecture d’Europe du Nord, où la mise en commun de l’espace est une caractéristique prégnante. Mais ici à Dunkerque, c’est plus difficile à mettre en place.

“Nous on est pas habitués à ces manières de vivre, par exemple au début les gens venaient même coller leur visage au carreau des locataires ou des propriétaires donc forcément les gens ont pas aimé, normal”

En fait en visitant le quartier et en rencontrant Madame X, on se rend compte que les deux caractéristiques principales qui étaient au départ au coeur du projet, à savoir la dimension sociale et la dimension environnementale n’ont pas évolué de la même façon. Désormais, c’est clairement la dimension sociale qui a pris le dessus sur la dimension environnementale dans le quartier.

C’est d’ailleurs le rôle de la maison du quartier : assurer la cohésion sociale dans un quartier où la mixité est importante.

La maison du quartier cherche également à instaurer des modes de concertations communes. Les habitants tentent de réfléchir à l’avenir du quartier à travers des réunions, et Madame X nous confirme que la concertation entre les habitants fonctionne, du moins qu’elle suscite de l’investissement.

La maison du quartier Grand large a deux objectifs : favoriser le lien ou la cohésion sociale et rendre les habitants acteurs de la vie de leur quartier. Ils travaillent énormément sur le lien social parce que c’est un nouveau quartier. Madame X insiste sur le fait que personne ne se connaît, beaucoup de gens viennent d’autres quartiers, d’autres régions, certains viennent de la région parisienne, d’autres de Lille. Le lien social est favorisé par des fêtes de quartiers, des propositions d’activité, de la gymnastiques, de l’informatique, des balades...etc.

La dimension environnementale reste difficile, notamment parce que “personne ne s’en empare”. Récemment, la maison du quartier a voulu créer un jardin partagé, mais le projet ne prend pas, justement parce qu’il n’y a pas de réelle mobilisation de la part des habitants. Ceux qui adhèrent à cette dimension environnementale et veulent la faire vivre sont très peu nombreux : ce sont en grande majorité les premiers habitants, ils sont au nombre de 10 et forment le “Conseil de Maison”. Il s’agit d’une instance de gouvernance de la maison du quartier. Elle prend des décisions par rapport aux actions à mener dans le quartier, se demande si ces actions remplissent ou non les objectifs, est ce qu’elles sont utiles ou non...etc.

En fait, lors de tout l’entretien, Madame X nous explique que “ce n’est pas un écoquartier”, expliqué par tous les éléments problématiques que nous avons évoqué (les transports en commun et la connexion avec les autres parties de la ville, la voiture, la gestion des déchets, les terrains en friche).

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

Quartier du Grand Large, Crédit: A/NM/A

En conclusion, le Grand Large, quel avenir ?

Ainsi, on aura vu que la vision du quartier Grand Large et à travers lui du concept de durabilité aura considérablement évolué en fonction des acteurs et des définitions du quartier durable qu’ils établissent. Pour l’architecte-urbaniste Nicolas Michelin, un quartier durable doit être réalisé sur-mesure. Il propose ainsi une définition de la durabilité entièrement dépendante du cadre et du contexte dans lequel elle est construite. Michel Delebarre renvoie à son quartier idéal connecté au centre urbain, attractif et faible en besoins énergétiques. Sa définition de la durabilité est fortement liée à l’image qu’il veut donner à sa ville et à son quartier. En tant que maire, le quartier durable devient “un morceau de ville exemplaire”. Madame X, elle, conçoit la durabilité et le quartier durable par rapport à l’usage que les habitants en font : tri sélectif, jardin partagé, mobilités douces.  Ces trois acteurs qui ont donc tous participé au processus de création du Grand Large nous ont permis de cerner ce que pouvait être la durabilité et surtout qu’elle n’était pas un concept stable, mais qu’elle se définissait au contraire en fonction des positions et des démarches adoptées par tous ceux qui contribuent à sa mise en oeuvre au sein des quartiers durables.


[1] d’après l’AUCAME, l’Agence d'urbanisme de Caen Métropole Normandie

[2] AUCAME

[3] Art. L311-1 du Code de l’Urbanisme

[4] Les Agendas 21, appelés “Agendas 21 de Rio” ont été mis en place à la suite de la conférence sur l’envirronement et le développement à Rio en juin 1992, à la suite d’une adoption en conseil ministériel en juin 2006, un cadre à été défini au Agenda 21 pour que chaque commune, en en suivant les principes, puisse “progresser vers un développement plus soutenable, dans l’objectif de construire, pour tous, un avenir solidaire.

[5] http://www.adequations.org/IMG/article_PDF/article_393.pdf