Doit-on classer les universités ?

Voici la face "idéologique" de la controverse portant sur les classements des universités. NB : Pour plus de précisions, nous vous renvoyons aux fiches « Acteurs ».

Qui doit classer les universités ?

Cela suscite bien sûr de nombreux débats par rapport à l’objectivité du classement.

Les organismes privés : Cela peut garantir une certaine indépendance vis-à-vis des universités. Cependant, Richard Holmes[1], chercheur de l’Université MARA, en Malaisie, note que QS, la firme chargée de réaliser le THES-QS Ranking, n’a des bureaux qu’à Londres, Washington DC, Paris, Pékin, Singapour, Tokyo et Sydney, et pas en Amérique du Sud ni en Afrique. Ce qui expliquerait la quasi absence des universités latino-américaines et africaines dans le THES-QS.

Les organisations internationales : pour l’instant, le CEPES et l'OCDE se contentent d’ériger des principes méthodologiques de classement.

Les universités elles-mêmes : c’est le cas du classement de Shanghai, qui est reconnu dans le monde de l’enseignement supérieur comme étant le classement le plus juste. C’est aussi le cas du classement de l’Ecole des Mines, accusé de favoriser l'ENSMP.

Les classements reflètent-ils le phénomène d'une concurrence mondiale entre les universités ?

L’éducation et les connaissances peuvent-elles être commercialisées ?

L'apparition de classements d'universités s'inscrit dans le cadre global d'une internationalisation de l'éducation de plus en plus forte. La mobilité des étudiants et chercheurs, ainsi que la mondialisation de la recherche sont des éléments centraux dans le développement d'une économie des connaissances soutenue par les Etats, tant au niveau national qu'international. Les universités font partie d'un réseau global et on peut constater une commercialisation croissante de l'éducation, à travers notamment l'introduction des services d'éducation dans les négociations actuelles de GATS. Une telle logique suscite une demande grandissante d'information comparative, à laquelle tentent de répondre divers acteurs.

Y a-t-il un marché des universités ?

Selon la définition que l’on a de « marché », les universités constituent ou pas un marché.

S’il existe un marché, on peut dire qu’il est étrange. Comment le prix de la formation est-il défini ? Est-ce le coût réel -ou le coût de revient ? Le bénéfice que l'université peut faire ? Ce que va gagner l’étudiant après ses études ? Les prix adoptés par les autres universités ? Ce dernier élément semble être le mécanisme le plus prégnant dans la constitution du prix de la formation universitaire : les établissements de la même catégorie ont tendance à pratiquer les mêmes prix. D’après John Douglas, dans le cas des universités, le prix est un gage de qualité : on pratique le même prix que les autres pour montrer qu’on est aussi bon.

Que l’on soit sur un marché des universités ou pas, il est certain que les universités sont des acteurs à part entière sur le marché national. On peut citer les travaux de Vincent-Lancrin et Carlson qui ont défini les différents types de revenus que peuvent procurer l’internationalisation de l’éducation : offshore, accueil d’étudiants étrangers, ce que peut apporter la présence de visiting scholars, puisque ces derniers vont consommer dans le pays qui les accueille, etc. Cela explique pourquoi dans un pays comme l’Australie, qui n’a pas des industries particulières, le poste enseignement supérieur est un des principaux postes de la balance de commerce extérieur.[2]

Les universités sont-elles des marques ?

D’après David Jobin, Directeur général d’Interbrand et spécialiste de la marque, de nombreuses universités sont aujourd’hui des marques… à commencer par Sciences Po. Les universités s'efforce de créer de la préférence, afin d'être choisies par les étudiants. Si Interbrand réalise déjà un classement annuel des marques, il est possible que dans le futur, cette structure réalise un classement des marques des universités.

Evidemment, les critères seront plus difficiles à quantifier. Ce pourrait être la singularité, la qualité du corps professoral, la notoriété ( la représentation dans les médias ), le rayonnement national et international, l’apport d’imaginaire, comme par exemple la Sorbonne. On ne peut pas vraiment se baser sur des éléments financiers, c’est donc difficile d’évaluer ces marques de manière quantitative. On peut très bien imaginer qu’un cabinet d’audit s’en charge au sein d’Interbrand [3]. David Jobin.

Y a-t-il uniquement des éléments de marchandisation ?

D’après Christine Musselin, on peut dire qu’il y a des éléments de marchandisation de l’enseignement supérieur qu’on voit se manifester, notamment à travers la transformation de la conception que les gens ont de l’éducation.

Dans les années 50-60, on considère l’éducation comme un bien commun : en éduquant une majorité de la population, un nombre plus important de citoyens contribue à la richesse globale du pays. D’où l’idée dans beaucoup de pays que l’éducation, l’enseignement supérieur, est quelque chose de gratuit. C’est moins quelque chose qui profite individuellement que quelque chose qui profite à l’ensemble de la société. (…) La hausse générale du niveau d’éducation suscite des externalités positives qui vont bénéficier à l’ensemble de la communauté.

Maintenant, on est dans un discours totalement différent qui tend à pointer les gains individuels issus de l’éducation. Toute la rhétorique sur les droits d’inscriptions, c’est ça. La gratuité ne garantit pas l’accès démocratique, et il suffit de regarder la composition sociale des Grandes Ecoles pour s'en rendre compte. L’argument qui sous-tend cela consiste à dire que les gens qui ont accès à ces Ecoles vont avoir des revenus importants, une carrière prestigieuse, et que c’est donc normal qu’ils payent pour cette formation. C’est une sorte d’investissement.

Il y a donc une transformation de la conception de l’enseignement supérieur. Il y a aussi des éléments de marchandisation du côté des produits scientifiques si on parle en termes de marchandises et de produits, en rapport avec toute la rhétorique sur l’économie des connaissances, en faisant le lien entre recherche, innovation et développement économique. C’est tout ce qu’on voit derrière les droits de propriété intellectuelle. C’est-à-dire qu’une partie de la recherche n’est plus un bien commun, public, mais va avoir une valeur marchande, et devient ainsi commercialisable[2].

Quelles influences ont ces classements ?

Nous vous renvoyons aux fiches « Acteurs » suivantes :

Politiques d'éducation des Etats
Universités
Etudiants



[1] http://www.geocities.com/universities06/ajueart.pdf
[2] Extrait d’une Interview de Christine Musselin
[3] Extrait d’une Interview de David Jobin