Introduction aux controverses Cette affaire du Médiator est loin d’être close et tranchée et les acteurs se placent encore de façon timide. Vu l'ampleur médiatique et le nombre de victimes, cela ne touche plus uniquement le laboratoire Servier et le Mediator mais les laboratoires pharmaceutiques dans leur ensemble et les autorités sanitaires. On assiste en ce moment à une ébullition intellectuelle autour de la réforme de pharmacovigilance, dont les plus importantes sont décrites ici. Position sur le système de pharmaco-vigilance actuelEn période pré-AMM, les laboratoires doivent ils avoir toute liberté sur leurs essais cliniques? Lors de la demande d’AMM, doit-on évaluer l’efficacité thérapeutique d’un médicament par rapport à un placebo ? En période post-AMM, la gestion des alertes et des études qui en découlent doivent elles informatisées ? Le système actuel de pharmacovigilance actuel est-il efficace et cohérent ? --> schéma La question des expertsla gestion du conflit d’intérêtCréer un vivier d’une quarantaine d’experts indépendants, spécialement dédiés aux autorités sanitaires Imposer une transparence plus systématique de déclaration des liens d’intérêts entre experts et laboratoires Imposer des sanctions lors de non déclaration des liens d’intérêts La formation des médecins en pharmacologieUne formation plus intense est elle nécessaire ? Les visites médicales, un vecteur de formation ? Le problème de communication intra AFSSAPS le problème de l’informationSimplifier les procédures de notifications du personnel soignant Supprimer les CRPV (ou du moins, réorienter leur fonction) Publier systématiquement les données de pharmacovigilance aux grand public, sur le site de l’AFSSAPS La réforme au niveau européenEst-elle nécessaire? Donnerait-elle forcément plus de pouvoir aux laboratoires pharmaceutiques ? Le Médiator, une affaire si importante ?Une affaire relativement peu importante en termes de nombre de morts ? Une affaire sur-médiatisée ? Voir sa diffusion sur le web + de détails |
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Pour les laboratoires, il s’agit d’une question d’indépendance. Ils développent des médicaments donc ils sont les plus à même de réaliser tous les tests nécessaires. En revanche pour certains acteurs tels que Prescrire ou Debré-Even, c’est là une partie du problème. Dans ce cas actuel, les laboratoires ont toute latitude pour divulguer les informations qui les arrange. Aussi, leurs essais devraient être beaucoup plus encadrés : les protocoles devraient être publiés avant le début des essais, le financement devrait être plus public que privé et les effets indésirables devraient être mieux anticipés pour éviter la mise sur le marché si la balance bénéfices/risques est trop défavorable (ce qui éviterai par ailleurs tout contrôle post-AMM). Les laboratoires restent des entreprises lucratives. Nous n’allons pas jusqu’à dire qu’ils seraient près à commercialiser des produits toxiques (les pratiques de Servier, dans le cas du Mediator, ne peuvent pas être généralisée à l’ensemble de la profession) mais commercialiser un produit inoffensif, sans grande efficacité thérapeutique est envisageable. C’est ce qu’on appelle les me too. Les médecins développent un argument sensiblement différent : pour eux, la question humaine est largement à prendre en compte, au sens où le médecin doit subir la pression du patient ayant besoin de son placebo pour se sentir mieux. Dans ce sens, un médicament inoffensif a sa place. Enfin, pour les acteurs s’opposant aux pratiques des laboratoires, la balance bénéfices/risques doit être attentivement analysée, dans l’intérêt du patient. Aussi, ce n’est pas à un verre d’eau qu’il faut comparer l’efficacité d’une molécule mais à un médicament déjà sur le marché, ayant prouvé son utilité médicale. La gestion des alertes doit être informatisée c’est à dire que, toutes les alertes ne pouvant être traitées par des personnes humaines, elles doivent être traitées par un algorithme mathématique qui sera à même de déterminer les alertes les plus urgentes. De plus, la pharmacovigilance française dispose de nombreuses bases de données, sous employées ou employées uniquement dans un but commercial, notamment celle de la Sécurité Sociale. Ces bases de données compilant tous les détails de la vie médicale d’un patient, elle pourrait permettre de faire des regroupements plus rapides entre prise d’un médicament et effet indésirable noté. En revanche, ces outils et leurs utilisation nécessitent la formation de personnel qualifié et l'accord de certains organismes à la divulgation de leurs données à l'Afssaps (comme la Sécurité Sociale).Ceci permettrait donc aux autorités de santé d’être bien plus réactives et au besoin de déclencher les enquêtes de terrain nécessaires (étude cas témoins ou de cohorte). Aujourd'hui, les alertes peuvent être émises par deux moyens. Le premier est la notification spontanée fournie par un professionnel de santé. C'est d'ailleurs une obligation légale pour tout détenteur d’AMM (un laboratoire), un médecin ou un pharmacien de signaler tout doute sur un médicament. Une notification sera prise en compte si elle comporte le nom du délateur, sa profession, le médicament concerné. Le "notificateur" devra préciser la gravité de l’évènement (hospitalisation, handicap, décès..) et aussi l’évolution de l’évènement (guérison, décès..). Les notifications sont donc des opérations qui requiert du temps et les praticiens ne sont pas toujours en mesure de les faire systématiquement. En fonction de ses études, l’Affsaps déclare une imputabilité intrinsèque (sur critère chronologique et sémiologique) ou extrinsèque (en fonction des études au sujet de ce médicament) des effets néfastes au médicament. Le second levier est l'enquête. Ordonnée par l’Afssaps, elle demande aux CRPV de collecter toutes les infos sur un médicament. Le descriptif de l’enquête est ensuite adressé au laboratoire. On recense un profil des effets indésirables et l’Afssaps prend sa décision: Suspension, retrait d’AMM. Deux méthodes de détection biostatistique des effets néfastes des médicaments, sont utilisées: - Cohortes: comparer l’apparition d’un effet indésirable au cours d’une période donnée chez un groupe de patients exposés à un médicament à l’apparition de ce même effet indésirable chez un groupe non exposé. - Études cas-témoins: on compare la proportion d’utilisateurs du médicament chez des groupes malades et des groupes non malades. Il prend pour principe que si les malades ont davantage utilisé ce médicament, il est probable que le médicament ait causé la maladie. Système de pharmacovigilance français - Le chemin des alertes Pour les Dr Debré et Even, cela ne peut être possible autrement. En effet, l’échec des institutions françaises résident dans une mauvaise expertise, au sens où tous les experts travaillent également pour les laboratoires. Aussi, comment imaginer que expertises soient totalement indépendantes et déontologiquement acceptables ? C’est pourquoi la seule solution implique une totale indépendance entre laboratoires et experts. Pour les laboratoires, en revanche, l’argument ne tient pas et cette solution est inenvisageable. Tout d’abord, il est tout à fait inapproprié pour un milieu comme celui de l’industrie du médicament de penser séparer experts et laboratoires car c’est encore dans les laboratoires que progresse la recherche. Dans cette optique, il semble peu avisé de constituer un vivrier d’experts qui ne seront jamais spécialistes d’une préparation. D’autre part, dans les faits, pour certaines pathologies peu connues, le nombre d’experts disponible est très réduit. Aussi, il est physiquement impossible de mettre en place une telle solution car les laboratoires autant que les autorités sanitaires feraient appel aux mêmes personnes. (ces deux arguments nous ont été fournis par le Dr Erztbichoff du laboratoire Bayer et le Dr Jouaret du laboratoire Merck) Cette question fait largement consensus chez tous les acteurs en présence. Il apparait normal à tous que tout expert ayant des liens d’intérêt avec un laboratoire les déclare pour éviter le conflit d’intérêt, comme il parait normal, qu’en commission, la personne impliquée dans la conception d’un médicament sorte de la salle. Pour inciter les déclarations et minimiser les conséquences de tels conflits d’intérêts. Les médecins ne sont actuellement pas formés pour juger de la composition des médicaments qu’ils prescrivent. Aussi, cela augmente les probabilités de prescription de ces médicaments à des patients plus susceptibles de développer les effets indésirables. C’est pour cela qu’une formation plus importante est jugée essentielle par ces acteurs. Les laboratoires ont parfois remarqué qu’arrêtant les visites médicales auprès des médecins (lors d’entrée sur le marché de génériques par exemple), le nombre d’effets indésirables augmentent. Au contraire, lorsque les visites reprennent, ces signaux de recrudescence sont plus bas. Aussi, le visiteur médical, même s’il ne pas pour rôle de former les médecins, peut contribuer au bon usage des médicaments. Il faut également garder à l’esprit que l’industrie pharmaceutique contribue très largement à la formation continue des médecins, bien plus que l’Etat. Par ailleurs, le nombre de médecins généralistes s’élevant à environ 60000 en France, il parait difficile d’organiser une formation à l’échelle nationale. Prescrire et le rapport Even-Debré s’insurgent bien entendu de tant d’hypocrisie. En effet, si ce sont les visiteurs médicaux ou les laboratoires qui procèdent à la formation continue des médecins, c’est également pour augmenter leurs chances de voir leur médicaments prescris. Toute objectivité est alors absente. C’est pourquoi ces deux acteurs préconisent une formation obligatoire et permanente délivrée par l’état. Le rapport Debré-Even détaille une première formation lors du parcours universitaire des études de médecine (cours de pharmacologie, physiologie… dès la 2e année) puis une formation continue dans les CHR (Centres Hospitaliers Régionaux) et les CHG (Centres Hospitaliers Généraux). L’idée de cette proposition est de rendre plus systématique la notification des effets indésirables par les médecins par exemple. Celle-ci serait plus courte (30 minutes), en ligne et renseignerait la molécule en question, la dose, l’âge, sexe, pathologies suspectées du patient. Pour Even et Debré, les CRPV doivent abandonner leur rôle d’alerte pour plus de réactivité, c'est-à-dire pour supprimer les intermédiaires entre les médecins ou le personnel soignant et les instances dirigeantes des autorités de santé. Les CRPV auront alors pour rôle de réaliser des études complémentaires demandées par les autorités. Au contraire, pour Prescrire, il s’agit d’augmenter les moyens mis à disposition de ces centres pour accroitre leurs capacités à déceler les effets indésirables, tout en ayant la possibilité de mener des enquêtes complémentaires lorsque nécessaire. Pour les laboratoires, il s’agit plutôt de remarquer que, par rapport à de nombreux pays européens, la France notifie bien plus d’effets indésirables que ses voisins. Aussi vient naturellement la conclusion selon laquelle le système français fonctionne bien, notamment grâce à ces centres régionaux qui font office de relais entre les médecins et la pharmacovigilance nationale. C’est pourquoi il ne semble pas adapté de vouloir en changer le rôle fondamental. Prescrire insiste beaucoup sur ce point, qui semble assez essentiel dans un souci de transparence et de libre circulation des informations, chose qui a largement fait défaut dans l’affaire du Mediator. Pourtant, les autres acteurs ne l’abordent pas. Pour les laboratoires, il faut une unité européenne, une harmonisation des décisions européennes. Pour bon nombre d’eux, ce transfert de compétence vers l’Europe est déjà une réalité et ne peut que progresser dans ce sens, délestant peu à peu les agences françaises de leur pouvoir. Ceci dit, les agences nationales doivent continuer à exister pour traiter des spécificités nationales. De l’autre bord, des acteurs comme le député Bapt font remarquer que le lobby pharmaceutique eu niveau européen est beaucoup plus fort qu’au niveau national. Ici réside donc le grand avantage de rester au niveau local : l’action est plus tournée vers l’intérêt du patient. C’est pourquoi ils veulent tant réformer la pharmacovigilance française pour réaffirmer les intérêts du patient. Développons un exemple très simple : celui des propositions de la Commission européenne en 2009 (toutes n’ont pas été votées mais cela donne une indication sur le contenu des débats au niveau européen). Etaient proposés : - La fin d’un financement public obligatoire des agences de santé publiques. Alors que le Médiator a révélé un conflit d’intérêt majeur entre les agences et les laboratoires, on voit ici que cela ne va pas dans le sens de l’intérêt premier du patient. - Enregistrement des effets indésirables par les firmes dans la base européenne Eudravigilance avec pour risque principal le fait que les effets cliniques soient dénaturés et donc ininterprétables (pour rappel, personne d’autre que les laboratoires n’ont accès aux données et résultats des essais cliniques, information qu’ils peuvent divulguer à leur goût). Servier ne reconnaissant que 3 ou 4 morts, on voit ici que le laboratoire chercher à minimiser l’affaire. Il ne va pas jusqu’à dire que ces 3 ou 4 morts sont insignifiants mais comparativement aux estimations même les plus basses de la CNAM, Servier adopte sur cette question une position extrême. Les autres acteurs, au contraire, s’insurgent de tant de morts et de l’impunité dont a jouit Servier ainsi que des déclarations que le laboratoire a faites sur ces fameux morts. Ils considèrent que derrière toute cette affaire, il y a de patients qui ont plus ou moins souffert, des familles, qui doivent supporter les conséquences du maintient du Médiator en vente. Les pouvoirs publics sont également de cet avis, X. Bertrand se posant en promoteur de la défense des victimes. Pour le rédacteur en chef du Quotidien des Médecins, Gérard Kouchner, si l’affaire est importante en tant que telle et mérite une grande attention en ce qui concerne l’enquête scientifique et judicaire, le battage médiatique autour de l’histoire d’Irène Frachon est inutile et à ranger dans la rubrique « des chiens écrasés ».Pour les laboratoires, l’argument est un peu différent. Ils ne minimisent pas l’importance des morts qu’a fait cette affaire mais déplore une si mauvaise médiatisation. En effet, celle-ci tend à faire un amalgame entre les pratiques de Servier et celles de l’ensemble de la profession ainsi que d’instaure une grande défiance à leur égard et ce pour longtemps. Pour les autres acteurs, Irène Frachon en tête, les gens et plus encore les patients devaient être au courant des mécanismes de cette affaire, ce qui justifie la médiatisation de cette affaire. Elle est d’autant plus justifiée que cette affaire porte également sur la façon de réformer le débat et implique donc des éléments de réflexion constructifs. Système de pharmacovigilance français - Le chemin des alertes |