La recherche avance, la dépression aussi… C’est pour cela qu’il est indispensable pour les malades, les médecins et les spécialistes, mais aussi pour la Sécurité Sociale et l’Etat de prendre en considération les échecs que perçoit actuellement la prise en charge de ce phénomène de masse.
La notion de dépression a connu une évolution dans l’Histoire contemporaine. Elle est associée à l’apparition de nombreux spécialistes: psychanalystes, psychiatres, psychologue, etc. qui, même s’ils n’ont pas tous la même approche de la dépression, ont permis des avancées scientifiques importantes. Ces dernières ont largement contribué à l’évolution de la perception de la dépression en tant que maladie psychiatrique, ce qui a favorisé sa prise en charge. En effet, de nombreux traitements ont été développés tels que les antidépresseurs, mis sur le marché à partir des années 1950. De nombreux autres traitements ont par la suite été développés. Encore récemment, de nouveaux espoirs ont été suscités par la découverte dans les années 2000 de prédispositions génétiques à la dépression qui ouvrent le champ de la thérapie génique.
Cependant, malgré de nombreuses avancées, la perception, la compréhension mais surtout la prise en charge de la dépression ne sont que trop peu pertinentes. D’abord parce que, pour espérer guérir, les dépressifs doivent faire eux même les démarches alors qu’ils n’ont souvent plus aucun désir. Ensuite parce que, selon les cas, ils doivent rencontrer de nombreuses personnes pour trouver un traitement adapté. Or cela est difficile par l’inertie actuelle de la sphère médicale: les patients ne circulent pas entre les spécialistes, sauf par leur propre initiative, et les spécialistes ne communiquent pas entre eux.
L’une des raisons de cette inertie que nous avons voulu isoler concerne les nombreux enjeux économiques qui sont associés à la dépression. Ils sont dus à la Sécurité Sociale, qui privilégie le remboursement des antidépresseurs à celui d’autres traitements, plus coûteux. Mais ils ont aussi un lien avec les entreprises pharmaceutiques, véritables lobbies pour la recherche et la reconnaissance de la maladie. Mais l’inertie de la prise en charge de la dépression est aussi due à une question de définition: l’État, par exemple, considère la dépression comme une pathologie qu’il faut traiter par des antidépresseurs, alors que comme pour toute maladie psychiatrique, le traitement de la dépression nécessite un suivi spécial et adapté à chacun. Mais l’État tout en ne comprenant pas la dépression, ne remet pas en cause son élément déclencheur: la société française. Michel Hamon, pharmacologue, explique à ce sujet que l’ «on soigne la dépression avec une amélioration de la société. L’élément sociétal est la clef dans la dépression. Les gens se retrouvent seuls, l’isolement social est dramatique. On n’est pas fait pour vivre seuls. On voit l’individualisme qui se développe, l’ultra libéralisme qui font que les riches sont plus riches et les pauvres sont plus pauvres, la séparation entre les classes sociales est immense. Tout ça c’est une évolution vers une inhumanité insupportable. C’est une régression dans la qualité des relations humaines. Et qu’est ce qu’on répond à ca ? La réponse de la société à cela c’est les médicaments. Les problèmes sociétaux sont traités par des médicaments. C’est quand même terrible. Et c’est pour ça que les médicaments ne sont pas vraiment efficaces.»
Aujourd’hui, de réels espoirs de guérison apparaissent avec le développement de la thérapie génique. Des plans, même s’ils se sont révélés infructueux, ont été mis en place (plan de psychiatrie et santé mentale, 2005), ce qui montre bien que le problème de la prise en charge est levé. Des progrès apparaissent d’ailleurs en ce sens: de nombreux centres médico-psychologiques ont ouvert leurs portes ces dernières années. Ils regroupent des psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux et éducateurs dans la même enceinte, ce qui permet de décloisonner le monde de la dépression.
Cependant, les habitants de ce monde, les dépressifs, ne sont encore que trop mal définis, et cela ne risque pas de changer de sitôt: le DSM-5, cinquième version du DSM sortira en mai 2013, perpétuant ainsi le diagnostic de la dépression sur des critères empiriques et moyennement adaptés.
Antidépresseur: médicament destiné à corriger ou annuler l’humeur dépressive pour permettre au malade de retrouver un état normal. Il en existe plusieurs sortes, parmi eux les antidépresseurs tricycliques, ayant un effet sur les neurotransmetteurs, les antidépresseurs à inhibiteur sélectif de recapture de la sérotonine et les antidépresseurs sélectifs de la noradrénaline et de la sérotonine.
Caryotype: C’est une façon de présenter le génome d’une personne. Cela consiste à photographier et disposer les chromosomes selon un format
standard pour permettre une première analyse de ses gènes.
Cellules cibles: (ici) cellules responsables du déséquilibre chimico-biologique à l’origine de l’état dépressif. À ce jour, celles-ci ne sont pas
encore toute identifiées, ce qui reste l’entrave majeure à l’élaboration d’une thérapie génique qui vise à modifier le génome précisément dans ces cellules.
Chaîne de traitement: ce terme désigne le parcours de soin organisé par l’état. Aujourd’hui cela consiste à un recours systématique à un
médecin généraliste pour avoir accès à une consultation chez un spécialiste.
Choc post-traumatique:choc qui survient après un traumatisme tel qu’un décès ou un accident. Il est susceptible de provoquer chez la victime un état
de dépression.
CIM-10: Dixième version du CIM (Classification Internationale des Maladies). Ce manuel, publié par l’OMS sert à l’enregistrement des causes de
mortalité et de morbidité des êtres humains au niveau mondial. Les affectations qui entrainent un recours aux services de santé y sont répertoriées avec une
précision dépendant du problème de santé publique qu’ils posent.
Dépression: À ne pas confondre avec le «mal être» ou la «déprime», il s’agit de multiples perturbations de l’humeur, se manifestant de manière
quasi-permanente, entrainant une gêne importante au niveau affectif, social, professionnel ou dans d’autres domaines importants de la vie. Elle est aujourd’hui
considérée comme une pathologie dans la plupart des pays occidentaux, mais cette caractérisation est encore très controversée. Il existe de nombreuses formes de
dépressions à des degrés divers, recouvrant des réalités multiples, des symptômes subjectifs et aléatoires, et des causes diverses. Nous avons pour notre part pris le
parti de considérer la dépression en fonction de ses causes. Attention, cela ne permet pas de statuer sur la gravité de la dépression, la nature des symptômes ou
la meilleure façon de soigner l’épisode dépressif. Les quatre causes identifiées sont:
Le choc post-traumatique: Une dépression peut être provoquée par un traumatisme ponctuel, par exemple un accident ou un deuil.
Le facteur génétique: On reconnait depuis peu l’existence de facteurs génétiques, susceptibles d’induire ou
de donner des prédispositions à la dépression.
La cause biologique: La dépression peut être induite par un dérèglement biologique provoquée par une autre maladie.
L’exemple type est celui de l’hyperthyroïdie.
Le Mal être social: La dépression peut être induite par un profond mal être social, dû au fonctionnement de nos sociétés actuelles:
individualisme, isolement, stress…
Diagnostic: Identification d’une maladie à partir de ses symptômes. Les systèmes de diagnostic de la dépression (DSM IV et CIM- 10) fonctionnent
sous forme de listes de symptômes caractéristiques de la dépression. Cependant leurs critères sont très subjectifs et la pertinence de ces systèmes reste
aujourd’hui contestée.
DSM IV: Quatrième version du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), publiée par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Ce manuel classe et caractérise les troubles psychiatriques. Il est utilisé par les psychiatres, chercheurs, entreprises pharmaceutiques et cliniciens du monde entier.
Le DSM-IV se veut essentiellement empirique et rompt avec les théories psychanalytiques. Il contient notamment une série de symptômes permettant de diagnostiquer
la dépression.
École Lacanienne: courant de pensée né du schisme entre les théories de Freud et de Lacan.
Eli Lilly: entreprise pharmaceutique américaine, implantée en France depuis 1962. C’est elle qui a développé le Prozac,
le plus répandu
des antidépresseurs. Cette entreprise a une importante action de communication et de lobbying en faveur
des antidépresseurs.
France Dépression: association de personnels médicaux (médecins, infirmier(e)s) mais aussi de patients et de leur famille). Elle a été crée en 1992 afin de soutenir les patients et leur famille en mettant en place notamment des groupes de soutien. Mais elle a aussi une vocation d’information vis-à-vis du public afin que cette maladie soit mieux comprise et admise via des conférences et événements en tout genre. Elle tente par ailleurs de promouvoir la recherche sur la dépression. Un comité scientifique composé de nombreux médecins issu de toute la France soutient cette initiative.
Gène: un gène est une unité d'hérédité contrôlant un caractère particulier, il est constitué d’une séquence d’acides aminés caractéristique,
déterminant la nature du gène.
Généticien: spécialistes de la génétique c'est-à-dire de l’étude des caractères individuels transmis de manière héréditaire.
Haute Autorité de Santé (HAS): créée en 2004, l’HAS est une «autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité
morale». Elle est chargée d’évaluer et d’attester la totalité de la filière médicale (matériel, établissements, procédures, personnel).
Hyperthyroïdie: phénomène caractérisée par une production anormalement élevée d’hormones par la glande thyroïde
influençant la régulation du métabolisme des cellules du corps humain.
INSERM (Institut Nationale de la Santé Et de la Recherche Médicale): établissement public à caractère scientifique et technologique dont la
recherche est entièrement dédiée à la santé humaine. Il a été créé en 1964 et est placé sous la tutelle du Ministère de la Santé et du Ministère de la Recherche.
LFSS (Loi de Financement de la Sécurité Sociale): Elle concerne la maitrise des dépenses sociales de santé. Elle fixe les objectifs de dépense
en fonction des prévisions de recette. La dernière publiée date de 2011.
Nuit Sécuritaire: Regroupement de psychiatres, infirmières, chercheurs et aide soignants spécialisés dans le traitement des maladies mentales
et psychiatriques, militant contre la réforme de la Santé envisagée par le gouvernement Sarkozy depuis 2003.
Médecin généraliste: c’est le médecin de référence pour les patients. Il s’agit souvent du médecin traitant. Son rôle est de soigner les maux
du quotidien, de suivre les patients et de les renvoyer vers les spécialistes si besoin.
Pedigree (génétique): arbre généalogique décrivant les relations entre parents et enfants d’une génération à l’autre.
Cette généalogie permet de retracer les antécédents familiaux par rapport à un facteur héréditaire,
permettant ainsi de mieux comprendre la nature de gènes défectueux.
Psychanalyse: thérapie psychique apparue à la fin du XIXème siècle après la publication des premiers travaux de Sigmund Freud.
Il s’agit d’une approche des troubles mentaux par l’analyse des mécanismes psychiques profonds, c'est-à-dire ceux de l’inconscient.
Psychiatrie: spécialité médicale concernant les maladies mentales ou psychiatriques. Le psychiatre est chargé de prévenir, diagnostiquer et traiter
les maladies mentales et les troubles psychiques telles que la dépression.
Rétrovirus: virus dont l’ARN (Acide RiboNucléique) peut se transcrire en ADN (Acide DésoxyriboNucléique) et qui est capable de s’intégrer dans
le génome d’une cellule.
Séquençage de gène: c’est une technique qui consiste à déterminer la séquence des acides aminés constitutifs des gènes.
C’est cette séquence
qui détermine la nature et le fonctionnement du gène.
Sécurité Sociale: fondée en 1945, c’est un système de couverture maladie comportant 5 branches dont l’assurance maladie qui permet le remboursement
de certains traitements.
Sérotonine: messager chimique du système nerveux central intervenant dans de nombreuses fonctions physiologiques (sommeil, migraine,
comportement alimentaire, comportement sexuel, dépression, agressivité).
SOS dépression: association où des personnes peuvent venir faire des bilans et se faire traiter. Elle propose une assistance téléphonique ainsi que
des traitements individualisés tels que la stimulation magnétique transcrânienne.
Syndrome de l’intestin irritable (SII): trouble digestif caractérisé par des malaises, des sensations douloureuses au ventre et
de la diarrhée. Cette maladie peut être à l’origine d’un état dépressif.
Thérapie génique: Technique à des fins thérapeutiques, qui a pour but d'introduire chez un patient la copie normale du ou des gènes
déficients responsables de sa maladie, ou bien de modifier l’expression du ou des gènes délétères impliqués dans une pathologie (définition donnée par l’INSERM).
Traitement: ensemble des instruments mis en place pour traiter la dépression. Il s’agit donc des antidépresseurs,
de la psychothérapie, de la thérapie cérébrale et peut être dans quelques années de la thérapie génique.
Qui sommes nous ?
Nous sommes cinq étudiantes du double cursus Sciences et Sciences Sociales à SciencesPo et Paris VI et un étudiant de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs
(ENSAD). Nous avons créé ce site dans le cadre d’un cours sur l’étude de controverses scientifiques de Bruno Latour (sociologue de la Sciences et des Techniques).
«Le cours cartographie des controverses a pour but d’apprendre aux étudiants à se repérer dans l'univers de plus en plus divers
de la recherche scientifique et technique. Il est fondé sur la «cartographie» de sujets qui sont l'objet d'une expertise technique poussée et qui, en même temps,
sont devenus des affaires, souvent embrouillées, mêlant les questions juridiques, morales, économiques et sociales, au point que ces affaires, «ces choses publiques»,
deviennent de plus en plus le cœur de la vie politique. L'apprentissage concerne à la fois les méthodes de la sociologie des sciences et des techniques, l'étude de
l'argumentation scientifique, l'analyse des médias ainsi que les nouvelles méthodes de «scientométrie» et de «géographie virtuelle» développées de plus en plus sur
internet. Ainsi, le cours développe des aptitudes à l'enquête qualitative aussi bien que quantitative et permet d’établir de façon systématique des ponts entre la
formation en sciences exactes et en sciences sociales. Le but est d’explorer, grâce à de nouvelles méthodes pédagogiques et à la fabrication de sites web de
controverses, les types d’assemblées qui permettraient de retrouver une forme partagée et légitime d’objectivité.»
Sciences Po
Dans le cadre de ce cours, nous avons choisi de nous intéresser à la question de la dépression. C’est un monde complexe, qui soulève maintes questions et débats.
Notre démarche à beaucoup évolué durant ce travail. Au départ, nous voulions nous intéresser à la question de l’origine de la dépression et notamment à une possible
cause génétique. Mais il s’est avéré que la question génétique était encore trop neuve, et que qu’une question, plus globale, de l’origine de la dépression était
une interrogation très ancienne et sur laquelle s’était construit le monde de la dépression. Il n’y avait donc pas de caractère évolutif sur cette question, et nous
avons été surpris de l’inertie du débat. Nous nous sommes aperçu que cela était dû à un certain cloisonnement des acteurs qui empêchait le dialogue d’émerger. Cela à
rendu notre travail très difficile, car il y avait peu d’information, et les acteurs du monde de la dépression n’était que très peu concernés par cette question.
C’est pourquoi nous nous sommes ensuite donné pour objectif de comprendre pourquoi il y avait cette inertie du monde de la dépression, et d’étudier sa principale et
plus grave conséquence: l’inefficacité du système de prise en charge actuel. Nous avons donc découpé notre travail en trois parties : tout d’abord nous voulions montrer
que la recherche avance, que de nombreuses découvertes sont faites, et que les sociétés occidentales se sentent concernées par le sujet. Ensuite nous avons voulu
montrer pourquoi la prise en charge n’était pas optimale et pourquoi elle n’évolue pas, malgré les avancées scientifiques et techniques dans le domaine de la
compréhension des mécanismes de la maladie et dans celui des thérapies. Et enfin, nous avons essayé de comprendre la raison de cette inertie de la prise en charge, en
nous axant notamment sur les enjeux économiques.
Chacun d’entre nous détenait un rôle spécifique dans ce long travail de recherche et d’analyse:
Coordinatrice: Faustine Auzanneau
Journaliste: Fanny Blanc
Enquêtrices: Gabriela Franco et Faustine Jeanneau
Cartographe du web: Camille Raffourt
Webmaster et graphiste: Marvin De Deus
Ainsi, après un travail d’enquête de cinq mois, au cours desquels nous avons beaucoup lu, et rencontré un bon nombre d’acteurs du monde de la dépression, nous avons
élaboré ce site. Nous espérons que celui-ci permettra d’éclairer la situation actuelle de la prise en charge de cette maladie psychiatrique qui aujourd’hui reste
un problème majeur de santé publique.
Nous voulons remercier tous les acteurs et organismes qui nous ont aidés à mieux comprendre et cerner notre projet. Parmi eux les initiateurs du projet: Jean- Noel Jouzel,
Tommaso Venturini, Bruno Latour, les spécialistes: Cinzia Crosali, Michel Hamon, Stéphane Jamain, Alain Meunier, François Tronche, il ne manque pas MacQuelquechose,
les organismes: SOS dépression, France Dépression, et les auteurs des nombreux ouvrage et sites internet cités dans notre bibliographie.Nous remercions également
le technicien de l’ENSAD, Benoît Montigné, pour son aide à l'élaboration de ce site.