Les conditions de soins actuelles et l’absence d’évolution de la prise en charge peuvent en partie s’expliquer par d’importants enjeux économiques.
En effet, il faut prendre en compte deux paramètres qui pèsent sur le choix des thérapies proposées, et de leur remboursement par la sécurité sociale: d’une part le coût respectif
des différents traitements, d’autre part les enjeux économiques liés à la production et la commercialisation des traitements.
Ici, nous allons détailler ces différents traitements, leurs avantages respectifs, leur coût pour le patient et la sécurité sociale, et tenter de montrer en quoi
et pourquoi certains sont privilégiés à d’autres.
Les antidépresseurs sont des médicaments psychotropes agissant sur les neurotransmetteurs afin de traiter
les symptômes dépressifs tels que
les troubles du sommeil, de l’appétit
et leurs conséquences dans la vie quotidienne. Il existe différent types d’antidépresseurs agissant sur différents mécanismes biochimiques neuronaux (l’inhibition de
neurotransmetteurs comme la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine, l’action de certaines enzymes comme la monoamine oxydase…).
Les antidépresseurs ont été découverts
et commercialisés depuis les années 50. Depuis l’apparition de ces médicaments, la question de leur efficacité, de leur usage, de leurs effets secondaires et
de leurs implications économiques et sociales restent des sujets très controversés et délicats.
L’apparition des antidépresseurs a bouleversé l’étiologie et la conception
de la dépression. C’est à partir de
la découverte de l’action des neurotransmetteurs
dans l’expression de la dépression et sa médicalisation, que
la dépression a été envisagée comme une maladie. On peut considérer qu’à partir de ce moment, par
la modification des réseaux de pratiques autour de
la dépression, il y a eu une performation de la nature, de la définition et de l’existence même de cette réalité.
Cette rupture épistémologique a évidemment été induite par
le basculement de la dépression du
seul domaine psychique au domaine biologique. Cependant ce phénomène
n’aurait peut-être pas pris une telle importance si les enjeux économiques représentés n’avait pas été aussi importants. Car la dépression est alors devenue un
marché potentiel. Aujourd’hui, plus de 100 millions de personnes dans le monde consomment des antidépresseurs; la dépression n’est plus seulement une pathologie,
c’est
un secteur industriel qui concerne
des centaines de milliards de dollars tous les ans. Ces intérêts économiques ont influencé la perception de la dépression comme
une maladie, et favorisé la mode de traitement par antidépresseurs.
Le traitement médicamenteux a d’ailleurs pris une telle importance que la dépression est
aujourd’hui définie comme «toute maladie susceptible d’être soignée par des antidépresseurs».
Cela pose énormément de problèmes au niveau éthique, philosophique et scientifique. Modifier l’humeur par des médicaments n’est en effet pas une action bénigne,
elle soulève des réactions et des critiques. Tout d’abord, l’efficacité des pilules est toujours remise en cause. Grand nombre de personnes reste aujourd’hui sceptiques
sur ce qu’on a rapidement appelé les «pilules du bonheur» ou encore «le bonheur sur ordonnance». En effet, pour beaucoup, l’effet des antidépresseurs relève plus
de l’effet placebo que du principe actif de la molécule. Cela traduit d’une part, la résistance de l’opinion publique à l’idée que l’humeur et les pensées ont une
existence biologique et d’autre part une réaction de la société face à la commercialisation et à la transformation en objet de consommation des antidépresseurs. En effet
le lobbying et les violentes campagnes de marketing de la part des industries pharmaceutiques ont banalisé l’utilisation d’antidépresseurs et conduit à la
surconsommation de ces médicaments. Cela soulève des contestations d’ordre moral sur le recours systématique et injustifié d’antidépresseurs à la moindre «déprime» et
sur l’utilitarisme de ces importantes firmes pharmaceutiques qui font passer les enjeux économiques avant l’intérêt des patients. A cela s’ajoute toute une série
de critiques par rapport aux effets secondaires de ces médicaments. Comme précise Dominique Amory président de Lilly France «Tous les médicaments ont des
effets secondaires. Malheureusement on n’a pas encore réussi à trouver un médicament qui n’ait pas des effets secondaires. C’est pourquoi on raisonne en termes de
bénéfice-risque». Mais pour les antidépresseurs, ce rapport n’est pas évident car les risques des antidépresseurs sont variés, graves et contradictoires:
modifications métaboliques, troubles de la personnalité et même développement d’idées suicidaires.
Néanmoins, en dépit des critiques, et très rapidement, les antidépresseurs sont devenus le traitement le plus répandu pour la dépression. Il s’avère être le premier traitement auquel tant de patients répondaient positivement, son coût de production est faible, sa posologie très simple. En termes de coûts pour la prise en charge, c’est beaucoup plus avantageux que la stimulation cérébrale ou la psychothérapie, dans la mesure où c’est le patient qui se charge de façon autonome de prendre ses pilules, alors que les autres traitements nécessitent l’intervention d’un thérapeute. C’est la raison pour laquelle l’organisation de la prise en charge par les pouvoirs publics donne la priorité à l’utilisation des antidépresseurs sur les autres thérapies. Cela se traduit par exemple par le « court-circuitage » des spécialistes en psychothérapie à travers l’ouverture de la prescription d’antidépresseurs directement aux médecins traitants
Pour finir, il est important de noter que cette préférence pour le traitement par antidépresseurs, qui n’est pas tout le temps adaptée à la maladie, risque de perdurer.
D’une part, parce que les autres thérapies sont peu développées, du fait de leur coût important de production et d’utilisation. D’autre part car le financement de
la recherche dans ces domaines alternatifs est très faible par rapport aux sommes investies dans les antidépresseurs. Le financement publique est très faible dans
les tous les cas, mais le financement privé pour la recherche sur les antidépresseurs peut représenter des sommes colossales. Ainsi, c’est 20% des ressources de
Lilly France qui sont destinées à la recherche en médicaments.
La psychothérapie est une thérapie basée sur un échange entre le malade atteint
de dépression et une personne formée
à l’écoute et à la compréhension des troubles psychiques. Le malade n’est pas jugé, bien au contraire il se retrouve dans un cadre où il est écouté et compris.
Le but d’une psychothérapie est d’aborder les problèmes de façon différente, de voir d’une autre manière sa vie et de mettre des mots sur ce que le patient a vécu.
Il est donc important que la personne dépressive se sente en confiance avec
le praticien. La durée des séances est variable, entre 30 minutes et 1heure suivant les thérapeutes et les patients.
De plus, il faut savoir qu’il n’existe pas
un modèle de psychothérapie. En effet, chaque praticien possède sa façon de faire, qu’il adapte souvent au malade,
en fonction de son type de dépression
et de sa réactivité à une méthode.
Les psychothérapies sont souvent prescrites en complément d’un traitement par antidépresseur. Elles sont pratiquées par les psychiatres et les psychologues et coûtent
entre 40 et 100 euros la séance.
La psychothérapie à l’avantage de ne présenter aucun effet secondaire. De plus, elle permet un suivi personnalisé pour chaque patient, en fonction de la gravité de
sa dépression, de sa situation personnelle et de ses besoins. Cela créé en outre un contact humain qui est souvent un facteur décisif de leur guérison.
Il est souvent visible que ce type de traitement permet un rétablissement plus rapide, mais surtout plus durable.
Les psychiatres observent en effet
qu’une personne suivie par psycho-
thérapie présente moins de chance
de faire une rechute dans les mois qui suivent. Cependant son coût est assez important. En effet, une thérapie implique la mobilisation d’un spécialiste pendant 30min à
1h pour un patient, et ce plusieurs fois par semaine pendant
des périodes parfois très longues.
Le remboursement des psychothérapies est assez complexe puisqu’il dépend du type de praticien et du lieu où elles sont pratiquées: de 0% à 70% de la consultation
est remboursée. Si celles-ci sont pratiquées dans un milieu hospitalier que ce soit par un psychiatre ou par
un psychologue alors l’assurance maladie la prend en charge totalement. De même, si c’est un psychiatre dans un cabinet privé, la psychothérapie est remboursée selon
les conditions du parcours de santé c'est à dire qu’il faut être passé par son médecin traitant en premier lieu. Enfin,
si le praticien est un psychologue
dans un cabinet privé, il n’y a pas de remboursement mais certaines mutuelles prennent en charge une partie des frais. L’utilisation
de la psychothérapie est très répandue, elle vient presque toujours
en complément d’un traitement médicamenteux et est recommandée par la plupart des institutions de santé. Cependant les démarches administratives et les modalités
de remboursement complexes en font un traitement moins accessible que les antidépresseurs.
Ainsi la psychothérapie pourrait suffire à soigner une partie des dépressions, sans utilisation de médicaments, mais elle reste très certainement sous développée.
Aujourd’hui, la plupart des spécialistes souhaitent voir se mettre en place un suivi psychothérapeutique plus long, et plus poussé. Michel Hamon, pharmacologue, déplore
la sous utilisation de ce traitement au bénéfice du traitement médicamenteux:
« On soigne la dépression avec une amélioration de la société. L’élément sociétal est clef dans la dépression.
Les gens se retrouvent seuls, l’isolement social est dramatique. On n’est pas fait pour vivre seul. On voit l’individualisme qui se développe, l’ultra libéralisme qui
font que les riches sont plus riches et les pauvres sont plus pauvres. La séparation entre les classes sociales est immense. Tout ça, c’est une évolution vers
une inhumanité insupportable. C’est une régression dans la qualité des relations humaines. Et qu’est ce qu’on répond à cela ? La réponse de la société à cela ce sont
les médicaments. Les problèmes sociétaux sont traités par des médicaments. C’est quand même terrible. Et c’est pour ça que les médicaments ne sont pas vraiment efficaces.
Parce que
les médicaments antidépresseurs sont efficaces mais une fois que l’on soigne l’épisode dépressif, la personne va revenir dans son milieu parce qu’elle n’a pas le choix.
Donc il va retrouver son job, un milieu où il est éventuellement seul…
Il va rechuter c’est évident. S’il n’y a pas un changement de son milieu, les facteurs ‘dépressiogènes’ seront toujours là.»
Il apparaît aujourd’hui que la psychothérapie est sous utilisée,
alors même qu’elle présente nombre d’avantage sur le traitement classique
par antidépresseur. Le problème, est évidemment celui de son coût, à la fois pour le patient, mais aussi pour la sécurité sociale, qui va avoir tendance à donner
la prédominance à un traitement médicamenteux, moins cher, et dont
la prescription est plus facile à organiser.
La catégorie «thérapies cérébrales» regroupe de nombreux traitements dont les trois principaux sont la thérapie magnétique transcranienne, les électrochocs et
les électrodes implantées dans le cerveau. Ces techniques sont destinées à stimuler les neurones pour améliorer leur communication. Les soins peuvent être dispensé
à l’hôpital ou en cabinet, à raison de plusieurs séances
par semaine.
La technique des électrochocs, appelée aussi l’électroconvulsivothérapie ou sismothérapie est pratiquée sous anesthésie générale. Cette technique
est peu connue et
mal perçue à cause de
la mauvaise réputation qu’ont les électrochocs. Mais si elle consiste encore parfois à administrer un bref courant électrique, de faible intensité, pour stimuler
les neurones; la plupart du temps ce traitement consiste à administrer
un choc chimique (par exemple une forte quantité de glucose) qui provoque
les mêmes effets sans avoir cette connotation barbare qui colle à l’image des électrochocs.
La stimulation magnétique transcrânienne est la moins invasive
des trois techniques puisqu’elle consiste
à délivrer de brèves «impulsions magnétiques»
très ciblée
sur région limité du cerveau, par le biais d’un casque posé sur le crâne du patient. Cette technique est indolore et le patient reste conscient.
Les électrodes implantées dans
le cerveau provoquent une stimulation électrique profonde et permanente.
Les électrodes permettent de stimuler
les neurones directement à haute fréquence et en continu. Cette technique est encore au stade expérimental, elle est peu répandue, et utilisé uniquement dans des cas
de dépression très sévère.
Ces techniques présentent l’avantage d’être moins invasives que les anti-
dépresseurs car elles ne concernent que la région du cerveau, voire des zones très limitées de celui-ci en ce qui concerne
la thérapie transcranienne; alors que
la prise de médicaments inonde toutes
les cellules du corps. Ce techniques peuvent néanmoins présenter des effets secondaires, comme parfois des pertes
de mémoire. Malgré tout, cela permet
de proposer une alternative intéressante aux antidépresseurs. En diversifiant
les possibilités de thérapie, on multiplie les chances de trouver un traitement adapté à chacun.
Cependant ces techniques sont très peu développées en France, où elles ne représentent encore que des solutions de secours en cas d’inefficacité des antidépresseurs.
La raison principale est leur coût, bien plus élevé que celui d’un médicament. Cependant Alain Meunier, psychiatre, dénonce un surcoût de ces techniques dû à la rigidité
du système français:
«La thérapie magnétique transcrânienne existe depuis 10 ans en Suisse, depuis 15 ans en Belgique. Ca existe partout sauf en France. […] l’Autorisation
de Mise sur
le Marché (AMM) […] fait des réglementations pour chaque nouveauté. Ces réglementations font qu’en France, les médicaments ou un traitement met dix ans de plus qu’ailleurs
à rentrer.
La stimulation transcrânienne est un bon exemple. Il y a des patrons qui ont vu ce système, ils ont demandé à avoir
les appareils, donc ils ont les appareils. L’AMM leur a filé des protocoles d’enfer c'est à dire qu’effectivement pour avoir droit à une stimulation, il faut avoir eu
trois antidépresseurs dans le même service, et être hospitalisé pour le faire. En gros ce que nous faisons ici pour 800 euros
coûte 15 000 euros à l’hôpital. Il y a
un problème de coût qui se pose immédiatement. Pourtant ça marche très bien, il n’y a pas d’effet délétère.»
C’est la raison pour laquelle, en réalité, peu d’hôpitaux et de psychiatres ont recours à ces thérapies aujourd’hui.
C’est un vrai manque à gagner, et certains acteurs tentent aujourd’hui de valoriser l’utilisation de ces procédés: l’association SOS Dépression propose par exemple
la stimulation transcrânienne comme traitement à la dépression. L’idée est de profiter des atouts de ces techniques, plus ciblées et parfois plus efficaces que les antidépresseurs, et les proposant à un moindre coût que si elle était réalisée en milieu hospitalier. Surtout l’association offre ce traitement à tous, alors que les contraintes en milieu hospitalier font de ces techniques, des solutions de secours seulement utilisées en dernier recours pour des cas extrêmes de dépression.
La thérapie génique est un hypothétique traitement à venir pour répondre aux dépressions sévères et récurrentes qui impliquent des facteurs génétiques. Cette technique est d’ors et déjà à l’essai dans certains domaines comme les pathologies cardiovasculaires, les maladies infectieuses, ou encore pour le cancer. Elle consiste à implanter un gène sain dans le génome d’une personne malade afin de compenser les déséquilibres du au gène déficient. Cette manipulation implique de nombreux examens préalables. D’abord l’établissement d’un pedigree, voir d’un caryotype et d’un séquençage de gènes pour diagnostiquer indubitablement le facteur héréditaire. Ensuite il y a l’étape de prélèvement des cellules pour leur implanter le gène sain au moyen de rétrovirus. Cette étape requiert de grandes précautions et un suivi minutieux, car on ne peut contrôler l’endroit où le gène va s’intégrer, et il est possible que cela affecte des gènes vitaux. Une fois cette étape de contrôle achevée, les cellules sont réinjectée dans le corps du patient. C’est une technique coûteuse et controversée sur le plan de l’efficacité, mais aussi sur le plan de l’éthique.
En ce qui concerne la dépression chez l’homme, aucune thérapie génique n’a encore pu être conçue car les chercheurs n’ont pas encore réussi à identifier précisément tous les gènes mis en cause. Surtout, ils n’ont pas encore identifié les cellules cibles, c'est-à-dire les cellules responsables du déséquilibre chimique à l’origine des symptômes dépressif. Or pour que la thérapie génique fonctionne, ce sont ces cellules qu’il faut modifier génétiquement.
De plus, même si l’on parvient à établir cette thérapie génique, il est à craindre que son utilisation soit limitée du fait de son coût important. Bien évidemment son utilisation va en grande partie dépendre du statut, des protocoles et du mode de remboursement qui lui seront attribués par les différents organismes de la sécurité sociale. Il faut savoir qu’actuellement, la thérapie génique étant au stade des essais, son coût est pris en charge par des organismes publics caritatifs ou gouvernementaux et des industries pharmaceutiques.
Cette technique est donc encore loin d’aboutir à un traitement fonctionnelle cependant elle suscite beaucoup d’espoir. D’abord parce que c’est aujourd’hui un des rares traitements envisageables pour un certain nombre de malades atteints de dépressions profondes et inexpliquées. Ensuite, parce qu’elle présente un caractère définitif. Une fois la cause génétique «réparée», le patient n’a pas plus de chance de faire une rechute que n’importe qui de faire une dépression. Ces espoirs ont été relancés récemment, car en 2010, une équipe de chercheurs américains a affirmé avoir traité avec succès des rats dépressifs, au moyen d’une thérapie génique.
Les enjeux économiques sont au cœur de la problématique de la prise en charge. Il existe de nombreux traitements pour soigner la dépression; nous ne citons ici que les principaux. Chacun a un coût différent, et tous ne sont pas utilisés à la même échelle. Alors que l’on pourrait croire que c’est leur efficacité qui prime, il s’avère que c’est souvent leur coût qui est privilégié en ce qui concerne leur développement, leur utilisation et leur remboursement. Ainsi, la prescription d’antidépresseurs est aujourd’hui quasi-systématique dès que le diagnostic est fait, du fait de leur faible coût de production et de leur facilité d’usage. Certes ceux-ci fonctionnent pour une majorité de malade, mais ils présentent également des inconvénients et sont loin d’être correctement tolérés par tout le monde. Ce qui est déploré aujourd’hui, c’est un sous-développement des autres thérapies, uniquement pour des raisons financières. Ce ne sont certainement pas des solutions miracles, mais elles permettraient d’offrir une plus large gamme de traitements, et d’apporter des soins plus adaptés aux patients. Il faut aussi souligner, que si les antidépresseurs sont favorisés en raison de leur faible coût, cette prédominance peut aussi s’expliquer par l’existence d’un lobby pharmaceutique très puissant en France, mais aussi dans tout le monde occidental.