Interview de Christian BESSON – Senior Analyst – International Energy Agency

1. Pourriez vous nous présenter en quelques mots votre rôle au sein de l’IEA?

Il s’agit d’une organisation internationale, créée en 1974, regroupant les pays de l’OCDE. Le but est d’aider les pays membres dans leurs politiques de sécurité énergétique.

L’objectif premier était en 1974 de coordonner la gestion des stocks pétroliers. En effet, l’IEA a été créée au moment où le monde connaissait son premier choc pétrolier. L’objectif a évolué au fil du temps, et l’IEA a aujourd’hui de nouvelles activités, notamment l’analyse des marchés pétroliers, afin de jouer un rôle de conseil sur la gestion des stocks. De plus l’IEA ne concerne désormais plus uniquement le pétrole, mais a étendu son analyse aux autres énergies, telles que le gaz et les énergies renouvelables.

Chaque année l’IEA publie un rapport essentiel pour les etats : le World Energy Outlook. Celui-ci consiste à simuler divers scénarios sur les évolutions du système énergétique mondial, en prenant des hypothèses hautes et des hypothèses basses.  En ce qui concerne mon activité au sein de l’institut, je suis responsable de cette publication.
Aujourd’hui nous devons répondre a certaines questions concernant le gaz de schiste :

a) quelles sont les ressources?
Celles-ci sont relativement bien connues aux États-Unis mais beaucoup moins dans les autres pays. A ce jour, on compte trois études permettant de localiser et d’évaluer ces ressources :
- la New Review of Energy and Environment publiée dans les années 90, donc plus très récente.
- l’étude IHS mais qui n’est pas encore dans le domaine public
- l’étude du Department Energy (RAI)
Elles donnent différentes informations sur les ressources, mais uniquement au niveau qualitatif et non quantitatif.

b) Combien peut-on espérer produire?
Cette donnée est assez mal connue. Jusqu’à il y a peu de temps, nous ne disposions pas des technologies permettant d’évaluer les quantités productibles. En réalité, tant que nous n’aurons pas essayé de produire, nous ne pourrons pas savoir. C’est là une inconnue qui persiste.

c) Quelles conséquences pour l’environnement?
Cette question est celle qui anime le plus les médias, et l’on comprend assez bien pourquoi. Les questions soulevées sont principalement en lien avec la technique utilisée pour exploiter le gaz de schiste, à savoir la fracturation hydraulique.
Les interrogations concernent aussi bien  l’eau, les émissions, la pollution, que l’utilisation du terrain due à l’industrialisation (donc aux infrastructures).
C’est par le biais du Texas Marmat Schale que ces questions ont fait surface dans les médias. En effet, du fait de l’évolution de la localisation des pôles vers des zones de plus en plus proches de sites industriels et urbanisés,  les questions environnementales sont devenues plus visibles.

d) L’exploitation du gaz de schiste est-elle économique?
L’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis nous laisse penser qu’elle devient économique lorsqu’elle est effectuée à grande ampleur, en particulier grâce aux nombreuses économies d’échelle réalisées. Cela a par conséquent entraîne une baisse du prix du gaz aux US parallèlement à un développement rapide de l’offre. Ces deux conséquences font qu’en réalité peu de dépôts de gaz de schiste sont aujourd’hui rentables : les prix étant trop bas pour amortir les nouveaux investissements. Dès lors, c’est la loi du marché qui opère : comme il n’y a pas de nouveaux investissements, l’offre se stabilise, alors que la demande continue de croître, ainsi les prix ré-augmentent rendant les investissements rentables. Tout cela se passe dans un laps de temps très restreint.

En Europe, pour le moment, comme il n’y a pas encore de production importante de gaz de schiste, les économies d’échelle ne permettent pas de faire diminuer les coûts de production qui restent encore très élevés. De plus, le prix du gaz est plus élevé en Europe.

2. Selon vous, quelle place peut avoir le gaz de schiste dans le bouquet énergétique disponible dans le futur ?
Nous ne savons pas car nous n’avons pas de production. Nous avons des estimations de gaz contenu dans les roches, ce qui ne signifie pas qu’il est productible, comme je vous l’ai déjà expliqué. De plus, nous n’en avons que pour certains sites. Si on fait des hypothèses basées sur des observations faites aux États-Unis, les ressources en France sont loin d’être négligeables. Elles pourraient couvrir une grande partie des besoins en gaz du pays.

Après la question que l’on eut se poser est : est-ce utile d’exploiter les ressources françaises ou vaut-il mieux continuer à importer ? En Europe, si la France est seule à exploiter le gaz de schiste, l’impact prix risque d’être relativement faible. Par contre, si différents pays l’exploitent, alors les exportations en provenance de l’étranger diminueront sensiblement, ce qui se répercutera mécaniquement sur le prix du gaz. Il va sans dire que la sécurité énergétique européenne s’en trouverait renforcée.

Le point de vue affirmant que «  la solution du futur est le renouvelable et non le gaz » est intéressant mais peu réaliste. On peut imaginer qu’il est possible à investissement égal d’augmenter la production énergétique avec le gaz de schiste bien plus qu’avec les énergies renouvelables. En effet, celles-ci requièrent des investissements extrêmement lourds et les technologies ne sont pas encore totalement au point. Investir dans le gaz de schiste est plus rapide et serait par là même plus intéressant. Bien sûr à terme c’est vers le renouvelable qu’il faut aller.

3. Comment pensez-vous que la situation va évoluer en France ?
La question est essentiellement politique. tout dépend de la vision énergétique pour laquelle on opte : soit on se tourne vers les énergies renouvelables, auquel cas il faut attendre que les techniques se développent et investir de façon massive ; soit on considère que le gaz de schiste est une énergie intermédiaire, une étape avant de passer au renouvelable.

Pour le moment il n’y a pas vraiment de politique à ce sujet en France. Seulement quelques mesures ont été prises, la dernière étant l’interdiction d’exploiter le gaz de schiste avec la méthode de fracturation hydraulique. Cette décision est très controversée d’ailleurs car elle a été prise avant même que la Commission mandatée pour faire une expertise ait rendu ses conclusions. En réalité, il n’y a pas eu de réelle étude ni de débat à ce sujet, on peut parler d’une absence de politique réfléchie.

4. Y-a-t-il des modes d’extraction alternatifs envisageables ? ou en cours d’élaboration ?
Non pas pour le moment. La législation française comporte des failles non négligeables dans la délivrance des permis d’exploration. Lorsqu’elle a interdit l’exploitation par fracturation hydraulique c’est parce qu’elle ne pouvait pas rétroactivement interdire l’exploration alors qu’elle avait déjà accordé des permis. J’insiste sur le terme fracturation hydraulique car il s’agit en réalité juste d’un moyen de contourner la loi. Dans la mesure où il n’y a pas d’autre méthode d’exploitation, il paraît évident que les permis avaient été délivrés en connaissance de cause.

Désormais l’exploration continue mais l’exploitation par fracturation hydraulique est interdite. Il n’y aura donc jamais d’exploitation en France si la loi ne change pas. On comprend assez bien pourquoi Total a, pour le moment, stoppé son activité en France dans ce domaine.

5. Comment est fixé le prix du gaz ?
C’est un mécanisme assez complexe en Europe. Mais il faut savoir que le coût du gaz est très largement dominé par les taxes, ainsi le gaz présente des recettes fiscales non négligeables.

6. Dans quelle mesure votre activité est-elle concernée par la controverse autour des gaz de schiste ?
Comme je vous l’ai expliqué, nous avons véritablement un rôle de conseil auprès des pays membre de l’Agence. Les politiques en général et énergétiques en particulier sont très variables selon les pays. Nous ne prenons donc pas position sur le fait d’exploiter ou non le gaz de schiste. Nous analysons la situation de chaque pays, la réglementation (des questions environnementales) en vigueur et nous conseillons.

7. Quel conseil donnez-vous à la France ?
Une série de choix est possible pour le futur énergétique du pays. Si le choix est d’aller vers le gaz de schiste, il y aura dans ce cas là des règles à suivre. Il faudra par exemple revoir le fait que la loi ne prévoit aucune consultation citoyenne pour les permis d’exploration. La consultation de public prend du temps bien sûr, mais elle permet de connaître les avis au sens large. Son intérêt est non négligeable car elle permet surtout d’informer les publics concernés.Par ailleurs, le problème qui se pose en France est que très souvent les zones de gaz de schiste coïncident avec des zones de tourisme.

8. Entretenez-vous de quelconques relations avec d’autres acteurs concernés par cette controverse ?
Nous avons un rôle d’analyse et de conseil auprès des États, nous entretenons nécessairement des relations avec eux puisqu’ils sont nos donneurs d’ordre. Ce sont eux qui nous mandatent et dictent le programme de travail. Mais tous les États doivent de mettre d’accord sur celui-ci.

Par ailleurs, nous avons des contacts réguliers avec l’industrie. Nous organisons à cet effet des séminaires et en particulier l’Energy Business Council.
Enfin par le biais de séminaires, de workshop et de publications, nous sommes également en contact avec les ONG. Par contre pas du tout avec les collectifs activistes.

9. Comment les informations relatives au gaz de schiste sont-elles relayées auprès du grand public ? Comment pensez-vous qu’il le perçoit ?
On ne peut pas dire qu’il y ait une information spécifique au public. Dans l’ensemble des pays, de nombreux articles ont été publiés sur le gaz de schiste et ils sont très largement négatifs.

L’Université du Texas a mené une étude sur les publications positives et négatives autour des gaz de schiste. Il apparaît ainsi qu’au début, il n’y avait pas de contrepoids aux Etats-Unis. Dès lors les questions environnementales étaient mises de côté. Mais cela a énormément évolué. On ne peut plus comparer la situation actuelle à celle de départ. La « période folle des débuts du gaz de schiste » n’est plus d’actualité. En France, nous avons un besoin réel d’informations plus neutres.

10. Le gaz de schiste appartient à ce qu’on appelle les Gaz Non Conventionnels, pourquoi est-ce celui qui fait le plus parler de lui ?
Vous avez raison, il existe bien d’autres gaz dans cette catégorie des GNC. Ces autres gaz ont une méthode d’extraction tout à fait semblable au gaz de schiste. Il y a notamment le gaz de houille qui se trouve majoritairement dans les zones d’exploitation minière, donc des zones où il y a déjà une certaine « culture de l’industrie ». Les populations sont en quelque sorte habituées.

Si l’on prend le cas de ce gaz de houille : la fracturation hydraulique nécessaire à l’exploitation est moins intense que celle pour le gaz de schiste ; et le problème d’approvisionnement en eau ne se pose pas. Cependant, l’extraction nécessite autant de puits et émet autant de polluant, mais surtout, les conséquences sur l’eau peuvent être pires en terme de contamination.

11. Dans un contexte de débat sur le réchauffement climatique, quel rôle joue, selon vous, le gaz de schiste ?
Nous prônons comme objectif de long terme, c’est-à-dire 60 ou 70 ans, d’avoir un système énergétique entièrement renouvelable. La question qui se pose est : quel statut le gaz a-t-il ? il y a deux façons de le considérer : ou bien le gaz fait partie de ce qu’on appelle « transitional fuel » auquel cas il devient un objectif de moyen terme, ou bien le gaz ne doit  pas prendre plus de place et l’on doit s’atteler directement à passer au renouvelable.
Le gaz de schiste en terme d’émissions est plus ou moins semblable aux gaz dits conventionnels. On remarque aux Etats-Unis qu’avec l’évolution de l’industrie, les émissions, notamment de méthane, ont tendance à diminuer.
Si l’on prend l’hypothèse que le gaz de schiste peut être une énergie de transition, il faut voir s’il est plus ou moins émetteur que d’autres énergies telles que le charbon. On reproche au gaz de schiste d’entraîner des fuites de méthane. Cependant, on ne connaît pas la quantité de ces fuites. Quand on compare le gaz de schiste et le charbon, en terme d’émission de méthane pour l’un et de CO2 pour l‘autre, on a deux cas possibles en fonction des hypothèses faites

  • l’estimation forte montre que les émissions de méthane et de CO2 seraient équivalentes
  • l’estimation basse indique que le gaz de schiste serait à l’origine de moins d’émissions que le charbon.

Quels effets de serre s’en suivent ? Le CO2 reste environ 100 ans dans l’atmosphère, contrairement au méthane, qui lui ne reste que 10ans. On pourrait donc penser que l’impact du méthane est bien moins mauvais. Néanmoins il faut bien remarquer que le méthane entraîne un bien plus fort effet de serre que le CO2. L’effet est donc plus fort mais sur une période plus réduite. D’après l’IPCC, l’effet du méthane serait 25 fois celui du CO2 par gramme. On soulève là une question absolument cruciale sur laquelle nous n’avons que très peu d’informations.

12. Avez-vous vu le film Gasland ? Qu’en avez vous pensé ?
En effet, je l’ai vu. Il insiste beaucoup sur ce dont nous venons de parler : les fuites de méthane dans l’eau dues à l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique. Il faut tout de suite rétablir une vérité que le film ne montre pas : il y a bien plus de méthane dissout dans les aquifères que dans les réservoirs de gaz. Il faut savoir que le gaz peut être présent dans les nappes phréatiques de manière totalement naturelle. Sans qu’il ne soit question de gaz de schiste. Pour véritablement connaître l’impact du gaz de schiste dans la pollution de l’eau, il aurait fallu faire des mesures de la présence de méthane dans les aquifères avant de commencer l’exploitation afin de pouvoir les comparer avec celles faites après.

Du fait de l’exploitation de gaz de schiste, le méthane peut arriver dans un aquifère utilisé comme source d’eau par deux manières : ou bien le ciment du puits a été mal fait ce qui permet au gaz de remonter par le puits ou au voisinage de celui-ci jusqu’à la surface; ou bien le forage du puits a réactivé une faille ce qui entraîne une remontée de gaz à travers les couches géologiques.

Le premier type d’accident est assez fréquent mais la technologie permet désormais d’éviter toute pollution de l’eau. Le second est très rare, en particulier du fait des études géologiques faites au préalable afin de connaître les emplacements des failles.

13. Quelle est, selon vous, la place du gaz de schiste en France ?
La France est un pays importateur de gaz non négligeable, et sa consommation est appelée à augmenter à cause des énergies renouvelables. Le paradoxe est là. L’augmentation des énergies renouvelables génère une hausse de la consommation de gaz pour gérer les intermittences (les turbines à gaz sont assez économiques).
Si la France se lançait dans les gaz non conventionnels, la production pourrait couvrir 20% de la consommation française, ce qui est non négligeable. Mais bien évidemment cela implique des milliers de puits à forer, d’où l’impact en terme d’environnement. La décision est très engageante industriellement parlant.
A titre personnel, je trouve qu’on parle beaucoup des effets sur l’environnement du gaz de schiste, oubliant presque ceux causés par le nucléaire qui sont bien pire : aussi bien en termes de déchets que d’accidents. Parmi les plus gros exploitants du nucléaires, tous ou presque on eu des accidents, inutile de mentionner le dernier en date qu’est celui de Fukushima.

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