Interview de Sébastien Chailleux, Doctorant au Centre Émile Durkheim, Sciences Po Bordeaux et à l’Université Laval de Québec


1. Pourriez-vous nous présenter en quelques mots le sujet de votre thèse ?

Je travaille sur l’influence des mobilisations sociales et des groupes d’intérêts sur la décision publique dans le dossier des gaz de schiste en France et au Québec.

2. Selon vous, quelle place peut avoir le gaz de schiste dans le bouquet énergétique disponible dans le futur?

- C’est difficile à estimer :

  • Pas d’études scientifiques réalisées en France
  • Du fait de la loi du 13 juillet, il ne peut pas à l’heure actuelle y avoir d’estimation des ressources

3. Que pensez-vous de la politique menée en France concernant des gaz de schiste?

- On note en premier lieu un manque de consultation en amont des populations et collectivités locales dans le processus de délivrance de permis d’exploration. Notamment, certains maires n’auraient découvert que par voie de presse la délivrance de permis dans leur région. Initialement, le dossier était purement technique, géré par les ingénieurs du CGEDD et CGIET.

- Manque d’information qui a conduit à l’organisation de groupes de protestation locale très réfractaires au gaz de schiste.

- Ces pressions ont mené au vote de la loi du 13 juillet, mais qui ne satisfait ni les collectifs, ni les industries pétrolières.

– Du côté des collectifs, il y a une exigence d’aller jusqu’à l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste pure et simple, la simple interdiction de la technique d’exploitation suscitant la méfiance et le soupçon d’exploitations futures, avec peut-être d’autres moyens technologiques.

- Du côté des groupes pétroliers, l’exploitation du gaz de schiste n’est pas interdite, certes, mais sans la technique de la fracturation hydraulique il est impossible d’effectuer les moindres recherches et d’apporter des estimations un tant soit peu fiables du potentiel de la ressource exploitable en France. Il est donc également impossible de faire évoluer le débat en amenant des arguments économiques concrets. Un loi quelque peu démagogique qui ne clôture pas réellement le débat.

- Positions des différents politiciens peu claire et peu médiatisée.


4. Selon vous, la controverse réside-t-elle plus dans la méthode d’extraction ou dans le gaz de schiste en lui-même?

 - On pourrait croire être à première vue face à une controverse purement technique, mais on découvre qu’en fait les collectifs sont réellement contre « le gaz de schiste » en lui-même. Slogan : « Ni ici, ni ailleurs, ni aujourd’hui, ni demain ! ». Les collectifs ont tendance à invoquer l’argument du passage aux énergies renouvelables par opposition au recours aux énergies fossiles. Cependant, un militant a admis que s’il s’était agi de gaz conventionnel, il n’y aurait pas eu une telle mobilisation.
- Un des problèmes majeurs réside dans le manque d’information. Tout le monde, au sein des collectifs, a vu le film Gasland, qui a provoqué une certaine diabolisation du gaz de schiste.
- Il y a donc une part d’irrationnel, avec beaucoup de suspicion vis à vis des grands groupes pétroliers, mais il ne faut pas dénier une part importante de rationnel dans les argumentaires développés, avec notamment en Ardèche des arguments économiques (touriste et agriculture bio).
- Même si on observe que les groupes pétroliers tentent de proposer des solutions pour rendre acceptable l’exploration, ces derniers s’opposent à un refus en bloc de ces tentatives de compromis de la part des populations locales.


5. Entretenez-vous de quelconques relations avec les autres acteurs concernés par cette controverse?

Non, à part une rencontre pour un entretien et quelques échanges par courriels.


6. Que pensez-vous de l’engagement de José Bové dans la controverse en France?

- José Bové a beaucoup été accusé de récupération du mouvement anti-gaz de schiste. Notamment, une rumeur dit qu’il n’aurait jamais déposé une pétition pourtant signée par un nombre de conséquent de militants, qui avait pour but d’interdire l’exploitation du gaz de schiste en France.

- Cependant il a été utile pour permettre une meilleure visibilité de la controverse et lui donner une image médiatique.

7. Comment les informations relatives au gaz de schiste sont-elles relayées auprès du grand public? Comment pensez-vous qu’il le perçoit?

- Ce que l’on note en premier lieu dans le traitement médiatique du sujet, c’est un manque d’informations et d’articles sur le fond du sujet. Au contraire, les médias ont tendance à traiter le problème en surface et à se concentrer sur les aspects sensationnels, comme les actions et manifestations des populations locales.

- Si le sujet a été assez traité dans la première partie de l’année dernière, il ne semble plus beaucoup intéresser ces derniers temps.
- Les collectifs soupçonneraient la presse nationale de prendre parti, et de présenter ces derniers temps davantage les intérêts liés au gaz de schiste et la dynamique positive que ce dernier peut engendrer. Par exemple, on nous montre que grâce à l’exploitation de l’hydrocarbure de schiste, le chômage aurait reculé jusqu’à 3% dans le Dakota, ou que l’Etat parvient à éponger ses dettes.

- Importance de la presse locale pour les collectifs.

- Mise en avant d’internet comme source première d’informations


8. Avez-vous vu le film Gasland? Qu’en pensez-vous?

- Gasland est un bon film militant à la Michael Moore, mais qui manque d’objectivité. Et de plus, on peut le considérer comme légèrement désuet puisqu’un certain nombre de lois ont été mises en place aux Etats-Unis afin d’éviter les abus qui sont en effet présentés dans le film. De plus le code minier et la propriété du sol e sont pas les mêmes en France et aux Etats-Unis, les problèmes qui se posent ne sont donc pas les mêmes.
- Sur la question de la mauvaise foi de l’argument des groupes pétroliers qui refusent de prendre les évidences de contamination de l’eau pour des preuves scientifiques : oui, on a quelque part de la mauvaise foi. On a d’un côté des gens lésés qui se retrouvent obligés de prouver par eux mêmes en effectuant les mesures, en faisant analyser leurs échantillons dans des laboratoires, ce qui coûte de l’argent qu’ils n’ont pas forcément. De l’autre côté, on a des grands groupes qui eux, ont les moyens de démontrer le contraire, ce qui alimente la suspicion à leur égard. Cette situation a d’ailleurs mené un certain nombre de collectifs en France à effectuer d’ores et déjà des mesures de la composition de l’eau dans leurs communautés afin de disposer d’une preuve éventuelle de « pureté originelle » en cas d’exploitation effective des gaz de schiste et de contaminations similaires à celles qui ont eu lieu aux Etats-Unis. (bilan zéro de l’eau)


9. Dans un contexte de débat autour du réchauffement climatique, quel rôle joue, selon vous, le gaz de schiste?

- L’argument principal invoqué pour les défenseurs du gaz de schiste est celui d’une émission de CO2 qui serait moins importante que celle du pétrole ou du charbon. Cependant, on manque d’expertise en la matière. Par ailleurs, il est question, grâce au gaz de schiste, de ne limiter ces émissions que d’environ 10%, ce qui ne paraît vraiment spectaculaire.
- Les populations locales ne sont réellement sensibles à ce type d’argument. Il y a quelques part, dominante, cette idée que depuis de Grenelle de l’environnement, il est clairement établi que l’heure est aux énergies renouvelables. Ainsi, les populations et mouvements citoyens ont du mal à comprendre que l’on cherche à leur imposer une nouvelle source d’énergie fossile, qui, a priori et avec le peu d’information dont ils disposent en amont, promet son lot de pollution et de dégâts.


10. Comment pensez-vous que la situation va évoluer en France? Et à l’international?  

 - A priori, dans les années à venir, il paraît difficile d’envisager un grand changement par rapport à la situation actuelle. Le manque de consultation en amont a amené les populations à se braquer, et elles ont aujourd’hui tendance à refuser le débat. Au Québec, au contraire, il y a des auditions publiques qui permettent aux populations, lobbys, experts, etc de s’exprimer. Certes, les politiques ne suivent pas toujours pour autant à la lettre l’avis de la population, les décisions sont parfois prises malgré elles. Cependant, ces auditions ont au moins réussi à calmer le débat.
- En France, il y a trop de défiance, et la loi de juillet dernier bloque a priori toute continuation du débat, dans quel sens que ce soit. A moins que l’on ne se trouve dans une situation d’urgence, une crise mondiale ou nationale menant à la rupture des importations de pétrole, par exemple. Cela pourrait alors justifier une levée de la loi pour permettre une exploitation rapide de ressources nationales.

- Malgré tout la mise en place d’une commission scientifique pour évaluer les ressources et les techniques à utiliser vient remettre en cause une interdiction définitive de la fracturation hydraulique. La commission n’est pas encore en place et sa composition est déjà la cible de polémique, mais la porte reste encore entrouverte à l’exploration.

- À l’international, l’exploitation est en expansion dans de nombreux pays (USA, Chine…), mais la crainte d’une bulle spéculative semble poindre ici et là, et il y a eu des exemples de ressources largement surestimées.

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