Interview with Fanny Héros of Alofa Tuvalu

Fanny Héros kindly answered to our questions by phone. This interview is in French.

« Tuvalu, symbole de ce qui nous attend tous si nous n’y faisons rien »

Considérez-vous qu’il y ait un responsable dans la disparition prochaine de Tuvalu ?

Disparition prochaine ou pas, on n’en sait rien. Il n’y a pas de date évidemment. Nous savons que si nous ne bougeons pas, la disparition du territoire est un risque bien réel pour Tuvalu, de même que celle de la nation, en l’état actuel de la législation internationale.

Le grand responsable c’est l’être humain, nous et notre mode de vie. La montée des eaux, est un des impacts des dérèglements climatiques. L’île est inondée pendant plusieurs jours pratiquement tous les mois depuis la fin du dernier millénaire, d’après l’ingénieure météo. Le changement climatique est multifactoriel et multi-effets : souvent il exacerbe des phénomènes naturels: fortes pluies, grands vents, il accentue l’érosion (les arbres aux racines détrempées tombent), et cause des épisodes de sécheresses prolongées comme cela a été le cas pendant plusieurs mois à Tuvalu en 2011. Est-ce que l’homme participe à cela ? Oui et pas seulement à Tuvalu. Nous scions tous la branche qui nous porte. Tuvalu est très isolée, c’est une pastille, un territoire qui prend l’eau par le dessous. Les gens ne peuvent plus cultiver les tubercules traditionnels. A la suite de la dernière sécheresse, il y a eu moins de fruits (noix, fruits d’arbre à pain), et des fruits plus petits. Tuvalu est en situation de vulnérabilité accrue avec les changements climatiques. Il fait entre 30 et 35°C en permanence et les conditions de vie ne sont pas évidentes. Les habitants dépendent de plus en plus des importations.

“Tuvalu est en situation de vulnérabilité accrue avec les changements climatiques”

Est-ce que les trous creusés pendant la deuxième guerre mondiale sont aussi une cause ?

Il est probable que les trous creusés par les américains en guerre contre le Japon en 1942 et jamais rebouchés ont fragilisé la structure des deux îles sur lesquelles cela a été fait. L’île principale fait 2,5km2, c’est tout petit.

Quels sont les acteurs sur place avec lesquels vous travaillez ?

Nous travaillons avec tout le monde : des enfants aux vieillards, le gouvernement et ses différents ministères et départements, l’énergie et de l’environnement, éducation, gestion des déchets… les communautés des 9 îles, les associations (de femmes, de jardiniers, la croix rouge qui est très active etc.) Nous travaillons avec les médias, les petits business, les compagnies électriques, toutes les églises…

A Tuvalu, les médias, sont-ils une aide ou un ennemi ? Et pour le travail de l’association ?

Les membres fondateurs d’Alofa Tuvalu sont majoritairement journalistes. « Small is beautiful » est un plan de communication. Nos actions ne peuvent avoir un impact au niveau global que si les solutions que l’on propose sont reproduites et promues, nous travaillons donc avec les médias.  Les communiqués de presse à la radio tuvaluenne permettent de toucher l’ensemble de la population disséminée sur les 9 îles. Les médias locaux sont des alliés. Pour les médias internationaux c’est aussi majoritairement le cas. Ensuite cela dépend, parfois il y a de très bons sujets, et parfois certains viennent trois jours sur place et veulent que tout le monde soit prêt à les recevoir, des habitants aux ministres. Mais ils ne réalisent pas qu’en face il n’y a qu’une poignée de gens pour leur répondre. On est très attentifs au fait que les journalistes qui demandent notre assistance fassent aussi passer des copies de leur sujet à remettre aux interviewés.

“Nos actions ne peuvent avoir un impact au niveau global que si les solutions que l’on propose sont reproduites et promues”

Qu’en est-il des scientifiques qui étudient Tuvalu?

 La question que vous me posiez portait sur la légitimité d’un scientifique qui tire des conclusions du fond de son labo versus celui qui se rend investiguer sur le terrain. Je vous ai répondu que le second a plus de chance d’approcher d’une vérité, mais que le fait de s’y rendre n’est pas non plus l’assurance absolue de conclusions justes. Il en va de même pour les journalistes et n’importe quel visiteur. Pour vous donner un exemple de décalage qu’on ne peut pas deviner : les tuvaluens répondent systématiquement « oui » aux questions interro-négatives, car la formule n’existe pas en tuvaluen. Comme partout il faut s’imprégner de la culture. Nous, ça fait 10 ans qu’on travaille là-bas et qu’on reste 5-6 mois sur place et bien pourtant parfois on a l’impression qu’on ne les connaît toujours pas (les habitants).

Quelle sources et sites web consultez-vous ?

Notre Bible, c’est le site de l’IPCC/GIEC. Mais après on se concentre surtout sur les solutions pour réduire nos impacts à tous sur l’effet de serre, les technologies en matière d’énergie renouvelables notamment. Nous n’avons pas besoin de nous persuader de ce qui arrive, on sait que ça arrive. Nous devons tous agir vite.

“Nous n’avons pas besoin de nous persuader de ce qui arrive, on sait que ça arrive”

Quelles sont les actions concrètes d’Alofa Tuvalu pour faire de l’archipel un exemple avant sa disparition ?

Nous déployons à Tuvalu une gamme de solutions concrètes et reproductibles pour réduire nos impacts sur l’environnement, les énergies renouvelables issues de la biomasse (déchets organiques) notamment.

A la suite d’un audit énergétique réalisé à sa demande en 2005, Le gouvernement nous a demandé de poursuivre avec la mise en place des recommandations de nos experts, à savoir, pour réduire la dépendance au pétrole du pays, la mise en place d’un centre de formation aux énergies renouvelables qui valorisent les ressources locales avec formation de la population à leurs usages : il s’agit de technologies existantes et éprouvées, que nos spécialistes adaptent aux conditions locales lorsque nécessaire. Nous avons commencé par la production de biogaz de lisier de porc pour cuisiner, avec la construction d’un digesteur en briques et d’une porcherie attenante. La digestion du lisier produit du gaz, le méthane qui brûlé devient inerte pour l’atmosphère et un très bon compost ce qui est utile dans un territoire où il y a peu de terre. Nous avons aussi formé la population à la gazéification des cosses et bourres de noix de coco pour produire du gaz, un autre substitut à l’usage du pétrole, et à la production d’agrocarburants issus du cocotier : un biodiesel pour les bateaux inter-îles et les générateurs et une essence pour les mobylettes et les barques de pêche.

Depuis 2006, nous avons formé des ingénieurs, des spécialistes et sensibilisé plusieurs centaines de Tuvaluens à l’usage et à la maintenance de ces technologies. Le but est de réduire la facture de la circulation entre les îles et de réduire les importations de pétrole, d’étendre l’usage des technologies aux îles lointaines et d’encourager les reproductions dans le monde entier. La communication a porté, le gouvernement s’est approprié cette idée d’un Tuvalu 100% renouvelable au point de l’envisager à l’horizon 2020. Et la direction de l’énergie souhaite organiser des formations dans les îles lointaines avec le matériel fourni et les ingénieurs que nous avons formés.

Nous terminons l’installation de 4 digesteurs plastiques familiaux sur une des îles lointaines. nous faisons aussi des campagnes de communication sur la réduction des déchets, parce que tout déchet importé reste sur place pour l’instant. Sur la réutilisation des déchets, les Tuvaluens sont très doués. Nous intervenons aussi auprès des jeunes par des actions pédagogiques et de sensibilisation. Et puis on termine un inventaire de la biodiversité marine réalisé avec les spécialistes locaux et le service des pêches. Nous assurons la promotion de toutes ces actions pour inciter les reproductions dans le monde entier.

“Nous déployons à Tuvalu une gamme de solutions concrètes et reproductibles pour réduire nos impacts sur l’environnement”

Quels ont été les impacts de la conférence de Copenhague sur la cause de Tuvalu ?

Tuvalu n’a pas attendu Copenhague pour devenir un symbole. « Tuvalu symbole de ce qui nous attend tous si nous n’y faisons rien » est notre leitmotiv depuis 2003, avec le tournage du film « Nuages au paradis » par la réalisatrice Gilliane Le Gallic, qui est aujourd’hui Présidente d’Alofa Tuvalu et le co-réalisateur Christopher Horner, relais de l’association aux Etats-Unis. Avec Copenhague, tout le travail de mise en avant a porté ses fruits. Et les prises de position très fortes des délégués tuvaluens ont renforcé la dimension de symbole. Nous avons été sollicités pour piloter la communication, gérer le stand du pays les interviews. Pour juguler un peu le flux de journalistes du monde entier qui convergeait sur la petite délégation, nous avons organisé une conférence de presse pour le Premier Ministre… Au niveau des impacts en terme de résultats concrets, Copenhague a fait perdre beaucoup de temps et d’émissions de gaz à effet de serre à tout le monde, pour un bout de papier qui n’engage personne à rien, et auquel Tuvalu s’est du reste opposé. Il y avait beaucoup d’espoir du côté de la population civile. Après la conférence, toute l’attention sur le climat est retombée comme un soufflet. 

Pouvez-vous déjà constater des impacts de cette disparition prochaine sur la culture Tuvaluenne ?

L’ancien premier ministre, Apisai Lelemia (2006-2010), a dit que la culture tuvaluenne ne survivrait pas à un déplacement. On peut effectivement penser que des problèmes de dilution de la culture se posent chez ceux qui émigrent (avec un visa de travailleurs saisonniers, car il n’y a pas d’accord relatif à une émigration liée aux changements climatiques). La transmission des savoirs est principalement orale, la culture tuvaluenne est à l’image de son territoire, très vulnérable. Mais comme il faut toujours une note d’espoir : Tuvalu a survécu à deux siècles de colonisation britannique, elle n’en est pas ressortie à l’identique bien sûr, la religion est passée par là, mais l’attachement à la famille, à l’île de naissance, à la nation, les fêtes communautaires, l’humour tout ça a survécu.