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Interview de Michel Vivant réalisée le 19 mars 2009

 


Un graffiteur peut-il faire protéger son graffiti s’il l’a réalisé légalement ?

Oui, alors on en avait déjà parlé. Protéger est indépendant du reste. Donc même si les conditions de réalisation ne sont pas licites – je parle du point de vue du droit d’auteur – la seule condition est celle que l’on a vue ensemble, c’est la condition d’originalité.

Donc même s’il l’a fait illégalement sur un mur qui ne lui appartient pas, il peut le faire protéger?

Absolument. La condition est celle que l’on a vu encours, l’originalité. La condition est qu’il faut une œuvre, enfin peut à peu près tout mettre sous le mot œuvre ; donc en réalité il n’y a que la condition d’originalité. C’est la raison pour laquelle dans nos pays, (ça peut être différent dans d’autres pays, une œuvre pornographique est protégée. Il y a des questions posées à la Cour de Cassation à ce propos parce qu’il y a des questions de gros sous derrière. La cour de Cassation a une formule – on a vu en cours que le droit utilise des formules qu’il faut toujours interprété – qui semblait réserver le cas d’atteinte à la dignité humaine. On ne lui a pas posé cette question mais c’est un procédé classique « attends, on sait jamais, la porte peut être entrouverte ». Si effectivement (ça existe), des gens filment des assassinats ou ce genre de choses, il y a des limites. Donc la limite existe certainement quelque part, mais la question n’a jamais été posée en ces termes. En revanche, pour le tag, même si des dispositions peuvent obliger à l’effacer, on n’est pas du tout dans ce cas là. Donc, non on peut avoir un droit.

Donc s’il a fait protéger son tag…

Mais il n’a pas fait protéger son tag, car il n’y a pas de procédure.

Le propriétaire du mur va faire la démarche pour l’enlever…

Oui, pas le tagueur (rires).

Mais le locataire peut-il faire la démarche ?

Alors… probablement plutôt le propriétaire. Ca pose la question que vous avez soulevé dans votre liste, qui est la question de la protection de l’œuvre. Pour la protéger, c’est le droit au respect. Mais dans ce cas là, droit au respect d’une œuvre qui bâtie, construite, pensée – ce que vous voulez – en méconnaissance du droit du propriétaire du mur. Donc là, je pense que l’aspect pénal va l’emporter.


La sanction à l’égard des graffiteurs est-elle la même pour tous ?

Je ne suis pas spécialiste du thème mais de toute façon la réponse est oui, il n’y a pas de différence, c’est le même principe.

Le lieu n’importe pas ? Si un graffiteur tague un mur d’un monument d’une grande importance, la sanction ne change-t-elle pas ?

Je pense que le juge serait plus sévère.
J’ai une maison dans le Midi, un peu éloignée. Les murs ont été tagués. Les policiers sont venus me voir pour savoir si je voulais porter plainte. Je voulais pas porter plainte. Ils disaient que c’était une atteinte au patrimoine. Si c’est un édifice en plein centre ville, oui, mais là c’est un mur tagué qui donne sur une route. Franchement, je ne me vois pas poursuivre des ces jeunes parce qu’ils ont fait des tags.

On a rencontré, une artiste, Miss Tic, qui demande systématiquement l’autorisation avant de taguer les murs. A qui demande-t-elle l’autorisation ?

Je pense qu’elle demande aux propriétaires, tout simplement.
Effectivement, c’est presque à la limite du tag, parce que dans le tag, il y a quelque chose de spontané. Là on a presque du tag encadré, officialisé. A partir de là, effectivement, vous pouvez faire ça comme vous faites une peinture d’une fresque traditionnelle. Dans ce cas là, il n’y a pas de problème.

Quand on revient à la condition d’originalité, il n’y pas de minimum requis ? Si quelqu’un fait un trait avec une bombe, on ne peut pas dire que c’est original ?

Non, il n’y a pas de minimum. On l’a vu ensemble, dans la vision la plus théorique, il faut qu’il y aie l’emprunte de la personnalité. Alors un trait ça me paraît difficile. Encore que si vous regardez les idéogrammes chinois, ce sont des traits mais in perçoit encore la différence entre quelqu’un qui sait le dessiner et un autre. Ceci posé, moins l’exigence est haute et plus on acceptera facilement la protection « bon, vous avez crée quelque chose qui n’existait pas… ». Mais ni vous ni moi ne pouvons dire à l’avance, « ce tag va être protégé ». Laissons de côté les tags, si on prend une création classique du type art plastique, musicale, littéraire, les juges ont tendance a pensé inconsciemment (ce n’est pas une construction intellectuelle) que ça entre dans la catégorie des œuvre protégées. Maintenant, si on réintègre le tag, on peut considéré que ça relève des créations plastiques donc on aura une certaine déclinaison à dire « ça a vocation à l’être ». D’un autre côté, d’autres vous diront que ça dépend aussi de la perception que vous en avez. Oui, on en voit pas partout, c’est pas original. C’est pas vous, c’est pas moi. Si on est avocat, on défend tout et son contraire. Le juge va dire « ben pour moi, c’est original, c’est pas original… »

Si quelqu’un reproduit le tag d’une autre personne, il pourra dire « il m’a copié » ?

Oui, bien sûr. Il pourra être considéré comme contrefacteur. Si on parle de marché, de l’intérêt de la protection, là le tag pourra être effacé – je suis pas spécialiste de droit pénal -. Droit au respect,… les juges trouveront un équilibre « vous avez tagué une maison, c’est interdit, on efface. » Mais où peut-on avoir un marché ? Les photos des tags, on a un marché dérivé du tag.

Beaucoup de tagueurs effectivement prennent en photo leur tag (Internet) car ils vont disparaître tôt ou tard, beaucoup de livres sont publiés également.

Absolument, tant qu’il n’y a pas de business derrière, ça se passe convenablement. Pour les bouquins, tant qu’il n’y a pas de marchand, les gens ne veulent pas faire de l’argent avec les bouquins, tout se passe sans considération juridique. Si un jour, un tagueur dit « attention, dans ce bouquin à la page 42-43 ce sont mes tags, ce sont des contrefaçons. De deux choses l’une, soit on envoie le bouquin aux pillons, soit on s’arrange, vous faites un chèque. On change de perspective.

Emmanuel de Brantes, nous disait, que si on veut récupérer une œuvre, sur son support d’origine, il n’y a pas d’autres solutions que de casser le mur… Vandalisme, pollution visuelle. Le fait que ce soit une œuvre ne justifie pas les dégradations ?

Non, pas du tout. Dans la théorie, la seule chose que ça fait naître c’est un respect dû à l’œuvre (quand la condition d’originalité est remplie). Ca ne veut pas dire que vous allez casser le mur pour récupérer l’œuvre. Il faut aussi respecter les murs. En revanche, il y aura une contradiction certaine entre les droits de l’auteur du tag et les droits du propriétaire. Je pense que les droits du propriétaire seraient préférés. Il y avait une affaire du même ordre jugée par le tribunal de Lyon il y a quelques années. Quelqu’un avait construit une espèce de maison fantastique un peu facteur cheval mais des années 2000. Il y avait des constructions dans tous les sens mais évidemment ça ne respectait pas les exigences de construction, de limites, de volume. Les voisins ont réagi en disant « c’est une violation de ces règles ». C’était assez amusant, le juge ne savait que faire « oui, c’est une œuvre, mais limites, calcul,… », des trucs assez bizarres. Il a quand même dit qu’on ne pouvait la maintenir et donc la détruire. Donc, je pense que, par analogie, le propriétaire dit « attendez, je veux qu’on respecte mon mur », c’est lui qui l’emporterait. » En revanche, sur une belle façade, c’est très beau de faire des tags mais il faut aussi respecter la création des autres. Et ça c’est une création, c’est une œuvre d’architecture qui a peut être 2 siècles ou 3.

Le temps intervient, le mur était là avant…

Non, et puis quand même vous avez à le respecter. Vous n’allez pas taguer la Joconde.

Peut-être que le fait que les monuments étaient là avant, l’antériorité, fait que le droit des murs prévaut ?

Non, à mon avis c’est plutôt parce qu’il y a dégradation de la propriété d’autrui. Si vous êtes amateur de tag, vous dites c’est débile de truc, c’est pas de la dégradation, le mur de la propriétaire a pris de la valeur. En vérité, la question est résolue par la démarche de cette fille dont vous parlé qui va demander l’autorisation.
Après quand vous me dites, casser les murs pour récupérer. C’est pas uniquement les tags. Il y a des courants entiers, alors maintenant c’est très à la mode mais par exemple dans les années 30 et même après la guerre, le courant des moralistes au Mexique est une peinture des engagée politiquement, très colorée – j’en ai vu sur place, je connais bien- vous avez des murs entiers de fresques. Alors ce ne sont pas des tags car des gens ont été invitées à faire ces fresques. Cela dit, c’est la même chose, si vous voulez récupérer ces fresques, il n’y a qu’à déplacer l’immeuble. Bon, il ne faut pas non plus voir des problèmes nouveaux là où il existe de longue date. Le problème surtout est que le tag est fait sans demander l’accord de celui qui est propriétaire du mur.

Emmanuel de Brantes nous disait qu’il faudrait changer la loi et autoriser les tags et graffitis au nom de la liberté d’expression, tandis que d’autres, même s’ils tenaient pour ce courant, disaient mais non, ce serait la porte à tous les excès…

Ben oui, c’est le problème du respect des choses qui sont à autrui parce que la création, contrairement à ce qu’on dit souvent, est quelque chose qui se fait à partir d’une autre création ; Donc je pense qu’il faut cette liberté. D’un autre côté, de mon point de vue, vous ne pouvez pas revenir à la création ancienne, apportez vos éléments si elle prolonge la création 1ère bien sûr mais si elle y porte atteinte. Vous pouvez très bien construire une sculpture au sens moderne, à partir d’une sculpture préexistante, vous n’avez pas le droit, me semble-t-il de créer en cassant le truc qui était avant. Si c’est un mur tout bête, pour ne pas demander l’autorisation comme cette fille dont vous me parlez et taguer le mur.

Demander l’autorisation doit les frustrer, car c’est quand même une démarche spontanée.

Exactement, mais là je trouve que c’est quand même une démarche contemporaine, c’est vouloir le beurre et l’argent du beurre. Laissez-moi être un clandestin mais je veux être un clandestin reconnu.

Certains le font pour se faire connaître ou reconnaître, et d’autres comme « passe-temps ».

Oui, de la même manière certains peignent comme peintres du dimanche et d’autres parce qu’ils en ressentent un besoin.
Attendez, je vous coupe car je le vois dans votre question, il y a le registre de la propriété intellectuelle qui est relativement simple. Le grand conflit c’est droit au respect puis effacement. Et il y a d’autres registres qui ne sont pas de la propriété intellectuelle et notamment l’aspect pénal. Je ne vous dis pas de regarder l’un des deux mais le droit est intéressant comme outil social qui intègre tous les éléments. Mais intellectuellement il faut bien distinguer tous les objets.

Je pense, que de toute façon, dans les autres pays de droit d’auteur ou de copyright, les principes sont les mêmes, peut être pas pénalement mais…

Ah oui, de droit d’auteur oui. Pénalement aussi je pense. C’est vrai il y a des tags très sympas, et vous vous dites « bon sang, ils sont en train de casser un truc… »

Si on fait un parallèle avec la publicité. Il y a des pubs peintes sur le mur de manière légale mais pour certains, il s’agit aussi d’une nuisance…

C’est ce que je disais. Il faut bien distinguer les deux registres. Il est bien évident que le créateur d’une affiche même ordinaire a des droits d’auteur. Pas de doute. Il a tous les droits qu’on a évoqués ensemble avec notamment le droit au respect avec une différence, c’est que le tag est une œuvre unique, si vous détruisez une affiche, vous ne détruisez pas l’œuvre dans son essence. C’est la même différence avec la statue unique et le bouquin. Il a les droits mais il y a moins d’enjeu puisque c’est la vie d’une affiche. Au bout d’un certain temps, on l’arrache et on la remplace par une autre. Ensuite, il y a un autre aspect qui n’a rien à voir avec la propriété intellectuelle, c’est que vous ne pouvez pas afficher n’importe où. Là ce ne sera pas les lois sur les tags mais les lois sur l’affichage, la prohibition, etc. Soit vous affichez de manière autorisée, soit vous affichez de manière sauvage mais ceux qui s’en occupent, un fonctionnaire ou un autre, va l’enlever. Donc il enlèvera l’affiche comme on peut très bien voir le tag supprimé.

Pouvons-nous revenir sur la condition d’originalité ?

C’est une notion très subjective qui a évolué avec la société. Il y a eu une affaire qui a fait pas mal de bruit il n’y a pas longtemps. La cour de cassation a accepté la protection d’une œuvre conceptuelle où sur une porte usagée manifestement de toilettes, l’auteur a mis paradis. Comme toujours pas de problème en soit, mais si on prend un photo de ça et photo avec marché de la photo. Il a photographié une œuvre, pas un objet quelconque, donc il faut verser les droits d’auteur. Est-ce original ou pas ? La Cour de cassation a accepté l’idée que le fait de mettre en scène un mot dans un certain contexte était une originalité. Des gens se sont demandé comment la cour de cassation a pu dire ça, c’est une énormité, il n’y a pas de dimension personnelle. D’autres ont dit que c’est une création à partir du moment où on a crée un certain rapport de formes. Quel est le vrai ? Il n’y a pas de vrai et Bruno Latour est bien placé pour le savoir car il a écrit un livre sur la fabrique du droit. Le droit est un artéfact, un objet social. C’est vrai, puisqu’on parle du domaine artistique, c’est comme si on disait qu’on devait définir le beau. Platon et Socrate peuvent définir le beau car ils sont dans un contexte historique et culturel où on a cette idée. Nous on est dans une société où on est un peu à côté de la réalité sociale.

Si le tagueur appose sa signature sur le tag, n’est-ce pas la marque de son emprunte personnelle ?

Oui, c’est la marque de ce qu’elle veut se projeter comme auteur. Ca ne suffit pas parce que si je me fais l’avocat du diable en expliquant que ce n’est pas une œuvre, je dis « mais attendez, il ne suffit pas qu’il y aie votre signature. » C’est un peu ce qu’il y avait dans le cas « paradis ». Il y avait le mot « paradis » mais rien d’autre. C’est tout le problème de l’art conceptuel. De mon point de vue, le droit d’auteur de fait pas partie du droit de l’art mais je fais partie d’une minorité. Si je considère que ce n’est pas un droit de l’art, je ne veux pas dire que paradoxalement, quand c’est une création artistique, ce n’est pas de droit d’auteur. Je veux dire que, pour moi, c’est plus large. L’art contemporain pose beaucoup de problème notamment les cas des créations sous brevet c’est-à-dire que je suis l’artiste, c’est moi qui conçois, qui met en forme mais c’est l’une d’entre vous, ou d’eux, qui va réaliser l’œuvre selon les canons que j’ai indiqués. De deux choses l’une, l’œuvre me satisfait ou elle ne me satisfait pas. Si elle me satisfait pas, on n’en parle plus, si elle me satisfait je la signe. Mais je ne vous fais pas disparaître, elle est bien sous mon nom par le brevet mais c’est vous qui l’avez faite. Qu’est ce que c’est ? C’est toujours beaucoup plus clair quand on a des idées simples, reçues, acceptées, on ne les discute pas. Si on n’en parle plus, de quoi s’agit-il ? Car c’est vous l’avez conçu, c’est vous qui m’avez dit, la réalisation, de quoi s’agit-il. Ce n’est pas du tout évident.

C’est aussi le cas de Jeff Koons, très grand artiste, alors que ce sont des ateliers de X personnes qui conçoivent ses œuvres.

Tout a fait.

Parfois, c’est difficile de concevoir certaines œuvres contemporaines comme des œuvres d’art…

Tout a fait mais dans ce cas là, il faut aussi reconnaître l’autonomie de la sphère artistique et l’autonomie de la sphère juridique. Dans ce cas là, on peut très bien dire ceci est de l’art mais on ne va pas le protéger au titre du droit d’auteur, de même qu’on peut dire qu’on va protéger le boulon ou le panier à salade que j’aime bien vous citer sans dire que c’est de l’art car là je prends un truc, je dis ça c’est une œuvre et je le signe. Non, je pense qu’il y a autonomie des deux sphères, c’est mon analyse, et que par endroits, elles se recoupent. Il y a des éléments où on est soit dans l’approche artistique, soit dans l’approche purement juridique.

Avez-vous déjà rencontré des graffiteurs qui font la démarche de lancer un procès ?

Ah oui, ah non, tiens je ne sais pas, je vais regarder. (Il regarde sur sa propre base de données). Non, je ne pense pas qu’il y ait des procès. Les procès, vraiment, dans tout ce qui est art éphémère c’est-à-dire si on parle d’art contemporain, ce sera la performance, l’exhibition. Les problèmes se posent à partir du moment où un photographe intervient qui se dit tiens, il y a quelque chose à photographie et donc à exploiter comme tel.

Mais ne vous compliquez pas la vie. A mon avis, le problème, il est dans le conflit entre le propriétaire de la création, propriété incorporelle, et le propriétaire du support, propriété corporelle. Avec le conflit exacerbé sur le fait qu’il y a un encadrement social, enfin une réaction sociale à l’ encontre des tags qui fait que le tag est, en principe, réalisé sauvagement.
Car si on raisonne catégorie par catégorie, vous pouvez chercher dans le code de droit pénal, je pourrais vous aider. Si vous raisonnez par catégorie de droit d’auteur. Il a le droit d’auteur donc il a tous les droits. Donc la difficulté est au conflit.

Y a-t-il instrumentalisation du street art par les pouvoirs publics ?

Oui, c’est sûr.