Les chercheurs s'intéressent particulièrement aux questions méthodologiques de l'ACV, et sont ainsi concernés par la plupart des points controversés. Cependant, les points les plus centraux sont le changement d'affectation des sols, l'allocation des coproduits et la collecte des données.
Ils ne forment toutefois pas une catégorie uniforme, certains se situant du côté des ingénieurs (Benoit Gabrielle et Bruno Gagnepain), d'autres du côté des économistes (Bruno Dorin). Même au sein de la catégorie des ingénieurs, les chercheurs de forment pas une catégorie homogène. Les plus nombreux sont les spécialistes du génie des procédés, des agronomes se consacrent également aux ACV. De leur côté, les économistes sont plutôts portés à l'étude de modèle d'équilibre macroéconomique mondiaux pour évaluer l'impact des biocarburants. Les trois acteurs cités précédemment sont ceux avec lesquels nous avons obtenu des entretiens.
Benoit Gabrielle, professeur à Agro Paristech et ingénieur à l'INRA
Professeur à Agro Paristech, Benoit Gabrielle est également un chercheur basé dans un laboratoire à Avignon, Environnement et Grandes Cultures, dépendant d'Agro Paristech et de l'INRA. Ses recherches sont centrées sur la modélisation du fonctionnement des agro-écosystèmes, notamment des cultures et de leurs émissions de polluants, comme les gaz à effet de serre. Ces résultats sont intégrés dans des études de type ACV. Il a pris place au comité technique ayant participé à la rédaction du rapport de l'ADEME 2010 (cf. ADEME), et d'une manière générale, il tente d'améliorer au maximum la méthodologie de l'ACV pour la rendre plus fiable.
En comparant les rapports ADEME 2002 et JRC, il avait constaté des différences notables. Selon lui, le premier était plus pertinent car le JRC prenait en compte un rendement assez faible, avec une dose d'azote comparativement élevée. La principale raison de ce décalage est le fait qu'ils aient agrégé et moyenné des données, ce qui leur faisait perdre de leur représentativité (cf. Collecte des données) . C'est pourquoi il insiste sur le fait qu'il est important de prendre en compte la variabilité des données que l'on intègre à l'ACV. En effet, en fonction de la localisation géographique ou de la qualité des sols, les émissions de protoxyde d'azote (le gaz à effet de serre principal pour les cultures) ainsi que les rendements obtenus sont très différents. Pour que l'ACV soit plus représentative, il faudrait régionaliser l'étude, afin de mieux cibler les différents paramètres. Cependant, il concède que cette démarche est moins avantageuse pour les gouvernants, en ce qu'ils doivent prendre des décisions à l'échelle nationale.
Il porte également un regard critique sur les modèles d'équilibre général ou partiel des économistes , car s'ils traduisent bien les effets de marchés, ils sont moins précis sur la partie agronomique. Néanmoins, il approuve la coopération entre chercheurs et ingénieurs issus de différentes disciplines, pour apporter des points de vue complémentaires et améliorer la méthodologie.
En ce qui concerne les carburants de première génération, son laboratoire et les chercheurs en général reçoivent des sollicitations pour effectuer des études, mais ils se portent plus spontanément sur la deuxième génération. Selon lui, il s'agit d'énergies ayant un fort potentiel, et qui nécessitent de recevoir un soutien au niveau politique, mais il reste sceptique quant à la volonté des industriels à faire le premier pas pour investir dans le développement des nouvelles techniques.
Bruno Gagnepain, ingénieur en bioressources à l'ADEME
Bruno Gagnepain est ingénieur en bioressources à l'ADEME. Actuellement, son équipe continue ses recherches sur les changements d'affectations des sols directs et indirects (cf. CASD et CASI). A la demande de la Commission Européenne, deux études, respectivement sur le développement des biocarburants en France de 1993 à 2009 et sur l'analyse bibliographique critique de la bibliographique qui s'y rapporte depuis 2008, sont en cours de réalisation et devraient paraître prochainement.
Selon lui, on ne peut pas vraiment parler de controverse, en ce qu'une méthode d'évaluation est toujours basés sur des modélisations incluant des hypothèses et des incertitudes. « Plutôt que d'employer le mot controverse, je souhaite insister sur ces hypothèses et incertitudes. » Il met donc en avant des questions méthodologiques qui ne font certes pas consensus, mais qui ne peuvent pas s'assimiler à une véritable controverse. Mais des travaux sont effectués pour optimiser les méthodes d'évaluation, qui sont de plus en plus fiables.
Concernant l'émission de protoxyde d'azote, le plus important est de déterminer des fourchettes de valeurs pour la modélisations. Il affirme que pour plus de rigueur, il faudrait effecteur des travaux à très petite échelle, parcelle par parcelle. Cependant, ce n'est pas réalisable en termes de moyens et de temps, c'est pourquoi les données utilisées sont des données agrégées mais reconnues internationalement, par exemple celles du GIEC.
L'équipe méthodologique s'accorde sur le fait que la méthode d'allocation la plus théoriquement satisfaisante serait la substitution(cf Coproduits). Mais concrètement, de nombreuses questions, comme celle consistant à savoir jusqu'où élargir le périmètre d'étude, ne permettent pas encore son utilisation.
L'ACV serait donc une méthode en évolution, régie par des normes internationales, dont on utilise pour l'instant les méthodes efficientes et dont la validité a été reconnue. Cependant, la dynamique dépend fortement de la demande en ACV, car c'est au cours des Grenelles que sont réunis la plupart des acteurs et qu'ils peuvent faire avancer la méthodologie.
Bruno Dorin, chercheur au CIRED
Après avoir effectué ses travaux de thèse en Inde, Bruno Dorin a effectué des études pour le ministère de l'Agriculture. Il a également dirigé le centre des Sciences Humaines à New Delhi, puis est devenu chercheur à l'UMR du CIRED (Centre International de Recherche pour l'Environnement et le Développement, rattaché au CIRAD) depuis les années 2000. Dans ses travaux, il est amené à évoluer autour des trois thèmes « style de consommation, technologie et environnement », notamment avec la problématique de la compétition entre alimentation et énergie.
Son premier contact avec les ACV a eu lieu lorsqu'il a été chargé de participer à un projet européen, au cours duquel il s'est aperçu que les différentes études mettaient en avant des résultats très contradictoires concernant les biocarburants : le rapport de l'ADEME donnait des résultats prometteurs, tandis qu'une étude américaine menée par Pimentel étaient contre, ces différences s'expliquant par la variabilité des critères pris en compte et de leurs modalités.
En 2007, il écrit un article en collaboration avec Vincent Gitz, "Ecobilans de biocarburants :
une revue des controverses et des enjeux agronomiques mondiaux", paru dans Natures, Sciences, Sociétés, où ils font un état des lieux des différentes questions soulevées par la problématique des biocarburants. Ils montrent également que les ACV sont encore trop restreintes, l'absence de généralisation et de consensus sur la méthodologie rendant les résultats difficiles à comparer. De plus, ils ne seraient pas représentatifs à l'échelle planétaire puisque la plupart des études étaient réalisées dans certains pays industrialisés, en particulier en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Ils pointaient donc un manque de cohérence dans la mise en oeuvre des ACV, et appelaient à un développement de la méthode.
Depuis, Bruno Dorin ne s'est plus vraiment penché sur la question, même s'il suit encore l'évolution du débat. Bien qu'il n'ait pas eu énormément de retours sur son article, il ne regrette pas de l'avoir écrit car il « pose bien les choses ». Celui-ci constitue une base sur laquelle d'autres travaux ont été effectués, reprenant différents points évoqués. En effet, la controverse sur les ACV ouvre la voie à de nombreux autres questionnements, « c'est une boîte de Pandore ».
En savoir plus :
L'article "Ecobilans de biocarburants : une revue des controverses et des enjeux agronomiques mondiaux"