Frédéric Keck, chercheur-anthropologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des crises sanitaires dues aux maladies d´origine animale. Il est l´auteur du livre Un Monde grippé, paru le 13 octobre 2010.
Frédéric Keck est un historien de la philosophie et un anthropologue. Il est notamment chercheur au Laboratoire d´anthropologie sociale à Paris. Il est devenu anthropologue spécialiste des questions de santé.
Dans Un Monde grippé, il révèle l´enquête qu´il a menée à travers le monde sur la grippe entre 2007 et 2009. Ce livre se présente comme un ouvrage de recherche, un carnet de voyage dans lequel il montre en quoi la grippe A peut être considérée comme un bon objet pour les sciences sociales. Son ambition a été de saisir l´événement "H1N1" à chaud.
Son enquête démarre à Hong Kong en Chine, où était apparu le dernier virus de grippe pandémique en 1968, le H3N2. Frédéric Keck est en Argentine lorsque le virus H1N1, virus de la grippe porcine fait son apparition au Mexique en 2009.
Dans son analyse, il montre ce que signifie la biosécurité, quels sont ses acteurs et ses enjeux. Il fait valoir un axe majeur de liaison entre le biologique et le politique. Les enjeux politiques d´une pandémie sont posés par les experts virologues qui effectuent un travail de surveillance, au sens où ils communiquent aux médias les résultats de leurs recherches et conseillent les politiques.
L´épisode grippal peut être considéré comme un fait social à part entière. La peur de la contamination a une dimension mythique, au sens ethnographique que Lévi-Strauss a donné du mythe dans les civilisations.
Concernant les spécificités de la lutte française contre le H1N1 : il fait valoir une tension entre le principe de précaution et les plans de préparation, un problème de nomination de la grippe qui a changé de nom en France (passage de "grippe porcine" à "grippe A") et une conception quasi militaire de la campagne de vaccination.
Concernant les crises à venir : Frédéric Keck préconise une surveillance continue des animaux pour anticiper les nouvelles épidémies ainsi que la prise en compte d´une "mémoire des crises sanitaires passées".
Frédéric Keck est un expert chercheur qui a surtout émis un avis, une évaluation a postériori de la campagne de vaccination en France. Il aborde le problème de la grippe A à travers le prisme de l´anthropologie. Son rôle dans la controverse est celui d´un expert chercheur qui réfléchit sur les tenants et les aboutissants de problèmes sociaux, en l´occurrence ici les modalités de gestion de "la crise grippe A".
Frédéric Keck peut être considéré comme un acteur majeur de la phase "Evaluation". Sa fonction de chercheur a été sollicitée pour évaluer la pertinence du plan de lutte anti-pandémie et de la campagne de vaccination.
Un Monde grippé a été fortement médiatisé. Frédéric Keck a par ailleurs accordé plusieurs entretiens comme celui du Monde du 9 janvier 2010.
Par ailleurs, Frédéric Keck a participé à des conférences, comme la conférence "Esprit public" organisée par la Fondation Terra Nova en juin 2010. Il y évoque l´exemple du think tank Civic Exchange à Hong Kong qui encourage les gouvernements à opter pour plus de transparence dans le domaine sanitaire.
Il a également publié dans des revues spécialisées :
- 2009 : « Conflits d´experts. Les zoonoses, entre santé animale et santé publique », Ethnologie française, 1, p. 79-88.
- 2010 : « Une sentinelle sanitaire aux frontières du vivant. Les experts de la grippe aviaire à Hong Kong », Terrain, nº54, p. 26-41.
« A cela s´ajoutent au moins deux singularités de notre politique nationale. La première est d´avoir, en achetant massivement des doses de vaccin, joué à fond la carte du principe de précaution : c´est une conséquence du traumatisme créé par l´affaire du sang contaminé, qui pousse désormais les pouvoirs publics, lors d´une crise sanitaire, à prendre le minimum de risques. La seconde vient de ce que nous sommes un des rares pays à ne pas parler de grippe porcine, mais de grippe A. C´est-à-dire à avoir supprimé dans sa nomination même, en partie sans doute sous la pression des éleveurs qui craignaient une baisse de la consommation de viande de porc, l´origine animale de la maladie. »
« "Porcine" ou "A", est-ce si important ? En termes de communication, c´est essentiel. Tant qu´on employait le mot "porcine", on savait pourquoi ce virus faisait peur : parce qu´il était d´origine animale, nouveau et inconnu. En devenant "A", il s´est mis à ressembler à n´importe quel virus grippal. D´autant plus que, dans le même temps, les politiques comme les médias ont cessé de rappeler qu´il s´agissait d´un nouveau virus, et que c´était pour cela qu´il fallait prendre des mesures de vaccination exceptionnelles. Ils ont communiqué sur le mode de l´action, pas sur celui de la rationalité scientifique. »
« Du point de vue de la rationalité des experts, tout a parfaitement fonctionné ; la seule chose qui a manqué, c´est la mobilisation des citoyens. C´est vraiment un échec de la participation, de la démocratie sanitaire. »
« Cet échec, c´est vrai, est aussi un échec du catastrophisme, que l´on peut d´ailleurs comparer avec celui du sommet de Copenhague. Que l´on parle d´une pandémie de grippe d´origine animale ou du réchauffement climatique, de quoi s´agit-il, en effet ? D´une catastrophe possible, sur laquelle un grand nombre d´experts se sont mis d´accord, dans laquelle sont impliquées des instances internationales, mais qui réclame pour être combattue un changement de comportement des citoyens. Changement que les gens n´ont pas forcément envie de faire. »
Lien vers son entretien