LE ROLE DES PESTICIDES DANS LA SURMORTALITE DES ABEILLES

 
   
  INTERDICTION OU AMM: LA PLACE DE L'EXPERTISE SCIENTIFIQUE
 
 


Introduction


Une controverse marquée dans le temps

Chronologie générale

Chroniques judiciaires des affaires Gaucho & Régent



Evaluation publique et Comité d'expertise

Agences d'expertise publique

Les comités d'expertise: une réponse aux alertes des apiculteurs



Vers une expertise appropriée à la biologie de l'abeille ?

Effets sublétaux et toxicité chronique

Nouveau test de l'INRA sur les larves

Les comités d'expertise : une réponse aux alertes des apiculteurs

Les affaires Gaucho et Régent avancent au fil des homologations-interdictions des produits. Les pouvoirs publics desquels émanent ces décisions se basent sur des consultations d'experts réunis en agence indépendante (AFSSA) ou en comités ad hoc (CST...). Les procédures d'homologation et les protocoles scientifiques qui servent de fondement sont au cœur de la controverse sur la place des pesticides dans la surmortalité des abeilles.



I. Le Groupe Abeilles et le CST, à la recherche de clarté dans les résultats scientifiques, réponse politique aux mécontentements des apiculteurs

 

Le Groupe Abeilles

 

Le Groupe Abeilles est aujourd’hui dissous. Jean Noel Tasei l’a présidé et a organisé la mise en œuvre d'essais biologiques, dépassant la mesure de toxicité aigue des systémiques par DL50. Le Groupe Abeilles était un groupe de travail constitué par la Commission des toxiques du ministère de l’agriculture et de la pêche. Il ambitionnait de lui rendre des avis sur des produits phytosanitaires que les industriels souhaitent utiliser sur des plantes en fleurs visitée par des abeilles.

Au printemps 2000, le groupe Abeille a transmis les résultats de ses tests biologiques sur les effets d’une gamme de concentrations d’imidaclopride s’étendant de 1,5 à 48 ppb. Ils montrent qu’après une exposition de plusieurs jours à l’imidaclopride les performances des abeilles sont affectées pour des doses ingérées comprises entre 24 et 48 ppb. Or, ces valeurs désignent une toxicité moins forte que celle qui avait été indiquée par les résultats du groupe en 1998.

L’union des apiculteurs a sévèrement critiqué ces résultats. D’abord, en remettant en cause la validité de l’essai biologique utilisé, puis en arguant  le manque de reproductibilité des résultats. Ensuite, en s’appuyant sur l’origine du produit fourni par l’entreprise Bayer et enfin, en insistant sur le manque de pertinence du modèle d’abeilles d’hiver pour mener ces tests (puisque les expérimentations avaient été menées entre septembre 1999 et février 2000).

Le Groupe Abeilles n’a pas manqué de répondre à ces vives critiques. Le manque de reproductibilité des résultats semble relatif dans la mesure où les effets ont tous été obtenus à partir d’un même référentiel : des doses faibles, différant d’un facteur 10  au maximum. Mesurer la DL50 aurait été encore moins reproductible puisque d’une parution scientifique à  l’autre, la mesure de DL50 peut varier d’un facteur 100.

Cependant, le Groupe Abeilles a aussi reconnu que la critique de l’union des apiculteurs pouvait être recevable quant à la source du produit et à la période d’expérimentation. Un rapport complémentaire a donc été proposé, restituant les tests menés avec le produit d’un autre fournisseur que Bayer mais contenant la même substance active d’imidaclopride sur des abeilles d’été. Cette étude a été menée au cours de l’été 2000. Elle a obtenu des effets sur l’apprentissage olfactif pour des doses comprises entre 6 et 12 ppb, montrant une sensibilité accrue des abeilles d’été que celles d’hiver.

 

Le Comité scientifique et technique CST,

 

Les difficultés justifiant l’existence du CST

Il est nécessaire de comprendre qu’il a été longtemps difficile de quantifier l’imidaclopride et le Fipronil dans le nectar et le pollen des fleurs. En effet, ces quantités très faibles se situaient à la limite de détection des méthodes disponibles. Ce n’est qu’en 2003 que des chercheurs du CNRS publient une méthode analytique permettant d’identifier et quantifier l’imidaclopride dans le pollen. Ces chercheurs ont ensuite mis au point une méthode similaire permettant de mesurer des concentrations de 0,2 μg/kg de Fipronil.  Les effets des produits sur les abeilles sont aussi très difficiles à mettre en évidence sur le terrain. Et, les résultats obtenus en laboratoire sont très difficilement extrapolables en champ. Ces difficultés ont amené à des conclusions contradictoires. En 2003, on disposait de quelques 245 rapports d’études et 93 publications scientifiques sur les troubles des abeilles, sans parvenir à des expériences reproductibles et menant à des résultats similaires.

Pour clarifier ces données, le ministère de l’Agriculture a commandé en 2001 une étude multifactorielle sur les troubles des abeilles. Cette étude a été pilotée par le Comité scientifique et technique (CST) d’une part et par l’AFSSA d’autre part.

 

L’étude multifactorielle sur les troubles des abeilles

 

L’évaluation des risques liés à l’usage de l’imidaclopride et du Fipronil en enrobage de semences a été mise en œuvre par le CST de 2001 à 2003.

Lien : http://www.apivet.eu/files/compte_rendu_gpeabeilles22_nourrissement_colo.pdf

 

Les conclusions du CST

Les experts du CST ont sélectionné certaines données des rapports scientifiques antérieurs selon certains critères : un nombre suffisant d’échantillons, une méthode de dosage spécifique au produit testé….  Cette sélection de données parmi le foisonnement d’études contradictoires devait leur permettre de calculer un facteur risque pour les abeilles.

Pour l’imidaclopride, les experts du CST ont conclu que les facteurs risques sont préoccupants en ce qui concerne la consommation par les nourrices de pollen contaminé de maïs et de tournesol, la consommation de nectar par les butineuses et la consommation de miel par les abeilles d’intérieur sur tournesol. Pour le Fipronil, les facteurs de risque sont préoccupants en ce qui concerne la consommation de pollen contaminé de mais et de tournesol par les butineuses et les nourrices. Le CST a affirmé ne pas disposer de dosages fiables de Fipronil dans le nectar et le miel.

 

L’invalidation par le CST de l’expérience de nourrissement de l’AFSSA                

Le CST s’est prononcé sur la validité de nombreuses études. Notamment sur l’Expérience de nourrissement de l’AFSSA : « Etude expérimentale de la toxicité de l’imidaclopride distribué dans le sirop de nourrisseurs à des colonies d’abeilles (Apis

Mellifera) » - J-P. Faucon et al. du 24 février 2004.

Les experts du CST ont adressé de nombreuses critiques à cette étude de l’AFSSA. En effet, selon JN Tasei, « la question de l’exposition est cruciale dans cette expérience. Il est en effet impossible d’estimer la quantité réelle d’imidaclopride absorbée par chaque colonie. L’exposition est probablement partielle » puisque « l’entrée expérimentale d’imidaclopride est environ 5 fois inférieure à l’entrée réelle sur tournesol ». ME Colin a jugé « la durée d’observation du comportement (1 mn par jour) insuffisante, ce qui suffirait à invalider l’essai. » A. Decourtye « regrette que des outils modernes n’aient pas été utilisés à l’appui de cette expérimentation (compteurs, balances…). » « Le groupe abeilles considère donc que cette expérimentation a été menée avec des méthodes grossières affectant la précision de données importantes (évolution du couvain, activité et taille des colonies) rendant difficile l’interprétation statistique. Par ailleurs l’entrée expérimentale d’imidaclopride est peu représentative de celle qui a lieu en conditions de champ.»

 

Ces conclusions sont en accord avec les observations rapportées par les apiculteurs d’alerte de mortalité des butineuses, mais aussi de leur disparition et de leurs troubles comportementaux. Les apiculteurs d’alerte se sont saisis des conclusions du CST pour contredire celles de l’AFSSA. En effet, ces apiculteurs d’alerte considèrent que les conclusions du Groupe Abeilles ont renversé celles de l’AFSSA.

 

Face à des relations cause à effet qui ne sont pas formellement démontrées, et des organes d'expertise qui se contredisent alors que leur mission était d'éclairer les données scientifiques instables, le ministère de l’agriculture a appliqué le principe de précaution, d’où le retrait du Gaucho en 1999 et celui du Régent en 2004.

 

Le Groupe national interprofessionnel des semences (GNIS) a alors considéré que l’interdiction des semences enrobées met en péril la filière de production de semences. L’association générale des producteurs de maïs (AGPM) a déposé en juin 2004 un recours devant le Conseil d’Etat contre la décision de retrait du Fipronil prise par le ministère de l’agriculture. Pour les agriculteurs, le retrait des produits à base d’imidaclopride et de Fipronil implique la réduction des moyens de lutte contre les hannetons et les taupins qui ravagent les cultures de maïs et de tournesol.

 

II. L’évolution de la controverse

 

Les nouveaux rapports du CST publiés en 2003 et 2004

 

Les travaux du CST ont duré deux ans et les conclusions qui en ressortent sont éclairantes pour la prise de décision politique car elles ont validé certains résultats scientifiques parmi leur variabilité et les ont interprétés en termes de risques. En effet, l’imidaclopride et le Fipronil seraient des substances présentant des risques pour les abeilles par la combinaison de leur forte toxicité et leur présence prolongée dans le pollen et nectar des plantes traitées (avec une systémie plus marquée pour l’imidaclopride et donc plus de risque de toxicité par contact pour le Fipronil).

Le CST  retenu pour l’imidaclopride :

o       en toxicité aigue : DL50 = 4 ng/abeille

o       en toxicité chronique : DC50 = 1,2 pg/abeille

Dans ces gammes de concentration, l’imidaclopride peut provoquer des effets sublétaux conduisant indirectement à la mort, par exemple des abeilles désorientées qui meurent faute de pouvoir retrouver leur ruche. Or, les quantités de produit retrouvées dans le pollen et le nectar des plantes traitées sont proches de ces valeurs. Elles seraient donc de nature à provoquer soir la mortalité des butineuses, des nourrices et abeilles d’hiver, soit des troubles neurologiques entrainant des dysfonctionnement des colonies.

 

 

Vers une expertise plus adaptée à la biologie de l’abeille : il semble que les affaires Gaucho et Régent aient stimulé les progrès méthodologiques

La méthode d’évaluation du risque adaptée aux produits systémiques et proposée par le CST est actuellement valide au niveau national. Le calcul du risque fait intervenir à la fois l’exposition et la toxicité intrinsèque. La toxicité est exprimée par la DL50 (dose de produit qui fait mourir 50% des abeilles en 48h). L’exposition était jusqu’ici évaluée par la dose de produit épandue par hectare. Or, si cette évaluation de l’exposition est adaptée aux produits appliqués par voie aérienne, elle ne l’est pas pour les produits systémiques qui pénètrent dans la plante. En effet, dans le cas de systémiques, les abeilles sont exposées aux quantités de produits présentes dans le nectar et le pollen et le risque dépend donc des quantités de nectar et de pollen qu’elles consomment. Les experts du CST ont donc proposé comme méthode d’élaborer différents scénarios de consommation par les différentes sortes d’abeilles car butineuses, nourrices et abeilles d’intérieur ne se nourrissent pas de la même manière : les abeilles d’hiver consomment surtout du nectar et les nourrices consomment surtout du pollen.

 

L’évolution des procédures d’homologation

 En France, la mention abeille est devenue plus restrictive. Par l’arrêté du 28 novembre 2003, les produits portant la mention abeille n’ont dérogation pour leur utilisation en période de floraison qu’à condition qu’ils soient appliqués en dehors de la présence d’abeilles butineuses (tôt le matin ou tard le soir).

 
 
« Si les abeilles venaient à disparaître, l'humanité n'aurait plus que quatre années devant elle. »
Albert Einstein